Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 06 : De Pallas Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Pallas

Chapitre VI.

Apres auoir expoſé les généalogies, les charges, & les offices, & autres deſcriptions concernans les Dieux qui reçoivent en leur protection les enfans nouvellement nez ; ce ne sera pas mal à propos ſi nous traittons conſequemment de ceux qui entreprenoient de les inſtruire és arts eſquelles ils voient que leur Genie les inclinoit le plus ſans nous amuſer à ie ne ſçay quels Dieux & Deeſſes fabuleux & ridicules que les vaines ſuperſtitions des anciens ont à diuerſes ſaiſons introfuits, comme Edulie, Potique, Cube ou Cumine (auſquels ils laiſſaient la charge du manger, du boire, des berceaux, couches & langes des enfants) & autres Dieux de meſme authorité. Office & commiſſion de Pallas. Or dautant que Pallas auoit la reputation d’eſtre commiſe ſur la ſageſſe, & la diſtribuer ſelon ſon plaiſir, ſans laquelle on ne peut rien faire qui vaille, tant eſt neceſſaire en toutes belles & bonnes actions & entrepriſes : & que d’autre part on tenoit pour capable & propre à dreſſer les eſprits des ieunes gens ; diſcourons d’elle deuant tous autres. Parenté de Pallas. Pauſanias és Attiques escrit que Pallas fut fille de Neptune, & du marais de Triton en Afrique, laquelle a veſcu & fleury du temps de Gygés. Herodote en dit autant en ſa Melpomene. Et prouuent leur dire de ce que les filles auoient accoutumé le iour de ſa natuiuité de celebrer entre elles certains ieux pleins d’esbattement & de recreation vers ce meſme marais, ſolennifiants la natiuité de Minerue ; car Minerue & Palllas n’eſt qu’vne. Sa naiſſance. Neantmoins il y en a qui eſcriuent qu’elle naſquit toute armee de la ceruelle de Iupiter ; & le premier qu’il l’a ainsi eſcript, a eſté Steſichore, qu’Apolloine a ſuiuy au 4. liure du voyage de la toiſon d’or :

Pallas ſortant iadis de la teſte ceruelle De ſon pere Iupin, par mainte damoiſelle Des meilleures maiſons du pays Lybien Fut cherement lauee au lac Tritonien.

Et Lucian treſpicquant mocqueur de la folie des hommes, és Dialogues des Dieux introduit Iupiter enfantant, & Vulcain luy ſeruant de ſage-femme, tenant à deux mains vne forte & bien-trenchante coignee, auec laquelle il luy fend & ouure la teſte qui luy ſeruoit comme d’oſt ; car dez qu’il euft la teſte fenduë en deux, il dit qu’il en ſailli vne fille toute armee : & ne luy fallut ny Lucine, ny vne quantité de femmes pour luy faciliter ſes couches, comme il en faut à celles qui ſont en trauail d’enfant, puiſque Mineure naſquit ſans mere ; c’eſt pourquoy ceux de l’eſchole de Pythagore luy conſacrent le nombre de ſept. Conception de Jupiter fabuleuſe. Au 4. de l’IliadeIl adjouſte que cela aduint parce que Iupiter voyant Iunon eſtre ſterile, & s’ennuyant de ne pouuoir luy faire aucun enfant, ſe donna vn coup de poing au cerueau, dont il deuint gros, & engendra Pallas. Homere toutefois ne la nomme pas Tritonide, ou Tritonienne, de Triton ; mais bien Alalcominienne, d’vne ville de Bœoce Alalcome, pource qu’ils ſe vantoient qu’elle eſtoit nee chez eux, comme dit Strabon au 9. liure, qui puis apres au 14. eſcript que quand Minerue naſquit de la teſte de Iupin, il plut de l’or à Rhodes. Ce qu’il faut entendre de la grande quantité de ſtatuës qui ſe ſont autrefois trouuees à Rhodes iuſques au nobre de ſoixante treze mille, par le moyẽ deſquelles & d’autres ouurages, les Rhodiens acquirent de grandes richeſſes & beaucoup de reputation ; Minerue leur ayant appris cette manifacture pour luy auoir les premiers dreſſé vn beau & magnifique autel. Mais parce qu’au premier Sacrifice qu’ils preſenterent à la Deeſſe, ils oublierent d’y appliquer du feu, ſans lequel on ne peut deuëment ſacrifier, pour auoir commis cette lourde faute, elle meſcontente d’vne ſi groſſiere ignorance ſe retira par deſpit en la ville d’Athenes, Pline au 30. liu.ch.5.à qui elle donna ſon nom, & fut ſoigneuſement reuerree par ce peuple galand & de gentil eſprit, ſous le nom de Parthenos c’eſt à dire Vierge, & eut ſon Temple au chaſteau de la ville, auec vne Statuë de la main du treſ-excellent Sculpteur Phidias toute d’or & d’yuoire, de la hauteur de trenteneuf pieds ; l’eſcu de laquelle eſtoit ouuré d’vn treſ-ſouuerain artifice : A ſçauoir ſur le bord d’iceluy, qui ſe rejettoit en dehors, ſe voyoit la bataille des Amazones contre les Atheniens ; & au champ ſe renforçant en dedãs, le combat des Geans & des Dieux. Au liege de ſes pantouffles, la meſlee des Centaures & des Lapithes. Minerue & Pallas diuerſes ſelon Apollodore.Apollodore au 1. liure de la Bibliotheque dit que Perſés, Aſtree & Pallas furent enfans de Crie & d’Eurybie : lequel toutefois ſemble diſtinguer Minerue d’auec Pallas, au 3. liure, diſant : On tient que Minerue nee fut nourrie chez Triton, lequel auoit vne fille nommee Pallas : & comme toutes deux faiſoient profeſſion des armes, elles eurent querelle enſemble. Mais comme Pallas eſtoit ſur le poinct d’aſſener Minerue, Iupiter craignant le coup, luy mit au deuant ſon ægide, ou rondache. Alors Pallas eſtonnee ietta la veuë ſur cette ægide, & cependant Minerue la porta par terre, morte : dont Minerue ſaschee, fit vne image à la ſemblance, & l’arma de ladite ægide qui l’auoit eſpouuentee. Inuentiõ du Palladium Cette image fut nommee Palladium, & depuis emmenee à Troye, & religieuſement gardee, comme nous verrons tantoſt à ſa deſcription. Suiuant donc cet auis Pallas fut fille de Triton, & Minerue ſa nourriſſone. Autre naiſſance de Pallas. Les autres nous apprennent que Iupiter apres la guerre des Titans eſleu par le conſentement vniuereſel de toute la Cour celeſte, & par l’auis de la Terre, mere de toutes choſes, pour regir l’empire celeſte, eſpouſa en premieres nopces la deeſſe Metis, la plus ſage & prudente qui fuſt ny là haut au ciel, ny çà-bas en la terre ; laquelle eſtant ſur le poinct d’enfanter Minerue, Iupiter par l’aduerſtiſſement du Ciel eſtoillé, & de la Terre la preuint, & l’amadoüa de ſi belles paroles qu’elle ſe laiſſa deuorer, ainsi groſſe qu’elle eſtoit. Ce qu’il fit, pource que les Deſtinees portoient que d’elle deuoient naiſtre deux creatures ſages à merueilles ; Minerue aux yeux azurez, d’vne meſme force & prudence auec ſon pere : & en ſuitte vn fils magnanime, qui regneroit ſur les Dieux & ſur les hommes. Mais Iupiter l’engloutit en ſon ventre deuant qu’elle l’eut produit en lumiere : puis deuenu gros au lieu d’elle, & ſans ayde d’aucun enfanta de ſa ceruelle la braue & prudente Minerue prés la riuiere de Triton. Or il ſemble que ce ſoit vne mocquerie, de la faire tanſtot fille de Iupiter, tanſtot du lac, ou marais, ou riuiere de Triton, tanſtot de Crane, comme Zezes (qui peut eſtre par ce Crane n’entend autre choſe que le ceruueau de Jupiter.) Plusieurs Minerues. Mais c’eſt d’autant qu’il y a eu pluſieurs Minerues, que Ciceron nomme au 3. liure de la nature des Dieux : La premiere de ce nom fut mere d’Apollon ; la ſeconde, nee du Nil, que les Saïtes Egyptiens adorent ; la troiſieſme, fille de Iupiter ; la quatrieſme, fille auſſi de Iupiter de Coryphe fille de l’Ocean, que les Arcadiens nomment Corie, & dient qu’elle fut inuentrice des chariots à quatre rouës : la cinquieſme, fille d’vn Pallas qui tua ſon pere, comme il la vouloit forcer, à qui l’on fait porter des aiſles aux talons, de meſme au’à Mercure. Quoy qu’il en ſoit, tout ce que les autres ont faict eſt imputé à cette troiſieſme, qui fut fille de Iupiter. On dit que Minerue eut vne nourrice nommee Dedale, femme ingenieuſe & adroitte à toutes bonnes œuuvres, qui en ſa ieuneſſe luy apprit tous les arts honneſtes qu’vn enfant de bonne maiſon peut ſçauoir, comme dit Poſſidonius au liure des Dieux & Heros. Callimachus en l’hymne des bains de Minerue tient non ſeulement que Pallas & Minerue n’eſt qu’vne ; mais auſſi que Iupiter trouue bon tout ce qu’elle veut, & l’authoriſe :

A ce conſent Pallas, & toute ce qu’elle accorde S’accomplit quand et quand ſans refus ou diſcorde. Car ſus les autres ſœurs Iupin tant d’elle tient, Que tout ce qu’il poſſede aiſément elle obtient.

Minerue adoptee. Homere en pluſieurs paſſages conioint tous les deux noms enſembles ſans aucune diſtinction. Herodote en ſa Melpomene ayant qualifié Minerue fille de Neptun & du marais de Triton, l’appelle puis aprés fille adoptiue de Iupiter : & dit que s’eſtant vn iour faſchee contre ſon pere, elle ſe donna à Iupiter, & qu’il l’adopta. Pourquoy dicte Tritonnienne. C’eſt pourquoy Homere l’appelle glorieuſe fille Tritonienne de Iupiter. Mais ny luy, ny les autres Poëtes ne luy donnent pas tel tiltre pour eſtre fille du marais de Triton : car cela ſeroit trop ridicule : mais bien pource qu’elle fut nourrie par quelqu’vn portant ce nom ; ou pour auoir eſté nee prés de quelque riuiere de meſme nom, atttendu qu’elle fut premierement veuë vers le riuage de Triton, où l’on dit demeuroient certaines nations nommees Machlyes & Auſes, Ceremonies de filles en la feſte de Minerue.les filles deſquels durant les feſtes de Minerue ſeparees par bandes & compagnies ſe battoient à coups de baſtons & de pierres. S'il auenoit que quelqu’vne d’entre elle mouruſt des coups qu’elle pouuoit auoir receus on diſoit qu’elle n’eſtoit pas pucelle : mais celle qui montroit la plus vertueuſe & conſtante de toutes, & qui auoit receu plus de coups & plus dangereux que les autres, on la proumenoit tout autour du marais auec vne honorable compagnie de Grecs armez, montee ſur vn chariot triomphant, ſuiuie de ſes compagnes, auec toute la ioye & allegreſſe qui ſe peut dire, iuſqu’à ce qu’on leuſt renduë chez elle, ſelon ce qu’eſcrit Herodote en ſa Melpomene. Quelqueſ-vns ont creu qu’elle fuſt fille d’vn certain Itoine, & miſe au nombre des Dieux pour auoir eſté grande & valeureuſe guerriere, bien experte à manier vn Cheual. Autres opinions touchant ſa naiſſance. Autres eſcriuent qu’elle fut fille de Pallas, comme il a eſté dit, & qu’elle fut premierement nommee Minerue, puis aprés Pallas, d’autant qu’elle couppa la teſte à ſon pere Pallas qui auoit des aiſles & la voulut prendre à force pour luy rauir ſa virginité : & que de ſa peau elle en fit vn rondache, & ſe planta ſes aiſles aux talons. Pourquoy deïfiee & dicte Pallas. Et pour auoir fait ſi bonne preuue de ſa valeur, de ſa conſtance & de la chaſteté, & d’abondant tué Iodame, qui l’en vouloit empeſcher, les Grecs en firent vne Deeſſe. Les autres veulent que le nom de Pallas luy ait eſté donné, d’autant qu’auec Iupin elle combatit les Geans, comme dit Callimache aux bains de Pallas.

Ny quand elle reuient ſes armes au ſang teintes Des Geans terre-nais que de rudes atteintes Elle porte par terre, & leur laiſſe grondans D’un regard trauerſé la mort entre les dents.

Geans combattus par Pallas. En laquelle bataillle elle tua l’vn deſdits Geans nommé Pallas, à coups de traits. Les autres parce qu’elle emporta à Iupiter le cœur de Dionyſe palpitant encore. Car les Tyrans deſchirerent en pieces Dionyſe, fils de Iupiter, & Proſerpine ; & Minerue en recuillit le cœur, & le porta à Iupiter. Et d’autant qu’on la fait eſtre ſortie toute armee de la teſte de Iupiter, auſſi luy donne-on quand & quand vn chariot & des armes, comme dit Horace au premier des Carmes, Ode 15.

Ia ſon armet, ſon Ægide Pallas, Son char, ſa rage appareille aux combas.

Et Steſichore en ces vers :

Ie veux chanter Pallas qui ſçait bien la maniere D’emporter par aſſaut vne place guerriere,Adroitte à manier la lance & couttelas Fille du garnd Iupin, valeureuſes és combas.

Callimachus dit qu’elle auoit defia vn chariot lors qu’elle combattit les Geans, & des cheuaux enſanglantez & tous ſoüillez du carnage qu’elle auoit fait ; car les Anciens combattoient en chariots garnis de faulx de coſté & d’autre. Comme donc elle reuenoit de cette guerre, elle laua ſes cheuaux dedans l’Ocean :

Elles oſte à ſes cheuaux leur harnois qui d’ahan Treſſuent les laue és flots de l’Ocean.

Les peintres la peignoient ordinairement en forme d’vne ieune Dame virile & robuſte, armee d’vne cuirace, l’eſpee au coſté, & l’armet en teſte, orné de tymbres & pennaches. Elles tenoit en la main droite vne iaueline de bardes & en la gauche vne grand’targue de cryſtal, où eſtoit placquee la teſte de Gorgone toute encheuelee monſtrueuſement de couleuures : veſtüe au reſte d’vne cazaque ſur ſes armes brochee d’or ſur vn changeant de pourpre & de bleu celeſte. Et auprés d’elle eſtoit vn oliuier verdoyant, au deſſus duquel voletoit vne petite chouëtte. Deſcription de l’Ægide bouclier de Pallas. Le bouclier ou rondache qu’elle portoit, eſtoit mervueilleux, & faict d’vn eftange artifice. Virgile au 8. liure en deſcrit la façon, ſelon que les forgerons de Vulcan le forgeoient :

D’autre-part vn Ægide eſpouuenttable encor D’eſcailles de Serpents ils poliſſoient en or, Armure de Pallas, lors que le ſens l’eſtonne, Et des ſerpents laſſez, la meſme Goergonne Deſſus ſon eſtomach, retournant de ſes yeux Avec le coltrenché vn regard furieux.

Car cette Ægide eſtoit ſi effroyable, que quand Minerue venoit à la branſler ſeulement, elle faiſoit perdre le ſens & le courage à ſes ennemis ; & n’eſtoit permis à pas-vn de tous les autres Dieux de s’en preualoir. Ce rondache fut nommé Ægide, à cauſe qu’ainſi s’appelloit le bouclier de Iupiter, qui eſtoit couuert d’vne peau de Cheure, dicte en Grec Aix : car depuis tous les rondaches des Dieux furent appellez >Ægide : &meſme Hesiode & autres nomment celuy d’Hercule, Ægide, en la deſcription qu’il faict. Quelques-vns eſcriuent que Pallas fut inuentrice de la guerre ; ce que Ciceron teſmoigne au troiſieſme liure de la nature des Dieux, & Virgile en l’onzieſme :

O preud-arme Pallas vierge Tritonienne, Et preſidente en guerre.

Minerue touſiours vierge.Cette Deeſſe demeura touiours vierge auſſi bien que Diane & Veſte, toutes leſquelles Homere mentionne en l’hymne de Venus. Voicy comme il diſcourt de l’office, de la virginité & des inuentions de Minerue :

Les appas les attraits les accueils de Cyprine N’eſchauſſerent iamais de Pllas la poitrine. Elle ſe iette aux coups, elle ayme les combas, Ses inuentions.Les rencontres de guerre ; elle prend ſes eſbas A courre l’ennemy. C’eſt elle la premiere Qui pour le bien public a donné la maniere De façonner les chars, & les faire rouler Sur cerceaux arrondis, afin de mieux couler, Les garnir de ferrure, & les gentes embatre. Elle a montré comment à la maiſon s’eſbatre Les filles ont moyen, les ayant occupé A la ſoye, à la laine, ou bien au point coupé.

On dit que c’eſt elle qui a trouué l’induſtrie de baſtir & de maçonner ; teſmoin Lucian en ſon Hermotime : Car la Fable dit qu’un iour Pallas, Neptune & Vulcan eurent diſpute à qui feroit le plus beau chef-d’œuure ; & que Neptune fit vn Taureau, & Minerue vne maiſon. La quenoüille ou le meſtier de filer eſt auſſi de ſon inuention, comme dit Theocrite en la 35. Eclogue, & Virgile au 7. liure :

Elle n’auoit appris ſes mains à manier Le ſuſeau de Pallas, le ploton, le panier.

Elle a en outre trouué l’vſage des fluſtes & la muſique ; de beſongner à l’aiguille, tiſtre la toile, les façons & ouurages de laine, les loix, & les trompetes & pluſieurs autres inuentions deſquelles fait mention Ouide au 6. des Mtamorphoſes & au 3. des Faſtes, comme s’enſuit :

Des filles le deuoir, c’eſt, Pallas appaiſee, D'agencer leur quenouille & vuider leur fuſee, Ou bien ſur le roüet, la laine amolliſſant, La tirer en longs traits de leur fuſeau gliſſant. Elle leur montre auſſi d’attacher a l’enſouple Leur toile, & du roſeau ſeparer l’eſtain ſouple, Et d’une adroite main la trame parcourir, Faiſant entre l’eſtaim la nauette courir. Toy qui ſçais enleuer d’un veſtement les taches Toy qui ſçais nettoyer les ordes toiſons ſçraches Que tu dois l’adorer nul ne ſçauroit lier A poinct vn arbriſeau ; ny deüment le plier, Et fuſt-il plus expert que ne fut iamais Tyque, Si Pallas indignee à ſes deſſeins replique. Inuentiõde l’Oliuier & de l’huyle.Dauantage elle a trouué le moyen de planter l’Oliuier & d’en faire de l’huile ; au lieu qu’auparauant elle en le laiſſoit croiſtre parmy les autres arbres ſans en tenir conte. Et comme teſmoigne Herodote en ſa Terpſychore, vn temps fut qu’on ne trouuoit point d’Oliuiers ſinon à Athenes. Et de faict lors que l’Oracle d’Apollon Delphique fit commandement à ceux d’Epidaure de dreſſer des ſtatuës à Damie & Auxiſie, ils demanderent s’il les faloit ou de cuiure, ou de pierre. A quoy l’Oracle reſpondit, qu’ils les ſifflent d’vn Oliuier domeſtique. Ils enuoyerent donc à Athenes prier la Seigneurie qu’elle leur permit d’abatre vn Oliuier, car ils les tenoient en grande reuerence, comme ſacrez à Minerue : & pour lors il ne s’en trouuoit point ailleurs. En recompenſe dequoy ceux d’Epidaure s’obligerent d’enuoyer à Athenes tous les ans dequoy faire, des ſacrifices ſolemnels, pour le bois qu’ils auoiẽtabatu. Vſages de l’huile. Mais pource que le fruict de l’Oliuier, à ſçauoir, l’huile ſert à tous les arts & meſtiers qui ſont au monde, on a penſé que Minerue les euſt inuenté. Car certes à peine y a-il art quelconque ou meſtier qui ne ſe ſeruede l’huile, peu ou prou, comme auſſi fait-on du feu. C’eſt ce qui a faict croire à la plus grande partie des Anciens, à Æſchyle entr’autres, que Promethee eſtoit inuenteur de tous les arts qui ſont en practique, pour auoir du Ciel apporté aux hommes l’vſage du feu, comme nous l’expoſerons plus à plein & plus commodément en ſon lieu, quand nous viendrons à traicter ce que les Anciens nous ont appris de Promethee. Tireſias aueugle par Minerue. Or pour reprendre nos briſes, on dit que Minerue fut ſi jalouſe & ſoigneuſe de la virginité, que comme d’auenture elle ſe baignoit vn iour dans la fontaine d’Hippocrene, en la montaigne d’Helicon, Tirefias l’apperceut ; ce qu’elle prit en ſi mauuaiſe part, qu’elle luy fit perdre la veuë, faiſant eſtat n’eſtre aucunement raiſonnable qu’vn homme mortel oſaſt ſe vanter d’auoir veu Minerue nuë, & ſe baignant. Toutefois Chariclo mere du meſme Tireſias obtint d’elle, à force de prieres, qu’au lieu des yeux corporels, dont elle l’auoit priué, il luy pleuſt le recompenſer d’vne veuë ſpirituelle, & luy donner le don de prophetie pour deuiner les choſes à venir. Recompenſe du don de prophetie. Et pourtant c’eſt mal conſideré aux Poëtes, qui diſent que Pâris fit deſpoüiller les trois Deeſſes toutes nuës pour iuger de leur precellence en beauté. Toutefois Hygin au 75. chapitre des Fables nous donne vn autre ſujet de l’aueuglement de Tireſias : & dit qu’iceluy gardant le beſtial en la montagne de Cyllene, rencontra deux ſerpens frayoient, auſquels donnant vn coup houſſine, il fut ſur le champ tranſmué en femme. En ſuite de cela il s’en alla au conſeil à l’Oracle ; par l’aduis duquel il retourna au meſme lieu, & les trouuant de rechef accouplez, les refrappa comme à la premiere fois, puis retourna en ſon premier eſtat. Sur ces entrefaites ſuruint d’auenture vn eſtrif entre Iupiter & Iunon, ſçauoir-mon, qui plus receuoit de plaiſir & de contentement, l’homme ou la femme, quand par amour ils s’eſbatent enſemble. Et ſur ce contens prindrent Tirefias pour arbitre comme iuge competant pour auoir eſſaié l’vn & l’autre ſexe. Il ſententia en faueur de Iupiter, dequoy Iunon irritée l’aueugla, mais Iupiter en recompenſe luy prolongea ſa vie iuſqu’à ſept aages d’hommes, & luy octroya meſmemoyen l’eſprit de prophetie par deſſus tous autres motels. Ainſi vengea-elle l’outrage qu’Ajax fils d’Oïlee voulu faire à Caſſandre, fille de Priam, qui fuyãtla fureur Grecs s’eſtoit retiree dans ſon Temple ; car ainſi qu’il s’en retournoit en Grece, aprés la deſtruction de Troye, il fut foudroyé par la Deeſſe. Toutefois il euſt eſté preſerué de ce danger, s’il ne ſe fuſt pris à maugreer, diſant qu’en deſpit des Dieux ils eſchapperoit. Alors Neptun courroucé print vn quartier de certains rochers qu’on nommoit Gyrez, & le luy lança dans la mer, à cauſe dequoy bien toſt il fit naufrage, & fut ſubmergé. Liure 6. chap.221.SemblablemẽtPhalanx & Arachné furent par elle ſeuerement punis, comme nous verrons ailleurs. Laſciueté de Vulcan.Au reſte quelques-vns nous apprennent, que peu s’en faut que Vulcan ne forcaſt Minerue quãdelle le vint ſupplier de luy forger des armes. Car en l’abſence de Venus il prit enuie à Vulcan d’auoir affaire à Minerue ; & comme elle luy reſiſtoit, ne voulant pour tout auoir la compagnie d’aucun homme ; on dit que Vulcan ne pouuant plus tenir ſon eau luy eſlanca ſon ſperme tout du long des cuiſſes ; qu’elle eſſuya auec vn flocquet de laine, & le ietta en terre, Erichthõné du ſperme de Vulcan.dont naſquit Erichthon ; qui contient en ſon nom la ſignification de contention & de terre, lequel fut donné en garde aux filles de Cecrops enfermé dans vn coffret, dont puis-aprés elles deuindrẽtinſenſees, Ci deſſus liure 9. chap11.pour auoir contre le commandement de Minerue ouuert le coffret, & s’allerent precipiter du faiſte d’vne haute tour : ou bien (comme d’autres diſent) furent tuees par vn Serpent, enfermé auec Erichthon. Effect du Palladium.Or ie veux icy laiſſer paſſer les merueilleux effects que les Anciens ont laiſſez par eſcrit touchant le Palladium, dont nous auons cy deſſus faict mention. Il faut ſçauoir que toutes les images qui n’eſtoient pas faites de main d’homme, & toutes celles qu’on tenoit auoir eſté enuoyees du Ciel (comme entre-autres ce Palladium, de Minerue tant renommé) eſtoient qualifiees de ce nom-là. On dit que cette image auoit trois coudees de haut, & tumba du Ciel en Peſine, ville de Phrygie, qui pour cette cheute fut ainſi nommee d’vn mot Grec ſignifiant choir, comme diſent Dion & Diodore. Neantmoins quelques hiſtoires teſmoignent que ce fut pour vn autre ſujet, à l’occaſion du rauiſſement de Ganymede, lors que beaucoup de gens furent tuez en la guerre qu’Ile, frere du meſme Ganymede, fit à Tantale, qu’il accuſoit d’auoir rauy & enleué ſon frere Ganymede. Aſie tierce partie du monde pourquoy ainſi nommee.Iean d’Antioche ne dit pas que ce Palladium ſoit cheu du ciel, mais bien qu’vn certain Philoſophe & Mathematicien le fit & compoſa par vn tres-heureux horoſcope, ſi bien que la ville qui le pourroit garder ſans eſtre offenſé, ſeroit imprenable, & qu’il en fit preſent aux Troyens. Et d’autant que ce Philoſophe s’appelloit Aſie, cette partie du monde qui pour le iourd’huy retient encore ce nom, fut pour l’amour de luy ainſi nommee. Mais Apollodore eſcrit au troiſieſme liure, qu’à l’endroit où Ile baſtit la ville d’Ilion (ou Troye) ſuiuant la piſte d’vn Bœuf moucheté de diuerſes couleurs, il fit priere aux Dieux qu’il leur pleuſt luy donner quelque ſigne du Ciel : & qu’alors ce Palladium tumba, long de trois coudees, & ſembloit cheminer de luy-meſme, tenant en ſa main droite vne lance ou jaueline ; & en la gauche vne quenoüille & vn fuſeau. Cet Ile eut puis-aprés auis de l’Oracle, que la ville de Troye demeureroit ſaine & ſauue tandis que le Palladium y ſeroit conſerué, ſans eſtre outragé. Troye imprenable ſans les fleches d’Hercule.On adiouſte à ce conte, que les fleches d’Hercule retardoient les priſes de Troye, leſquelles il donna en mourant à Piloctete, tirant de luy promeſſe & ſermẽtqu’il ne deceleroit à perſonne les reliques de ſon corps, giſant en la montagne d’Oete entre la Theſſalie & la Macedoine. Mais aprés que l’Oracle de Delphos eut fait entendre aux Grecs, qu’il n’y auoit pas moyen d’emporter Troye ſans les fleches d’Hercule, ou ſans les reliques de ſon corps, on s’addreſſa à Philoctete, lequel enquis de la ſepulture d’Hercule, dit qu’il n’en ſçauoit rien. Puis ſe voyant forcé de la deſcouurir, afin qu’il ne faulſaſt ſa foy, il ſe teut bien ; mais auec le pied montra le lieu où il giſoit. Or pour reuenir à la continence de Minerue, aucuns maintiennent qu’elle ne coucha pas touſiours toute ſeule : Minerue non du tout continente.entre autres, Pauſanias en l’Eſtat d’Attique eſcrit que Hygie fut fille de Minerue & d’Æſculape : & ce ſurnom d’Hygie (c’eſt à dire Santé) fut donné à Minerue. Les Atheniens auſſi la ſurnommerent Laphyre, & Mamerſe (peut eſtre à cauſe qu’ils appellent Laphyres les deſpoüilles & butin qu’ils font ſur l’ennemy) Item Pylæte, de pilé, c’eſt à dire vne porte, parce que les Anciens poſoient ſon pourtraict ſur les portes des villes, voire meſme des maiſons particulieres, ainſi comme ils mettoient celuy de Mars és faux-bourgs. Lycophron l’appelle Budie & Æthye, parce qu’on cuidoit qu’elle tinſt en ſa protection les laboureurs & les nauigeans. Elle a auſſi eſté nommee de pluſieurs autres nons prouenans de diuers effects, & des lieux eſquels elle eſtoit principalement adoree. Chap.ſuiuant. Sacrifices de Minerue.Nous traiterons ailleurs des feſtes Lampadophores qu’on ſolemniſoit en faueur de cette Deeſſe. Les Sacrifices ordinaires d’icelle eſtoient quelquefois d’vn Taureau blanc, quelquefois d’vne Genice indomptee : teſmoing Ouide au 4. des Metamorphoſes :

Perſé le preux vainqueur par triomphans offices Fait bruſler à trois Dieux trois deuots ſacrifices : Mercure eut l’autel droit, Minerue port’-eſpieu Le ſiniſtre, & Iupin eut celuy du milieu. A Pallas la guerriere offrit vne Genice, D'vn tendre Veau fut fait de Mercur le ſeruice. Au tout-puiſſant Iupin ſur ſon Autel ſacré, Par luy fut vn Taureau dignement conſacré.

Voila quant aux Fables que nous trouuons touchant Minerue

¶Il reſte maintenant à voir ce que les Anciens nous ont voulu apprendre par telles faintiſes. Que veut dire que Pallas ait eſté fille de Neptun & du marais de Triton, ſinon que la ſageſſe procede des troubles & des émotions que les hommes eſprouuent tous les iours, tant ſur la terre que ſur la mer ? ou bien qui eſt celuy qui ne ſçache que noſtre vie eſt ſans ceſſe trauaillee d’vne infinité de pauuretez, qui ſont comme tempeſtes de Neptun, c’eſt à dire de la mer ? car qui ne connoiſt le naturel de la mer, ie croy qu’il ne ſçait que c’eſt de mal. La ſageſſe donc s’acquiert par le moyen de tãtde troubles ennuyeux, & du bourbier des tenebres de l’entendement & d’ignorance. Et d’autant que la ſageſſe eſt vne choſe diuine, & vn ſingulier don de Dieu, c’eſt à bon droit que Minerue eſt dicte nee de la teſte de Iupiter : veu que la teſte eſt le ſiege de memoire & de ſageſſe, où l’on void vn admirable & incomprehenſible artifice de Dieu beſongnant par nature. Derechef elle eſt fille de Iupiter, d’autant que les Roys deuiennent ſages & bien-entendus par vn long & aſſiduel exercice au maniment des affaires de leur Eſtat. Elle eſt venuë au monde tout-armee, parce que l’eſprit du ſage n’eſt iamais deſpourueu de conſeil ny de patience pour ſurmonter les inconueniens & hazars ſuruenans. On la nomme preneuſe, ruineuſe & gaſteuſe de villes, pour autant que la ſageſſe & le bon conſeil ſert de beaucoup en guerre pour renuerſer les malins complots des meſchans, veu que c’eſt choſe bien facheuſe au ſage d’auoir des ennemis. Auſſi Homere ne qualifie pas Ajax ny Achille de ces tiltres-là, à cauſe de leur courage fier & boüillant, ouy-bien Vlyſſe pour l’amour de ſa ſageſſe & de ſes bons auis. Elle eſt nee ſans mere, d’autant que c’eſt choſe rare de voir vne femme ſage. Ie ſçay bien que les Egyptiens ont dit qu’elle voulut eſtre vierge tout le temps de ſa vie, parce qu’elle fut tres-continente. Elle fut fort ingenieuſe & de bon eſprit, & inuenta beaucoup d’arts commodes à la vie humaine : affectionnee principalement à la guerre, ayant beaucoup de valeur & de courage. Elle fit auſſi pluſieurs actes memorables : Ægide, monſtre tué par Minerue.entre autres elle mit à mort cet effroyable monſtre qu’on nommoit Ægide, que perſonne n’oſoit attaquer ne combattre. Il eſtoit né de terre, & vomiſſoit de la bouche vne grande quantité de feu. Il apparut premierement en Phrygie, & la bruſla, & à cauſe de ce elle fut long-temps nommee Phrygie la bruſlee. De là il s’en vint vers le mont Taurus, & mit en cendres toutes les foreſts depuis là iuſques aux lndes. Puis deſcendant vers la mer en Phœnice, il bruſla les foreſts du Liban : en-apres il paſſa en Egypte & en Lybie ; & finalement és bois de Ceraunie ; & ayant mis à feu toutce pays-là, gaſté & rauagé tout, tué ou chaſſé les habitans, on dit que Pallas par ſa prudence, addreſſe & valeur, mit à mort ce monſtre, & appropria ſa peau en ſorte qu’elle luy ſeruit d’vn plaſtron, partie pour parer quelque mauuais coup, partie auſſi pour montrer la glorieuſe deffaite qu’elle auoit obtenuë ; de laquelle la Terre, mere de ce monſtre, indignee, engendra les Geans, ennemis des Dieux, que Iupiter combattit & défit à l’aide de Pallas & Dionyſe auec les autres Dieux. Minerue pourquoy dicte Tritonienne.Callimache eſt d’auis qu’elle ait eſté nommee Tritonienne, du nombre ternaire, pource qu’elle naſquit le troiſieſme iour de la Lune : ce qui ſe prouue de ce que les Atheniens cõſacrerentce iour à Minerue. D'autres ſont d’vn auis bien contraire au ſien, diſans que les peuples de Ponte appellẽtla teſte Trito, pource que le crane ſe partit en trois. Les autres veulent dire que la Lune ſe nomme ainſi, pource qu’elle paroiſt ordinairement aprés le troiſieſme iour qu’elle eſt renouuellee. Il s’en trouue auſſi qui tiennent qu’elle eſt l’ame, doüee de trois facultez, de diſcourir, deſirer, & ſe cholerer. Autres veulent qu’elle ſoit l’air, qui ſe change principalement & s’engendre en trois ſaiſons, à ſçauoir au Prim-temps, en Eſté & en Hyuer : joint qu’autres-fois l’an eſtoit diuiſé en ces trois ſaiſons. Minerue maſle & femelle.Orphee en ſes hymnes dit qu’elle eſt maſle & femelle tout enſemble, d’autant que le deuoir du ſage eſt, de s’accommoder au temps, & prendre les opportunitez quand elles ſe preſentent. Les Anciens ont eu bonne grace en ce qu’ils diſent que Iupiter a communiqué à Minerue ſeule toutes ſes vertus & qualitez ; parce que Dieu ayme ſur tous autres l’homme ſage, & n’y a ſageſſe aucune qui contrarie à Dieu. Pourquoy adoptee par Iupiter.Pour cette cauſe auſſi fut-elle adoptee de Iupiter. Les Egyptiens maintiennent qu’elle fut fille de Iupiter, & touſiours Vierge, attendu que l’air eſt de ſa nature incorruptible, & tient le plus haut lieu, ce qui donne occaſion de dire qu’elle eſt iſſuë de la teſte de Iupin, & de l’appeller Tritonide, pource que tous les ans elle change de complexion trois fois, au Prim-temps, en Eſté, en Hiuer : Sans moral de la guerre des Geans.Par cette guerre des Geans elle enſeigne que toute la force humaine qui s’eſleue contre Dieu, toute la temerité, toute l’inſolence, & tous les efforts des hommes, ne ſont que vanité, veu qu’elle en terraſſa & fit mourir quelques-vns d’entre-eux auec peu de peine. Mais d’autant que la ſageſſe doit ſur toutes vertus accompagner vn bon & valeureux Capitaine, elle eſt commiſe ſur les armes, & luy donne-on vn rondache clair & treluiſant, & tymbré de pluſieurs Serpens. Mais quel eſt le naturel des Serpens ? c’eſt de voir bien clair, & pour cette raiſon les Grecs nomment le Serpent ophis. Car ſi vn Colonnel ou chef d’armee n’a de la vigilance & diſcretion pour preuoir de loing les affaires, ne void-on pas à chaſque bout de champ qu’on eſt ſurpris : ou par embuſcades ; ou par rencontres, ou par quelque autre vifue & chaude charge de l’ennemy, dont on a fort à faire d’en ſortir auec honneur ? C’eſt cette braue gouuernãte& bien-aymee de Dieu, Sageſſe, qui pouruoid & remedie à tous ces inconueniens, & en tẽpsde paix & de guerre ; tant au milieu des armees, que dedans les villes. ſon rondache dont elle couure ſon corps eſt tres-clair, & de cryſtal ; parce que c’eſt vne fort bonne defenſe, vn ſeur rempart ou eſperon, & vne grande conſolation à l’homme ſage en ſon aduerſité, quand la verité de ſon innocence & toutes ſes actions & comportemens ſont connus à tout le monde. Chat huant & autres, pourquoy dediez à Minerue.Le Chat-huant luy eſt dedié, parce que le ſage void par tout, & a les yeux ouuerts, tant de nuict que d e iour, & dicerne meſme les choſes ou d’autres ne voyent goutte. Pour ce meſme ſujet elle ayme le Dragon ou le Serpent ; à raiſon de la vigilance, tant recommandee à ceux qui vacquent à l’eſtude & aux arts : mais hayt fort la Corneille pour ſon caquet. Elle porte vn caſque en teſte, & vne creſte ; pource qu’il n’eſt pas touſiours queſtion d’vſer de force & de brauade, mais faut ſe montrer courtois, benin & affable en tout & par tout ; vertus touſiours bien-ſeantes à vn homme d’honneur. Elle porte la lance ou la iaueline, ou autre arme pointuë, pour repreſenter la pointe & ſubtilité d’eſprit, requiſe à vne perſonne d’eſtoffe ; car celuy qui a naturellement l’eſprit groſſier, à qui Dieu n’a point donné de iugement ny de diſcretion, dix Minerues ne ſeront pas baſtantes pour luy polir ou ſubtiliſer la ceruelle. Elle auoit vn Coq ſur ſon habillement de teſte, pource que cet animal ayme à ſe battre, comme dit Pauſanias és premieres Eliaques ; mais pluſtoſt, comme ie croy, pource qu’il connoiſt & preſagit les ſaiſons à venir, & eſt tres-vigilant. Elle a fort aymé les Muſes, & a touſiours eſté Vierge, pour montrer que tous plaiſirs deſmeſurez ſont ennemis de ſageſſe, &principalement Venus, qui affoiblit fort la memoire, & debilite grandement la viuacité de l’eſprit. L'hõmeſage eſt redouttable aux meſchans.Perſonne n’eſt ſi hardy que de s’attaquer à elle, ou luy faire teſte, quand elle porte en ſon plaſtron cette eſpouuenttable teſte de Gorgone, treſſee de Viperes & Couleuures au lieu de cheueux : d’autant que les meſchans redoutent infiniment l’homme ſage & vigilant, continent, & qui pouruoit & donne bon ordre à ſes affaires. Les Poëtes luy font cét honneur de dire qu’elle tient le premier rang aprés Iupiter. C'eſt pourquoy Horace dit :

Neantmoins de Pallas le merite eſt bien tel, Qu'elle eſt premiere apres Iupiter immortel.

Car le ſage eſt accomparé à Dieu quant au meſpris qu’il fait des choſes humaines & periſſables, leſquelles il laiſſe de bien loing en arriere : & quant à la puiſſance qu’il a, accompagné d’vne proſperité en toutes ſes affaires : & la ſageſſe ſe fait ſi bien paroiſtre & reluire par tout, que cela fait dire que Pallas ait inuenté preſque tous les arts. Elle trouua auſſi l’Oliuier & l’uſage de l’huile, parce que les ſciences & tous bons ouuriers & artiſans ont beſoin d’huile & de veiller. Elle aueugla TyreſiasTireſias pourquoy aueugle., d’autant qu’il l’auoit veuë toute nuë ; parce que celuy qui aura vne fois gouſté la douceur du fruict qui prouient de ſageſſe, ou qui aura apperceu la clairté d’icelle, fermera volontiers les yeux à toute autre choſe, ou bien (ſelon l’aduis d’autres) que quand nous conſiderons ce qui eſt de la diuine Sapience, nous connoiſſons que nous ſommes aueugles & ne ſçauons rien du tout. Mais ſi puis aprés auec l’aide de Dieu nous venons à l’examiner ſoigneuſement, nous recouurons ce que le corps auoit perdu, à ſçauoir, les yeux de l’entendement, & vne merueilleuſe promptitude & viuacité d’eſprit à predire ſagement les choſes à venir. Ceux qui diſent que Pâris vid les trois Deeſſes toutes nuës pour mieux iuger de leur beauté, Venus, Iunon, & Pallas, ſe ſont amuſez à l’eſcorce, ſans penetrer plus auant : parce que s’il euſt vne fois ſenty la douceur de la ſageſſe Diuine, & l’euſt tant ſoit peu plus diligemment profondee, il euſt foulé aux pieds toutes les voluptez corporelles, tous plaiſirs immundes & deſhonneſtes, & toute puiſſance humaine. Car ne les connoiſſant pas bien, il iugea qu’elles eſtoient habillees, emporté pluſtoſt par preſens & corruptions, que par equité de conſcience. Minerue commiſe ſur les portes.Elle preſide ſur les portes des villes & maiſons particulieres, comme dit Æſchyle és Eumenides, d’autant que la ſageſſe gouuerne, & les villes & les maiſons particulieres : attendu qu’il n’y a ville ny maiſon qui puiſſe long-temps demeurer debout, ſinon celle qui ſe rend obeyſſante & ſubiecte aux loix de Minerue, c’eſt à dire à la modeſtie, à la continence, & à la moderation : veu que le deuoir de Mars eſt de veiller, & faire ſentinelle hors des villes, en la campagne, & les defendre des aſſauts & ſurpriſes de l’ennemy. Car il faut eſtre garny au dedans de bonnes loix & conſeil pour prendre reſolution d’vne affaire, & au dehors d’induſtrie & force pour mettre promptement & à la chaude en execution ce qui aura eſté reſolu. Tandis donc que le Palladium ſera conſerué dedans la ville ſans y eſtre violé, iamais l’ennemy ne s’en pourra ſaiſir, ny par ſurpriſe ny par force. Que ſignifie le Palladium.Mais que penſez-vous que cecy ſignifie ? y a-il quelqu’vn ſi groſſier qui ne ſçache bien qu’il n’y a ſtatuë, ny de pierre, ny de bois, ny de fonte, qui ſoit proprement entenduë par telles paroles ? Faut-il penſer qu’il y ait au Ciel des graueurs, ſculpteurs, & tailleurs d’images, & qu’auſſi-toſt qu’ils en ont, ou taillé, ou buriné, ou ietté en fonte quelqu’vne, elle s’enfuye de leur boutique pour ſe venir rendre à nous ? Quel monſtre ſeroit-ce là, bon Dieu ? Il y a donc beaucoup de ſageſſe cachee ſous cette Fable. C'eſt que toute ville & place qui ne fait point de compte, & qui meſpriſe la religion & le ſeruice de Dieu, qui ne ſe comporte ſagement en l’adminiſtration de la police & autres affaires de ville, en laquelle, iuſtice n’eſt point exercee, en laquelle, non les gens de bien, mais les riches & fauoris commandent, ne peut longuement ſubſiſter. Mais là où l’Eſtat eſt ſagement gouuerné, où perſonne n’outrage vn autre ſans en eſtre chaſtié ; c’eſt là que le Palladium eſt inuiolablement contregardé, & n’y a puiſſance humaine qui puiſſe ou qui deſire ruyner telle ville. C'eſt ce qu’Eſchyle ſemble vouloir dire és Perſes, diſant :

Les grands Dieux gardent les murailles De la Deeſſe des batailles.

Que ſi Pâris n’euſt outrageuſement rauy le bien d’autruy, ou ſi le Roy Priam ſon pere le luy euſt fait rendre, comme trop iniquement acquis, & que ſes deſcendans en euſſent faict de meſme, l’Empire des Troyens ſeroit encore fleuriſſant. On dit que ce Palladium tumba du ciel, pource que la ſageſſe eſt vn don diuin, de laquelle le commencement eſt la crainte de Dieu ; & toute la ſageſſe de l’homme tire ſon origine de Dieu. Elle eſt neceſſaire à ceux qui labourent la terre, à ceux qui nauigent ſur l’eau, aux artiſans & manœuures, veu que toutes choſes obeyſſent à la ſageſſe : ce que les ſurnoms de Minerue ſignifient. Quelques-vns auſſi cuident que Minerue ſoit la force & vertu du Soleil, qui verſe la ſageſſe en l’eſprit de l’homme, & diſent que les ſerpens & couleuures qu’elle porte repreſentent le cours ſinueux qu’il faict au Zodïaque, la clairté & lueur de ſa rondache, la tres-claire & treluiſante nature du Soleil. Elle portoit ſur l’eſtomach la teſte de Gorgone, d’autant que perſonne ne peut impunément ietter la pointe de ſes yeux contre le Soleil, ou contre la ſageſſe, pour s’opiniaſtrer à l’encontre. Elle eſt nee de la teſte de Iupiter, c’eſt à dire, de la plus haute partie de l’air, qui eſt tres-pure, & Iupiter luy a communiqué autant d’honneur & de puiſſance qu’il en a, d’autant qu’apres Dieu le Soleil a plus de force ſur les choſes de ce monde qu’aucune autre creature : ce qui faict que les vnes meurent, les autres naiſſent, & montre vne perpetuelle viciſſitude és affaires humaines. Or c’eſt aſſez diſcouru de Pallas, prenons Promethee.