Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 17 : De Proserpine Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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De Proſerpine.

CHAPITRE XVII.

Genealogie de Proſerpine.QVELQUES-VNS ſouſtiennent que Proſerpine eſt la meſme qu’Hecate ; qu’ils ont auſſi nommee Dere, comme dit Timoſthene. Les autres alleguans les pere & mere d’Hecate diſent que la mere de Proſerpine fut Cerés : or ſi elles ont diuers parens, elles ne peuuent eſtre vne. Heſiode eſt de ceux qui tiennent qu’elle ſoit fille de Cerés en ſa Theogonie :

Monté deſſus le lict de Cerés il engendreProſerpine la belle afin d’auoir vn gendre.Ce gendre fut Pluton, qui depuis la rauit ;Mais Iupin entre mains de Cerés la remit.

Partie par Pluton.Apollodore Athenien au premier liure, dit que Proſerpine fut fille de Iupiter & de Styx. Strabon au ſeptieſme liure eſcrit que valence, dicte jadis Hipponium, eſt vne ville de Sicile, ſituee en tres-beau pays, auquel y a de tres-plaiſantes prairies, & que comme Proſerpine y cueilloit des fleurs & des boucquets, Pluton la rauit. Mais pource que Ciceron en la ſeptieſme action contre Verrés, deſchiffre elegamment toute cette hiſtoire, & depeint diſertement l’agreable ſituation du lieu, i’allegueray icy ce qu’il en dit : C’eſt vne vieille opinion, Seigneurs Iuges, qu’on apprend des tres-Anciens eſcrits & memoires des Grecs, que toute l’Iſle de Sicile eſt conſacree à Cerés & Libera. Les autres nations le tiennent ainſi, & les Siciliens en ſont ſi aſſeurez, qu’il ſemble que cela ſoit enraciné en leurs cœurs, voire qu’ils tiennent cette creance des le berceau. Car ils maintiennent que leſdites Deeſſes ſont nees en ces quartiers-là, & que l’inuention des grains en vient, & que Libera, qu’ils nomment auſſi Proſerpine, fut rauie & enleuee par Pluton, dans le bois d’Enne, & d’autant que ce lieu-là eſt ſitué au beau milieu de l’iſle, on le nomme le Nombril de Sicile. Et comme Cerés la voulant aller cercher, on tient qu’elle alluma ſes torches au feu qui ſort du Montgibel : & que ſ’en eſclairant elle-meſme, elle courut tout le monde. Or le bois d’Enne, où l’on dit que ce que ie viens de conter, eſt auenu, eſt ſitué en vn lieu haut eſleué & montueux, ayant au faiſte vne belle campagne de labourage, & force eaux viues, & de tous coſtez de fort belles & plaiſantes auenues. Tout autour il y a des lacs & boccages en grand nombre, produiſans de belles et iolies fleurs en quelque ſaiſon de l’annee que ce ſoit : de façon que le lieu meſme ſemble rendre teſmoignage du rauiſſement de cette Infante, dont nous auons ouy diſcouurir des noſtre enfance. Car la auprés y à vne cauerne tirant vers l’Aquilon, merueilleuſement profonde, de laquelle on dit que le pere Dis ſortit en vn inſtant auec ſon chariot, & que d’emblee rauiſſant en ce lieu meſme la fille, il l’emporta quant & ſoy : & qu’auſſi toſt il ſe fourra dans terre prés de Saragoce, & que de la meſme ſourdit vn lac à l’endroit où pour le iourd huy les habitans de ladite ville celebrent encore tous les ans vne feſte auec vne infinie multitude & aſſemblee de gens. Toutesfois Pauſanias en l’Eſtat d’Attique dit, qu’il y auoit vne place vers la riuiere de Cephiſe en Bœoce, que l’on nommoit Caprifique, ou figuier ſauuage, par laquelle on croyoit que Pluton auec ſa Proſerpine rauie eſtoit deſcendu aux Enfers. En l’Eſtat de Corinthe il rapporte encore que vers la riuiere de Chemar il y auoit vn parc fermé de murailles, par où Pluton auec ſa proye eſtoit arriué en ſon Royaume ſouſterrain. De là vint que tous les Siciliens ſouſtenans Proſerpine auoir été rauie en Sicile, iuroient par Proſerpine, comme par vne deité qui leur fuſt familiere & domeſtique. Neantmoins Orphee és Argo-Nochers ſemble vouloir dire que Pluton n’emmena pas Proſerpine par deſſous vne cauerne, mais bien par deſſus la mer.

Comme iadis Pluton d’vne cautelle fineSa niepce, oncle, rauit , la belle Proſerpine,Ainſi qu’elle cueilloit des infantins bouquets :Et comme il l’emporta parmy les drus boſquets ;Comme il mit ſes cheuaux tous noirs en leur pelageA ſon aiſlé carroſſe auec leur attelage :Comme il luy fit tracer ſur le dos de la mer,Et ſur les flots ſalez vn chemin tres-amer.

Quelques-vns eſcriuent qu’elle fut enleuee cueillant du Narciſſe, & qu’elle l’aimoit fort deuant qu’eſtre rauie. Et d’autant qu’Ouide au 5. de ſes Metamorphoſes fait vn gentil & ample narré de ce rauiſſement, ie l’ay bien voulu inſerer icy pour oſter au lecteur la peine de le chercher ailleurs :

Non guere loing d’Aetna ville grande & diffuſeOn deſcouure vn beau lac qui ſe nomme Perguſe,Dedans lequel on oit pluſieurs Cygnes chanter,Autant & voire plus qu’au fleuue Cayſter.Vne eſpaiſſe foreſt circuit & couronneCe lac deſſuſnommé, & l’herbe autour fleuronne :Les rameaux verdoyans mis en belle rondeurSeruent de couuerture à eſteindre l’ardeurDu Soleil radieux, par plaiſante froidure.La terre d’alentour eſt pleine de verdure,Qui en ce meſme lieu diuerſes fleur produitLà verdoye touſjours vn Printemps iour et nuict.En ce bois doux-flairant, qui touſiours renouuelle,S’esbatoit vne fois Proſerpine labelle,Mignonne ore cueillant de ſes doigts tant poliſDes fleurs or’ du Narciſſe, et ores du blanc Lys,Et comme par grand ſoin qui tient de ſon enfance,Giron, ſein & coſin emplir elle ſ’auanceDe boucquets deſirant ſes compagnes paſſerEn viſte diligence, et de fleurs amaſſer ;Le Roy d’Enfer la void, l’ayme & rauit enſemble,Tant il eſt tranſporté d’Amour qui cœurs aſſemble.La vierge de ce rapt grandement ſ’effraya,Et tendrement ſa mere & compagnes cria :Mais helas ! plus ſouuent en ſa fortune amerePour luy donner ſecours elle appelloit ſa mere,Moins elle paroiſſoit. Lors de ſon veſtement,De ſon ſein & giron cheurent ſoudainementBoucquets, herbes et fleurs qu’elle auoit recueillies,Qui d’infantins regrets furent d’elle accueillies,Tant elle eſtoit encor innocente de ſens,Et ſimple et ſans malice en ſes blonds ieunes ans.Alors le Roy Pluton, qui d’amour tout forcene,Saute en ſon char, & met ſes cheuaux en haleine,En leur tendant la main, et pour les eſchauffer,Branſle brides & frains de la couleur du fer :Et par ſon nom conu chaſque Cheual appelleFurieux, & ronflant, et fougueux, & rebelle.Ainſi doncques Pluton porte des cheuaux ſiens,Paſſe les chaudes eaux des lacs Paliciens,Qui boüillonnoient en feu, & reſſembloient vn goulfreOu l’eau vomiſſant flamme, à la ſenteur de ſoulfre.Puis il vient à paſſer les deux differents ports,En l’entredeux deſquels les Bacchiades forts,Qui des Corinthiens auoient pris origine,Firent edifier ville forte et inſigne.

Finalement Proſerpine obtint par les prieres & lamentations de Cerés, que les hurlemens, les arrachemens de cheueux, & les coups de poings ou autres playes qu’on ſe faiſoit és funerailles des parens & amis ſe feroient en ſon honneur, en forme de Sacrifices ; ce qu’exprime Euripide en Oreſte :

Les hurlemens et les pleurs,Les coups de poing et douleurs ;Les arrachemens de treſſeQue l’infernale DeeſſeVoulut qu’on luy dediaſt.Et qu’on luy ſacrifiaſt.

Et parce qu’elle eſtoit la Roine des Treſpaſſez, Horace au 1. des Carmes dit qu’elle reçoit tout le monde, ſans refuſer perſonne :

La mort meſle en vn tas, et ſans eſgard ruineIeunes & vieilles gens, & nul de ProſerpineN’eſchappe la rigueur.–

Voyez liu.5.cha. 14.Or aprés le rapt de Proſerpine par Pluton, comme ſa mere Cerés la cerchoit par tout le monde nuict & iour, ſans boire ny manger, elle logea vn iour chez Hippothoon, fils de Neptun & d’Alope, & fut bien receuë par Meganire (ou Matanire ſa femme, que d’autres diſent auoir eté femme de Celee. Incontinent Meganire luy preſenta la ſeruiette, & du vin ; mais la Deeſſe refuſa d’en boire, en ſouſpirant, & dit qu’il ne luy eſtoit pas loiſible de boire du vin, ſa fille eſtant en ſi grande angoiſſe : & commanda qu’on luy detrempaſt de l’eau auec de la farine, qu’elle beut. Meganire auoit vne bonne femme qui la ſeruoit, nommee Iambe, fille de Pan & d’Echo, qui voyant cette Deeſſe ſi triſte & faſchee, ſe prit à luy faire des contes pour rire, y entremeſlant des gauſſeries en vers pour la reſiouyr, & luy faire paſſer vne partie de ſa melancholie : pour cette cauſe cette maniere de vers qui n’eſtoit point auparauant en vſage, fut depuis appellee Iambique. Metamorphoſe du fils de Meganire en Lezard., Ouide entre les aduantures de Cerés, conte qu’eſtant vne fois ſurpriſe de ſoif, elle alla heurter en vne maiſon où demeuroit vne vieille, a laquelle demandant à boire, la bonne femme luy preſenta d’vne boiſſon detrempee auec de la farine qu’elle venoit de faire boüillir : Voyez liu.5. cha. 14.& que comme elle beuuoit pour eſtancher ſa ſoif, vn ieune enfant qu’auoit cette vieille, n’ayant cognoiſſance du pouuoir de la Deeſſe, ſe print a ſe mocquer d’elle, & l’appeller gloutonne & gourmande : dequoy Cerés indignee luy ietta au viſage le ſurplus qui luy reſta en la gondolle où elle beuuoit : dont ſa face demeura tachee de diuerſes marques : ſes bras deuindrent cuiſſes, & tout ſon corps en ſomme fut conuerty en vn Lezard, que les Latins appellent Stellio, pource qu’il a le corps marqueté comme d’eſtoilles. Paction faicte entre Cerés & Pluton touchant Proſerpine.Or Cerés ayant par tout le monde cerché ſa fille ſans la pouuoir trouuer, en fin la Nymphe Arethuſe luy fit entendre que Pluton l’auoit enleuee & emportee en Enfer. Alors elle ſ’addreſſa à Iupiter, & ſe pleignit de la temerité de ſon frere, à laquelle Iupiter promit qu’il luy feroit recouurer ſa fille, pourueu qu’elle fuſt contente de la rauoir à telle condition qu’elle n’euſt gouſté choſe aucune qui creuſt aux Enfers. Mais ne ſ’eſtant peu empeſcher de manger trois, ou (ſelon d’autres) ſept, ou neuf grains d’vne grenade, Aſcalaphe né aux Enfers d’Acheron & de la Nymphe Orphné, l’accuſa ; cauſe qu’elle ne peut emmener ſa fille du tout libre : & par vengeance Proſerpine tranſforma Aſcalaphe en HibouMetamorphoſe d’Aſcalaphe en Hibou.. Heantmoins pour addoucir ſon ennuy, Iupiter voulut que des douze mois de l’an, Proſerpine en paſſaſt ſix auec ſa mere, & ſix auec ſon mary. Ainſi le content tous ceux qui ont eſcrit de la nature des Anciens Dieux. Theagene & Apollodore Cyrenien eſcriuent que Iupiter pour appaiſer Proſerpine luy donna la Sicile. Et depuis le bruit fut que la ville de Saragoce, capitale de toute l’iſle, ſeroit à l’aduenir tres-riche & puiſſante. Car lors qu’Archias & Myſcelle allerent au conſeil vers l’Oracle pour ſçauoir qu’elles places ils choiſiroient pour baſtir des villes, ils eurent telle reſponſe :

Vous qui auez des gens que deſirez loger,Et des poſſeſſions pour les leur partager,Et qui vous enquerez d’Apollon quelle traitteIl vous faut deſigner pour y faire retraitte :Vous auez à choiſir lequel vous aymez mieux,Des richeſſes auoir, ou des ſalubres lieux.

Deſcente de Theſee & de Pirithe aux enfers pour enleuer Proſerpine.La deſſus Myſcelle aymant mieux choiſir vn pays ſain & en bel air ; Archias, vn riche & fertile, cettuy-cy baſtit Saragoce ville Royale en Sicile ; & l’autre Crotone, pays de pluſieurs braues maiſtres lutteurs. On dit qu’aprés la mort d’Hippodame femme de Pirithe, Theſee, & luy conuindrent enſemble & compromirent de n’eſpouſer aucune femme qui ne fuſt fille de Iupiter. Voyez liure 7. chap. 9.Or Theſee ayant rauy Helene, fille de Iupiter & de Lede, Pirithoüs le ſomma de ſa promeſſe ; ſuiuant laquelle ne connoiſſans pour lors autre fille de Iupiter plus belle ne plus digne que l’infante Proſerpine, ils firent complot de l’auoir par quelque moyen que ce fuſt. Pour cet effect ils deſcendirent aux Enfers auec intention de l’enleuer. Mais Pirithe fut de prime-abord englouty par Cerbere, & Theſee arreſté priſonnier entre les mains de Pluton. Les autres diſent que comme ils ſe cuiderent à l’entree des Enfers repoſer ſur vne roche, ils y demeurerẽt fichez ſans ſe pouuoir bouger, iuſqu’à ce qu’Hercule faiſant le meſme voyage pour emmener Cerbere, deliura Theſee, comme n’eſtant là venu que pour complaire & faire compagnie à ſon amy : mais le pauure Pirithe demeura là pour les gages, d’autant que de gayeté de cœur il ſ’eſtoit hazardé à cette entrepriſe. Ce que touche Apolloine au premier liure des Argonautiques :

Theſé le plus celebre entre les Erechtides,Sous les eaux du Tenar en lieux ſombres humidesEſtoit de forts liens & chaines garrottéPour auoir ſon Pirithe aux enfers eſcorté.

chap. 5. Sacrifices de Proſerpine.Virgile au 6. liure introduit Charon ſe plaignant d’eux, comme nous auons ouy cy-deſſus, à cauſe de la frayeur qu’ils luy firent en les paſſant. La couſtume eſtoit d’offrir en ſacrifice à Proſerpine tantoſt des Chiens, tantoſt des Victimes noires & ſteriles. C’eſt pourquoy Virgile dit :

A vne ieune oüaille au noir enlainé flancDe ſon coutelas meſme Æné la gorge couppeA la mere l’offrant de l’Eumenide trouppe,Et à leur grande ſœur : & Proſerpine, a toyVne Vache brehaigne.–

De ce paſſage on peut recueillir qu’Hecate & Proſerpine eſtoient deux, d’autãt que leurs ſeruices ſont differents, & que le Poëte nomme Hecate ſœur des Eumenides, & Proſerpine ſeparément ; & dit qu’on luy ſacrifie vne Vache brehaigne, & à Hecate vne brebis. Pauſanias en l’Eſtat de Bœoce eſcrit que Proſerpine, encore petite, courant pour prendre vn Oyſon qui luy eſtoit eſchappé de la main, entra dans vne grotte creuſe, & que tirant ſon Oyſon de deſſous vne pierre où il ſ’eſtoit fourré, il en ſortit incontinent vne riuiere, qui fut nommee Hercynne. Les Phociens auoient vn Temple dedié a Proſerpine Chaſſereſſe ; les Arcadiens vn autre ſous le nom de Proſerpine Sauuereſſe, & les Phliens la ſurnommoient Prime-nee. Car d’autant que les effects de cette Deeſſe eſtoient diuers, les Anciens ont auſſi diuerſifié ſes ſurnoms. Verité de l’hiſtoire ſuſdite.Or comme ils ont extraict ces reſueries de la verité des hiſtoires, auſſi y ont-ils adiouſté beaucoup de choſes pour les embellir & les rendre vray-ſemblables. Zezes en la 41. hiſtoire de la 2. Chiliade, dit que Theſee & Pirithe arriuerent en la contree des Moloſſiens, où regnoit pour lors Aidonee, lequel auoit vne femme qu’il nommoit Ceres, & vne fille nommee Proſerpine (car les Moloſſiens appelloient du nom de Proſerpine toutes les belles femmes) Aidonee auoit vn maſtin, ou dogue merueilleuſement gros, qu’il nommoit Tricerbere. Ces galands vouloient cauteleuſement enleuer la fille du Roy : ce qu’eſtant deſcouuert, ils furent mis en priſon, & parce que Pirithe eſtoit l’autheur de la trahiſon, il l’abandonna à Tricerbere, qui le deuora : Theſee, pource qu’il n’y eſtoit pas venu volontairement, mais contraint par le compromis faict entr’eux, fut retenu en priſon, iuſques à tant qu’Hercule, enuoyé là par Euryſthee pour emmener ce Tricerbere, le remit en liberté.

Mythologie de Proſerpine.Or voyons maintenant à quelle intention ils ont forgé les Fables ſuſdites. Ciceron au 2. de la nature des Dieux, dit que toute la force de la terre eſt dediee au pere Pluton, nommé Pluton & Dis (noms ſignifians autant que riche ) parce que tout vient de terre, & retourne en terre. Il rauit donc Proſerpine, par laquelle ils entendent la ſemence des biens de la terre, & feignent qu’eſtant cachee, ſa mere la cherche. Elle eſt dicte fille de Cerés, d’autant que les ſemences qu’on iette en terre ſont priſes de la derniere moiſſon ou cueillette qu’on a fait. Mais pourquoy fut elle rauie par Pluton en cueillant des fleurs ? ou pourquoy en cueillant principalement du Narciſſe ? Ce fut la cauſe que par les fleurs ils veulent faire ſçauoir quelle eſt la fertilité & diſpoſition de l’air de Sicile, veu qu’elle porte des fleurs preſque tous les mois de l’annee : ainſi comme Athenee au 8. liure eſcrit qu’en Luſitanie (partie de Portugal) on trouue des roſes & violettes plus de trois mois durant. Dauantage, quand on couure la terre de ſemences, elle en tire ſa nourriture comme feroit vne eſponge, & durant l’hyuer elle ſ’enfle, pour puis aprés ietter racines ; car quand la ſemence, qui à cauſe du froid de l’hyuer ſ’eſtoit tenuë cloſe & ſerree, vient à dreſſer la teſte, & eſtendre ſes racines en vn lieu vn peu plus eſchauffé, cette meſme ſemence trouuant de la nourriture autant qu’il luy en faut, foiſonne pour rendre force grain l’eſté ſuiuãt. Voila comment Proſerpine cueillant des fleurs eſt emmenee & detenuë ſous terre par Pluton. Mais quelles fleurs ? Que ſignifie le Narciſſe.Principalement du Narciſſe, qui ſignifie vn endormiſſement & pareſſe. Car dés que la ſemence commence a prendre nourriture, elle ne ſort pas ſi toſt dehors, ains la retient en ſoy quelque temps comme endormie, iuſques à ce que la ſaiſon venuë, elle comme ſ’eſueillant, vient peu à peu à ſe montrer, & ietter ſon tige. C’eſt en Sicile qu’elle fut rauie, pource que cette iſle ſur toutes autres eſt fort fertile en grains, & pour cette cauſe eſtoit anciennement appellee grenier de Rome. Arethuſe (c’eſt à dire la force & vertu de la ſemence, comme le nom le ſignifie) la montre & enſeigne à Cerés ſa mere, parce que quand il en eſt temps ladicte force & vertu qui eſt en elle la pouſe dehors. Elle ſe tient ſix mois chez ſon mary ſous terre, & ſix mois en haut auec ſa mere, tandis que le Soleil depuis les ſemailles eſt aux ſignes Meridionaux, iuſques à ce que faiſant mourir les fruicts de la terre il ſ’en retourne peu à peu vers les ſignes Septentrionnaux ; car alors la ſemence n’eſt plus ſous terre ſix mois durant, mais bien és greniers & lieux hauts. Quelques-vns veulent que les Latins l’ayent nommee Proſerpine, d’vn mot qui ſignifie ramper, pource que la ſemence rampe par terre. Les autres diſent que c’eſt à cauſe qu’elle eſt la Lune, qui tantoſt tourne à main droite, tantoſt à gauche, ſelon qu’elle croiſt ou decroiſt. Elle eſt fille de Iupiter & de Cerés, c’eſt à dire, de la chaleur & de la terre. Orphee toutesfois en ſes hymnes croid qu’elle n’eſt autre choſe que la Lune, l’appellant

Treluiſante, cornuë, aux hommes deſirable,Leur preſentant vn air de viſage amiable :Pour foiſonner leurs biens, qui montres ton ſaint corpsAux terres, & leur fais pouſer tons fruicts dehors :

Ceux dõc qui ont creu la Lune, Hecate & Proſerpine n’eſtre qu’vne, ont dit qu’elle paſſoit ſix mois de l’an és Enfers, parce qu’elle ſ’arreſte tout autant deſſous que deſſus terre. Dauantage les Anciens Phyſiciens & Mythologiens ont nommé du nom de Venus l’hemiſphere ſuperieur que nous habitons, & du nom de Proſerpine celuy d’embas. Voila comment ils ont dit en leurs Fables que Pluton auoit emporté ſous terre Proſerpine. Or laiſſons Proſerpine pour prendre la Lune.