Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 07 : Des Parques Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Parques.

CHAPITRE VII.

ET d’autant que les choſes ſuſdites ne pouuoient ſ’accomplir ſans le commandement & volonté des Parques, comme cuidoient les Anciens ; l’ordre requiert que nous en diſcourions. Genealogie des ParquesLes Parques eſtoient trois ſœurs des de ſi bon accord, que l’on n’a iamais ouy parler d’aucune diſſenſion ſuruenuë entre elles, comme entre les autres Dieux & Deeſſes. Heſiode en ſa Theogonie dit qu’elles eſtoient filles de Iupiter & de Themis :

Depuis il prit Themis, qui les Heures enfante,Eunomie, Dicé, Trene verdoyante.Elles font amaſſer toute choſe aux humains :Et les Parques, à qui Iupiter mit és mainsLe droit prerogatif, Clothe Atrope, et Lacheſe,De donner aux mortels le bien & le meſaiſe.

Clotho porte la quenoüille ; Lacheſis en filant limite le terme de la vie humaine : Atropos trenche le filet, c’eſt à dire met fin à la vie quand ſon terme eſt eſcheu. C’eſt pourquoy les Poëtes les appellent Filandieres. Neantmoins au meſme liure il dit que les Parques (ſi l’on n’aime mieux les appeller Deſtinees) eſtoient filles de la Nuict & de l’Erebe, à cauſe de l’occulte & caché effect des Deſtinees. Epimenide Poëte Candiot, les fait filles de Saturne & d’Euonyme, ſœurs de venus & des Erynnes. Orphee eſt de cet aduis en l’hymne des Parques, les appellant Parques ſans-fin. Les autres ont creu qu’elles fuſſent filles de la Neceſſité. Orphee eſcrit qu’elles logeoient en vne cauerne profonde, & que de là elles ſe tranſportoient vers les corps des hommes, ſelon qu’il leur plaiſoit. D’autres ont penſé qu’elles ſoient nees auec Pan Dieu des paſtres, de cette matiere confuſe & ſans forme que les Anciens ont nommé Chaos ; & qu’elles ſe retirerent en ladite cauerne, d’où elles ſ’en-voloient aiſément quand l’enuie leur en prenoit. Leur officeElles portoient le tiltre & qualité de Secretaires des Dieux, Gardiennes de la Librairie des Cieux, des archiues & pancartes de Iupiter, & de preſcrire aux hommes des leur natiuité tout ce qui leur deuoit auenir, teſmoin Homere au 7. de l’Odyſſee :

–puis il rapportera Ce qui plaiſt au Deſtin & les Parques ſeueres Leur ont filé, ſortans du ventre de leurs meres.

Et pour cette cauſe elles ſont nommees Parques, du mot partus, c’eſt à dire naiſſance, ou enfantement, parce qu’elles aſſignent à chaſque creature humaine naiſſante ſa deſtinee bonne ou mauuaise : ou bien par antiphraſe du mot parco, ſignifiant pardonner, pour eſtre ſi impitoyables qu’elles ne pardonnent à perſonne. Autres les font filles non de Neceſſité, mais de la Mer. Æſchile en ſon Promethee, les appelle Triformes. Les Sicyoniens les adoroient en grande deuotion comme Deeſſes, & preſque de meſme ceremonie que celles qu’on appelloit Eumenides, teſmoing Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. Les Parques auoient diuers noms, comme il dict en l’Eſtat d’Attique. Venus la celeſte eſtoit l’aiſnee. Il eſcrit és Eliaques, que les Eleens auoient la ſtatuë d’vne femme ayant des dents & des griffes plus hideuſes qu’aucune beſte tant cruelle fuſt elle : & que l’inſcription qui y eſtoit grauee la denotoit eſtre l’une des Parques, nommee Morte. Derechef és Achayques, il dict que Fortune eſtoit la plus puiſſante de toutes les Parques ſes ſœurs. Puis és Arcadiques, que Lucine Euline (comme qui diroit file-lin, ou filandiere) eſtoit l’une des Parques, dicte Pepromene, qui fut beaucoup plus ancienne que Saturne. De cet aduis a eſté Licie Delien treſancien Poëte, qui a faict des hymnes tant ſur les autres Dieux que ſur Lucine. De ce que deſſus l’on peut inferer de qui les Parques ſont filles, combien elles ſont, quelle eſt leur charge, & comment elles ſe nomment. Deſcouurons deſormais ce que nous y trouuerons enueloppé.

Expoſition de la fiction des ParquesLes Anciens n’ayans encore cognoiſſance de la Religion Chreſtienne, ont penſé que tout ce qui naiſſoit fuſſent animaux, ou plantes, ou baſtimens, ou villes, n’auoient pas ſeulement leur Genie particulier qui les gouuernoit perpetuellement : mais qu’ils eſtoient auſſi ſouſmis à la puiſſance des Parques & du Deſtin ; de facon que quand quelque choſe venoit à naiſtre, elle deuoit mourir au bout de certain terme, ſelon l’ordre des Deſtinees, ou par le glaiue, ou par le feu, ou de faſcherie & ennuy, ou par quelque deſaſtre & conſtellation, ou finalement par quelque autre eſpece de mort : qu’il n’y auoit moyen, induſtrie, ny ſageſſe humaine qui peuſt aucunement eſchapper cette neceſſité, & que cette force ſ’eſtendoit generalement par tout. C’eſt cette force & contrainte qu’ils ont nommee Deſtin & Parque, dont la neceſſité eſt ineuittable. Homere au 6. de l’Iliade l’eſpluche bien plus clairement, qui non ſeulemẽt attribuë beaucoup aux Deſtinees, mais auſſi croid que chacun auoit ſa Parque particuliere, qui luy determinoit en ſa natiuité ce qui luy deuoit auenir. Et Apollonius au 1. liu. du voyage des Argo-Nochers.

Il a paracheué la courſe de ſa Parque,Que nul de femme né, tant ſoit d’inſigne marque,Ne ſurmonta iamais. Elle voltige autourDe chaſque bouleuart, chaſque fort, chaſque tour. %%%%Fin de citation rajouté%%%%Trois temps ſignifiés par les ParquesHerodote en ſa Clio dit que le Deſtin n’a pas ſeulement vn Empire ſur les hommes, mais auſſi ſur les Dieux, diſant que Dieu meſme ne le peut éuiter, ce qui eſtoit repreſenté par la ſtatuë de Iupiter Olympien en ſon temple a Megare, portant ſur ſa teſte l’effigie des Parques & des Heures, comme a elles ſubiect. Que repreſentent autre choſe les trois Parques, que les trois temps, le preſent, le paſſé & l’auenir ? Car comme il eſt eſcrit au liure du Monde, ſoit qu’Ariſtote en ſoit autheur, ou quelque autre : Il y a trois Parques diuiſees ſelon les trois temps, dont l’vne ſignifie les choſes paſſees , l’autre les futures , l’autre les preſentes. Car l’vne d’icelles nommee Atropos, concerne les choſes paſſees, d’autant que ce qui eſt paſſé, ne ſe peut aucunement conuertir, ou rappeller. L’autre qui à ſoin de l’auenir, ſ’appelle Lacheſis, parce que l’euenement des choſes naturelles eſt ſttable & ferme. Mais Clotho parfaict & accomplit les choſes preſentes, qui ſont en ſa charge. On dit que les Parques filoient en leur quenoüille l’eſtaim pour ceux qui naiſſoient, qui contenoit toute l’iſſue & tout le ſuccez de leur vie : d’autant que ſelon le premier temperament d’air que les enfans qui viennent a naiſtre hument, les Philoſophes croyent qu’ils prennent & puiſent leurs mœurs, leur fortune, & leurs actions, & meſme leur force & vigueur vitale : & appellent Deſtin, ou Parque, l’euenement ou l’iſſüe de toutes les choſes ſuſdites. Qu’ainſi ſoit Iuuenal le teſmoigne en 7. Satyre :

Il importe beaucoup qu’elle eſtoille domineSur ta natiuité, quand de voix enfantine,Tu commence à vagir, non encor nettoyéDu ſang duquel ta mere à ton corps ondoyé.

Certes ie ne voudrois pas nier que la force de l’air dont nous ſommes premierement abbruuez en noſtre naiſſance, ne ſerue beaucoup tant pour les forces du corps, pour le temperament, l’heur & proſperité qu’vne certaine occulte vertu des eſtoilles imprime en nous, qu’auſſi pour nous orner de bonnes mœurs & complexions & de valeur : mais ie ne croy pas que la force & energie des aſtres ſoit telle qu’elle nous puiſſe forcer contre noſtre vouloir, ou abbatre entierement la puiſſance de la raiſon & du conſeil : attendu que le corps ſe laiſſe conduire par la bride de l’eſprit, non au contraire l’eſprit par celle du corps. Ie ſcay bien que quelque choſe de ce qui a eſté cy-deſſus dict, aduienne, les Sages l’appellent communement Deſtin, que les autres nomment Fortune, ne voyans pas que tout ſe gouuerne par vn ordre diuinement eſtably, & que rien ne ſe fait par haſard, ny temerairement.

Expoſition moraleNous eſplucherons maintenant ce que les Anciens ont caché ſous telles feintes, qui peut ſeruir pour l’inſtruction & edification des mœurs. Quand ils ont dict que les Parques eſtoient filles de Iupiter & de Themis, qui eſt Iuſtice, ils ont voulu montrer que tout ce qui aduient à qui que ce ſoit, c’eſt à bon droit, ſuiuant ſes merites, & ſelon qu’il ſe ſera acquitté de ſon deuoir en ſa charge & vocation, & ce par le conſeil & ordonnance du Souuerain. Mais les moins clair voyans, & qui n’entẽdoient rien en cet affaire, penſoient que les proſperitez & aduerſitez ſuruinſſent aux hommes non ſelon les merites d’vn chacun, ains par quelque coup d’auanture : & pourtant ils diſoient que les Parques eſtoient iſſuës de cette premiere matiere confuſe, nommee Chaos. Ceux qui eſtoient d’opinion que les maux aduenoiẽt aux hõmes, par leur ignorance, diſoient les Parques eſtre filles de la nuict. Et ceux qui auoient encor l’eſprit plus groſſier, ne pouuans ſ’imaginer que les affaires de ce monde ſe gouuernaſſent par la prouidence diuine, ne penſoient pas que rien auinſt par le conſeil & ordonnance de Dieu ; ains ſ’arreſtans ſeulement à la rigueur des ſupplices, ſans conſiderer l’enormité de leurs pechez, d’autant que tous les enfans de la Mer (comme il a eſté dict en Neptun) ont eſté cruels & desbordez, ils ſe firent à croire que les Parques eſtoient filles de la Mer. Outre-plus Platon au 12. dialogue de ſa Republique appelle les Parques filles de la Neceſſité, parce qu’il eſt force que les meſchans ſouffrent les ſuplices que leurs iniquitez & forfaits auront deſſeruis : & n’y a meſchant homme qui puiſſe long temps eſchapper la iuſte vengeance de Dieu. On dit qu’elles demeuroient ordinairement en vne grotte tenebreuſe ; d’autant que les iugemens de Dieu ſont inconus aux hommes & que les premiers ne ſont pas ſi toſt chaſtiez qu’ils ont commis le delict : mais quand le temps de la vengeace de Dieu eſt venu, il ny a fort imprenable, ny armee de gens de pied, ou compagnies de gens d’armes qui puiſſent ou deſtourner ou retarder la punition des meſchans. Voilà quant aux Parques, ſelon la fantaiſie deſquelles on cuidoit que les ames deſcendoient aux enfers. Prenons maintenant les Iuges des pauures ames.