Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 16 : D’Hecate Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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D’Hecate.

CHAPITRE XVI.

Genealogie d’Hecate incertaineJE ne voudrois pas bonnement aſſeurer quels ont eſté les pere & mere d’Hecate : car ceux qui ont eſcrit d’elle, les luy donnent à leur poſte. Bacchilyde dit qu’elle eſt fille de la Nuict ; Muſee, de Iupiter & d’Aſterie ; Pherecyde, d’Ariſtee fils de Peon : Orphee és Argonautiques cuide qu’elle ſoit nee du Tartare, & la deſcrit allant auec les Eumenides à certains Sacrifices :

Auec elle y vint Hecate multiformeOrnee de trois chefs tous de diuerſe forme,Fille du noir Tartare.–

Ledit Orphee en vn autre paſſage la fait fille de Iupiter & de Cerés ; Heſiode, de ce tres-ancien Perſés (qui fut fils de Cœe) & d’Aſterie. Ce qu’auſſi teſmoigne Ouide au 7. liure des Metamorphoſes :

Vers les Anciens Autels d’Hecate PerſeideCachez dans la foreſt d’vne ombre fraiſche-humideMedee ſ’en alloit.–

Apollodore au 1. liure croid qu’Hecate, Proſerpine & la Lune ne ſont qu’vne : & pour cette raiſon Euripide l’appelle Lucifere ou Porte-iour. Sa taille prodigieuſeOn dit qu’elle auoit vn regard terrible & hideux, & qu’elle eſtoit d’vne taille de corps merueilleuſement grande, voire iuques à vn demy ſtade, qui ſeroient ſoixante deux pas & demy : & qu’elle auoit les pieds recroquillez en façon de Serpent, ſemblable quand à l’air de viſage aux Gorgones. Au lieu de cheueux elle auoit vne grande quantité de Serpens, de Couleuures & de Viperes, les vnes treſſees en façon de tortis, & ſifflans ; les autres l’accolloient : les autres ſ’eſpandoient deuallans iuſques ſur ſes eſpaules. Elle eſtoit auſſi nommee Brimo, d’vn mot qui ſignifie fremiſſement, ou bruit, parce que lors qu’Apollon la pourſuiuoit, pour la forcer comme elle eſtoit à la chaſſe, elle fremit & mena grand bruit contre luy, ou pluſtoſt contre Mercure, ſelon l’auis d’Iſace. Qu’elle ait eſté appellee Brimo, Apollonius le teſmoigne au 3. liure des Argo-Nochers.

–ſes vaiſſeaux elle embraiſe,Et des encenſemens meſle parmy la braiſe,En reclamant Brimo de vouloir allegerSes plus preſſans trauaux, et ſon terme abreger.

On la tenoit pour Royne des Enfers, ſelon le teſmoignage dudit Poëte au meſme liure :

Elle inuoque ſept fois Brimo la venerable,La nocturne Brimo, terreſtre redouttable,Qui les ombres des morts maintient ſous ſon pouuoir.

Elle auoit grande quantité de Chiens à ſa ſuitte, comme il appert de ce qui ſuit :

Autour d’elle on voyoit vn eſclattant effroyDe gros Maſtins hullans d’eſpouuenttable aboy.

Autres eſcriuent qu’elle ſe monſtroit couronnee de guirlandes de Cheſne, comme Sophocle, qui dit auſſi qu’elle portoit autour de ſa teſte de grands Serpens :

Qui ſe tient és ſaints carrefours,Pluſtoſt qu’és villes ou és bourgsEt qui ſon chef couronne & treſſeD’vne guirlande qu’elle entreſſeDe Cheſne verd, a ſon colPendent maints Serpens pleins de dol.

Pour cette cauſe Tibulle parlant d’vne ſorciere au 1. de ſes Elegies, dit qu’elle charma les Chiens d’Hecate par l’experience qu’elle auoit és enchantemens & en l’art Magique, parce qu’elle auoit touſiours des Chiens enragez à ſa ſuitte :

Elle ſeule a le bruit de ſçauoir tous les charmes,Tous les arts dont Medee a faict tant de vacarmes :On luy donne le los d’auoir ſeule domptéLes hurlemens affreux des Maſtins d’Hecaté.

Ses ſacrifices.On l’a auſſi qualificee Canicide ou meurtriere de Chiens, & Canivore, ou mange-chiens, d’autant qu’on luy ſacrifioit des Chiens, comme dit Lycophron. Quelques-vns ont cuidé qu’on luy immoloit des Chiens, parce que c’eſt vn animal faſcheux, qui en abboyant fait euanoüir les phantoſmes & les viſions que Hecate enuoye ; car quãd on fait retentir en l’air quelques engins d’airin, ou autre choſe qui faſſe bruit, leſdits phantoſmes & viſions ſ’en offenſent fort : & partant ne peuuent longuement ſubſiſter. Ses Sacrifices ſe faiſoient és carrefours ; & pour ce ſujet elle a eſté nommee Triuie, comme qui diroit demeurans és carrefours, ou lieux eſquels trois chemins ſe rencontrent : la raiſon eſt que la Lune, Diane & Hecate ne ſont qu’vn : ou ſelon les, autres, Iunon, Diane & Proſerpine. D’autres veulent qu’elle ſoit dicte Triforme, parce qu’elle paroiſt tantoſt cornuë & preſque vuide, tantoſt mi-partie ou demy-pleine, tãtoſt toute pleine & ronde. Autres, pource que de trois teſtes qu’elle a, la droicte eſt de Cheual ; la gauche, de Chien ; & celle du milieu d’Homme ; ou, ſelon d’autres, d’vne lee ou truye ſauuage. Et quelques vns l’appellent ainſi, à cauſe qu’elle fut expoſee és carrefours, trouuee & nourrie par des paſtres. Ou bien parce qu’elle a puiſſance au ciel & en terre, & és enfers. Quelques-vns auſſi diſent qu’elle a eſté appellee Hecate (de hecaton, qui ſignifie cent) parce que de chaque grain de bled elle en rapporte cent, c’eſt à dire grand nombre ; autres, d’autant qu’il luy falloit cent offrandes pour l’appaiſer : autres, parce qu’elle faiſoit errer les treſpaſſez l’eſpace de cent ans deuant qu’eſtre enſeuelis. Les Atheniens luy ſacrifioient és carrefours tous les mois, à la Lune nouuelle, & en ce meſme temps ceux qui auoient des moyens, faiſoient audit lieu vn ſoupper, & les pauures y accouroient la nuict, & deuoroient tout ce qui eſtoit ſur ttable, puis on faiſoit acroire que ç’auoit eſté Hecate : laquelle couſtume nous apprenons d’Ariſtophane en Plute :

Hecate nous apprend ſ’il vaut mieux eſtre richeQue de mourir de faim, car elle enjoint non chiche,Que ceux qui ont moyen facent à leurs deſpensVn feſtin tous les mois, & que les pauures gensD’vne gloutonne faim, & gourmandiſe ouuerteLe deuore pluſtoſt qu’on n’ait ttable couuerte.

Or à cauſe de tels repas on l’appelloit orde, ſale, & chiche, d’autant qu’on croyoit que les ombres veſquiſſent de pourreauz, maulues, mænides, (menus poiſſons, qu’aucuns eſtimẽt eſtre le Celerin) & barbeaux : & eſtoit principalement adoree és carrefours : à cauſe que (ſelon l’opinion d’aucuns) Æole & Pheree ſes pere & mere la mirent là à l’abandon, & fut recueillie par des paſtres & des bouuiers. On penſoit qu’elle gardaſt le ſueil des maiſons, teſmoin Æſchyle :

Hecate garde à ſon vueilDes Roys & Princes le ſueil.

Heſiode en ſa Theogonie deſcrit les vertus, facultez & offices qu’elle auoit, ainſi qu’il ſ’enſuit :

Elle à de Iupiter ſur toute autre DeeſſeCe droit prerogatif, cet honneur cette adreſſe,De commander ſur terre & ſur les flots ſalez,Et ſur tout ce qui eſt ſous les cieux eſtoillez.Elle exauce nos vœux par ſa grand clemence,Elle donne les biens comme en ayant puiſſance.La terre & cieux ſont ſiens, & tout ce qui en ſort.Prenant naiſſance d’eux, & tient en main leur ſort.

Hecate Magicienne.Elle eſtoit fort experte en ſorcellerie, & celles qui ſouloient exercer l’art de magie, l’inuoquoient ordinairement auec la Lune. C’eſt pourquoy Medee la ſorciere dit en Euripide, qu’elle l’honore par deſſus tous autres Dieux. Or on l’appelloit ſept fois : puis aprés on luy faiſoit vn holocauſte auec certaines & particulieres ceremonies, leſquelles Apollonius exprime quaſi toutes au 3 des Argo-Nochers :

Quand la Nuict aura faict à demy ſa cariere,Souuienne toy d’aller tout ſeul à la riuiere.Eſtant la reueſtu d’vn habit azuré,Laue toy iuſqu’à tant que tu ſois eſpuré,Ce faict, tu creuſeras ſur la riue de l’onde,Pour faire ton offrande, vne foſſe profonde ;Dans laquelle, deuot, vne Agnette offriras,Que deſſus vn bucher en cendres reduiras ;Puis inuoque à ton aide Hecate Perſeïde,L’appaiſant de douceurs, de miel iaune liquide.Aprés retire toy d’autour de ce bucher.Mais ſi quelqu’vn te ſuit, qui ton nom vienne hucher,Que ny le bruit des pieds, ny la voix eſclatanteDes maſtins abboyans, trop credule te tentePour voir derriere toy : car ton ſeruice faictTourneroit à neant, ſans fruict, & ſans effect.

Drogues reſiſtans à la magie.Ces Sacrifices ainſi ſolemniſez, certaines viſions leur apparoiſſoient quand & quand, qu’ils nommoient Hecatees, & ſe conuertiſſoient en pluſieurs formes. On dit que l’herbe par les Grecs appellee Moly (qu’aucuns penſent eſtre la ruë ſauuage) le laurier ; l’herbe aux puces, le nerprun, le ſaule, l’eſtoile marine, & le iaſpe, reſiſtent aux abuſemẽs & preſtiges des arts Magiques, comme auſſi font pluſieurs autres eſpeces de plantes, animaux & pierres, deſquels Albert le Grand, & Orphee au liure des pierres ont eſcrit, ſans qu’il ſoit beſoin de les cotter icy. Plaiſant conte de la deification & mominatiõ d’Hecate.Ceux qui ont le plus honoré Hecate, ont eſté les peuples d’Ægine & de la Bœoce, comme dit Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe. Mais pour ſçauoir le ſujet qui l’a fait qualifier Deeſſe des Enfers, il faut ſçauoir que Iupiter (comme dit la Fable) ayant vne fois couché auec Iunon, elle conceut & enfanta vne fille nommee Ange, qui fut donnee aux Nymphes pour la nourrir & eſleuer. Elle eſtant venuë en aage cacha la boiſte à longuent de ſa mere dont elle ſe fardoit quand elle ſe vouloit parer, & la bailla à Europe fille de Phœnix. Ce que Iunon apperceuant, & l’en voulant chaſtier, Ange ſ’enfuit chez vne femme n’aguere accouchee, & de là ſe fourra dans vne compagnie de gens qui emportoient & conduiſoient vn mortuaire ; ainſi Iunon ceſſa de la pourſuiure. Iupiter fit commandement aux Cabarnes de la purifier, qui l’emportans vers les marez d’Acheruſe, firent ce qui leur eſtoit enjoint : depuis elle fut tenuë pour Deeſſe des morts, & terreſtre, qui pour ce ſujet fut depuis dicte Hecate. Autres etymologies d’Hecate.Il ſ’en trouue toutesfois qui maintiennent qu’elle naſquit de Iupiter & de Cerés, laquelle eſtant forte, vigoureuſe & de grand’ taille, fut enuoyee chercher Proſerpine : & depuis commiſe ſur les Royaumes ſouſterrains ; & deſlors elle fut nommee Hecate, comme eſtant bien loing de nous, du mot hecàs qui en Grec ſignifie loing. Les autres diſent que c’eſt parce qu’il ſe faut eſloigner d’elle : les autres, d’autant qu’elle exerce cent charges és affaires de ce monde, & deduiſent ce nom de hecaton, c’eſt à dire cent. Voila ce qui concerne ſa Fable.Mythologies Hiſtorique d’Hecate.Quelques Anciens Autheurs ont laiſſé par eſcrit, qu’Hecate fut fille de Perſés fort addonnee à la chaſſe, mais toutesfois cruelle & inhumaine, qui ne pouuant atteindre le gibier qu’elle couroit, de rage delaſchoit ſes fleches contre le premier homme qu’elle rencontroit en ſon chemin. C’eſt elle qui la premiere trouua la compoſition des poiſons, nommement l’Aconit, ou Reagal, pourtant on la tint pour tres-redouttable Deeſſe des Enfers. Elle faiſoit eſſay des forces & vertus de chaſque herbe qu’elle trouuoit, en donnant à manger à ſes hoſtes, aux eſtrangers & paſſants. Premierement elle fit mourir ſon pere par poiſon, ſe ſaiſit de ſes ſeigneuries ; puis baſtit vne chapelle à Diane, à laquelle elle ſacrifioit les paſſans : enfin mariee à Æete, eut de luy deux filles, Circe & Medee ; & vn fils Ægiale. Circe apprenant de ſa mere la facon des charmes & poiſons, y adiouſta auſſi l’uſage de beaucoup d’autres herbes de ſon inuention, dont elle faiſoit experience aux deſpens de la vie de pluſieurs perſonnes. Entre-autres elle empoiſonna (a l’exemple de ſa mere) ſon pere ; & print poſſeſſion de ſon Royaume : mais on dit que pour ſa cruauté intollerable, elle en fut deboutee, & ſ’enfuit auec bien petite ſuitte de femmes vers la mer Oceane en vne Iſle deſerte, ou bien (ſelon d’autres) en Italie vers vn promontoire qu’elle nomma Cap de Circe. Medee auoit tout autre intention ; çar elle eſtoit fort ſoigneuſe de la vie & ſanté des eſtrangers, ayãt appris, & de ſa mere & de ſa ſœur beaucoup de receptes : & bien ſouuent ſon pere la tançoit de ce que pour eſtre trop bonne & trop facile, elle feroit vn iour courir grand’ fortune à ſon Eſtat, veu qu’il luy falloit mourir, ſelon la prophetie de l’Oracle, lors qu’vn eſtranger auroit pris la toiſon d’or. Ses prieres n’ayant point de vertu enuers elle pour luy faire changer de façon de viure, Æete ſon pere entra en defiance & ſoupçon d’elle, & la mit en priſon, dont elle eſchappee ſ’enfuit dans le bois ou parc dedié au Soleil vers la mer. Cependant voicy arriuer les Argo-Nochers, allans au voyage de cette toiſon d’or : auſquels elle conta tous les haſards qu’ils coururent, & la cruauté de ſon pere, & comme il auoit de couſtume de faire traiſtreuſement mourir tous ceux qui logeoient-là. Puis aprés à la requeſte deſdits Argo-Nochers elle ayda Iaſon à ſurmonter tous ces riſques & dangers qu’elle preuoyoit, ayant tiré de luy ſerment de la prendre pour ſa loyale & bien-aymee eſpouſe. Car les eſtrangers qui ſe mettoient en deuoir d’aller conquerir cette Toiſon, entroient en de grands & eſpouuenttables perils ; & Æete de ſon coſté taſchoit par ſa barbarie & cruauté de faire qu’aucun eſtranger n’entrepriſt ce voyage.

Mythogie Phiſique.Or qu’eſt-ce que les Anciens ont entendu par telles Fables ? Pourquoy diſent-ils qu’Hecate ſoit fille de Nuict ? pource qu’Hecate eſt l’ordre & force du deſtin diuinement enjoint & aſſigné à chacun : comme il appert des vers d’Heſiode, cy deſſus alleguez. Elle eſt fille de Iupiter, ou de Perſés : mais d’autant qu’il n’eſt permis à homme mortel de pouuoir cognoiſtre cet ordre voila pourquoy elle eſt dicte fille de la Nuict. Ceux qui ont creu Iupiter eſtre le ſouuerain gouuerneur de l’Vniuers, connoiſſans que tout procedoit de luy, ont appellé cette force & vertu, qui decoulant ſecrettement des Aſtres trauaille & agit és corps inferieurs, Hecate fille de Iupiter & d’Aſterie. Mais ceux qui ont eſcrit que le Soleil void & oyt toutes choſes, & qu’il conduit tout l’Vniuers, ont penſé qu’Hecate, c’eſt à dire, la force & vertu ſuſdite, fut fille de Perſés. On ſçait bien qu’elle a eſté nommee Lucifer ou Porte-iour, parce qu’elle deſcend du long de ces feux eternels des aſtres. Elle a auſſi eſté dicte Royne des Enfers, d’autant que tous les hommes obeïſſent & font joug à la neceſſité des Deſtinees, c’eſt à dire, à la volonté de Dieu. Et ces Chiens enragez qui l’accompagnent, que ſont-ce autre choſe que les calamitez & miſeres qui ſans ceſſe par le deſtin affligent les hommes ; ſa forme auſſi tant hideuſe & effroyable repreſente la grande quantité de maux eſquels cette miſerable vie eſt ſubjette. Elle peut en outre par le moyen de ſes ſorcelleries & enchantemens deſtourner le cours des eaux, tranſporter les bleds de lieu en autre, campagner les montagnes & montagner les campagnes, voire des-jucher les eſtoilles du ciel ; ce qu’on diſoit que les ſorcieres faiſoient ; d’autant qu’il n’y a rien qui ne ſ’aſſujetiſſe à la neceſſité des deſtins, & à la volonté de Dieu. Ainſi donc quand les Anciens ont voulu faire entendre qu’il falloit que tous hommes mouruſſent vne fois, & que perſonne ne pouuoit fuyr la volonté des Dieux, ny outrepaſſer le iour prefix, & que toutes com-moditez & incommoditez procedoient de leur plaiſir & diſpoſition ; ils ont mis en auant tels contes touchant la naiſſance & forme d’Hecate. Traictons deſormais de Proſerpine.