Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 07 : De Promethée Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Promethee.

CHAPITRE VII.

Genealogie de Promethee. TOUS ceux qui ont eſcrit de Promethee, luy donnent auſſi la reputation d’auoir mis en auant beaucoup d’arts & meſtiers. Il fut fils d’Iapet, l’un des Titans, qui prindrent les armes contre Iupiter. Quant à ſa mere l’on en doute fort : car les vns diſent que ce fut la Nymphe d’Aſie, les autres, Aſope ; les autres Themis. Heſiode en ſa Theogonie eſcrit qu’il naſquit d’Iapet & de Clymene, fille de l’Ocean, ayant pour freres, Atlas, Menœte, Epimethee, peu ſubtil & mal-auiſé : & vne ſœur, Ephyre, auec pluſieurs autres, iuſqu’au nombre de trente. Entre-autres vne ſœur Anchiale, nee deuant la guerre des Geans, laquelle donna ſon nom à vne ville de Cilice. Ses femmes.Il eſpouſa Aſie (ſelon Herodote en ſa Melpomene) Heſione & Axiorhee, deſquelles Iſace fait mention ; Ses enfans.& eut vn fils, Deucalion, duquel Apollonius au 3 liu.rend ce teſmoignage :

–ce meſme Promethee Né d’Iapete fit celuy qui receuoit Ce los qu’en equite ſon ſecond il n’auoit, Deucalion, premier qui baſtit l’edifice Et autels où l’on rend aux Dieux leur ſacrifice, Qui reſtaura le monde & peupla les citez, Et les lieux qui n’eſtoient parauant habitez.

Il eut en outre vn fils nommé Lyque, & Chimaree de Celeno, fille d’Atlas, auſquels on adiouſte Horee, & vne fille nommee Alcimene ; Hellen de Pyrrha, duquel les Grecs furent nommez Hellenes. Il eut encore d’vne autre Nymphe, Thebé, qui fit porter ſon nom à la ville de Thebes ; & ſa ſœur Ægine, à celle d’Ægine. Hommes formez par Promethee.On dit que c’eſt luy qui le premier moula le genre humain, & fut pere ou pluſtoſt ouurier de tous hommes, & qu’il deſtrempa de la terre auec de l’eau, dont il les forma, teſmoin Ouide au 1. de ſes Metamorphoſes :

–ſoit que tout fraiſchement La terre miſe à part d’auec le firmament, Retinſt le ſperme encor dont ell’ eſtoit extraite. Du Ciel ſon allié. Puis le fils d’Iapete Paiſtriſſant de la terre auec de l’eau, moula Vne effigie en corps, laquelle il modela Sur l’image des Dieux qui d’vn throne ſublime L'ouurage de leurs mains tiennent en leur regime.

Et quand il vint à former l’homme, il print vne portion de chaſque Element, qu’il meſla parmy ſon ouurage : & ſelon les temperamens & qualitez des elemens, donna non ſeulement au corps de la force, mais auſſi les mouuemens de l’eſprit & ſes complexions. Et ceux qui content le faict encore plus fabuleuſement, diſent qu’il equippa les hommes de la crainte du Lieure, de la ruſe du Renard, de l’ambition du Paon, de la cruauté des Tigres, de la cholere & grandeur de courage des Lions. Ce qu’Horace au 2. des Carmes touche comme il ſ’enſuit :

Vne parcelle Promethee De chaſque animant empruntee, Contraint (comme on dit) adiouſta Au premier né fait de poußiere, Et du fier Lyon la cholere Dedans mes poitrines bouta.

Promethee blaſmé par Properce. Pauſanias és recerches de la Phocide eſcrit qu’il y auoit vn torrent prés de Panope, où l’on voyoit de groſſes pierres qu’on penſoit eſtre le reſte de cette terre deſtrempee dont Promethee auoit moulé le genre humain : Properce au 3. liure le blaſme de ce qu’ayant pris beaucoup de peine à bien façonner le corps des creatures humaines, il n’auoit tenu grand conte de l’eſprit : au lieu qu’il deuoit employer toute ſon induſtrie, ſa diligence & ſa gentilleſſe à le dreſſer de moeurs loüables, & le bien complexionner. Le feu oſté aux hommes.Or entre autres traits d’vn eſprit cauteleux, tel que celuy de Promethee, Heſiode dit qu’vn iour il ſacrifia deux Taureaux à Iupiter. & ſeparant leur chair d’auec les os, fit vn pacquet de toute la chair, qu’il enueloppa dans l’un des deux cuirs, & les os en l’autre, malicieuſement enduits de greſſe par le deſſus : puis donna le choix à Iupiter de prendre lequel il voudroit des deux Taureaux. Iupiter cognoiſſant la fraude du compagnon, choiſit tout exprez les os, afin d’auoir iuſte ſuject & opportunité de ſe venger des hommes, & le priuer de leur plus neceſſaire commodité. Ainſi doncques irrité de cette trouſſe qu’on luy auoit donnee, il oſta aux hommes l’uſage du feu ; Ruſe de Promethee penſant faire vn affrõtà Iupin. mais Promethee par l’aide de Minerue monta aux Cieux, & toucha le chariot du Soleil auec vne baguette, qu’il alluma, & remporta quand & quand en terre : comme dit Horace au 1. des Carmes :

L’Iapetide plein d’audace Le feu au monde à d’enhaut apporté Par vne maline fallace. Et n’eut ſi toſt embas le feu porté De la haute demeure aſtree, Qu'vn nouuel oſt de fiebures icy bas, Et la maigreur firent entree. La loy fatale haſta, tarde, le pas De la Mort deuant eſloignee.

Hiſtoire d PandoreIupiter ayant auis du larcin de Promethee, pour executer ſa vengeance ſur les hommes, fit commandement a Vulcan, de faire de terre deſtrempee, vne ſtatuë de femme, la plus belle qu’il pourroit, & l’animer. Puis quand elle fut animee, commanda qu’vn chaſcun des Dieux luy donnaſt ce qu’il auroit de plus exquis ; comme Venus, la beauté, Pallas, la ſageſſe, Minerue l’éloquence ; & les autres Dieux quelque don & grace particuliere, & pour ce regard elle fut nommee Pandore, car Pan, ſignifie Tout ; & dôron, don, ou preſent. Or en ce temps-là les hommes viuoient ſans maladies, ſans vieillir, ſans peine & ſans ſoucy, la terre leur produiſant d’elle-meſme, ſans labourage ny main d’homme, toutes choſes neceſſaires pour leur entretenement : & ſe voyoient encore peu de femmes au monde, toutes ayant eſté noyees par le deluge vniuerſel. Iupiter donc en contre-eſchange du ſacrifice de Promethee, voulant en la perſonne d’iceluy chaſtier tout le genre humain, auquel il auoit frauduleuſement donné l’vſage du feu ; luy enuoya Pandore auec vne boiſte en main, dans laquelle eſtoient encloſes toutes ſortes de maladies, pauuretez, vieilleſſe, ſoucis, & generalement toutes incommoditez & maux qui depuis ont tant pullulé par l’Vniuers. Mais Promethee fin & ruſé, ne faiſant pas beaucoup d’eſtat d’vn ſi beau preſent, elle alla ſ'addreſſer à ſon frere Epimethee, homme de peu de ſens ; qui par curioſité trop impatiente de voir ce que contenoit cette boiſte, la deſcouurit, & tout à l’inſtant cette pernicieuſe engeance de maux ſ'eſpancha parmy le monde, ce qu’aperceuant Epimethee, tout ce qu’il peut faire, fut de retenir l’Eſperance, ſeule reſtee au fond de la boiſte, preſte à prendre ſa volee ; mais fermant viſte la boiſte, il la retint, & la garda auec ladicte boiſte, pour ſe repaiſtre d’icelle de pouuoir quelque iour recouurer ce qui luy eſtoit eſchappé. Et pource que Promethee ſe doutant bien de l’encloüeure, auoit refuſé le preſent de Iupin : & d’abondant deſrobé le feu du Ciel, pour le communiquer au genre humain : Mercure par le commandement dudict Iupin, le ſaiſit au collet, & le mena ſur la montagne de Caucaſe en Scythie, & dans l’vne des cauernes d’icelle, le garrotta pieds & poings, & par le fau du corps auec de fortes & dures chaiſnes, afin qu’on ne cuidaſt qu’il euſt impunément contre la volonté de Iupiter, entrepris & perpetré vn ſi grand larcin. Punition de Promethee.Et pour le bourreler a iamais, Iupiter ordonna qu’vne Aigle, fille de Typhon & d’Echidne, ſe gorgeroit eternellement de ſon foye, qui luy croiſtroit au prix qu’elle en deuoreroit. Or eſtoit-il ſi bien lié à vne colomne, & ſi eſtroittement, qu’il ne ſe pouuoit aucunement remuer, & autant que l’Aigle becquetant luy deuoroit de foye durant le iour, autant en renaiſſoit la nuict ſuiuante, afin qu’il y euſt moyen de le tenir perpetuellement en cette lãgueur. C'eſt ce que dit Appollonius, au 2. liure, & Heſiode en ſa Theogonie. Daris de Samos eſcrit que Promethee ne fut ainſi tourmenté que pour auoir emporté le feu du Ciel : mais bien pour auoir effrontement aymé Pallas, laquelle il ſçauoit auoir impetré de Iupiter vne perpetuelle Virginité, ce qui ſe prouue de ce que les habitans de la montagne de Caucaſe ne faiſoient nuls ſacrifices à Iupin ny à Pallas, cõmeautheurs de ce ſupplice : & adoroient Hercule, qui deliura ledit Promethee de cette priſon. Promethee decelé à Iupin par des ingrats. Nicãdreen ſes Theriaques touche vne Fable aſſez plaiſante qui trottoit par la bouche des Anciens : Que les hõmesingrats du bien & du plaiſir que leur auoit fait Promethee, voulans gratifier Iupiter, luy decelerẽtle larcin que Promethee luy auoit fait : & pour recompenſe de leur accuſation demanderent à Iupiter vne perpetuelle ieuneſſe : laquelle il leur octroya, mais elle ne leur ſeruit de rien. Car l’ayãschargee ſur vn Aſne baſté pour ſ'en retourner, auint que l’Aſne fut ſurpris de ſoif durant le chemin, & pour ſ’abruuer approcha d’vne fontaine : là ſe trouua vn Serpent qui l’empeſcha de boire. Et combien que l’Aſne le ſuppliaſt d’auoir pitié de l’extreme ſoif qui le tuoit, ſi n’en voulut-il rien faire que premierement il ne compoſaſt auec luy. Ainſi donc l’Aſne luy promit de luy donner tout ce qu’il auoit, pluſtoſt que de mourir de ſoif. D’où vient que le Serpẽtſe deſpouille tous les ans.Pris au mot, le Serpent ſ'empare de la ieuneſſe, voila d’où vient que le Serpent quitte tous les ans ſa vieille peau, & raieunit. Et pourtant c’eſt à bon droit que Promethee ſe plaind en vn Epigramme Grec du Poëte Iulian, que nonobſtant la ſinguliere affection de laquelle il ſ'eſtoit employé pour l’inuention des commoditez de la vie humaine, notamment du feu & des arts qui ſe fabriquent au moyen d’iceluy : neantmoins telle eſtoit l’ingratitude des hommes, que n’ayans eſgard à ſes merites & bienfaits, ils le laiſſoient affaiſſé d’afflictions, ſans interpoſer ny faueur ny credit pour l’en retirer. Car ſi ceux auſquels il auoit faict tant de plaiſirs n’euſſent eſté tels que nous les auons qualifiez ; pourquoy les appelleroit-il ingrats ? Toutefois Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe eſcrit que le feu eſt venu, non de l’inuention de Promethee, mais bien d’vn certain Phoronee : Statuë & autel de Promethee. & pour ce regard les Corinthiens auoient vn temple d’Apollon Lycien, où ſe voyoit vne ſtatuë de Phoronee allumant du feu. Au reſte, comme les Poëtes ont eu de tout temps licence d’imaginer & d’eſcrire toutes conceptions, Menandre tres-elegant Poëte Grec, dit que Promethee eſt iuſtement ainſi tourmenté, non pour eſtre autheur du feu, mais bien de la femme, qui eſt vn mal, ſans comparaiſon, plus grief, cauſe de toutes les calamitez qui ſuruiennent au monde, & tres-dangereux animal aux hommes. Il y auoit en l’Academie d’Athenes vn Autel commun à Vulcan & à Pallas, & veſquit long-temps deuant Vulcan, ſa ſtatuë tenoit de la main droite vn ſceptre. Pauſanias en l’Eſtat d’Attique dit que non ſeulement on luy fit vn Autel en l’Academie ; Cy deſſus liure 2. chap.6. mais auſſi que les iouſtes nommees Lampadofores, (c’eſt à dire, Porte-flambeaux) commencerent de là, eſquelles les champions couroient vers la ville portans leurs torches allumees ; & taſchoient de tout leur pouuoir de remporter leurs flambeaux allumez. Car celuy qui laiſſoit mourir le ſien, quittoit la victoire à celuy qui le ſuiuoit, & cettuy-cy pareillement à l’autre qui courroit aprés luy, & ainſi conſequemment. Que ſi perſonne ne portoit ſa torche allumee iuſques au bout de la carriere, on poſoit le prix au milieu, ſans l’aduger à perſonne. Inuentiõde Promethee. Or tout cecy ſe faiſoit à l’honneur de Promethee, d’autant qu’on le tenoit pour inuenteur du feu, par le moyen duquel on vient a bout de toutes choſes. Mais il n’a pas ſeulement acquis la reputation d’auoir trouué le feu & ce qui en depend, ains auſſi la medecine, les meſlanges & temperammens des bruuages & receptes, deſquelles ſes predeceſſeurs n’auoient encore ſceu la iuſte doſe ny qu’à peine l’inuention ; les loix des diuinations, & les interpretations des ſonges. Il a premier pratiqué les augures (combien que d’autres attribuent à Caras Roy de Carie l’inuention des preſages qu’on ſondoit ſur le vol ou chant des volatiles) & obſerué le vol des oiſeaux, ſçauoir-mon ſ'ils tendoient à droit ou à gauche ; quels oiſeaux c’eſtoient, portant heur ou mal-encontre, & ce qu’ils ſignifioient. Il apprit à ceux de ſon temps de viure en amitié, ſans haine, ſans querelle ou nuiſance des vns aux autres. Item la maniere de deuiner ſur les entrailles des beſtes ſacrifiees, leurs couleurs & ſituations : quels ſacrifices chaſque Dieu en particulier aimoit le plus, & par quelles ceremonies il les luy falloit offrir & immoler. Il a auſſi remarqué les eſclairs & ſignes du Ciel : il a trouué l’vſage des metaux. En ſomme il ſe vante en ſa tragedie d’Æſchyle d’eſtre ſeul auteur de tous les arts qui ſont maintenant diuulguez en vſage pour la commodité du genre humain. Or ayant Promethee accommodé les hommes d’vn ſi grand bien pour l’vſage de cette vie, il fut detenu au martyre ſuſdict l’eſpace de trente ans, au bout deſquels Mercure parlant à ſes ambaſſades ordinaires, vint à paſſer par la montagne de Caucaſe, & ſ'arraiſonnant auec le captif, luy fit ſçauoir entre autres nouuelles de la Cour celeſte, que Iupiter ſ'eſtoit depuis n’agueres eſperduëment amouraché de la Deeſſe Thetis fille de l’Ocean ; & qu’il cerchoit quelque opportunité d’en iouïr. Là deſſus Promethee ſ'aduiſa d’vne Prophetie qu’il auoit autrefois appris de la bouche meſme de Themis lors qu’elle tenoit l’oracle Delphique ; Que Thetis engendreroit vn enfant beaucoup plus illuſtre & de plus grande reputation & puiſſance que ſon Pere. Mercure rebrouſſa chemin, pour en donner auis à Iupiter : ce qui le degouſta fort de cet amour, craignant que celuy qui pourroit naiſtre de leur aſſemblage le depoſſedaſt à l’aduenir de ſon throſne celeſte, comme luy meſme auoit faict ſon pere. Promethee remis en liberté.Et pour recompenſe d’vn ſi bon office, ſuſcita Hercule allant a la conqueſte de la Toiſon d’or en Colcos, lequel d’vn coup de fleche tua l’Aigle qui tenoit Promethee en telle angoiſſe, & le remit en liberté : ce qu’a teſmoigné Pherecyde au 10. liure des nopces de Iunon, adiouſtant qu’Hercule receut du Soleil vn vaiſſeau dans lequel il fit le voyage ſur la mer Oceane, quand il alla en Ethiopie vers l’Occident, pour enleuer les pommes d’or des Heſperides ; & que Promethee deliuré luy enſeigna le chemin qu’il faloit tenir pour y arriuer. Voiez le liure 7. chap.7.Lucian en ſes Dialogues attribuë cette prediction à Promethee meſme, non à la Nymphe Nereine, Thetis.

Expoſitiõdes fables ſuſdites.Voila les Fables de Promethee ; voyons ce qu’elles ſignifient. Promethee, ſelon quelques vns, eſt l’entendement qui preuoid les choſes long temps deuant qu’elles aduiennent ; comme Epimethee eſt la cognoiſſance que nous acquerons aprés qu’elles ſont auenuës, de qui Penitence eſt fille. Toutefois Orphee en l’hymne de Saturne, penſe que Promethee ſoit le Temps, ou Saturne, l’appellant mary de Rhee. Car le Temps eſt maiſtre & inuenteur de tous arts, & generalement de toutes choſes ; ce que l’on attribuë à Promethee. On dit qu’il eſt fils d’Iapet, qui n’eſt autre choſe (ſelon l’auis de Procle) que le ſubit mouuement du Ciel & de cet Vniuers : & eſt ainſi nommé des Grecs, de deux mots ſignifians mouuoir & voler. Promethee donc naiſſant d’Iapet & de Themis, eſt la bonne affection & volonté en nos courages qui par l’impreſſion des Cieux s’engendre en nous : ſa mere Themis eſt iuſtice & equité, d’où procedent les bons auis & conſeils, & la prudence par laquelle on manie les affaires tant particulieres que publicques, & les inuentions des choſes neceſſaire pour l’entretenement de cette vie. Car ſi Promethee n’eſt en nous cette raiſon que Dieu par ſa grace & bonté nous communique, & qui prouient de iuſtice & d’equité, & meſme cette preſcience par laquelle nous preuoyons les choſes à venir, comment ſera il Promethee, ou fils de tels parens ? Les autres luy donnent Clymene pour mere, pource que l’equité conuie tout le monde à ſoy, ou bien d’autant qu’elle ſe fait ouïr de tout le monde : Promethee pourquoi fils de Clymene& pour ce meſme ſujet Pluton a eſté nommé Clymen. Ceux qui le font fils d’autres meres, ne tendent qu’à ce meſme but. Que veut dire ce que Promethee ietta l’homme en moule, & qu’il luy departit vne portion de la qualité de chaſque animal, ſinon que la prudence imprime beaucoup de changemens en nos eſprits ? Les autres accommodent cecy à l’hiſtoire, diſans que les plus ſages d’entre les Grecs qui ont cõnule monde n’auoit pas eſté de toute eternité, firent entendre par cette Fable les commencemens de la vie humaine. Car apres que l’air, l’eau & le feu furent ſeparez l’vn d’auec l’autre, & que la terre boüeuſe & tendre encore commenca à ſ'affermir, ils tiennent qu’il ſ'engendra ſur la ſurface d’icelle, ie ne ſcay quelles membranes ou petites peaux & crouſtes, leſquelles eſchauffees de iour par le ſoleil, & nourries de l’humeur de la Lune, il en ſortit vne formilliere de toutes ſortes d’animaux, & le genre humain entre autres. Mais puis-aprés la terre eſchauffee peu à peu par la chaleur du Soleil, ceſſa de plus engendrer ; & lors les animaux cõmencerentà multiplier par mutuelle cõpagniede maſle & femelle, chacun ſelon ſon eſpece. En ce temps là le pauure & ſimple monde ne ſçauoit ny le moyen de labourer la terre, ny art ny meſtier quelconque : & ne penſoit pas qu’on peuſt iamais eſtre malade, ny mourir ; ains tumbans à terre rendoiẽtl’ame ſans ſçauoir ce qui leur eſtoit aduenu. Ils viuoient au demeurant comme beſtes, ſe nourriſſans de fruits que les arbres portoient, & des herbes & racines qu’ils cueilloient, & tous nuds n’ayans l’induſtrie de s’habiller, ſe deffendoient des beſtes ſauuages & de leurs ennemis à coups de poing ſans autres armes. Et comme ils n’auoient aucune cognoiſſance du temps à venir, auſſi beaucoup d’entre eux mouroient de faim, l’hyuer venu ; pour n’auoir point faict de prouiſion. Mais ils apprindrent peu à peu en l’eſcole de l’eſperance & de la neceſſité à creuſer des arbres & faire des foſſes en terre qui leur ſeruoient de taſnieres & retraittes pour ſe garentir contre l’iniure de l’air : ainſi viuoient-ils ſans fraude aucune, n’ayans encore l’vſage du feu : ſans loix : ſans Rois, exempts de larcins, de meurtres, de guerres. Puis à la longue deuenus vn peu plus ſages par les incommoditez qu’ils ſentoient de iour à autre (car rien n’aiguiſe plus l’eſprit que les dangers & difficultez eſquelles on ſe trouue) le bruit courut que Promethee, autrement Prudence, auoit trouué le feu, & par ſon moyen puis-aprés tous les arts qui ſe pratiquent pour le iourd’huy : car à peine y-a il art ou meſtier qui ſe puiſſe paſſer de feu. Or que Promethee ait tiré les hommes des foreſts & des montagnes où ils eſtoient eſcartez pour les faire viure d’vne façon plus ciuile & courtoiſe ; qu’il leur ait appris à baſtir des maiſons ; qu’il ait façonné leur parler, qu’il leur ait mõtréla ſcience des Aſtres ; & qu’il ait trouué la cõpoſitiondes lettres, il ſ'en vente en Æſchyle :

Ceux qui parauant moy naſquirent Auoient des yeux, & point ne virent, Et des oreilles ſans ouir, Ny de leurs organes ioüir. Ils n’auoient d’aucun art que l’ombre, Encore bien großiere & ſombre, Ils ne pouuoient venir à bout De leurs deſſeings, & gaſtoient tout. Ils n’auoient la maſſonnerie, Ils n’auoient la charpenterie : Ains faiſoient ainſi que formis Es creux de la terre leurs nis, En des cauernes obſcurcies, Iamais du ſoleil eſclaircies. Ils ne ſçauoient quand arriuer Au froid glacial de l’Hyuer. Du Prim-temps fleury la venuë Leur eſtoit encor inconüe. De ſerrer n’eſtoient couſtumiers En Eſté les fruits és geniers. Ils viuoient au iour la iournee ſans aucune œuure deſtinee, Sans intenter choſe de prix, Iuſqu’à tant que leur euſſe appris Le leuer & coucher des Aſtres Qui ſont vtils, qui font deſaſtres. Ie leur ay donné, tres-humain, Maint art façonné de ma main, Les lettres, & la Muſe-mere Memoire, la meilleure ouuriere Que les hommes puißent auoir S'ils la ſçauent faire valoir. Ie leur ay dreßé l’accouplage, Ie leur ay montré l’attelage Des mulets, iumens et taureaux Pour guereter, trainer fardeaux, En charrette, en baſt ; et en ſomme Pour ſoulager de peine l’homme, I'ay faict porter ſelles & mors Aux cheuaux courageux & fors ; I'ay mis en mer les nefs voilees Auec leurs ailes entoilees. Et ſouffre tant d’afflictions Pour ſi belles inuentions !

Iupiter choleré contre Promethee à cauſe de l’inuention du feu, ou de l’importune amour qu’il faiſoit à Minerue vierge indeflorable, enuoya au monde toutes ſortes de maux & calamitez ; d’autant qu’il n’y a mal qui ne prouienne d’vne vie voluptueuſe & desbordee, ſeruie de beaucoup d’arts & d’inuentions. Car les arts eſpandus parmi le mõde, il falut auoir des Rois & Souuerains Seigneurs : de là ſont venuës les guerres, les brigandages & voleries, tant de ſolicitudes qui troublent le cerueau ; & en ſomme vne infinité de beſongnes qui ne font que tourmenter & affliger la vie de l’homme. Dauantage on dit que Promethee preſenta à Iupiter deux peaux de Bœuf, l’vne pleine de chair, l’autre d’os ; pour nous apprendre que les voluptez & delices amenent les hommes à ce poinct, qu’ils mettent en arriere non ſeulement les loix & l’equité pour vne bien petite commodité qu’ils en eſperent ; mais auſſi quittent la religion & crainte de Dieu. Car qui eſt-ce qui ſe peut auec verité vanter ; ou pour le moins combien peu y en a-il qui prepoſent le vray & legitime ſeruice de Dieu aux commoditez de ce monde, & qui ne ſoient plus ſoigneux d’acquerir beaucoup d’heritages, & entaſſer des monceaux d’or & d’argent, que de rendre à Dieu l’honneur & l’obeïſſance qui luy eſt deuë ? Ce pourchas tant affecté cauſe pluſieurs hereſies ; & ſi l’on oſte d’entre les hommes l’auarice & l’eſperance de richeſſes & particulieres commoditez, toutes hereſies deuiendront bien-toſt à neant, toutes nations n’auront qu’vn Dieu, qu’vne religion, qu’vne meſme façon pour le ſeruir, qu’vn paſteur, qu’vn troupeau. Mais à cauſe des tromperies & des abus qui ſe couurent du manteau de religion, s’enſuiuent des guerres ciuiles, des meurtres & maſſacres, des calamitez du Ciel, & des ſolicitudes qui perpetuellement aſſiegent l’eſprit, & dureront tandis que cette maudite auarice ſera enracinee és cœurs des hommes. On dit que l’Aigle ronge continuellement le foye de Promethee, d’autant que l’eſprit des plus ſages eſt touſiours occupé à diuers penſers. Et parce que nulle fraude, ny larcin, ne peut long temps eſtre celé, & ne laiſſe guere ſon homme en repos ; c’eſt pourquoy les Fables diſent qu’aprés l’inuention du feu Iupiter oſta tout le repos & tranquillité qu’il auoit auparauant concedé aux hommes. Mythologie de l’Aigle de Promethee, & de ſon tourment.Le foye de Promethee croiſſoit la nuit autãtque l’Aigle en auoit deuoré le iour ; d’autant que nature en a ordonné l’vn pour le repos de l’homme, & l’autre pour le trauail du corps & exercice de l’eſprit. Il eſt garrotté contre vne colomne, ou pilier : pource que l’ame, ſiege & domicile de prudence, eſt attachee au corps, qui de ſoy-meſme eſt par maniere de dire de pierre, attendu qu’il n’a aucune cognoiſſance. Mais le foye eſt le mouuement de la raiſon, que les plus habiles hommes diſent eſtre le ſiege des penſees de l’entendement. De Pandore.Vulcan forma Pandore, d’autant que la chaleur & moderation de l’air (qui, comme dit Theophraſte és cauſes des plantes, fait plus de beſongne que tout le trauail & l’induſtrie des hommes en general) rendent l’annee fertile & de bon rapport. Ainſi tous les Dieux luy conferent chacun ſon preſent, & les Heures & Iours, ou les Elemens, luy donnerent les vents, les pluyes, & la chaleur, qui nourriſſent les ſemences. Mais que ſignifient ces Lampadophores qu’on ſolemniſoit à l’honneur de Minerue, de Vulcan, & de Promethee, où les coureurs couroient auec des torches allumees ? Certes rien autre, ſinon que tout le cours de la vie preſente eſt plain de faſcheries & d’ennuis, leſquels ceſſans, il faut auſſi que le cours de la vie ceſſe, & que nous quittions à ceux qui nous ſuccedent, nos torches, querelles, procez, maladies, calamitez, & inquietudes d’eſprit. Et pour faire court, les anciens ont voulu donner à cognoiſtre que cette vie eſt plaine de troubles, que l’auarice renuerſe tout ce qu’il y a de bon, que les gens de bien ont touſiours à cõbattrevne armee de difficultez, qu’on n’a en ce monde que peine & ennuy, & que tandis que nous y conuerſons, nous ne deuons eſperer d’y trouuer repos. Ces choſes & autres ſemblables eſtoient compriſes ſous la Fable de Promethee. Fables de Promethee, appropriees à l’histoire.Toutesfois quelques vns ont accommodé cecy a l’hiſtoire: ioint que Cic., au 5. liure des diſputes Tuſc., dit que Promethee, Atlas, Cephee & quelques autres ont donné lieu a pluſieurs Fables à cauſe de la cognoiſſance des aſtres qu’ils ont euë. On ne diroit pas qu’Atlas ſouſtienne le ciel, ny que Promethee ſoit ataché au Caucaſe, ny que Cephee, ſa femme, ſon gẽdre, et ſa fille ſoient eſtoillez, ſi l’affection qu’ils ont eu à la recerche des choſes diuines n’euſt faict errer les hommes pour accommoder leurs noms à des Fables. Les autres l’approprient à vne autre hiſtoire. Car Herodote au liure qu’il a faict des liens de Promethee, eſcrit que Promethee fut Roy de Scytie, qui ne pouuant fournir de viures ſuffiſans à ſes ſujets, Aigle, riuiere de Scythie, ſujet de fable.à cauſe que la riuiere de l’Aigle (tel eſtoit ſon nom) eſtoit deſbordee & couuroit tout le païs, les Scythiens mutinez le mirent en priſon. Mais Hercule paſſant par le pays, deſtourna la riuiere, & la fit couler dans la mer, la reueſtant de bonnes & fortes leuees, de facon qu’elle ne pouuoit plus ſe deſborder, ny noyer le pays : ce qui donna ſujet de dire qu’il auoit tué l’Aigle & deliuré Promethee. Les hiſtoriens dEgypte, Polycharme en l’Eſtat de Lycie, & Diodore Sicilien, diſent que le Nil, fleuue d’Egypte, rompit vne fois ſes chauſſees en la ſaiſon que la Canicule ſe leue, auquel temps les vents Eteſies ſoufflent & font enfler le Nil, ſi bien que ceſte annee la il ſ'eſpandit par toute l’Egypte, & ſur tout en ce quartier où regnoit Promethee. Or le deſbordement fut ſi grand que tout le monde y fut quaſi noyé : ce qui mit Promethee en tel deſeſpoir, que peu s’en falut qu’il ne ſe tuaſt ſoy-meſme. D’autre coſté ce fleuue fut nommé Aigle, à cauſe de ſa viſteſſe, & de la violence de ſon cours, qui gaſtoit fort l’Egypte. Là deſſus ſuruint Hercule, qui ſçachant le remede qu’il y faloit donner, boucha l’endroit par lequel il faiſoit ſa ſortie, & l’enferma dans ſon canal. Et de là les Grecs prindrent occaſion de dire qu’Hercule auoit tué l’Aigle qui rongeoit ſans ceſſe le foye de Promethee renaiſſant touſiours. Agretas au trezieſme liure de l’hiſtoire Scythique dit, que pource que la riuiere de l’Aigle mangeoit le meilleur & le plus gras pays qu’euſt Promethee en la Scythie, cela a donné lieu à la Fable qui dit que l’Aigle ſe paiſſoit du foye de Promethee : & ce par le commandement de Iupiter (c’eſt à dire de l’air) d’autant que les pluyes continuelles croiſſoient ſon impetuoſité, & le faiſoient eſtendre par la campagne. Mais Theophraſte en certains Memoires eſcrit qu’on a donné à Promethee la reputation d’auoir emporté le feu du ciel en terre, d’autant que ce fut luy qui le premier monſtra aux hommes la ſcience des choſes diuines, & de la Philoſophie, & leur fit eſleuer les yeux en haut pour contempler ces beaux corps celeſtes & eternels, à quoy s’accorde ce qu’Æſchyle en eſcript, & ce que dit Duris Samien, que Promethee fut amoureux de Pallas. Mais puiſque tous ces voyles de fable & de noms prennent leur fondement de l’hiſtoire ſaincte, apprenons en peu de lignes ceſte pure & ſimple verité non moins ignorée des Payens que l’autheur meſme d’icelle. Promethee n’eſt autre que le Noë des Hebrieux lequel les Geants & mocqueurs impies voiants baſtir ſon Arche par l’ordonnance de Dieu, &predire la mort de touts animaux s’ils ne s’amendoient, nommerent Promethee. Et parce qu’ils le voyoient en extreme perplexité pour ceſte eſtrange aduenture qui luy auoit eſté diuinement predicte, ils prindrent ſubiet de dire que celuy eſtoit vn Vaultour (ou bien vn Aigle) qui luy rongeoit le coeur, & que Iupiter l’auoit ſuſcité contre luy pour le bourreller, & le faire mourir tous les iours ſans mourir, d’autant qu’il diſoit que tout le monde deuoit perir par eaux, comme s’il euſt deu ſouſtraire à Iupiter toute la force de l’element du feu. D'ailleurs pource qu’il eſtoit inuincible à ſon ouurage dont l’haſtelier eſtoit au pied du Caucaſe ; ils dirent qu’il eſtoit attaché contre le Caucaſe. Ces gauſſeries publiees apres le deluge par les ſuruiuans de Noë, donnerent ſubiect à la fable de Promethee : & les Poëtes ignorants la verité de l’hiſtoire, l’embroüillerent d’vne infinité de contes & diuerſes ambages d’erreurs. Car ils feignirent Promethee eſtre fils de Iapet, au lieu que ceſtuy-cy fut fils de l’autre : & ſeparerent Promethee d’auec Deucalion, Ogyges, Saturne ; Hercule ; au lieu que tous ceux-cy ne ſont qu’vn, diuerſement nommez par les Ægyptiens, Phœiniciens, Scythes, Grecs, Romains, chacun en ſa langue, comme nous dirons en leur lieu. Paſſons à Atlas.