Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 10 : D’Aeaque Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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D’Æaque.

CHAPITRE X.

Genealogie d’ÆaqueAEAQVE l’un des Iuges infernaux, fut le fils de Iupiter & d’Ægine fille d’Aſope, de laquelle ſe voulant accointer, pource qu’il craignoit les ſurueillantes ialouſies de ſa femme, qu’il ſçauoit eſtre touſiours en aguet pour eſpier ſes actions, il la tranſporta en l’iſle de Delos pour en ioüir plus à ſon aiſe, & l’engroſſa d’Æaque. Ce que Iunon ayant deſcouuert, elle ſuſcita par deſpit vn ſerpent qui enuenima les eaux de l’Iſle en laquelle Æaque venu en aage auoit eſtably ſon regne, appellee du nom de ſa mere Ægine. Ces eaux peſtiferees engendrerent vne ſi funeſte contagion, que tous ceux qui en gouſterent, finirent a l’inſtant meſme leurs iours : de facon qu’Æaque demeura ſeul ſans ſubjets : lequel eſtant en extreme perplexité pour voir l’iſle ſi piteuſement deſerte & deſolee, requit à ſon pere de l’oſter hors de ce monde, ou bien luy repeupler ſon terroir de nouueaux citadins. Iupiter eſmeu par l’ardeur de ſa priere, tranſforma en hommes & femmes vne infinie quantité de formis qui fretilloient dans vn grand vieil cheſne creux, ainſi que le raconte Heſio-de en ſa Theogonie, & Ouide au 7. de la Metamorph. Ces gens furent nommez Myrmidons, parce que myrmez en Grec ſignifie vne formy, & myrmidon vne formiliere, & furent les premiers qui fabriquerent des vaiſſeaux, au moyen deſquels ils deſcouurirent les contrees circonuoiſines. Au reſte Æaque acquit tant d’auctorité & de reputation, que toute la Grece extremement trauaillee d’vne grande & generale ſechereſſe, enuoyant des deputez à Delphes pour apprendre le moyen d’y remedier, l’Oracle leur reſpondit qu’il failloit pacifier Iupiter : ce qui ſe pouuoit obtenir ſ’ils ſe ſeruoient de l’interceſſion d’Æaque. Leur requeſte exaucee ils firent baſtir vn temple à Iupiter Panhellenien, c’eſt à dire commun à toute la Grece ; ou bien, conſtruit aux deſpens communs de toute la Grece. Il eſpouſa deux femmes, deſquelles il engendra trois fils, Phoque de Pſammathe fille de Neree, Telamon & Pelee de Endaïs fille de Chiron. Apres ſa mort ſon integrité le fit conſtituer & eſtablir Iuge des enfers auec les deux ſuſmentionnez, qui par-enſemble font les procez aux ames d’embas.

Expoſition des fables des Iuges infernauxRecerchons à cette heure que veulent dire ces Iuges. Apres que les Parques ont acheué de filer le deſtin de quelqu’vn, & que le iour de ſa mort approche, alors l’eſprit de l’homme qui eſt ſur le point de treſpaſſer, comme ie diſois n’aguere, preuoyant ce qui en doit eſtre, entre en conte auec ſoy-meſme, examine toute ſa vie paſſee, & remet au deuant de ſa conſcience tous ſes vieux pechez. Dieux parties de l’ame humaineCar comme ainſi ſoit que ſelon le dire des Sages, noſtre ame obeït en partie & ſe laiſſe commander à la raiſon, & en partie fuit le commandement & ſeigneurie d’icelle : cette partie qui ne ſçait que c’eſt de raiſon, eſt encline à cholere, l’autre partie ſe laiſſe emporter à la conuoitiſe & appetit. Or ces premiers Iuges diſcernent ce qu’on peut auoir contre la loy commis par cholere, ou par ſemblable paſſion d’eſprit, ou par conuoitiſe. Voicy puis-apres venir Minos, ou la raiſon, qui examine derechef ſi les premiers Iuges n’ont point oublié quelque article, ou ſ’il y a quelque poinct douteux & ambigu. Ainſi donc ſi quelqu’vn en tel examen trouue que par cholere, ou par auarice ; ou pour aſſouuir ſon appetit & affection deſordonnee, ou par ambition, il ait perpetré quelque nottable crime contre la ſaincte Religion & le ſeruice de Dieu, ou au preiudice de ſa patrie, ou contre ceux auſquels il auoit beaucoup d’obligation pour les biens-faicts qu’il en auoit receus : cettuy-là eſt neceſſairement embroüillé de beaucoup de faſcheux penſers, qui deuant que rendre l’amée le troublent & bourrellent plus qu’on ne ſçauroit imaginer, & ſe condamne deſia luy-meſme comme digne d’endurer les plus griefs tourmens des Enfers. Que ſi ſes pechez ne ſont pas des plus enormes, l’eſprit ſ’attriſte bien, pource qu’il a offenſé la volonté de Dieu ; toutefois quand il vient à ſe reſouuenir de la clemence & bonté diuine, incontinent il entre en eſperance d’obtenir pardon. Mais celuy qui trouue qu’en toute ſa vie il a eu la crainte de Dieu deuant ſes yeux, & qu’il a veſcu ſaintement & en homme de bien ; il ſent en ſon cœur plus de ioye & de conſolation qu’aucune langue tant diſerte ſoit elle puiſſe exprimer. Car qu’eſt-ce que l’homme peut auoir de plus agreable, de plus ſouhaittable, ou de plus honorables ; Seur & vray ſauf-conduit des treſpaſſansquel plus braue paſſeport ou ſauf-conduit pour ſe preſenter deuant le tribunal de Dieu ſouuerain Iuge, qu’vne conſcience libre & vuide de tous forfaits ? ou quelles richeſſes, quelle nobleſſe, quels honneurs & grades ſe peuuent parangonner auec l’heur & felicité d’vne ame qui ne ſe ſent point entachee d’aucune ſouilleure ny macule, ou qui meſme eſt aſſeuree d’auoir touſiours bien faicts ? Ces faſcheries, deſplaiſirs & chagrins procedans d’vne conſcience chargee de beaucoup de meſchancetez, ce ſont autant de Tartares, de Phlegethons, de Styges, d’Acherons. Mais la ioye qu’on ſent pour auoir la conſcience nette & entiere, non cauteriſee ; ce ſont les champs Elyſiens, ce ſont les Iſles des bien-heureux, c’eſt cette ſouueraine felicité des ames, que les Sages du temps paſſé propoſoient aux gens de bien. Toutes ces choſes denotent ou la vengeance de Dieu auenir, ou la remuneration dont il recompenſera les bien-viuans. C’eſt ce que les Anciens ont imaginé touchant les enfers, pour tenir en bride & en ceruelle le peuple. Les griefs ſupplices dont les meſchans & reprouuez ſont menacez en la ſaincte Eſcripture, ou la glorieuſe recompenſe que les gens de bien attendent, ne ſont plus maintenant propoſez par maniere de fables, ains nous ſont ſelon la verité meſme declarez par la bouche de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt, tels qu’il n’y a ſuffiſance d’homme qui les puiſſe competemment expliquer. Pourquoy les Iuges d’enfer ſont enfans de IupiterLes Anciens diſent que les Iuges infernaux ſont enfans de Iupiter, d’autant que noſtre ame, qui a telle addreſſe & faculté de iuger, eſt diuine, & procedee de l’ame du monde (ſelon l’opinion des Anciens) comme vne portion d’icelle, d’où elle eſt infuſe en nos corps. Mais qu’eſt-ce que cette ame du monde, ſinon Dieu tout puiſſant, qui a ſoing de tout, gouuerne tout, depart & diſtribuë tout ce qui vient a naiſtre ? Metamorphoſe de formis expliqueeQuant à ce qu’ils nous cõtent qu’à la priere & requeſte d’Æaque les formis furent conuerties en hommes, Theagene expoſe au 3. liu. des memoires qu’il a faits touchant l’Eſtat d’Ægine, ce que les Anciens ont voulu dire par cette Fable ; ſçauoir que l’iſle d’Ægine eſtoit iadis fort mal peuplee, parce que les habitans eſtoient grandement endommagez par les corſaires & pluſieurs deſcentes & courſes que d’autres nations faiſoient ſur eux, de ſorte que n’ayans pas moyen d’y reſiſter, ſe cachoient comme formis dans des cauernes. Or Æaque leur apprit à faire des nauires & vaiſſeaux de guerre, & les dreſſa à manier les armes, & exercer l’art militaire, par ce moyen eſtans aguerris, & commencans peu à peu à ſ’oppoſer aux efforts & aux violences des eſtrangers, ils ſortirent de leurs taſnieres, & ſe mirent en veuë. Voila pourquoy il fut dit, que de formis ils eſtoient deuenus hommes, ſelon que dit Zezes en la 133. hiſtoire de la 7. Chiliade. Mais Strabon au 8. liure dit que cette Fable vint de ce que foſſoyans la terre comme formis pour auoir du labourage, ils ſe retiroient aux rochers, & habitoient en des foſſes & grottes, afin de ne faire point de frais à baſtir. Les autres diſent qu’à l’imitation des formis ils faiſoient prouiſion des fruicts que la terre produiſoit d’elle-meſme, & les ſerroient en des cauernes pour leur viure, ne ſçachans que c’eſtoit de labourage, ny de nauigation, ny de ciuilité ; toutes leſquelles choſes Æaque leur apprit : ce qui dõna ſujet de dire que de formis ils auoient eſté conuertis en creatures humaines. Les Grecs ſe ſeruirent de ſon interceſſion pour auoir de l’eau : d’autant que les prieres des gens de bien, iuſtes & attrempez, peuuent obtenir de Dieu relaſche & fin des miſeres & afflictions de chaſque ville & communauté. Mais c’eſt aſſez parlé des Iuges d’Enfer. Venons au diſcours des Eumenides.