Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 02 : De Lucine Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Lucine.

CHAPITRE II.

Genealogie de Lucine.NOVS auons deſia dit cy-deſſus au diſcours de Diane, que Lucine eſt fille de Iupiter & de Latone, & ſœur d’Apollon. Et combien que de faict Diane, Lucine, Hecate, la Lune, ne ſoient qu’vne meſme choſe, diſtinguees ſeulement de noms & d’effets, à l’endroit deſquels elles exercent leurs forces ; ſi eſt-ce que telles, ou Deeſſes, ou facultez, ou noms, ont eu, ſelon le dire des Anciens, diuers peres & meres. Car comme la Lune eſt fille d’Hyperion & de Thie ; Diane, de Iupiter & de Latone ; Hecate, ou de Iupiter, ou d’Ariſtee, & de la Nuict ou d’Aſterie: auſſi dit-on que Lucine eſt fille de Iupiter, comme l’on void en l’hymne de Callimache faict à l’honneur de Diane ; & Iunon fut ſa mere, comme eſcrit Pauſanias en l’Eſtat d’Attique, Lieu de ſa naiſſance.diſant que ſelon l’opinion des Candiots, elle naſquit en Gnoſe, prés la riuiere d’Amniſe. Ceux qui l’ont dite fille de Latone eſcriuent qu’elle naſquit en Ortygie, & qu’auſſi-toſt qu’elle fut nee, elle ſeruit de ſage-femme à ſa mere enfantant Apollon, comme il a eſté dit cy-deſſus. Neantmoins Pauſanias au liure ſus-allegué, dit que Lucine vint des Hiperborees, peuples Septentrionaux, en Delos, pour ſeruir de ſage-femme à Latone en ſa geſine.Noms diuers. Elle a eu diuers noms ; car Theocrite en la loüange de Ptolomee l’appelle Ilithye, & la qualifie du tiltre de Liſizone, c’eſt à dire Deſtache-ceinture. Car les Anciens, principalement les Grecs, auoient accouſtumé d’vſer du terme Deſtacher ſa ceinture, au lieu de dire, Coucher auec vn homme : ou, auoir ſa compagnie : parce que les femmes enceintes ne pouuans plus porter leur premiere ceinture, ou demy-ceint, la deſtachoient, tant à cauſe de leur groſſeſſe, que pour l’empeſchement de reſpirer qu’vne ceinture eſtroitte donne aux femmes groſſes. Parquoy ſe mettans en la protection de Lucine, elles poſoient leur ceinture, comme nous l’apprenons du paſſage de Theocrite cy -deſſus allegué :

Ses trenchees ſentant la fille d’Antigone, Inuoque en ſe pleignant Lucine Lyſizone, Horace meſme en ſes carmes ſeculiers, dit qu’elle a eu pluſieurs noms Vueille Ilithye aiſee, & benigne à ouurir, Les meurs enfantemens, les meres ſecourir Soit que tu aymes mieux que le nom de Lucine, Ou de Genitale on t’aßigne.

Offices & commiſſions. Les anciens ont faict tant d’honneur à Lucine, que non ſeulement ils ont creu qu’elle aſſiſtoit aux femmes accouchans qui l’inuoquoient, & qu’elle les ſecouroit, mais auſſi ils mettoient ſon image deuant la porte de leur maiſon, comme en eſtant la gardienne & portiere, à laquelle les creatures humaines eſtoient tenuës de leur commencemẽtde vie & natiuité. Et pour cette raiſon Orphee en vn hymne qu’il luy a faict la nomme Prothyree, comme qui diroit Auant-portiere :

Deeſſe à pluſieurs noms tres-venerable & ſainte, Vray recours & ſupport de chaſque femme enceinte, Qui ſoulages gayment les trenchantes douleurs Des femmes accouchans, leurs trauaux, leurs langueurs. Qui les filles contiens ſous ta garde aſſeuree, Prompte à les ſecourir, enten-moy, Prothyree.

Et peu apres il montre euidemment que Diane, Ilithye & Prothyree ne ſont qu’vne :

Dés que la femme ſent que le terme la preſſe De ſon enfantement, ſon eſpoir elle adreſſe En ta ſeule bonté, car tu peux appaiſer Sa griefue paßion : tu peux ſeule acoiſer Les douleurs de ſon part; de pluſieurs noms tiltree, Ilithye, Diane & graue Prothyree.

Les Parques luy donnerent cette charge & commiſſion, d’autant que tandis que ſa mere la porta dans ſon ventre, & quand meſme elle en accoucha elle ne ſentit aucune douleur, teſmoing Callimache :

–à peine eſtois-je nee ; Que ie fus außi toſt des Parques deſtinee Pour ſecourir leur part, ſoulager leur eſmoy Car quand ma mere veint à accoucher de moy, Voire tant que ie fus encloſe en ſa matrice, Elle ne ſentit point qu’aucun mal ie luy fiſſe. Sans ahan, ſans trauail elle ſe deliura, Et ſans peine, ioyeuſe, au monde me liura.

Sa couronne. L'ancienne couſtume eſtoit de couronner Lucine de dictam : (qu’aucuns appellent gingimbre de iardin) parce qu’on penſoit qu’il ſeruiſt beaucoup pour faciliter l’enfantement, laquelle couſtume nous recueillons entre autres d’vn vers d’Euphorion, diſant :

Voicy venir Latone enceinte de dictame.

Lucine fauorable au pait des beſtes & plantes.Or ce n’eſtoit pas ſeulement aux creatures humaines que cette Deeſſe aſſiſtoit, mais aux beſtes & plantes auſſi, d’autant qu’aux vns & aux autres l’humeur de la Lune eſt commode, tant lors qu’elles naiſſent que lors qu’elles engendrent. C'eſt pourquoy Virgile parlant des omailles, dit que,

L'aage propre à porter les trauaux de Lucine, Et le iuſte accouplage, auant dix ſe termine, Commence apres quatre ans. –

Son image.L'image de Lucine eſtoit faicte de telle ſorte qu’elle eſtendoit vne main vuide, & de l’autre portoit vn flambeau, car il ſembloit qu’ainſi equippee elle fuſt preſte à receuoir l’enfant & le mettre en lumiere, & voulut donner à entendre les douleurs qui s’enſuiuent de l’inflammation de tout le corps qui eſt en telle angoiſſe. Mais ie trouue que ce que dit Theophraſte au 2.liure des cauſes des plantes, cõuientmieux à cecy, à ſçauoir, que les forces de nature ſe bruſlent & conſument fort és animaux tant humains & brutaux, qu’és plantes qui ſont fecondes & de bon rapport. Et pourtant à bon droit faiſoit-on porter à Lucine vne torche allumee. Car les meres & femelles qui en chaſque eſpece ne ſont pas ſi fertiles, ſont de plus longue duree. Il ſe trouue vn hymne de Licius Delien, comme nous auons dit au chapitre des ParquesLiure 3. chap.10., auquel il l’appelle Euline, file-lin ou filandiere, & croy qu’elle ſoit ſœur du Deſtin, comme dit Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie.Deffaite miraculeuſe des Arcadiẽspar Soſpolis. Les Eleens l’adoroient fort religieuſement, croyant que par ſon ſecours ils auoient emporté la victoire ſur les Arcadiens leurs ennemis. Car comme les Eleens vindrent fourrager & faire le degaſt ſur les terres des Arcadiens, rauageans toute la contree par courſes ordinaires, les Eleens ſortirent en campagne pour les arreſter. Alors (dit l’hiſtoire) vne femme allaittant vn petit enfant vint trouuer les chefs & capitaines des Eleens, diſant qu’elle l’auoit enfanté, & les exhorta de le prendre auec eux pour compagnon de cette guerre ; & qu’en ſonge elle auoit eu vne viſion qui l’aduertiſſoit de ce faire. Ainſi donc ces meſmes Chefs adjouſtans foy à cette femme, firent mettre cet enfant tout nud à la teſte de leur armee : & comme ils vindrent à charger l’ennemy, cet enfant en la preſence & au veu de toute l’armee ſe tourna en Serpent. Les Arcadiens effraiez de ce prodige, prennent l’eſpouuente, & tournent le dos : cauſe que fuians & mis deux meſmes en routte ils furent deffaits, & en l’endroit par où le Serpent ſe fourra dans terre, où ils gagnerent la victoire, Feſtes & Sacrifices de Lucine & de Soſipolis.les Eleens firent baſtir vn temple à cet enfant, qu’ils nommerent Soſipolis, ou Gardien & Sauueur de ville ; & là meſme ordonnerent qu’on en ſolemniſeroit la feſte en l’honneur de Lucine, croyans qu’elle auoit enfanté & apporté cet enfant. On choiſiſſoit tous les ans vne Religieuſe pour faire les ſacrifices de Lucine, à laquelle tout le monde auoit accez ; mais perſonne n’approchoit de Soſipolis, ſinon vne ancienne Religieuſe, laquelle il faloit auoir la teſte affublee, auec vne certaine ceremonie & façon inaccouſtumee ; car elle s’approchoit de ſa ſtatuë ayant la teſte & le viſage voilé d’vn tiſſu ou linge blanc. Celles qui demeuroient au Temple de Lucine, tant filles que femmes, chantoient vn hymne ou vn air à l’honneur de Soſipolis, & faiſoient des encenſemens & perfumigations de toutes bonnes ſenteurs ; mais le vin eſtoit entierement bany de tels ſacrifices. Les Hermioniens, peuples de Grece, l’adoroient auſſi en grande deuotion, & luy faiſoient en toute humilité offrandes de beſtes, odeurs & toutes autres ſortes de preſens. Et n’eſtoit loiſible à perſonne de voir ſon pourtraict ſinon aux femmes qui faiſoient ſon ſeruice ; teſmoin Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe.

Expoſitiõdes contes ſuſ-dits.Voila les plus ſignalez contes que les Anciens nous ont appris de Lucine, où ie croy que tout eſt aſſez aiſé à entendre, ſi ce n’eſt ce qu’on la fait fille de Iupiter & de Iunon. Nous auons cy-deſſus expoſé, que Lucine eſt la Lune, & que les humeurs ſe comportent ſelon le cours d’icelle : & puis que cela ſe fait par le moyen de l’air, que nous auons montré s’appeller quelquesfois Iunon, quelques fois Iupiter ; c’eſt à bon droit que Lucine, ou cette force & vertu qui par le moyen de l’air agit & opere és corps inferieurs, eſt dicte fille de Iunon.Raiſon de l’etymologie de Lucine. Elle eſt nommee Lune & Lucine, pource qu’elle luit de nuict, ou pource qu’elle donne la lumiere aux enfans, qui nais deuant le ſeptieſme mois ne peuuẽt ioüyr du benefice de cette lumiere ; ou pource qu’elle fait ſortir du ventre de chaſque Mere le fruict de ſon ventre eſtant à terme. Les Grecs l’appellent Ilithye, d’autant qu’elle aſſiſte aux femmes en geſine. Quant aux autres tiltres qui luy ſont donnez, les Poëtes les ont forgez par diuerſes rencontres, & les luy ont impoſez ſelon que le cas y eſcheoit. Il faut deſormais traitter des Penates.