Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 20 : Des Champs Elyseens Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Champs Elyſiens.

CHAPITRE XX.

D’AVTANT que nous auons cy-deuant diſcouru de tous les monſtres auſquels on expoſoit les ames des meſchans pour les bourreller : il reſte maintenant d’expoſer en peu de paroles le ſalaire de ceux qui auoient ſaintement & religieuſement veſcu. Car le moyen de contenir les hommes en pieté, c’eſtoit de leur faire entendre que Dieu n’eſtoit point pareſſeux de punir les pechez des hommes, ny meſcognoiſſant enuers ceux qui euſſent veſcu ſans blaſme & reproche, employans leurs moyens & vie pour le ſeruice de leur pays, pour le bien de tous les hommes en general, puis que les laſches & les meſchans ne receuoient pas meſme recompenſe que les gens de bien aprés leur mort. Ainſi donc ſelon la qualite des forfaits les ames eſtans ſi bien chaſtiees qu’elles eſtoient ſuffiſamment repurgees de toute ſoüilleure & pollution corporelle, lors on les renuoyoit aux champs Elyſiens, pourueu que ce fuſſent pechez qui ſe peuſſent en quelque facon reparer. Voila pourquoy Virgile ſuiuant l’opinion des Anciens, en traite au 6. liure de l’Æneide comme ſ’enſuit :

Maint tourment les eſprits exerce, et ſont forcezLes ſupplices porter des vieux forfaits paſſez.Les vns pour ſ’eſſorer pendus aux vents ſ’eſpandent :De leurs crimes infects les autres nets ſe rendent,Dans le gouffre profond des flots ondeux plongez,Et aux autres les leurs dans le feu ſont purgez.Il nous faut endurer çà bas chacun ſa peine :Puis nous ſommes dela dedans l’ouuerte plaineElyſie enuoyez : le nombre eſt bien chetifDe nous qui habitons ce lieu recreatif.

Diuerſe ſituation des chãps Elyſiens.Mais deuant que paſſer outre, ce ne ſera pas peine perduë de rechercher où eſtoient ſituez ces champs Elyſiens, d’autant qu’il ny a pas apparence qu’ils fuſſent aux enfers, veu qu’on y confinoit les ames qui auoient accomply toute la ſatisfaction qu’on requeroit d’elles. Les vns donc penſoient qu’ils fuſſent autour du globe de la Lune, où l’air eſt pur : les autres, au milieu des Enfers ; les autres és Heſpagnes & és Iſles bien-heureuſes : les autres, auprés des colomnes d’Hercule, où eſt l’Iſle de Gades, qui auparauant ſ’appelloit Cotinuſe, auiourd’huy vulgairement Calis, en Heſpagne, & la riuiere de Betis, à preſent dite Guadalquebir. La eſtoient les Iles fortunees, en ces contrees qui ont la ſeigneurie & domination de la mer Libyque. Quant aux colomnes d’Hercule, l’vne ſ’appelloit anciennement Alybe ; & l’autre Albene, toutes de fonte, dreſſees par luy-meſme vers l’Occident, eſquelles eſtoit eſcrit, qu’il ne falloit pas paſſer plus outre ; d’autant que derriere icelles on ne pourroit prendre terre, comme il croyoit luy-meſme, parce qu’il reſtoit encore vne grande, voire infinie eſtenduë de pays à deſcouurir ſur la mer Oceane. Mais ceux qui en ces derniers temps ont fait ce voyage, ont bien paſſé plus outre, & deſcouuert beaucoup de riches & fertiles pays, qui ne ſont pas de moindre eſtenduë que toute l’Europe, où les hommes viuoient encore cõme beſtes, ainſi que du temps d’Orphee. Toutefois quelques-vns cuidẽt que les colomnes d’Hercule ne fuſſent autre choſe que deux montagnes : dont l’vne, Alybe, que les Grecs nomment Abyle, cõmunement Alminna, fort haute, eſt en la Mauritanie, & ſe preſentoit à main gauche és derniers confins de l’Europe à ceux qui reuenoient de l’Ocean, à l’oppoſite de l’autre, nommee Calpe, ſe montrant à main droite, ſize és extremitez & dernieres parties de l’Afrique, les Arabes l’appellent Gebel Tarif, vulgairement Gibraltar. D’autres auſſi diſent que l’Abyle & Calpe n’eſtoiẽt qu’vne ſeule montagne qu’Hercule coupa en deux. Et parce qu’elles eſtoient tres-hautes, il ſembloit de loing à ceux qui entroient en la mer Mediterranee, que ce fuſſent deux colomnes. Plutarque eſcrit que Sertorius ayant paſſé le deſtroit de Gibraltar, tournant à main droite prit terre en la coſte d’Heſpagne, où il ne fit pas beaucoup de chemin ſur la riuiere de Guadalquebir, pour paſſer en l’iſle de Calis, où ce meſme fleuue ſe deſcharge dans la mer Atlantique, qu’il rencontra des gens qui reuenoient des Iſles fortunees. Deſcription des champs Elyſiens.Ils luy conterent que c’eſtoient deux petites Iſles ſeparees l’vne de l’autre par la mer, & qu’il y ſouffloit doucement de plaiſans vents, de ſoüefue & gracieuſe odeur, comme ſ’ils euſſent paſſé par vn pays plein de fleurs de bonne ſenteur. Car les vents qui paſſent par vn pays où croiſſent force Roſes, Violettes, Hyacinthes, Lys, Narciſſes, Myrthes, Lauriers, Cyprés, & autres ſemblables, en retiennent l’odeur, & la tranſportent ailleurs. Dans les foreſts de ces Iſles on oyt vn plaiſant murmure des fueilles qui ſe remuent & grommellent gentiment. Quant au territoire il y eſt ſi gras, que non ſeulement il ſe laboure, ſeme & plante aiſément ; mais auſſi produit de luy-meſme pluſieurs bonnes choſes ſans œuures de main d’homme, dont beaucoup de gens peuuent viure à l’aiſe ; car il porte fruict trois fois l’an. Là eſt vn continuel Printemps, &ny court aucun vent que le Oüeſt, ou vent d’Occident : le pays eſt eſmaillé de toutes ſortes de fleurs, & tapiſſé de gracieuſes plantes. Les vignes produiſent du fruict tous les mois. L’air y eſt pur, net, & bien temperé, peu ſujet à changement de temps ; car premier que les vents de Nord ou la Tramontaine, & autres faſcheux y puiſſent aborder, ils ſe laſſent & poſent leur malice en chemin. Les vents d’Occident qui arriuent iuſques-là, leur ſuſcitent quelqueſfois de douces pluyes ; car le pays n’en a pas beaucoup affaire, veu que l’humeur & bonté de l’air eſt quaſi ſuffiſante pour nourrir, & tous animaux & toutes plantes. On y oyt vn merueilleux concert & harmonie de toutes ſortes d’oiſeaux, voltigeans de coſté & d’autre emmy les branches des arbres qui y croiſſent. Là ſ’entendent de iolies & gaillardes chanſons, & les filles auec les ieunes hommes dancent amoureuſement au ſon des inſtrumens de muſique, touchez & pinſez par de tres-bons, voire parfaits maiſtres, tels qu’ont eſté Arion de Methymne, Eunome de Locres, Steſichore d’Himere, Anacreon Teien. Les viures y ſont de bonne nourriture, bien ſains, & n’ont aucun mauuais gouſt qui puiſſe porter nuiſance : la vieilleſſe n’affaiſe point les perſonnes ; on n’y ſent point de maladie, point de trouble d’eſprit. L’auarice & la conuoitiſe d’or & d’argent, l’ambition & pourchas d’honneurs ny tourmentent point les eſprits ; chaſcun ayme mieux viure en ſon particulier, ſe contentant de pouuoir fournir à ſes neceſſitez, que de ſ’aſſujettir à aucune charge publique. Car ils font eſtat en ce pays-là, que commander à beaucoup de gens, c’eſt leur eſtre ſuject. Les belles & plaiſantes prairies ſont cloſes d’vne gaye foreſt de toutes ſortes d’arbres fruictiers. Là ſe font force galans feſtins, & le bois leur donne de l’ombre & de la fraiſcheur. Ceux qui ſont aſſis à ttable, ont deſſous eux force belles fleurs : les hommes y ſont ſeruis par de belles filles ; & reciproquement les filles par de beaux ieunes hommes, & boiuent à la ſanté l’vn de l’autre. En vn mot, on a creu que le repos & tranquillité de ſes Iſles fut ſi grand, & l’air ſi bien attrempé, qu’il ne ſ’en peut trouuer ny de plus agreable, ny de mieux accommodé pour y loger les ames des gens de bien aprés leur mort, ny où l’on peuſt mieux ſituer les champs Elyſees ; & pourtant ils dirent qu’il y auoit là vn autre monde, vn autre Soleil que cettuy-cy que nous voyons eſtre quelquefois ſi faſcheux ; vn autre Ciel, vn autre air, & d’autres Eſtoilles, comme dit Platon en ſon Dialogue nommé Gorgias, & Virgile au 6. de l’Æneide :

Ils viennent aux beaux lieux plaiſamment agreables ;Et aux bois fortunez, aux verdeurs delecttables,Et ſieges bien-heureux. Icy l’air plus ſerainD’vne clairté pourpree orne des champs le ſein ;Icy leur Soleil propre & aſtres ils connoiſſent.

Quelques-vns ont creu que les Thebains euſſent en leur pays toutes les ſuſdites commoditez & autant d’heur que les Anciens en ont publié des champs Elyſiens, trompez par cet epigramme contenant ces vers :

Les iſles des heureux ſont à l’endroit où RheeFut jadis de Iupin Roy des Dieux deliuree.

Car il n’y auoit point là d’Iſle, comme nous auons dit cy deſſus, comment donc eſt-ce que les Iſles bien-heureuſes euſſent peu eſtre en ce pays-là ? Il vaut donc mieux ſ’en rapporter à Homere, qui au 4. liure de l’Odyſſee eſcrit, que ces meſmes Iſles & les champs Elyſiens eſtoient ſituez vers les colomnes d’Hercule en la prouince de Gades habitee iadis par les Phœniciens, laquelle ils nommerent Gadir, qui en langue Tyrienne ſignifie vne muraille ou bouleuart : on l’appelle maintenant Calis, en l’Adelouſie : en laquelle enuiron mille trente ans deuant la venuë de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt arriua vn Capitaine Grec, nommé Mentes, en la compagnie duquel eſtoit le Poëte pour lors dict Meleſigenés, c’eſt à dire né prés de la riuiere de Melés, qui paſſe auprés de Smyrne, fils (dit-on) illegitime, & d’vne femme de mauuaise vie, & pource qu’il eſtoit aueugle, il fut nommé Homere. Voicy donc comment il aſſigne les champs Elyſiens en cét endroit là, trouuant cette Iſle plaiſante & fertile tout ce qui ſe peut :

Vers les fins de la terre & vers les champs d’Elyſel’on tient que Rhadamnant à ſa ſeance miſe,Là le viure eſt aiſé, l’air bon & gracieux,Point de neige, de froid, ny d’eſgouſt pluuieux :Mais un plaiſant murmur du doux-ſiflant ZephireHumectant ce pays molement y ſouſpireQu’enuoye l’Ocean les hommes auiuer ;La les Dieux immortels te feront arriuer.

Voila pourquoy Tibulle d’vne gentile douceur poëtique au 1. liu. décrit en peu de vers tous les plaiſirs qu’on reçoit aux champs Elyſiens ;

Puis qu’Amour a ſur moy toute puiſſance acquiſe,Venus m’emmenera dans les beaux champs d’Elyſe.Là les dances, le bal, la muſique, les chants,Le gazoüil des oyſeaux reſonne dans les champsVn air melodieux d’vne gorge amoureuſe.Là croiſt ſans labourer la caſſe doucereuſe,La terre tout-autour flaire un parfum roſin.Là la vigne produit chaſque mois ſon raiſin.Là de ieunes mignons mainte trouppe folaſtre,Auec les filles joints mignardement folaſtre.Là ſe trouue entre-deux Cupidon qui ſ’esbatA leur entremeſler quelque amoureux combat.

Pluſieurs Autheurs ont eſcrit que les Iſles fortunees & les champs d’Elyſe eſtoient en ce quartier, qui eſt entre l’Angleterre Occidentale, & Thule (auiourd’huy Iſland, ſujet au Roy d’Eſcoſſe) vers le Leuant, & dit-on qu’il y auoit jadis certains peſcheurs demeurans ſur le riuage de la mer prés de cette Iſle, qui eſtoient exempts de toutes tailles, impoſts, tributs & autres charges ; d’autant qu’ils paſſoient & conduiſoient aux champs Elyſiens les ames des treſpaſſez qui ſ’addreſſoient à eux. Ces bonnes gens dormans chez eux entendoient de nuict certaines voix qui les appelloient & oyoient du bruit à leurs portes : ſe leuans lors ils trouuoient de petites nauires, qui n’eſtoient pas à eux, pleins de paſſans, dedans leſquels entrans ils arriuoient en moins de rien en ladite Iſle à force de rames, où ils n’euſſent peu qu’à peine paruenir en vne nuict entiere dans leurs naſſelles, encore qu’ils euſſent eu bon vent. Ils les paſſoient donc ſans ſçauoir qui ils conduiſoient, ne voyans perſonne : bien entendoient-ils les voix de ceux qui les receuoient, qui les appelloient l’vne après l’autre par leurs noms, & familles, ſelon l’alliance qu’elles auoient enſemble, & ſelon la vacation qu’elles auoient exercees, auſquelles celles-cy reſpondoient ſemblablement. Puis apres ſ’en retournans en diligence chez eux, ils trouuoient que leurs brigantins eſtoient bien allegez au prix que quand ils trauerſoient leſdites ames. A ce conte on adiouſte encore cettuy-cy ; que Iules Ceſar, tres-heureux en pluſieurs rencontres, arriua en ces Iſles auec vne galiote en laquelle y auoit cent ſoldats ; & que voyant la ſituation du pays, il la trouua ſi belle & plaiſante, qu’il ſe reſolut d’y faire ſa demeure : mais les habitans de l’Iſle l’en chaſſerent mal-gré luy. Plaiſante maniere de gens imaginez par Lucian.Lucian au 2. liure de ſa verittable Hiſtoire dit que les hommes qui habitent là n’ont ny chair ny os, ny rien qui reſiſte au toucher : mais ſeulement vne forme de corps, & quelques ames enueloppees d’vn voile reſſemblant à vn corps, qui ſe meuuent, entendent, parlent, & font toutes autres functions que ceux qui ſont en vie, ſans toutesfois iamais enuieillir, gardans touſiours vn meſme train, meſme aage, & meſme vigueur : & tels que ſont ces hommes, tels auſſi ſont tous les fruicts qui y croiſſent, deſquels ils viuent. Cecy ne ſemblera pas eſtrange à ceux qui penſeront qu’on puiſſe adiouſter foy à ce qu’Arrian eſcrit en la nauigation de Libye de Hannon, Capitaine des Carthaginois, qui paſſa outré les Colomnes d’Hercule : laquelle nauigation fut tres-ſoigneuſement deſcrite & poſee dans le Temple de Saturne. Elle contenoit que Hannon eſtoit arriué en vn grand golfe, qu’on appelle Corne du Veſpre, ſelon que les truchemens luy firent entendre : où il y auoit vne Iſle fort ſpacieuſe, ayant vn eſtang reſemblant à vne mer ; & vne Iſle, en laquelle ceux qui entroient de iour ne voyoient rien ſinon vn bois fort eſpais, mais de nuict on y apperceuoit force feux allumez, on oyoit force fluſtes & flogeolets, & vn grand bruit de cymbales, clairons & tambours, auec vn cry eſclattant qui effrayoit les aſſiſtans. Argument certain, que là (comme choſe ordinaire en pluſieurs lieux du Septentrion) ſe faiſoient aſſemblees & dances de ſorcieres auec les malins eſprits, auerees depuis par le procez de pluſieurs. Hannon donc eſtonné de ce ſpectacle, quittant la place ſe retira, & ceux quand & quand qui l’accompagnoient. Les autres prennent les Canaries pour les Iſles bienheureuſes. Enfers niez par quelques Anciens.Or il ne faut pas croire ceux qui nient qu’il y ait aucuns Enfers, comme font Pauſanias és Laconiques, Ciceron au plaidoyé pour Cluentius, & Iuuenal, qui ſuiuant leur auis, dit,

Que des Manes y ait, & des ſouſterrains Regnes,Vn Nocher tartarin, & des noiraſtres RainesAu goulfre Stygien, qu’il y ait vn batteauQui tant d’ames trauerſe à l’autre bord de l’eau,Meſmement les enfans ne le peuuent pas croire.

Et Lucrece au 4. liure.

Le Cerbere à trois chefs & la trouppe Eumenide,Et le Tartare affreux, qui d’vne gorge horrideVomit boüillons de feu, n’eſt rien que vanitéQui ne contient en ſoy aucune verité.Mais pour les grands delicts dont l’ame eſt entachee,Elle craint par ſupplice en eſtre recherchee.Elle apprehende fort le rude chaſtimentDe ſes meſchancetez & l’empriſonnement.Elle fremit de peur de tomber en abyſmePrecipitee en bas d’vne roche ſublime.Elle ſe paſme oyant les chaiſnes, les bourreaux,Le fouet, le Nautonnier, les Iuges , les flambeaux.

Car combien que ce qu’ils en diſent ne ſoit pas du tout ſelon la verité, ſi eſt-il bien neceſſaire que les forfaits des meſchans ſoient punis en quelque façon : d’autant que ſi l’on ne propoſe des chaſtimens aux peruers, & des honneſtes recompenſes aux bons, comment eſt-ce que la iuſtice aura lieu ? ou bien que trouuerons-nous en ce monde qui nous exhorte à ſuiure la vertu & preud’hommie ? ou quels ſalaires peut-on alleguer au peuple qui le puiſſe plus commodement inciter à mener vne vie honneſte & loüable, que ceux qui ſe peuuent comprendre par les ſens ? Car Dieu tres-bon manqueroit de iuſtice (ce qui ne ſe pourroit dire ſans impieté) ſi, puis que luy ſeul le peut faire, il ne puniſſoit les meſchans, & ſalairioit les bons pour leurs bien-faicts. Or il n’y a point de meilleur expedient que de faire croire aux hommes que les diables, comme tres-cruels bourreaux, tourmentent par façons eſtranges les ames qu’ils poſſedent. Et ſi ce qu’on dit touchant les peines & les ſupplices des meſchans és Enfers, n’eſt pas verittable, auſſi ne l’eſt pas ce qui concerne la bonne chere, les voluptez & les delices des ames aux champs Elyſiens, comme dit Theognis :

Nul homme à qui la mort ſon cours humain termine,Et qui vient deualler chez Dis ou Proſerpine,N’y oyt harpe ne lut, ne trompette ſonner,Ne haut-bois ne clairon qui luy puiſſe donnerTant ſoit peu de plaiſir : la liqueur doucereuſeDe Bacchus n’eſjouit ſon ame douloureuſe.

Mais d’autant que la mort eſt vn certain terme de la vie d’vn chacun, qui luy eſt aſſigné ſelon les forces de ſon temperament, elle eſt non ſeulement cauſe que les gens de bien iouyſſent de beaucoup de felicitez apres cette vie ; mais auſſi qu’ils ſont deliurez d’vne infinité de maux & d’incommoditez eſquelles la vie preſente eſt ſujette, comme nous l’auõs autrefois eſcrit en ces vers Grecs de meſme ſubſtance :

Pourquoy nous faſchons-nous contre la mort permiſePar le vouloir diuin ? de ſa faux elle briſeToute choſe odieuſe; elle ſeule corromptDes tyrans les priſons, & leurs chaines derompt.Elle ſ’aſſuiettit toutes choſes, accorte.Si quelqu’vn de hazard chet ſous la patte forteDes Lions rugiſſans, ou la corne des Boeufs,Elle vient promptement ſecourir tous les deux.Par elle ceux qui ſont en danger de naufrage,Eſchappent le goſier des baleines : en cageElle rend libertins les oyſeaux priſonniers.En franchiſe elle met les animaux plus fiers.Aux Poëtes ne nuit l’heure qui les enſerreAu cercueil & leurs corps fait ſeuls couurir de terre.Le corps eſt le vaiſſeau où l’ame fait ſon port :Auquel la mort eſt vie, & la vie eſt la mort.La mort eſt vn ſeur haure, auquel ny vent n’orageNy tempeſte du ciel, tourbillon ny nuageNe ſçauroit faire peur, ny ſeulement mouuoir :Elle eſt ferme, & n’a rien qui la puiſſe eſmouuoir.Parmy les feux du ciel eſtoillez ſous ſa guide,Maintenant & ſans fin reluit le preux Alcide.Elle à glorifié les deux fils de Iupin.Ceux qui ont vne fois accomply leur deſtin,Dieu ne permet iamais qu’ils voyent la lumiereDu Soleil pour rechoir de nouuelle maniereEn vne mer de maux : pour eſtre buffetezDe fieures, de trauaux, de ſoings, de pauuretez.Qu’eſt-ce que penſe, humains, voſtre raiſon commune,Que la vie eſt, ſinon vn ioüet de fortune ?L’ardeur de quelque fieure, ou bien le terme atteintD’vn aage blanchiſſant, efface le beau teint.La force, les moyens, la nobleſſe, la gloire,Eſchappent auſſi-toſt des hommes la memoire.Et ne ſe peut aucun appeller bien-heureux,Deuant qu’avoir acquis le Royaume des Cieux.

Exercices des ames és champs Elyſiens.Entre autres plaiſirs que ſelon le dire des Anciens les gens de bien receuoient és champs Elyſees, c’eſtoit que meſme aprés leur mort ils auoient les meſmes exercices & vacations qu’ils auoient le mieux aymé durant leur vie. Ainſi le commun peuple eſperant apres ſon decez y faire bonne chere, & paſſer ſon temps en feſtins ſomptueux, ſ’empeſchoit de commettre beaucoup de meſchancetez. A ce propos Homere en l’vnzieſme de l’Odyſſee, repreſente l’ombre ou l’idole d’Achille menacant les beſtes ſauuages de les tirer. Et Virgile deſcrit amplement comme les habitans de ce beau Paradis ſ’appliquoient aux meſmes exercices qui plus leur auoient agreé durant leur vie :

A la iouſte ceux-cy d’y exercer ne ceſſentLeurs membres deſſus l’herbe, en ieux vont ſ’esbatans,Et ſur le blond giron de l’areine luttans.Ceux-là foulent danſans d’un pied dru la verdure,Et chantent des chanſons. Icy meſme en meſureLe Preſtre Thracien fait parler ſur les nerfsD’vn long habit veſtu, les ſept accords diuers ;Et ore de ſes doigts, &c.

Et peu apres :

Leurs vuides chariots admirant il auiſe,Et leurs armes au loing, leurs lances ſont deboutFichees en la terre, & deliez par toutLes cheuaux vont paiſſans par les plaines fleuries.Car le meſme plaiſir qu’ils prenoient en leurs viesEn leurs armes & chars, et le meſme ſouciQu’ils auoient de tenir leurs cheuaux nets, außiLes ſuit en leurs tumbeaux.–

Pour cette raiſon les Anciens deſirans de trouuer quelque ſouueraine beatitude pour les Philoſophes qui auoient eſté gens de bien, n’en ſceurent inuenter de plus grande que de leur aſſigner le plaiſir de ſ’employer à la recherche de la verité, ce que Ciceron teſmoigne : Au 5. de Fin.Les Anciens Philoſophes montrent de quelles nature eſt és iſles des bien-heureux la vie qui les ſages menent, leſquels deliurez, de tout ſoin & ſoucy, ſans auoir beſoin d’aucune parade, appareil ou prouiſion pour leur entretien, ils ont penſé qu’ils n’auroient autre choſe à faire que de paſſer le temps à conferer enſemble, apprendre & rechercher les œuures de nature.

Mythologie de champs, Elyſiens.Or ie croy qu’il eſt aiſé de deſcouurir ce que les Anciens ont voulu entendre par ces champs Elyſiens. Car quand nous auons ſoigneuſement examiné noſtre vie paſſee, ſi nous auons veſcu en ſainteté & pieté, nous ſentons ſur la fin de nos iours vn extreme contentement : comme au contraire nous nous deſplaiſons, nous reſouuenans de beaucoup de pechez & d’offenſes que nous pouuons auoir commiſes, & paſſons ſans crainte les noirs fleuues des Enfers, & tous ces autres monſtres, hideux & eſpouuenttables : ce meſcontentement a tant de force & de pouuoir pour acheminer les hommes à la vertu & pieté qu’il n’y a langue ſi diſerte qui le puiſſe ſuffiſamment exprimer. Voila les biens & les maux que les Anciens faiſoient entendre aux hommes pour en participer és enfers aprés leur treſpas : mais il nous faut apprendre de noſtre Sauueur Ieſus-Chriſt ce que nous en deuons ſimplement & abſoluëment croire, à ſçauoir, qu’il y a vn feu eternel, deſtiné pour les reprouuez ; & vne incomprehenſible felicité, perdurable à iamais pour tous les eſleuz. S’enſuit la riuiere de Lethé.