De la Nuict.
CHAPITRE XIII.
LES Anciens n’ont pas deferé peu d’honneur à la Nuict, la croyans eſtre la plus ancienne de tous les Dieux, qui auoit occupé tous lieux deuant qu’aucun Dieu fuſt en eſtre, & cette matiere ſans-forme nommee Chaos. Toutefois quelques-vns ont penſé qu’elle ſoit nee de ladite matiere, comme Heſiode en ſa Theogonie ;
Puis apres du Chaos & de ſa maſſe hideuſe,L’Erebe fut creé, & la Nuict tenebreuſe.
Les Poëtes qui ont creu qu’elle eſtoit nee du Chaos, l’ont appellee ancienne, n’entendans pas qu’elle fuſt en aucun lieu deuant que le monde fuſt reduit en bon ordre. Ainſi l’appelle Arat és Aſtronomiques :Autour de cet Autel l’antique Nuict tournoyeSon chariot ailé, &, dolente, larmoyeDu dueil qu’elle conçoit des faſcheux encombriersQue doiuent encourir les pauures Nautonniers,Leur en ayant donné de tres-certains preſages,Si, ruſez, ils ſçauoient en deuenir plus ſage.
Ce n’eſt donc pas ſans raiſon qu’Orphee en ſes hymnes l’appelle mere des Dieux & des hommes, pource qu’on croyoit que toutes choſes fuſſent nees d’elle :
Nous te chantons ô Nuict, mere de chacun hommeEt de chaque immortel, qu’auſſi Cypris on nomme.
Son chariotEt alloit en chariot, ſelon la fiction des Poëtes, & deuant les roües d’iceluy les eſtoilles brilloient & luy ſeruoient de guide. Elle eſtoit veſtuë de noir, & portoit vn voile ſur ſa teſte : & ſuiuant le dire d’Euripide en Iupiter, les eſtoilles ne cheminoient pas ſeulement deuant ſon chariot, mais auſſi le ſuiuoient :
La Nuict prend ſon noir veſtement,Et monte en coche viſtement ;Vn attour creſpé ſon chef voile,Et ſuiuie eſt de mainte eſtoille.
Elle auoit deux cheuaux à ſon carroſſe ; Voila pourquoy Apollonius au 3. liure deſcrit la venuë de la Nuict, dit qu’elle bride ſes cheuaux :
La Nuict à ſon carroſſe attelle ſes cheuaux.
Cette facon d’aller par pays à la Nuict, eſt d’inuention plus recente que le temps auquel Homere a veſcu ; car auparauant luy, aucun Poëte n’auoit dict qu’elle ſe fiſt porter en chariot. D’autres luy donnent des aiſles, comme à Cupidon & à la Victoire : ſuiuant laquelle opinion, Virgile dit au 8. liure de l’Eneide :
La Nuict chet eſpandant ſes aiſſes enfumeesSur l’ombre de la terre.–
Quelques-vns auſſi veulent qu’elle ſorte de l’Ocean pour enueloper la terre des tenebres, comme dit le Poëte ſuſdit au 2. de l’Eneide :Le Ciel tourne tandis, et la Nuict d’OceanSe leue enueloppant d’vne ombre vniuerſelleEt le Ciel & la terre , et tout l’entour d’icelle.
Neantmoins Euripide l’inuoque non pas comme ſortant de l’Ocean, mais bien de l’Erebe :
Nuict deux & trois fois venerable,Qui donnes repos agreableA l’homme de trauail matté,Vien, vien, nous voir d’un pas haſté,Et quitte l’infernal Erebe.
Orphee dit qu’elle enuoye la lumiere aux Enfers, & que de rechef elle y retourne :
Qui la clarté du iour chaſſe deſſous la terre,Puis aprés derechef deſſous l’enfer t’enſerre.
Sacrifices de la nuict.Quand on luy ſacrifioit, la couſtume eſtoit de luy faire offrande d’vn Coq, comme ennemy de ſilence, ſelon le dire de Theagene au 2. liure des Dieux. Ses enfantsOn fait mention de pluſieurs enfans de la Nuict. Entre autres, Euripide dit en l’Hercule furieux, que la Rage eſtoit ſa fille,
Vous vieillards prenez courageQuand vous voyez cette Rage.Fille de l’obſcure NuictQue la clarté du iour fuit.
Heſiode auſſi appelle Noiſe ou Contention & Enuie, filles de la Nuict, diſant en ſon liure des Oeuures & Iournees :
Ce fut le premier part de la nuict tenebreuſe.
Puis apres en ſa Theogonie il eſcrit qu’elle eut pluſieurs fils, ſuruenus ſans compagnie de maſle :
La nuict ſans rechercher l’amitié d’aucun maſleFit le faſcheux Deſtin, & la Parque fatale,Et les Songes diuers, et la piteuſe Mort,Et le Somne peſant qui chaſque corps endort.
Ciceron au 3. liure de la nature des Dieux aprés auoir nommé tous les fils de la Nuict, dit que leur pere fut Erebe : Si cela eſt (dit-il) il faut auſſi que les parens du Ciel ſoient Dieux , l’Æther, le Iour, & leurs freres & ſœurs, que ceux qui ont recherché leur genealogie nomment Amour, Tromperie, Crainte, Labeur, Enuie, Deſtin, Vieilleſſe, Mort, Tenebres, Miſere, Plainte Grace, Fraude, Opiniaſtreté, les Parques, les Heſperides, les Songes, tous leſquels on dit eſtre enfans d’Erebe & de la Nuict.
¶Mythologie de la nuictMais c’eſt aſſez diſcouru de ce que l’on nous conte touchant la Nuict. Les peſtes cy-deſſus mentionnees ſont ſes filles, d’autant que l’ignorance & malice des hommes, qui eſt la nuict de l’entendement, eſt la mere & nourrice preſque de toutes les miſeres & calamitez qui affligent le genre humain : au lieu que l’equité, comme vn doux & gracieux Zephire, a moyen de les chaſſer de la preſence des hommes. Car toutes ces choſes accompagnent l’ignorance, veu que meſme ce qui eſt de nature, ſe peut aucunement retarder par ſageſſe, ou pour le moins alleger, cõme la vieilleſſe, l’amour, le deſtin, la mort, & autres choſes ſemblables. Ils ont appellé la Nuict tres-ancienne, pource que deuãt que le Soleil & le Ciel fuſſent faits, il n’y auoit aucune lumiere, laquelle ils ont feint venir d’Erebe & des enfers, attendu qu’elle circuit touſiours la terre ; car quand le Soleil ſe cache de nous, & ſe retire ſous terre, il faut neceſſairemẽt que la terre nous faſſe ombre, veu que la Nuict n’eſt que l’ombre de la terre. Quelques-vns diſent que la Nuict eſt fille de Cupidon, teſmoin Orphee és Argonautiques :
Le gemeau Cupidon de race tres-illuſtre,Qui de la ſombre Nuict fat pere de grand luſtre ;On le nomma iadis du nom de Paroiſſant,Parce que le premier il fut apparoiſſant.
Ce qui n’a pas eſté feint pour autre occaſion, ſinon pource que bien ſouuent on ne peut rendre raiſon d’où procede l’amour ; ou bien parce qu’il en faut bien ſouuẽt cacher le ſujet ſous l’obſcurité de la Nuict & du ſilence. Elle cheminoit par pays en chariot, d’autant que ſi l’on prend peine à quelque choſe, on ne la trouue pas longue ny faſcheuſe. Elle eſt appellee mere de toutes choſes, parce qu’elle a eſté deuant qu’il y euſt rien de creé, & eſt dicte Nuict, du mot Nuire, ſelon l’opinion d’aucuns, pource que le ſerein & humidité de la nuict eſt mal ſain & dommageable aux hommes, comme on void à ceux qui ont de la galle, de la fiebure, ou autre maladie, qui ſe r’engrege la nuict ſuruenant. Traictons maintenant de la Mort.