Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 11 : D’Apollon Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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D’Apollon.

CHAPITRE XI.

Généalogie d’Apollon.APOLLON, comme nous auons dit, fut fils de Iupiter & de Latone ; qui enceinte de la ſemence de Iupiter, accoucha de deux gemeaux, Diane & Apollon, teſmoin Heſiode en ſa Theogonie :

Phœbus naſquit aprés & Diane ayme-fleche Le plus exquis de ceux dont l’ame point ne peche : Latone les conçeut d’vn amoureux deſir Esbatant chez Iupin ſon immortel plaiſir.

Auſſi ſe vante-il en Ouide au 1. des Metamorphoſes, d’eſtre fils de Iupiter, & Seigneur de Delphes, de Clare, Tenede & Patare. Neantmoins Herodote en ſon Euterpe ne dit pas qu’Apollon & Diane ſoient enfans de Iupiter, mais bien de Dyoniſe & d’Iſis, & que Latone fut leur nourrice & leur gardienne. Car Latone eſtant l’vne des huict Dieux d’Egypte, elle ſauua Apollon, que Cerés luy laiſſa chez elle, l’ayant garanty en l’iſle Plote, ou nageante, de la cruauté de Typhon, qui cherchoit les enfans d’Oſiris. Lieu de ſa natiuité.Ceux qui les font enfans de Latone, diſent qu’elle ſe tranſmua douze iours en loup, & ainſi arriua à Delos, où elle eut moyen d’accoucher. Et Homere en vn hymne dit qu’en cette iſle il y auoit vne palme, contre laquelle Latone appuyee enfanta Apollon : & Ouide en l’Epiſtre de Cydippe :

I’admire cet autel faict de cornes ſans nombre, Et l’arbre où la Deeſſe enfanta ſous ſon ombre,

Car Herodote en l’Euterpe dit qu’il y auoit en l’iſle nommee Plote, beaucoup de palmes, & vn temple d’Apollon, tres-ſomptueux & magnifique, & des autels triples, & force arbres, tant fruictiers que ſteriles. Plutarque en la vie de Pelopidas eſcrit qu’Apollon naſquit en la ville de Tegyre, & qu’il y a là deux fontaines, dont l’vne s’appelle la Palme, l’autre l’Oliue, & vne Montagne nommee Delos ; & meſme ce qu’on dit du Geant Titye & du Serpent Python ſe peut r’apporter à cette naiſſance. Mais pour mieux eſclaircir le faict, i’ay bien voulu rapporter icy les paroles de Plutarque : Vn peu au deſſous de ces marais y a vn temple d’Apollon ſurnommé Tegyrien, où il ſouloit auoir anciennement vn Oracle, qui auiourd’huy eſt delaiſſé, et n’a iamais eu longuement la vogue, mais ſeulement iuſques au temps de la guerre des Medois, en ayant pour lors Echecrate la ſurintendance. Et veulent aucuns dire que c’eſt le propre lieu où Apollon naſquit, pource qu’on appelle la montagne prochaine Delos, au pied de laquelle ſe terminent les marais du fleuue de Melas. Derriere le temple ſourdent deux fontaines, qui iettent de l’eau en grande quantité, bonne & fraiche à merueilles, dont l’vne s’appelle encores auiourd’huy la Palme, & l’autre l’Oliue : & veut-on dire que ce ne fut pas entre deux arbres, mais bien entre ces deux ruiſſeaux que la Deeſſe Latone accoucha ; car meſme la montagne de Ptoum eſt là auprés, de laquelle ſortit ſoudainement le Sanglier qui l’effroya, & ſemblablement ce que l’on conte du Serpent Python, & du Geant Titye, ſe conforment à prouuer que c’eſt là proprement le lieu de la naiſſance d’Apollon. Pluſieurs Apollõs.Ciceron au 3. liure de la natiuité des Dieux dit qu’il y a eu pluſieurs Apollons ; & que le plus ancien de tous fut celuy qui fut fils de Vulcan, gardien & patron d’Athenes : le deuxieſme fut fils de Coribante, né en Candie, & eut querelle auec Iupiter pour cette iſle-là : le troiſieſme fut fils de Iupiter & de Latone, qu’on dit eſtre venu de la plage Septentrionale des Hyperborees à Delphe : le quatrieſme naſquit en Arcadie, & les Arcadiens l’appellent Nomien, du mot nômos ſignifiant loy, pource qu’ils diſent que ce fut luy qui leur donna les loix de bien viure. Or combien qu’ils ayent eſté pluſieurs de ce nom, on paſſe les autres ſous ſilence, & tout ce qu’ils ont fait s’attribuë à celuy qui fut fils de Iupiter & de Latone. Enfans d’Apollõ.Cettuy-cy donc eut pluſieurs enfans de diuerſes femmes. Il engendra Eleuthere, d’Æthuſe fille Neptun ; & Lycore, de la Nymphe Coryce ; Delphe, de Thye, ou (ſelon l’opinion d’aucuns) de Melene, fille de Cephiſſe, Phylacide, Philandre & Naxe d’Acachallis ; Ariſtee, de la Nymphe Cyrene ; Iame prophete, d’Euadne, les diſciples duquel s’appelloient Iamides, & prophetiſoient à Piſe és ieux Olympiques : iettans au feu les peaux des beſtes ſacrifiees : ce que les autres diſent qu’ils faiſoient en les decoupant, ſi la taillade ſe tiroit droit. Il eut auſſi Cheron de Thero, fille de Philas : Coron, de Chryſorte : Eutnoque, de Cyrene, Milet, d’Atrie fille de Cleoche, ou d’Ægee, qui donna nom à la ville de Milet : Oaxe, & Arabe, deſquels l’Oaxie & l’Arabie ſont nommees : Garamas, Iſmenie, & Acrephe (duquel, Acrephe ville de Bœoce porte le nom) de Babylon. Il fut auſſi ſur le poinct de tirer vne fois quelque enfant de Caſtalie, mais elle fut tranſmuee en vne fontaine. D’auantage il eut Zeuxippe, de la Nymphe Syllis : Idmon, d’Aſterie : Syre, de Synope : Dryope, de Die, fille de Lycaon, Mopſe, de Manto, Tenare prophete & deuin : & Iſmen de Melie fille de l’Ocean : Orphee, Hymenee, & Ialeme, de Caliope : Delphe nombril de toute la terre.Delphe, d’Acachallis, qui donna nom à Del- phes qu’on appelle le nombril ou le milieu de toute la terre, enuoya deux Aigles egales en viſteſſe, l’vne vers le Leuant, l’autre vers le Couchant, & leur commanda de prendre leur volee tout droit & vis-àvis d’où elles partoient : & qu’eſtans en fin arriuees à Delphes, pour en eterniſer la memoire on y conſacra vn aigle d’or. Item il eut Philammon, de Chione. Il ayma mieux auſſi la vierge Rhode, du nom de laquelle l’Iſle de Rhodes a eſté nommee, & engendra Megaree, de qui la ville de Megare porte le nom. Mais pour n’eſtre trop long à nommer toutes les femmes dont on feint qu’il a laiſſé de ſa race il ſuffira de ſçauoir que Line, Philiſthene, Iame, Lapithe, Anie, Argee, Ilaire, Phſyche, Philemon, Pythaque, Garamanthe, Actoë, Branche, Nomie, Eurynome, Dore, Laodoque, Polypete, & pluſieurs autres furent enfans d’Apollon, pour le moins on le luy faict accroire : & Chius qu’il eut d’Anatheippe, qui nomma de ſon nom l’Iſle de Chio. Il ayma ſemblablement la Nymphe Boline, laquelle fuyant l’effort qu’il luy vouloit faire, ſe ietta dedans la plus prochaine mer, & de pitié qu’il en eut la rendit immortelle auprés du cap Drepan. De Penee, fils de l’Ocean & de Tethys, qui donna nom à la riuiere de Penee en Theſſalie, & de Creuſe, naſquirent Hypſee & Stilbé, de laquelle Apollon eut Lapithe & le Centaure. Lapithe eſpouſa Orſinome, de laquelle il eut Phorbas & Periphas, leſquels aprés la mort de leur pere, ſuccedans à ſa Couronne nommerent leurs ſujets Lapithes, du nom de leur pere. Or le plus habile & plus renommé de tous les enfans d’Apollon c’eſt Æſculape, lequel Iupiter fit mourir d’vn coup de foudre, pource que par l’art de Medecine, dont il auoit grande experience, il reſuſcitoit les morts. Cauſe du banniſſemẽt d’Apollon par Iupiter.Apollon indigné de telle iniure, ne la pouuant toutefois venger en la perſonne de Iupiter, tourna toute ſa cholere contre les Cyclopes qui auoient forgé la foudre à ce maiſtre des Dieux, & leur en faiſant porter la folle-enchere, les fit mourir à coups de traits. Dequoy Iupiter mal-content le chaſſa & bannit du ciel. Ce que nous apprend Orphee és Argenauchers :

De Phéres veint Admet : Phœbus luy fit ſeruice Comme il voulut jadis euiter la malice De Iupin choleré, pource qu’à coups de traicts Il auoit ſes forgeurs les Cyclopes defaits, Pour auoir martellé ſur l’enclume le foudre Qui ſon fils Æſculape auoit reduit en poudre.

Neantmoins quelques autres diſent qu’Apollon ne fit pas la guerre aux Cyclopes pour la mort d’Æſculape, mais bien pour celle de Phaëton, parce qu’ils auoient ſemblablement forgé le foudre dont il mourut. Quoy qu’il en ſoit, Apollon banny de la compagnie celeſte, rodant par le monde, fut aſſuietty aux calamitez humaines, teſmoin Lucian aux Dialogues des morts. Ce Dieu donc ſe voyant reduit en telle extremité que toutes choſes neceſſaires pour l’entretennement de cette vie luy manquoient, fut contraint de ſe loüer à Admet, Roy de Theſſalie pour mener aux paſtis ſes haras & ſes troupeaux. Les autres diſent qu’il luy fut donné pour le ſeruir ; & que pource qu’il garda ſes brebis il fut nommé Nomien & Agree : duquel Pindare parle és Pythiques :

Apollon le flambeau du monde, Dont l’eſclair & la treſſe blonde Reſiouyt les meilleurs amis, Qui toute ſon eſtude a mis A paiſtre ſes toiſons lainees.

Mercure larrõ dés le premier iour de ſa natiuité.On dit qu’Admet le prit en grande amitié aprés qu’il eut connu ſon bon & ſeruiable naturel & induſtrie, & luy porta tres-bonne affection. Les autres diſent qu’il gardoit les aumailles, & que Mercure le meſme iour qu’il naſquit les luy deſroba ſur le ſoir : teſmoin Homere en l’hymne de Mercure :

Mercur né le matin, ſur le midy ſe prend A ſonner de la harpe : & le ſoir entreprend De rauir cauteleux d’Apollon les aumailles.

Puis aprés comme il s’en plaignoit, taſchans de faire par menaces en ſorte que Mercure luy rendiſt ſes beſtes à corne qu’il luy auoit emblez, il luy deſroba auſſi ſon carquois, ce qu’aperceuant Apollon, il ne ſceut faire autre choſe que s’en rire, cõme dit Horace au 1. des Carmes :

Comme Apollon t’effrayoit par menace, Enfant, ſi pris les bœufs par ta fallace Tu ne rendois, il n’en ietta qu’vn ris Veuf de ſa trouſſe que tu pris.

Or combien que Pindare die qu’Apollon gardoit les brebis, Horace & autres, les aumailles ; Callimache toutefois en l’hymne du bain d’Apollon maintient qu’ils gardoient des Iumens, amoureux du ieune Admet :

Dés les iour que Phœbus eut la charge entrepriſe De garder les Iumens ſur la riue d’Amphryſe, Nous luy auons donné le nom de Nomien, Dieu iadis, mais pour lors faict paſtre terrien,

C’eſt pourquoy on le tint depuis pour Dieu des Bergers auec Palés, teſmoing Virgile en la 5. Eclogue :

—& Palés & Phœbus Ont auſsi triſtement quitté les champs herbus.

Et au troiſieſme des Georgiques :

Ie veux chanter, Palés, ton los que tant on priſe, Et ton nom exalter, ô grand paſtre d’Amphryſe.

Loup conſacré à Apollon.Le Loup luy eſtoit conſacré, pource qu’eſtant vn animal dommageable aux trouppeaux & haras, il ne fit neantmoins aucun mal à ceux d’Apollon. Mais i’oſerois bien croire qu’on ſacrifioit cet animal, ennemy des beſtes champeſtres au Dieu des trouppeaux, pour le meſme ſujet qu’on offroit la Truye à Cerés, & le Bouc à Bacchus. Les autres croyent qu’il luy ait eſté dedié à cauſe de ſa rapacité, pource qu’il demontre la rapacité de la chaleur, comme auſſi le corbeau luy eſtoit offert, pource qu’il preſagit la pluye & le beau temps, craillant quelquefois d’vne voix claire, quelquefois enroüee, ſelon que le temps change. D’autres auſſi diſent que le Loup fut conſacré à Apollon, qui eſt appellé la lumiere & le flambeau du monde, d’autant qu’il a l’œil tres-ſubtil & perſpicace. Au demeurant ce Dieu cy n’a pas eſté moins amoureux que ſon pere, mais peu heureux en ſes amours, ſelon qu’il s’en plaind à Mercure és Dialogues de Lucian, & comme nous verrons en ſuite : ayans eſté ſes mignons & celles dont il s’eſtoit enamouré, ou occis par luy imprudemment, ou conuertis en quelque nouuelle forme. Apollon meurtrier de ſon mignon Hyacinthe.Mais celuy qu’il regretta le plus, fut Hyacinthe, ieune adoleſcent, fils d’Oebale, natif d’Amycles au territoire de Lacedemone, de tres-noble maiſon, beau par excellence, gentil & honneſte, pour leſquelles qualitez il l’auoit pris en ſinguliere amitié, & prenoit plaiſir à luy montrer tout plein d’honneſtes exercices, comme tirer de l’arc, ſauter, courir, ietter la pierre ; ioüer de la lyre & harpe quand il ſe trouuoit las & haraſſé du trauail corporel. Or auoit Apollon vn nottable competiteur, Zephire, qui s’eſtoit pareillement amouraché d’Hyacinthe. Mais l’amour n’eſtoit pas reciproque : d’autant que Zephire par ſon ſouffler ne ceſſoit de l’importuner, luy faire voler de la poudre au viſage, ternir & haſler ſon beau teint, abatre ſa guirlande, emmeſler ſes paſſefillons, defraizer ſon goderon ; ſans receuoir autre commodité de luy, ſinon quelque fraiſche halene quãd la chaleur le trauailloit outre meſure. Zephyre donc voyãt que nonobſtant les promeſſes qu’il luy faiſoit de le rendre Monarque de toutes les plus ſouëfues & delicates fleurs du Prim-temps, il ne le pouuoit induire à ſon amour, ſe delibera d’empeſcher que ſon riual ne ioüiſt longuement de ce qu’il aymoit ſi fort. Aucuns prennent abuſiuement le Diſque des Grecs pour le ieu de palet.Et de fait les eſpia ſi bien qu’il les deſcouurit vn iour comme ils s’exerçoient eux deux à ietter la pierre auprés d’Amycles, & pour accomplir ſon deſſein, ſe tapit derriere vn tertre proche de là, d’où il deſgorgea vne groſſe & forte bouffee de vent ſur la pierre d’Apollon, & la deſtourna droit ſur la teſte du Iouuenceau, dont il tumba roide mort ſur la place, ſans que luy ſurintendant de la medecine y peuſt arriuer à temps pour le ſecourir. La terre deſlors pour memoire d’vn ſi deplorable accident, & du regret qu’Apollon en portoit, produiſit du ſang eſpanché de la playe, vne fleur de couleur de pourpre, qu’on appelle communément Va- ciet ou Oignon ſauuage ; qui s’eſpanoüit dés l’entree du Prim-temps, & a certaines veines obſcures qui forment aſſez paſſablement ces deux lettres Grecques αι, leſquelles iointes enſemble font vne dictiõ plaintifue, qui ſignifie ce que nous diſons Helas, comme deſplorant encore le deſaſtre du ieune mignon. Au demeurant les Poëtes diſent cette fleur auoir eſté auſſi produite du ſang d’Aiax Telamonien qui ſe tua deuant Troye. Hyacinthe depuis ſa mort fut tenu en fort grand’ reuerence ; & les Amycleens chommerent certains iours de l’annee en ſon honneur, qui furent nommez la feſte des Hyacinthies, en laquelle ſe faiſoient des Sacrifices ſolemnels à Apollon & Hyacinthe coniointement. Les Lacedemoniens auſſi (dit Athenee au 4. liure des Dipnoſophiſtes, cha. 4.) celebroient trois iours durant les ſacrifices d’Hyacinthe, eſquels à cauſe de l’ennuy que ſa mort leur apporta, ils ne ſe couronnoient point au ſoupper, de chappeaux de fleurs, & n’y ſeruoient aucun pain ; mais ſeulement quelque deſſert, & viandes legeres : ſans chanter aucuns hymnes, ny faire les ceremonies accouſtumees és autres ſolemnitez ; ains en deſpartoient my-ſouppez, tous mornes & dolens. Les autres diſent que ce fut pour vne conſpiration faite contre Iupiter, pour la querelle il fut banni du Ciel. Voiez le c. de Neptun, au 7. liure.Pour cette cauſe Apollon craignant l’indignation des parens d’Hyacinthe, outré d’ailleurs de dueil, s’enfuit de Sparte, & ſe retira à Troye par-deuers le Roy Laomedon, qui d’auenture faiſoit pour lors baſtir les murailles de Troye : luy & Neptun, auſſi neceſſiteux & en pareille peine, ſe loüerent à la iournee, & ſe mirent aux gages de Laomedon pour gaigner leur vie à faire de la brique, & autre œuures de maçonnerie. Toutefois ils ne receurent pas les gages que ce Phrygien leur auoit promis. Mais Ouide en l’epiſtre de Pâris, dit que les murailles de Troye ne furent pas faites de la main d’Apollon, ouy bien au ſon de ſa harpe, de laquelle ioüant les pierres s’agençoient d’elles-meſmes en leur place. Oœuures ſeruiles d’Apollõ.Cependant ce ne fut pas ſeulement aux murailles de Troye qu’Apollon mania le marteau, la truelle & le mortier, car il ayda auſſi à Alcathe à faire celles du Labyrinthe, ſelon le teſmoignage de Pauſanias és Attiques, ſuyuant l’auis de tous ceux de Megare : où l’on faiſoit feſte d’vne pierre ſur laquelle Apollon poſa fa harpe quand il ſe mit en beſongne : laquelle pierre ſi l’on venoit à la heurter d’vn caillou, ſouloit rendre vn ſon de harpe qui duroit quelque peu de temps. Quelques hiſtoires diſent qu’Apollon fut Roy des Arcadiẽs ; & qu’ils le chaſſerent pource qu’il les traitoit mal & qu’ainſi au lieu qu’il auoit accouſtumé de viure à la Royale auec vne dignité ſouueraine, voyant ſon eſtat autant abaiſſé que s’il fuſt tumbé du ciel en terre, ſe retira en Theſſalie vers le Roy Admet, qui luy permit par courtoiſie de regner ſur les peuples habitans au tour de la riuiere d’Amphryſe. Coniecture vrayſemblable.Et pource qu’anciennemẽt les Roys & gouuerneurs des Prouinces s’appelloient Paſteurs, voila pourquoy l’on a dict qu’il auoit gardé les troupeaux d’Admet autour d’Amphryſe : Inſtruction aux Princes.& par ce nom de Paſteurs les Princes & Seigneurs de ce bon temps ne ſe dedaignoient point de s’accomparer aux paſtres ; d’autant que les anciens ne pourchaſſoient pas moins le proufit & ſoulagement de leurs ſubjets, que les paſtres de leurs oüailles, ou les peres de leurs enfans. C’eſt pourquoy Homere ſuiuant cette bonne & ancienne couſtume appelle les Roys & les Princes des nations, Paſteurs des peuples. Puis donc que ce tiltre & qualité procedoit de l’imitation des paſtres, c’eſt ce qui a dõné lieu à la Fable. Herodote en ſon Euterpe teſmoigne que tous ceux que les Egyptiens ont receus pour Dieux, ont regné en Egypte ; & que le dernier d’iceux qui y regna fut Ore fils d’Oſiris, que les Grecs ont appellé Apollon. Car Oſiris eſt le meſme que Bacchus, comme il a eſté dict. Au reſte Apollon gardant les troupeaux d’Admet, & s’ennuyant de ſe voir oiſif, inuenta la harpe, que les Grecs appellent cithare, ce qui monſtre que la harpe & la lyre ſont inſtrumens diuers, puis qu’Apollon eſt autheur de l’vn, & Mercure de l’autre, comme nous dirons en la fable de Mercure. On dit auſſi qu’il fut inuenteur de la muſique & des propheties & deuinemẽs ; luy-meſme s’en vante en Ouide au 1. des Metamorphoſes, parlant à Daphné :

C’eſt moy Nymphe, c’eſt moy qui donne connoiſſance De ce qui eſt, qui fut, & qui aura naiſſance : Moy qui fais correſpondre & conſoner les vers Par concert melodic à l’inſtrument à ners.

Linus occis par Apollon.C’eſt pourquoy l’on a creu que les Muſes eſtoient en ſa protection & tutelle, deſquelles on le reputoit chef & pere. Il ayma pareillement Cypariſſe tres-beau ieune garcon, fils de Telephe, natif de l’Iſle de Cee ; lequel ayant vn iour tué par meſgarde vn Cerf priué qu’il aimoit extremément, en eut tant de regret qu’il deuint en chartre : ſi que finalement il fut par miſericorde d’Apollon tranſmué en cet arbre que de ſon nom nous appellons Cyprez. Toutefois d’autres veulent dire que Cypariſſe fut mignon, non d’Apollon, mais pluſtoſt de Syluain, Dieu des montagnes, & des foreſts. On a voulu dire que Line eſtoit fils d’Amphimar fils de Neptun, & d’Vranie ; lequel ſurpaſſant tous les hommes de ſon temps en l’art de muſique, tant de voix que d’inſtrumens, oſa bien ſe parangonner à Apollon, qui pour cette cauſe le fit mourir : & deuant que ſacrifier aux Muſes on celebroit ſes obſeques & funerailles. Il y a eu auſſi vn Line fils d’Apollon & de Terpſichore : ou bien, ſelon l’auis d’aucuns, de Mercure & d’Vranie, qu’Hercule tua de ſa harpe, duquel ont eſté diſciples Thamyras, Orphee & Hercule. Il eſtoit de Thebes, braue Poëte, & auoit fait vn liure de la creation du monde, au cõmencement duquel il diſoit que toutes choſes auoyent eſté creés toutes enſemble : il auoit auſſi eſcrit du cours du Soleil & de la Lune, & de la generation des animaux. Dion en ſa troiſieſme compoſition dit qu’il y eut encore vn autre Line fils d’Apollon & de la Nymphe Pſammate, fille ſelon les vns, & ſelon les autres niepce ou petite fille de Crotope : elle eſtant accouchee d’vn fils prés de la riuiere de Nemee, qu’elle auoit fait à la deſrobee, le nomma Line, qui en vieil langage Argiue vaut autant à dire que baſtard. Toutefois d’autres diſent qu’elle craignant Apollon, l’abandonna aux chiens, qui le mangerent : les autres veulent dire que cela auint par la faute d’vn paſtre à qui elle l’auoit donné pour le nourrir. Il y a eu encore vn autre Line, qui a le premier compoſé en vers elegiaques des lamentations & regrets, duquel a fait mention l’Hiſtorien Philarque. Oliuier conſacré à Apollon.L’Oliuier entre les arbres eſtoit conſacré à Apollon, pource qu’il eſtoit né auprés d’vn Oliuier & d’vne palme, ſelon l’opinion de quelque-vns : mais ie croy que c’eſt d’autant que telle plante ayme fort le Soleil, & ne vient point en lieux froids. Theocrite teſmoigne en l’Hercule tuëlyon, qu’il luy ait eſté ſacré, diſant :

L’oliuier verdoyant au ſain paſtre d’Amphryſe Eſt conſacré lequel plus que tout autre il priſe.

Diuers animaux conſacrez aux Dieux.Et pource que la muſique eſtoit de l’inuention d’Apollon, on tient que la Cigale, animal qui pour ſa petiteſſe a la voix fort eſclatante & ayme à chanter, luy eſtoit dedié, & le poiſſon nommé Fidicula, comme le Tape-con (ou Rape-con) à Mercure. (quelques-vns tiennent que c’eſt celuy qu’en Prouence & Lãguedoc on appelle Bogue, du Latin Boca) le Barbeau ou Surmulet (aucuns l’appellent Moil & & Perdrix de mer) à Hecate & Diane : la Nadele ou Melete à Venus : le Veau marin à Bacchus : celuy que ceux de Marſeille appellent Pampale, d’vn nom corrompu du Latin Pompilius, & les poules à coquilles, à Neptun. Les Atheniens le tenoient pour leur patron & defenſeur de la ville, & meſmes en faueur de luy, ils prenoient peine d’entretenir vne belle & grand’ perruque, treſſee auec des rubãs d’or & d’argent, qui ſe venoient rendre & recueillir à vne Cigale d’orfaiurerie, cõme dit Lucian en ſon Carraquon aprés Thucidide & l’expoſiteur d’Ariſtophane, couſtume inſtituee auſſi pour faire diſtinctiõ de ceux de franche & libre condition, qui eſtoient auec ce, naturels & originaires du pays d’Attique, d’auec les eſclaues & eſtrangers : pource que les Cigales ne ſont point paſſageres, & ne viennent iamais d’ailleurs, ains naiſſent, viuent & meurent en vn meſme lieu. Ce Dieu-cy fut en grand credit à cauſe de l’art de prophetiſer, pour lequel preſque toutes les nations du monde luy faiſoient plus d’honneur qu’à aucun autre Dieu. Entre les plus celebres lieux & oratoires où il donnoit reſponſe à ceux qui alloient à luy au conſeil, fut celuy de Delphes, qui eut long-tẽps la vogue. Hiſtoire du tripied.Lucian au Dialogue de l’Aſtrologie, dit qu’il y auoit à Delphes vne fille qui faiſoit profeſſion de deuiner : neantmoins ſous le tripied d’Apollon il y auoit vn Dragon qu’on oyoit bruire. Quelques-vns ont voulu dire qu’Apollon auoit appris de Pan la ſcience de deuiner, & entre autres Apollodore au premier liure. Apollon ayant appris l’art de prophetiſer de Pan fils de Iupiter & de la Nymphe Timbre, s’en alla à Delphes lors que Themis donnoit les reſponſes. Mais comme le Serpent Python le voulut empeſcher d’entrer dedans le ſanctuaire de l’Oracle, il le tua, & par ce moyen demeura maiſtre dudit Oracle. Car, ſelon que nous ont appris quelques anciens autheurs, il y auoit vn tripied d’or auec vn Dragon ou Serpent, en vn ſecret oratoire du Temple d’Apollon Delphique, où peu de gens entroient, & de là ſe donnoient les reſponſes ; pour cette cauſe le tripied luy fut conſacré. Plutarque en la vie de Solon dit que quelques peſcheurs de l’iſle de Co, ayans ietté leur filé en mer, il ſe trouua là certains paſſans Mileſiens qui achepterent la peſche & trait du filé auant qu’il fuſt tiré : mais quand on vint à le tirer, il ſe trouua vn tripied d’or maſſif attaché au filé, lequel on dit qu’Helene en s’en retournant de Troye auoit ietté en cet endroit par le commandement d’vn Oracle. Si y eut querelle pour le tripied, premierement entre les peſcheurs & les eſtrangers de Milet à qui l’auroit : mais puis aprés les villes meſmes eſpouſerẽt la querelle de leurs gens reſpectiuement, laquelle euſt procedé iuſques à guerre ouuerte, n’euſt eſté qu’eſtans allez au conſeil vers l’Oracle, la prophetiſſe Pythie leur rendit vne meſme reſponſe à toutes les deux, Qu’elles donnaſſent ce tripied au plus ſage qui ſe pourroit trouuer au monde. Ainſi fut premierement enuoyé à Thalés en la ville de Milet, cedans volontairement ceux de Co à vn particulier. C’eſt pourquoy ils auoient guerre contre toute vne communauté. Thalés declara qu’il eſtimoit Bias plus ſage que luy, & luy fut enuoyé : cettuy-cy derechef le renuoya à vn autre cõme plus ſage que luy, & l’autre encore à vn autre ; de ſorte qu’ayant ainſi tournoyé & paſſé en tour par les mains des ſept Sages de Grece, il retourna en fin pour la ſeconde fois entre les mains de Thalez en la cité de Milet, qui fit reſponſe qu’il le faloit porter à Thebes, & le dedier au Temple d’Apollon, ſurnommé Iſmenien. Toutefois Theophraſte eſcrit qu’il fut premierement enuoyé en la ville de Priene à Bias, puis à Thalez Mileſien par la ceſſion de Bias ; & qu’eſtant ainſi paſſé par les mains de tous, il retourna encore à la fin entre les mains de Baias, & que finalement il fut conſacré au Temple d’Apollon Delphique en la ville de Delphe. Voila comment l’eſcrit la pluſpart des Anciens autheurs ; ſinon que les vns diſent que c’eſtoit vn vaſe que Bathycles (homme riche, mais fort mechanique, qui n’eſtoit bon que pour luy, & qui, comme on dit communément, mangeoit ſon bien dans vne poche) y conſacra. Homere au 23. liure de l’Iliade dit que le tripied eſtoit vn vaſe ou d’airin ou d’or, ſouſtenu de trois pieds ; & auoit des anſes ou des oreilles par où l’on la prenoit ; deſquels vaſes on ſe ſeruoit és ſacrifices : & les vns ſe gardoiẽt ſans qu’on leur fit ſentir le feu, & s’appelloient tripieds offerts ou diſpoſez, faits ſelon la forme cy-deſſus deſcrite : les autres qu’on mettoit ſur le feu, & deſquels on ſe ſeruoit és ſacrez ſeruices, s’appelloient tripieds à feu. Quelques-vns diſent que les tripieds eſtoiẽt ttables au temple d’Apollon Delphique, ſur leſquelles les Phœbades prophetiſſes ſe couchoient, & rendoient reſponſe à ceux qui ſe conſeilloient à l’Oracle ; leſquelles ttables on appelloit auſſi Cortines, ainſi dictes du cuir ou peau de Pithon, dont le tripied Delphique eſtoit couuert. Les autres ayment mieux dire que la cortine fuſt vn vaſe à trois pieds, dedans lequel la prophetiſſe Phœbas ſe plongeoit quand elle vouloit prophetiſer. Les autres encore adjouſtent que c’eſtoit vne ſelle à trois pieds, ſur laquelle elle ſe ſeoit pour prononcer les arreſts de l’Oracle. Ce que Calimache ſemble atteſter au baing de Diane, diſant :

Ie n’auois encor ſoin de la ſelle à trois pieds.

D’autres auſſi diſent que c’eſtoit vn vaiſſeau plein de poudres. Strabon appelle cette caue ou cauerne profonde, domicile diuin.

De la Prophetiſſe Pythique.Au regard de la Prophetiſſe, c’eſtoit du commencement vne fille de village, niaiſe, idiote, ſans lettres ne ſcience, ſans connoiſſance d’aucuns affaires : afin que le Demon qui ſe ſeruoit de ſon corps comme d’vne organe & inſtrument, ne la trouuaſt preoccupee d’aucunes penſees, & que les imaginations qui luy ſeroient ſuggerees de dehors, fuſſent par elle plus fortement apprehendees, eſtant vuide de tous penſers & autres choſes qui euſſent peu diuertir l’inſinuation de l’Oracle. Il faloit qu’elle fuſt Vierge, & que tandis qu’elle ſeroit en office elle s’abſtint de toute compagnie humaine, ſans communiquer à perſonne ſinon aux Preſtres & miniſtres ordinaires. Mais depuis qu’Echecrates eut violé l’vne de ces deuotes, on commit à cette charge vne femme tirant deſia ſur l’aage : toutefois en habit de fille. Elles eſtoient deux, & quelquesfois trois, ſe relayans l’vne l’autre, à cauſe du grãd abord de peuple qui de toutes parts venoit à l’Oracle, & ſouuent ſans remporter reſponſe. Car on obſeruoit ſoigneuſement la contenance des offrandes qu’on vouloit immoler, & ſi elles ne fremiſſoient de tout le corps quand on les arrouſoit de vin & d’autres effuſions accouſtumees, la Pythie ne ſe preſentoit point au cauain, & ne montoit point ſur le trepied. Auint vne fois qu’on en vouloit preſſer vne mal à propos : mais l’eſprit importuné ſe fourra dans elle en ſi grande abondance, qu’outre ce qu’on n’en tira reſponſe aucune, elle expira bien-toſt aprés. Or pour conceuoir l’eſprit prophetic, elle ſe trouſſoit & s’aſſeoit ſur le tripied eſleué deſſus la bouche du puits, comme ſur vne chaize percee : & le Demon luy entroit par ſa nature, & de là s’eſpanchoit par tout ſon corps, luy rempliſſant le cerueau de fureur deuinereſſe ; ſi que deſcheuelee en Bacchante, & comme hors du ſens, eſcumant par la bouche, elle debagouloit certaines paroles confuſes, que les miniſtres aſſiſtans recueilloient du mieux qu’ils pouuoient, puis les digeroient par ordre ; tantoſt en vers, tantoſt en proſe : & ainſi ſatisfaiſoient à ceux qui en bõne deuotion attendoient reſponſe à leurs demandes. Arbres ſacrez à ApollonMuſee au 3. liure eſcrit que le Geneure, arbre picquant, fut dedié à Apollon, & le Laurier auſſi, d’autant que la Nymphe Daphné, qu’Apollon ayma tant, fut changee en Laurier comme elle s’enfuyoit deuant luy, pource qu’elle aymoit mieux Leucippe, beau ieune homme, ſans barbe, & qui auoit beaucoup de valeur. Leucippe mignõ de Daphné maſſacré par les compagnes d’elle.On dit que Leucippe à la ſolicitation d’Apollon, qui luy enuioit l’heur d’eſtre aymé de Daphné, s’habilla en fille, & ſe trouuant en la compagnie des autres filles, elles l’inuiterent à ſe baigner auec elles en la riuiere de Ladon : ce qu’il refuſa de faire, s’en excuſant le plus qu’il peut, mais en fin elles l’entrainerent, & le firent deſpoüiller, & par ce moyen les compagnes de Daphné deſcouurans qu’il s’eſtoit deſguiſé, le firent mourir à coups de traits & de poignards. Qualitez du Laurier.Or le Laurier n’eſtoit pas ſeulement dedié à Apollon pour la transformation de Daphné fille de Ladon en Laurier, comme teſmoigne Ouide au 1. des Metamorphoſes : mais auſſi pource qu’il conuient fort bien à la nature de ce Dieu, veu que cet arbre eſt d’vne complexion chaude, les fueilles & fruit duquel ſechent & eſchauffent fort, & ſur tout le fruit plus que les fueilles. Pour cette meſme raiſon l’effigie de la Lune tenoit en vne main vne branche de Laurier, demontrant qu’elle receuoit ſa chaleur & lumiere du Soleil. Ceſt le ſeul arbre que la foudre ne touche point : & pourtant on le qualifie du nom de chaſſe-mal : & & ne craint pas beaucoup la rigueur de l’hyuer, ains verdoye touſjours, & ne ſe montre iamais vieil : ſon odeur eſt propre pour éuiter la peſtilence, comme dit Herodian ; & ſert meſme aux deuinemens, car on dit que les fueilles de Laurier miſes ſous le cheuet ou couſſin de ceux qui dorment, leur font ſonger des ſonges dont l’effect ſe trouue verittable. On faiſoit des couronnes & des chapeaux de cet arbre que l’on pendoit és temples d’Apollon, & les Poëtes en eſtoient couronnez. Et diſoit-on qu’ils viuoient de fueilles de Laurier, d’autant que dénonçans quelque bon preſage ou ſuccez aux perſonnes, ils en remportoient des preſens par leſquels ils fourniſſoient à leur deſpenſe & autres choſes neceſſaires à leur entretennement. Nicandre Ætolien qui a fait les Alexipharmaques, & a eſté Preſtre d’Apollon. Clarien dit que le Laurier fut premierement trouué en Theſſalie, auprés des beaux & plaiſans vergers de Tempe. Les deuinemens d’Apollon Iſmenien ne ſe faiſoient pas par reſponſes ou par auis, mais par les animaux qu’on bruſloit, les Preſtres deuinoient ce qui deuoit auenir. Dauantage les Mages & Scythes deuinoient par le Tamarin, & par pluſieurs autres tiges & verges de petits arbriſſeaux, laquelle façon de deuiner, Dion au 1. liure de la 3. compoſition dit que les Medes prattiquoient ; comme les Iamides deuinoient par les peaux des beſtes ſacrifiees ; ſi elles ſe couppoient bien, encore qu’autrement la couſtume fuſt de deuiner par garignons (oſſelets qu’on trouue au bout du manche d’vne eſclanche de mouton, deſquels on iouë en lieu de dez.) Le ſurnom de Myriceen que les Lesbiens donnerent à Apollon, nous fait croire qu’on deuinoit auſſi en l’iſle de Lesbos auec du bois de Tamarin, prenans la myrica pour Tamarin. Dauantage Archee a laiſſé par eſcrit en l’hiſtoire qu’il a faict d’Archeanatis & de la guerre Erythreenne, qu’Apollon apparut vne fois à Archage, chef & Colonel de l’armee, portant vne branche de Tamarin, & pour tel ſujet on eſtima que cette plante fuſt agreable à Apollon. Grande & nottable conoiſſance naturelle de quelques anciens.Qui plus eſt, on tient que le Tamarin eſt vne plante bien ancienne, de laquelle les Egyptiẽs ſe couronnoient durant la feſte de Iupiter, ainſi qu’auoit eſcrit Metrodore en vn certain liure qu’il auoit faict de la couſtume. Nicandre en ſes Theriaques le touche auſſi. On dit que Democrite n’auoit pas ſeulement l’intelligence des augures ordinaires, mais auſſi qu’il ſouloit nommer certains oyſeaux par leur nom, deſquels ſi on meſloit le sãg l’vn parmy l’autre, il en naiſſoit vne couleuure, & que ſi quelqu’vn en mangeoit, il pouuoit entendre le iargon de tous les oyſeaux. Auſſi dit-on qu’on vid vn iour quelques couleuures leſchans les oreilles de Melampe, & que depuis il entendit ce que vouloyẽt dire les oyſeaux par leur gazoüillement. On nous cõte auſſi d’Apolloine de Tyane en Cappadoce, qu’il connoiſſoit fort bien les conceptions des oyſeaux, & qu’à les ouyr caqueter il entendoit incontinent ce qu’ils vouloient ſignifier : que meſme voyant vn iour des Moineaux s’eſgayans, il dit en preſence de beaucoup de gens, qu’ils faiſoient entendre aux autres leurs compagnons, qu’vn aſne tumbant auoit rompu & creué vn ſac tout plein de mil, & qu’il y auoit dequoy ſe bien gorger. Ce que ceux-cy trouuans eſtrange, quelques-vns d’entre-eux coururent voir s’il eſtoit vray, & trouuerent qu’Apolloine auoit bien deuiné. Les anciens Romains firent tant d’eſtat de cette maniere de deuiner, que la rapportans aux liures des Sibylles, & aux entrailles par leſquelles les Toſcans deuinoient, & aux augures & ſignes du Ciel, ils abolirent toutes autres diuinations. Pluſieurs manieres de deuiner, par leſquelles le ſimple peuple eſtoit abuſé.Or les anciens en pratiquoyent beaucoup de diuerſes ſortes ; car le vol des oyſeaux, ou l’obſeruation des dances, ou les augures, deſquels Charas fut inuenteur, ou l’aſpect & regard des oyſeaux, ou les entrailles des beſtes ſacrifiees, ou les ſignes du Ciel, ou les prodiges, ou les monſtres, ou les reſponſes & auis des Dieux, ou les ſonges, ou les aſtres, ou l’eau, ou le feu, ou les morts en ſomme, ou telles autres manieres de deuiner qu’il n’eſt beſoin d’alleguer icy, prediſoient ce qui deuoit auenir, ſelon que la fantaiſie de ceux qui en faiſoient profeſſion, le leur ſuggeroit. Orphee és Argo-Nochers en deſcrit vne partie :

Quant à l’art des deuins, i’ay fait apprentiſſage De beaucoup de ſecrets pour ſçauoir le preſage Des beſtes, des oyſeaux, & comme il faut trouuer Leurs inteſtins aßis pour l’augure approuuer. Ce que l’eſprit humain inueſty de maint ſonge Nous montre ſommeillant de vray ou de menſonge Comme diſſoudre on peut les prodiges monſtrueux, Que c’eſt que preſagit le cours des feux aſtreux.

Virgile auſſi en la 3. Eclogue en nomme quelques-vns.

O né du ſang Troyen, des Dieux ſaint Truchement Qui connois d’Apollon le ſecret mouuement, Qui ſes diuins tripieds & les lauriers de Clare, Qui les aſtres & chant des oyſeaux nous declare, Et du pennage ailé les preſages mal ſeurs.

Calchas & Mopſe grands deuins.Ce n’eſt donc pas ſans cauſe que les deuins & prediſeurs des choſes auenir ſont eſtimez fils d’Apollon, veu que Theſtor, pere de Calchas, eut le bruit d’eſtre fils d’Apollon & d’Aglaïe : & Mopſe auſſi eut la reputation d’eſtre fils d’Apollon & de Mantho ; & ledit Calchas ſe voyant vaincu par Mopſe en l’art de deuiner, mourut de regret. Car on dit que l’Oracle luy auoit donné auis qu’il mourroit quand il auroit trouué vn deuin qui fuſt plus habile & plus experimenté qu’il n’eſtoit : & comme aprés la deſtruction de Troye il s’en alloit à Colophon (ville d’Ionie, où il y auoit vn nottable Oracle d’Apollon) auec Amphiloche, (ou ſelon d’autres Antiloche) Perolype, Leonte, & autres Capitaines, il rencontra ledit Mopſe. Ces deux-cy entrans en diſcours touchant vn figuier ſauuage, ſçauoir-mon combien il auoit de figues, Calchas confus & muet, Mopſe reſpondit, dix mille, vne mine, & vne figue d’abondant. Et pour en voir la preuue, les figues furent contees ; & trouua-on que le nombre predit y eſtoit. Puis derechef, Calchas interrogé à propos d’vne Truie preigne qui paſſoit, combien elle auoit de cochons dans le ventre, & quand elle deuoit cochonner, & de quel poil ils ſeroyent : il ne ſceut que reſpondre. Mais Mopſe dit qu’elle en portoit dix, qu’entre les dix il n’y en auoit qu’vn maſle ; qu’elle cochonneroit le lendemain ſur le huict heures ; que le maſle ſeroit tout noir, & que trois des femelles ſeroient trauerſees d’vne ligne blanche ſur les eſpaules ; deux des autres auroient le groin blanc iuſques aux yeux, & les autres les cuiſſes de derriere du coſté gauche blanches depuis les ergots iuſques aux genouls. Calchas meurt de regret.Ce qu’ayant eſté verifié le lendemain,. Calchas en mourut d’ennuy & de faſcherie. Cependant il ne faut point faire d’eſtat de ces deuinemens, non plus que de choſe de neant, pleine de vanité & de tromperie ; ſur tout de ceux qui ſe font par phyſionomie, oſſelets, cercles, terre, crible, feu, baſſin, eau, main, fromage, & rappel des morts. Neantmoins les oracles n’ont pas laiſſé de predire & d’exprimer quelquefois la verité, comme ne pouuans pas touſiours tromper les hommes : comme auſſi les Sibylles ont eſté trouuees verittables en beaucoup de choſes : & meſme Apollon a fort bien annoncé la mort de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt, & la Sibylle pluſieurs poincts cõcernans ſa venuë, ſa natiuité & ſes miracles qu’il deuoit faire deuant ſa mort & paſſion. Voicy ce qu’en dit Apollon :

Sa chair eſtoit mortelle, et ſa vertu diuine. Mais il fut priſonnier par enuie maline Des Iuges Chaldeens, en croix pendu, cloüé, Et par leurs gens armez à dure mort voüé.

Et la Sibylle parlant de ſes miracles :

—les corps morts reuiuront, Les boiteux eshanchez d’vn pas droit marcheront, Les ſourds entendront clair : ceux qui n’auoient l’vſage Des yeux enueloppez d’vn aveuglé nuage, Ils verront le Soleil : des muets ſans parler, Des propos bien formez la langue battra l’air.

Or il n’y auoit que deux Dieux ſeulement auſquels on alloit au conſeil, Iupiter & Apollon ; & Apollon receuoit premierement les reſponſes de Iupiter, puis en faiſoit part à ceux qui les demandoient : combien que Diodore Sicilien die qu’Apollon apprit de ſa mere la maniere de deuiner, & l’art de medecine ; car celuy que les Egyptiens appellent Orus, c’eſt celuy meſme que les Grecs nomment Apollon : joint que Iſis ou Cerés, ſelon l’opinion de quelques-vns, trouua beaucoup de receptes commodes à la ſanté de l’homme, & la plus grande partie de la medecine empirique. Au demeurant les Grecs ont ſurnommé Apollon Amœbee, pource qu’au lieu que Neptun eſtoit premierement adoré à Delphes, & Apollon en la Calabre, ils changerent de place reſpectiuement. Pourquoy le Cygne fut dedié à Apollon.Le Cygne luy fut auſſi dedié, d’autant qu’il deuine & predit le temps de ſa mort, & chante comme de ioye quand il la ſent approcher, comme s’il apperceuoit le comble de felicité qu’on trouue en la mort, ou pour le moins la quantité des miſeres & calamitez dont il s’exempte quittant auec ioye cette vie : & penſoit-on qu’ils receuſſent d’Apollon cette connoiſſance. C’eſt ce que Ciceron nous apprend en la premiere diſpute Tuſculane. Temple Delphique.Quant aux Temples d’Apollon, le plus riche & magnifique qu’il euſt eſtoit celuy de Delphes ; & de fait Crœſus, tant renommé pour ſon extreme richeſſe, luy fit vne fois preſent de mille briques d’or pour en faire vn Autel d’or maſſif à Apollon. Pluſieurs autres auſſi tant Roys qu’Empereurs luy firent de belles & riches donations de ttableaux, tapiſſeries & autres choſes exquiſes. Voyez cy deſſus liu. 1 c. 16 ce qui fait à ce propos pris de Callimache.Apollon auoit auſſi la reputation de bien decorer vne fleche & en atteindre ce qu’il vouloit : d’auoir le don & ſcience de gueriſon, de cognoiſtre les herbes & leur vſage, comme il s’en vante au premier des Metamorphoſes.

Au reſte Calimachus ſuiuant l’opinion des Anciens feind que la chauſſure de ce Dieu & preſque tout ſon equipage eſtoit d’or : & qu’il eſtoit touſiours ieune, ſans iamais decliner d’aage, ny ietter aucun poil de barbe, non pas meſme le poil qu’on appelle follet.

Ce qu’a Phœbus n’eſt qu’or ; ſa robe, ſon agrafe Qui deſſous le menton decentement l’agrafe Sa lyre, ſon archet, ſes chordes, ſon carquois, Ses traits dont il abat maint monſtre és champs & bois. Ses ſouliers ſont d’or fin ; car Phœbus en dorure Eſt riche extremément, & propre en ſa parure. Il eſt fort et puiſſant ; teſmoin en ſoit Python : Touſiours beau, touſiours ieune, & iamais ſans menton Ne bourgeonne de poil tant que meſme vne femme. Il brille d’vn eſclair qui tout le monde enflamme.

Apollon pourquoy ſurnommé Pythien.Homere en l’hymne d’Apollon dit qu’il fut ſurnommé Pythien pour auoir tué à coups de traits le Geant Typhon, qui puis-aprés corrompu & putrefié par la chaleur du Soleil, luy fit donner ce ſurnom ; car le mot de Pythien vient de pytheſthai, qui ſignifie pourrir. Les Anciens nous content que ce Typhon naſquit de la terre par vn coup de poing que Iunon luy bailla, Liure 6. c. 22.comme nous verrons ailleurs plus à plain : neantmoins autres diſent que ce fut le Serpent Python, non pas Typhon. Ce Serpent Python fut tué prés du fleuue de Cephiſe, qui coule au pied du Mont Parnaſſe, comme dit Denys au liure de la ſituation du monde. Ieux inſtituez en l’honneur d’Apollon.Ouide au 1. des Metamorphoſes eſcrit qu’on ordonna certains ieux & esbattemens nommez Pythiens en l’honneur d’Apollon, non pource que ce Typhon ſe fuſt ainſi pourry, mais bien à cauſe de la mort de Python. Ces jeux ou jouſtes ſe faiſoient ſur le printemps par tous les habitans des iſles Cyclades. Toutes les iſles auſſi, ſituees autour celle de Delos, ordonnerent tels jeux pour l’amour de la ſuſdite victoire d’Apollon. Toutesfois Pauſanias és Corinthiaques eſcrit que Diomede au retour de Troye, deliuré de la tempeſte qui faillit à perdre tous les Grecs reuenans du ſiege & deſtruction de ladite ville, conſacra dans Trœzene vn temple à Apollon ſurnommé Bouttefeu, & inſtitua les jeux Pythiens à ſon honneur. En tels jeux la couſtume eſtoit dés longue-main, de chanter en l’honneur d’Apollon, le plus beau & le plus gentil hymne de tous ceux qu’on preſentoit, puis apres on vint à les chanter ſur la harpe & ſur tels autres inſtrumens de muſique, auec prix d’argent propoſé à tous les vainqueurs : mais l’annee que les Amphictyons furent Iuges & Preſidens en ces ieux, ils en retrancherent le ieu des fluſtes & haultsbois, parce qu’ils y apportoient ie ne ſçay quoy de malplaiſant & triſte, attendu que les elegies & lamentations funebres eſtoyent propres à tels inſtrumens : & abolirent le prix qui ſe bailloit en argent, le conuertiſſans en couronne & guirlandes. Quant aux iouſtes & exercices de ces ſpectacles, ils eſtoyent tous tels qu’és Olympiques, excepté que les chariots à quatre cheuaux n’y eſtoient pas receus. Puis-apres on y adiouſta la courſe à cheual, & en armes, & peu aprés les chariots à deux Cheuaux : & à diuerſes fois & ſaiſons on en introduiſit d’autres tirez par deux Poullains non-dreſſez, & meſme par vn ſeul. Ouide au 1. liure des Metam. fait mention de quelques exercices vſitez en telles ſolennitez :

Quiconque en ces ieux là d’adreſſe meritoire Entre les ieune gens emportoit la victoire Faiſant à coups de poing, à la courſe, & außi Deſſus vn chariot : il auoit pour cecy Vn beau chappeau de cheſne au verdoyant fueillage. Le Laurier n’eſtoit pas encores en vſage : Meſm’Apollon preſent ſa teſte couronnoit De treſſes de rameaux qu’aux arbres on prenoit.

Car deſlors meſme que Theſee reuint de Candie, apres auoir inſtitué ces ieux à Delos, on ſouloit couronner de Palme les vainqueurs. Mais depuis on changea par pluſieurs fois leurs chappeaux & guirlandes ; toutesfois on retint vne partie de cette ancienne mode, & tous les vainqueurs, quelque part qu’ils fuſſent, portoient en main vne branche de Palme, teſmoin Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie. Le chappeau de Laurier eſtoit la particuliere couronne des iouſtes de Delphes, tant pource qu’il eſt touſiours verd, qu’auſſi d’autant que l’arbre eſt dedié à Apollon. Mais nous traitterons de ces jeux ailleurs plus au long. Quelques-vns ont voulu dire qu’ils ne furent pas eſtablis pour l’amour du Serpent qu’Apollon fit mourir : mais bien à cauſe d’vn habitant de Python, (car les anciens appelloient ainſi l’Iſle de Delphes) qu’Apollon tua à coups de fleches, qui pourrit & ſecha audit lieu. Et pour lors on nommoit ainſi ce qui ſe corrompoit & venoit à neant, comme dit Pauſanias en l’Eſtat des Phociens. Or en memoire de la defaicte de Python, & pour vne perpetuelle reſouuenance de ce benefice tant ſignalé, outre la ſolemnité des ieux ſuſdits, on luy dreſſa particulierement à Delphes vn Temple, vn Autel, & des ſacrifices, auec vn Oracle, auquel on accouroit de tous les endroits de la terre, partie par deuotion, partie pour auoir le plaiſir de la feſte & des eſbats ou paſſetemps qui s’y celebroient tous les cinq ans : partie auſſi pour ſe conſeiller & reſoudre ſur les affaires dont l’on eſtoit en doute. Ainſi eſtoit ce lieu-là frequenté plus que nul autre ; enrichi & orné d’infinis vœux & offrandes de tres-grande valeur. Mais vn impie, deteſttable & meſchant Phorbas auec ſes complices de Phlegyens, gents Inſulaires que Neptun pour leurs impietez abyſma depuis en la mer ; tous larrons, voleurs & bandoliers, s’attaquant à ce Dieu ſe mirent à garder l’aduenuë ſeule du coſté de la terre pour aller à Delphes : & contraignant les paſſans de faire à coups de poing auec luy, afin (diſoit-il) qu’ils fuſſent d’autant mieux exercitez à combatre és ieux Pythiques, ſoubs ce pretexte deſtrouſſoit les vns, rançonnoit les autres, & maſſacroit la plus part, dont il pendoit les teſtes à vn vieil cheſne, ſoubs lequel il faiſoit ſa reſidence ordinaire. Tant que finalement Apollon, pour deliurer le païs de telle vermine, & rendre le paſſage libre aux offrandes qu’on luy voudroit apporter, que de long temps ceſſoient à ſon grand intereſt & dommage ; ſe preſenta à cet inhumain en forme d’vn ieune Champion, duquel Phorbas n’eut tel marché qu’il s’eſtoit promis, car il y demeura mort pour les gages. Ephore a eſcript, qu’Apollon venant au monde appriuoiſa les hommes qui viuoient comme beſtes ſauuages, & ne mangeoient que des fruits champeſtres : & que cela fut faict premierement à Celphes ; puis-aprés s’en allant en la ville de Panope, il mit à mort ce tant cruel & violant tyran Tithye ; & qu’il ouït dire à des gens de Parnaſſe, qu’il y auoit encore vn autre tyran qui ne faiſoit pas moins d’outrages aux hommes, nommé Python, & ſurnommé Dragon ; lequel il fit auſſi mourir à coups de traits. Et d’autant que comme il le combatoit, ceux qui regardoyent ce ſpectacle, ſe prindrent à crier, Io Pæan, c’eſt à dire, Enuoye, ou Tire, Apollon ; voila d’où vint la couſtume qu’en tous ſignes d’allegreſſe & de reſioüiſſance pour quelque victoire on s’eſcrioit touſiours, Io Pæan ; comme ce que nous liſons en Ouide au 2. de l’art d’aimer ;

Chantez Io Pæan, Io Pæan deux fois. Ie tiens en mes filez le gibbier que cerchois.

Et de là les hymnes qu’on chantoit en l’honneur d’Apollon, s’appelloyent Pæans. Deux ſortes de Pæans.Et faut ſçauoir qu’il y en auoit de deux ſortes, deſquels on ſe ſeruoit auſſi à la guerre. Les vns eſtoyent dediez à Mars deuant que d’y aller ; les autres à Apollon aprés la victoire obtenuë. Quand doncques l’on eut commencé à chanter des Pæans en faueur d’Apollon, on commença auſſi à l’appeller Ieïe (comme on appelloit Bacchus Eueïe) lequel nom vient de deux mots Grecs, dont l’vn ſignifie panſer ou guerir ; l’autre vaut autant qu’enuoyer ou tirer : pource que les rais du Soleil enuoyez çà-bas auec vne chaleur moderee, conſeruent la vie humaine en ſon eſtre : mais auſſi ſont-ils nuiſibles & dangereux eſtans demeſurez & leurs chaleur trop violente. Or Homere au premier de l’Iliade nous apprend que les airs & chanſons faicte en l’honneur d’Apollon s’appelloyent Pæans :

Par Pæans & chanſons & gentille harmonie Toute l’armee Grecque à Phœbus pſalmodie Tous les iours pour le rendre & fauorable & doux ; A quoy prenant plaiſir il poſe ſon courroux.

Auſſi quelques-vns tirent l’origine du nom de Pæan, d’vn mot ſignifiant appaiſer, pource qu’on chantoit ces airs pour faire par leurs prieres ceſſer ou la famine ou la peſtilence, ou pour deſtourner quelque mal & calamité qui les talonnoit. Et pour ce regard Ariſtophane en ſon Plute appelle Æſculape, Pæon, du Grec páuein pource qu’il adouciſſoit & faiſoit ceſſer les maladies. On chantoit les loüanges & proüeſſes de ce Dieu pour l’appaiſer, d’autant qu’on penſoit qu’il y priſt plaiſir ; ioint auſſi que (comme l’on dit) il auoit le premier chanté ſur ſa harpe, habillé magnifiquement, & bien gentiment frisé, les loüanges de Iupiter victorieux aprés qu’il eut chaſſé Saturne ſon pere hors de ſon Royaume, comme dit Tibulle au 2. liu. des Elegies :

Vien çà net & gentil : pren ta robe pourprine, Et treſſe ioliment ta perruque diuine, Ainſi que tu chantas Iupin victorieux, Quand Saturne il chaſſa du Regne à ſes ayeux.

Impoſture des preſtres.Il eſtoit plus religieuſement qu’ailleurs ſeruy en la montagne de Soracte, qu’on appelle auiourd huy montagne de ſainct Sylueſtre, en la Toſcane là ſes preſtres marchoyent pieds nuds ſur de la braiſe allumee pour contrefaire les Saints, ſans ſe bleſſer ; mais cela ſe faiſoit par le moyen de quelques antidotes & receptes dont ils ſe frottoyent les pieds : ce qui tenoit le peuple en grande admiration & ſuperſtition. Virgile le teſmoigne en l’onzieſme de l’Æneide :

O ſouuerain des Dieux, Apollon gardien Du ſainct mont de Soracte, à qui d’humble maintien Nous ſommes les premiers qui dreſſons nos demandes, A qui tant de hauts pins nous bruſlons en offrandes Et par deuotion les flammes trauerſans, Nous foulons à pieds nuds les braſiers rougiſſans, Eſchauffez d’vn ſaint zele à ton humble ſeruice

Il eſtoit neantmoins adoré en pluſieurs autres places, car Homere au 1. de l’Iliade fait mention de Chryſe, de Tenede, & de Cylle, villes qui l’adoroyent en toute deuotion. Et comme il a eſté dict de Iupiter, & d’autres Dieux, il obteint diuers ſurnoms, ſelon les lieux qui luy portoyent plus d’affection, & auoyent plus de creance en luy ; ou ſelon diuers incidens, ou ſelon les noms de ceux qui luy auoyent baſty quelque Temple & fondé quelque ſeruice. Ainſi fut-il ſurnommé Daulphinois, ou Delphinien, pource qu’en forme de Daulphin il parut vn iour en mer à des mariniers de Gnoſe, & leurs commanda de luy dreſſer vn Autel ſur la greue, comme nous voyons dans Homere en l’hymne d’Apollon :

I’apparus vne fois en forme de Dauphin Cheminant ſur les flots azurez cault et fin, Puis d’vn ſault m’eſlançay dedans leur nef voilee.

Mais Heliodore dit qu’il eut ce ſurnom pour auoir à coups de fleches aſſommé vn grand Serpent nommé Dauphin, qui forçoit Latone. Voicy ſes vers :

Ou quand à coups de trait il abat & terraſſe Cet horrible Serpent ſur le pierreux Parnaße.

Les autres veulent que cela ſoit, parce qu’en forme de Daulphin il guida la nef des ſuſdits mariniers iuſques au golfe de Criſſo, en la Phocide : les autres d’autant qu’il entra dans ce nauire en forme de Daulphin, & qu’il vint par mer iuſques audict endroit : puis ſe ietta au lieu qui depuis fut nommé Delphes. Mais pour laiſſer ces opinions ſi diuerſes & des ſurnoms fabuleux, contentons nous de ſçauoir que ceux qui luy auoyent quelque particuliere deuotion, le ſurnommoyent des noms des Temples & lieux ſaincts dediez en ſon honneur, & de pluſieurs autres rencontres ſelon que le cas y eſcheoit. Complexion amoureuſe d’Apollon.Or comme nous auons deſia dict, ce beau Dieu a eſté d’vne complexion ſi amoureuſe, que pour ioüir de ſes amours, il s’eſt ſouuent transformé en diuerſes figures ; en Lion, en Cerf, en Eſperuier, en Vautour, en Paſtre. Ouide au 6. des Metamorphoſes, parlant de l’ouurage repreſenté en la toile d’Arachné, en cotte quelques vnes :

Oultre ce que deßus elle fait apparoiſtre En ſa toile Apollon quand il eſtoit champeſtre, Puis aprés comme il prit par vn cauteleux tour La forme aucunefois d’vn carnaßier Vautour : Aucunefois außi d’vn grand Lion ſauuage. Mais plus ſouuent encor d’vn Paſtre le viſage, Sous lequel il joüit, d’amour tout égaré, De la Beauté d’Ißé fille de Macaré :

Clytie muee en Tourne-ſol.ll aima auſſi Clytie l’vne des Nymphes de l’Ocean : mais il l’abandonna aprés qu’elle eut decelé à Orchan les amours de ſa fille & d’Apollon, elle ſe voyant delaiſſee, en eut tant de regret, que s’abſtenant de boire & de manger, & tenant ſans ceſſe les yeux fichez ſur le Soleil (c’eſt à dire Apollon) elle fut en fin par la miſericorde des Dieux muee en cette belle fleur que nous appellons Tourne-ſol, qui ſe reſouuenant encore de la ſinguliere amour quelle porta iadis à Apollõ, tourne meſme à preſent ſa fleur droit contre le Soleil. Quãd à Leucothé fille d’Orchã Roy de Babylone, pour cueillir les premices de ſa virginité il ſe transfigura en la forme d’Eurynome mere de l’Infante ; & comme ayant quelque choſe à dire en ſecret à ſa fille, commanda que toutes les Damoiſelles & ſuiuantes qui l’accompagnoient, euſſent à ſe retirer à-part hors de la chambre. Lors la voyãt toute ſeule il ſe fit cõnoiſtre à elle, & la ſceut ſi bien amadoüer qu’elle conſentit à ſes amours. Le pere aduerti de cette ruſe par Clytie ialouſe, ſelon qu’il eſtoit d’vn naturel cruel, enterra ſa fille toute vifue. Leucothoé en verge d’encens. Apollon extremément marri de ſa mort ne la pouuant toutefois reſuſciter, la transforma en vne verge d’encens : c’eſt pourquoy l’encens luy eſt auſſi conſacré. Caſſandre aimee d’Apollõ.Adiouſtons aux amours de ce Dieu, celle de Caſſandre fille de Priam. Apollon aprés auoir longuement recherché cette Princeſſe au printemps de ſes ans, pour ſon excellente beauté, entretenu touſiours de belles paroles & gracieuſes promeſſes pleines de bonne eſperance ; elle luy promit en fin de ſe ſouſmettre à ſon plaiſir, s’il luy vouloit donner le don de Prophetie. Ce qu’il luy conceda tres-volontiers : mais elle, ayant obtenu ſon deſir, ſe mocqua de luy, le deſdaignant plus que iamais. Parquoy meu d’indignation, il ne reuoqua pas le don qu’il luy auoit octroyé auec ſerment qu’il ne pouuoit retracter, mais par deſpit adjouſta ce malheur à la ſuſdicte prerogatiue, qu’encores que ſes predictions deuſſent ſortir vn effect ineuittable, & qu’elle preuiſt les choſes long temps deuant leur éuenement ; perſonne toutefois ne luy adiouſteroit foy. Si que nonobſtant qu’elle euſt donné certain auis aux Troyens des malheurs qu’ils encourroyent par la reception d’Helene ; voire meſme depuis en la conſultation qu’ils firent pour introduire, ou non, le Cheual de bois ; dans lequel eſtoyent enclos les Capitaines Grecs, qui s’emparerent de la ville : neantmoins elle ne pût eſtre creuë, non-plus que quand depuis elle predit à Agamemnon ce que Clytemneſtre & ſon adultere marchinoient contre luy. D’auantage il aima, voire depucela la Sybille de Cumes : & pour recompenſe la gratifia de ce don, de pouuoir viure autant d’annees qu’elle pourroit en ſa main contenir de grains de ſable. Et pourtant elle & Neſtor ſont mis au rang de ceux qui ont le plus longuement veſcu. Sacrifices d’Apollon.Quand aux Sacrifices qu’on luy offroit communement, Homere au 4. de l’Iliade nous apprend qu’on luy preſentoit quelquefois des Agneaux :

Empoigne moy ton arc, & de gentille adreſſe Couche ton trait deſſus, faiſant vœu & promeße A Phœbus Lycien, Phœbus le braue archer, Que s’il guide le dard que tu veux deſcocher, Tu luy conſacrerois de ton parc les premices, Des Agneaux tendrelets en diuins Sacrifices.

& Virgile au 3. de l’Æneide dit qu’on luy ſouloit ſacrifier vn Taureau :

Son diſcours acheué, ſur les autels tres-digne Il preſente, deuot, des offandes diuines Aux merites des Dieux, deux Taureaux, ſçauoir l’vn Pour toy bel Apollon, & l’autre pour Neptun.

Pauſanias en l’Eſtat de Bœoce dit que les Thebains auoyent accouſtumé de luy offrir vn Taureau, mais que depuis il fut changé en Bœuf dompté, pour tel accident : C’eſt que ceux qu’vn iour on enuoya pour prendre le Taureau du Sacrifice, tarderent trop à l’amener, & cependant le temps auquel il le falloit ſacrifier approchoit : ce qui fut cauſe qu’on decoupa vn bœuf d’vne charrette qui paſſoit, lequel fut eſgorgé au lieu du Taureau : & depuis cette couſtume demeura. Euarthe en ſes contes fabuleux dit que l’Eſperuier eſtoit conſacré à Apollon ; de là vient ce vers d’Homere :

L’Eſperuier, d’Apollon eſt le prompt meſſager.

Voila preſque tous les contes que les Anciens nous ont laiſſez touchant Apollon.

Mythologie Phyſique d’Apollõ.Eſpluchons les maintenant. Nous auons ſouuent dict que les anciens ont donné les noms de diuers Dieux aux forces & vertus de nature ou des aſtres, ou meſme aux actiõs par leſquelles Dieu beſongne és affaires de ce monde. Qu’eſt-ce donc qu’ils entendoyent par cet Apollon tant renommé en leurs Fables ? Ciceron nous l’apprend au 3. de la nature des Dieux ; diſant que les Grecs appelloyent le Soleil Apollon, & la Lune Diane. Et Platon en ſon Cratyle s’enquerant de l’importance du nom d’Apollon, qui s’eſtend aux quatre facultez d’iceluy, à la muſique, aux deuinemens, à la medecine, & adreſſe à tirer de l’arc ; dit qu’Apollon eſt ainſi nommé, tantoſt pource qu’il n’y en a pas pluſieurs, tantoſt d’vn mot qui ſignifie ſouldre & deſlier : tantoſt d’vn autre qui vaut autant que enuoier ou elancer, tantoſt de la pureté & ſimplicité des choſes : toutes leſquelles qualitez ne conuiennent qu’au Soleil, & à nul autre. Effects du Soleil.Et de faict qui eſt-ce qui deſcouure plus la verité que le Soleil, & qui chaſſe plus que luy toutes les tenebres & obſcuritez de l’eſprit de l’homme ? ou qui ſerue dauantage aux receptes de medecines ? car les herbes qui croiſſent à l’abri ſont beaucoup plus duiſible que celles qui viennent à l’ombre, ou qui ſont nourries en lieux sõbres & humides, C’eſt luy qui eſt ſeul auteur de la generation & corruption des choſes de ce monde. Il eſlança de bien loing ſes rais en terre ſans ſe laſſer ne diminuer ſa force ; & pour cette raiſon les poëtes Grecs l’appellent Hecaergos, ceſt à dire, operant de loing ; Phœbus, à cauſe de la ſplendeur de ſa clairté ; Delien, pource qu’il manifeſte les choſes cachees : & pour tels autres effects il a obtenu pluſieurs noms, qui ne peuuent conuenir à perſonne qu’au Soleil. C’eſt luy qui eſt cauſe de la peſtilence & de la gueriſon, pource que la vie & la conſeruation de toutes les beſtes & les animaux conſiſtent en vne iuſte ſymmetrie & proportion de chaleur. Il eſt ſitué au beau milieu des autres planetes, comme leur ſeigneur & prince, deſquels les Pythagoriens ont creu que les mouuemens rendoient vn concert & harmonie merueilleuſement douce & agreable : c’eſt ce qui a faict croire qu’il eſtoit l’inuenteur & l’auteur de la muſique. On lui a attribué l’inuention de la harpe, du commencement garnie de ſept chordes ſeulement, comme dit Virgile au 6.

Le Preſtre Thracien fait parler ſur les nerfs, D’vn long habit veſtu, les ſept accords diuers.

lequel nombre de chordes conuenoit au nombre des planetes : veu que les inſtrumens de muſique qui ont plus de ſept chordes, ſont plus receus que les temps auſquels ont veſcu Pythagoras ou Orphee. Raiſons de la genealogie & natiuité d’Apollon.On le dit fils de Iupiter & de Latone, & né en Delos, dautant qu’apres cette confuſe matiere du monde, comme on l’appelle, de laquelle ils croient toutes choſes auoir eſté creées, laquelle les Grecs ont appellee Letò : ou Lethò, (d’où eſt extrait le nom de Latone) mots ſignifians cachette & ignorance ; la premiere creature de Dieu ſouuerain Createur, fut la lumiere. Car Dieu tout-puiſſant crea dés le commencement ces deux grands luminaires, le Soleil & la Lune, l’vn pour preſider au iour, & l’autre à la nuict. Apollon & Diane ſont nez en Delos, mot qui vault autant que manifeſte & apparoiſſant ; pource qu’auſſi-toſt que la lumiere fut, on commença à voir clairement & conoiſtre l’eſtre du monde, au lieu qu’auparauant tout eſtoit caché & enueloppé d’vne confuſe & difforme matiere. Ceux qui les ont eſtimez eſtre fils de Dionyſe, ont creu qu’Apollon n’eſtoit autre choſe que la force & les actions du Soleil, de qui la Lune eſt fille, puiſqu’elle reçoit du Soleil ſon pere toute la vertu & lumiere qu’elle a. Par meſme raiſon que la chaleur moyenne eſt propre à tous animaux, Æſculape tant expert en medecine eſt eſtimé fils d’Apollon. Pourquoi les ieux Apollinaires furent eſtablisQuelques-vns diſent que les ieux Apollinaires furent eſtablis & pratiquez en l’honneur d’Apollon pour le rendre plus bening & clement, & faire ceſſer la peſte : & pource qu’il a deux facultez, d’endommager & deſtruire par vn decret de chaleur & par l’indiſpoſition & mauuaiſe habitude de l’air, pour appaiſer tels effects on chantoit Pæan és hymnes & airs qu’on luy faiſoit. Mais aux imprecations ils l’appelloyent Ieïe, à cauſe de l’adreſſe qu’il auoit à bien tirer de l’arc, non pour l’experience qu’il auoit de guerir les maladies, ſelon l’opinion de quelques-vns. Iupiter choleré d’vn coup de foudre fit mourir cet Æſculape fils d’Apollon ; pource que la benignité du Soleil eſt ſalubre & profittable aux animaux ; au contraire ſi l’air eſt par trop & exceſſiuement eſchauffé, la peſte s’engendre, & toute cette clemence du Soleil ſe tourne en maladies : & pourtant la peſtilence eſt plus forte & plus aſpte és ſaiſons mediocres que durant les grandes chaleurs ou extremes froidures. Ce qu’il ne faut trouuer eſtrange, puis qu’il en prend de meſme aux corps mal-habituez ; car ce qui ſert aux ſains, nuit bien ſouuent aux malades, ou par defaut de chaleur qui ne peut ſuffiſamment cuire la viande dans l’eſtomach, ou pource qu’il importe beaucoup où ſe diuertit la faculté naturelle & le cours des humeurs. Cauſes de la peſtilence.Car il ſe fait quelquefois, ainſi qu’és corps humains, rencontre de quelques eſtoilles en cet vniuers, qui cauſe vne indiſpoſition d’air, de laquelle s’engendre la peſtilence, qui vient tantoſt de trop grande abondance, tantoſt de trop grand defaut d’humeur, & eſt neceſſairement ſuiuie de cherté de viures & de famine, veu que tout ce qui eſt çà bas eſt regi & gouuerné par les corps qui ſont en haut ; qui neantmoins n’agiſſent point que par la permiſſion & volonté de Dieu ſouuerain & tout-puiſſant. Que ſignifie la vengeãce d’Apollõ contre les Cyclopes.On dit qn’Apollon ſe voulant reſentir de la mort de ſon fils Æſculape, fit mourir les Cyclopes ſeruiteurs de Iupiter & forgeurs de ſa foudre : ce qui ne ſignifie autre choſe ſinon que par le benefice du Soleil cette rage de vapeurs qui auoyent excité la peſte, s’eſt euanoüie. Car il eſt bien certain que de ces vapeurs mal diſpoſees les maladies s’engendrent & la ſanté eſt renuerſee : & des vapeurs ſe fait la foudre de Iupiter, veu qu’elles en ſont les ouuriers. Car comme ſuppoſé qu’Æſculape tres-habile medecin eſt fils d’Apollon, & qu’il ſignifie la proportion de l’air bien diſpoſé, la chaleur exceſſifue deſtruit cette bonne proportion & cette habitude, & conſume les vapeurs ſans qu’elles ayent moyen d’arreſter nulle part. Voyez liu. 6. ch. 1.Et pource que peut eſtre il auint autrefois quelque choſe de ſemblable, comme ce que l’on conte de Phaëthon, c’eſt ce qui a donné lieu à la fable, diſant qu’Apollon a tué les Cyclopes pour auoir forgé la foudre dont ſon fils Æſculape auoit eſté frappé. Ainſi doncques ont-ils cuidé qu’il deſcendit du Ciel en ce temps là, à cauſe que l’on ſentoit la nature du Soleil plus benigne, & par maniere de dire plus humaine que de couſtume. Ce qu’eſtant auenu, les hommes conurẽt que le Soleil eſtoit le gouuerneur de toutes choſes : parquoy puiſque ſa tiedeur eſt profittable aux animaux, on penſe qu’il ait gardé les troupeaux & haras du Roy Admet, & n’a pas eſté mis au dernier rang des Dieux champeſtres.

Raiſon des amours & des dedicaces d’Apollõ.Quelques-vns ont voulu dire qu’Appollon auoit aimé Phorbas, Hyacinthe & Admet, comme dit Plutarque en la vie de Numa, pource que Dieu aima les ſages, comme l’on dit que Pindare, Archiloche, Heſiode & autres furent aimez & cheris des Dieux. Le Laurier luy a eſté dedié tant à cauſe de la chaleur qu’il a de nature, le bois duquel frotté l’vn contre l’autre prend aiſément feu ; qu’à cauſe des deuinailles : pource qu’on tient que ſes fueilles miſes ſous le couſſin des dormans leur font ſonger des choſes dont l’euenement eſt certain. Dauantage ceux ſur qui la nature du Soleil domine fort (car tout tant que nous ſommes nous tenons les vns plus, les autres moins du naturel de quelque planete) ils ont, comme on dit, bon nez, & preuoyent de loing beaucoup de choſes plus aiſément que d’autres : c’eſt pourquoy l’on a attribué à Apollon les deuinemens & ſciences de prophetiſer. Les Gryphons & les Corbeaux luy ont auſſi eſté dediez pour ſemblable cognoiſſance qu’ils ont de preſager l’auenir. Son image.Ainſi que les anciens le pourtrayoient, ſon image portoit de la main droite les Graces, mais de la gauche des fleches & vn arc : pource que les biens, les plaiſirs & les commoditez qu’il fait aux hommes, ſont bien en plus grand nombre que les incõmoditez qu’on en reçoit. Ils le peignoient touſiours ieune, dautant que ces corps eternels qui ſont là haut ne ſentent point de vieilleſſe, & pource que la force du Soleil eſt touſiours de meſme eſtat, encore qu’elle n’apparoiſſe pas à tous telle, à cauſe de l’obliquité du Zodiaque. On luy faiſoit porter de longs cheueux, pour demontrer la force de ſes rayons, & Horace l’appelle non-tondu, en ces vers :

Ieunes filles chantez moy Diane voſtre Deeſſe : Ieunes garçons chantez moy Apollon de qui la treſſe Non tondue croiſt ſans ceſſe.

Et vn autre Poëte :

Ie chante vn Dieu Pæan, vn grand Dieu de Cynthie, Eternel, beau à voir, qui ſa treſſe replie A pluſieurs nœuds lacez, non tondu, nourriſſant D’vn ſouci ſtudieux ſon poil d’or blondiſſant.

Outre plus l’Eſperuier luy eſtoit conſacré à cauſe de ſa rapacité ; & la fleur d’Hyacinthe, pour le ſujet que nous auons raconté ci-deſſus. Premices des cheueux des ieunes gens conſacrez à Apollon.Anciennement les ieunes hommes nourriſſoient à l’honneur d’Apollon leur cheuelure, iuſques à ce qu’ils fuſſent entrez en l’aage de puberté : auquel temps ils la coupoient, la dedioient & poſoient au Temple d’Apollon ; c’eſt à ſçauoir dés que leurs leures & leurs iouës commençoient à pouſſer le premier poil fol. Ci deſſus l. 3 ch. 18.Plutarque en la vie de Theſee nous apprend cette antiquité, adiouſtant qu’ils ſe tranſportoient à Delphes pour offrir à ce Dieu les premices de leur perruque : ainſi que les filles dedioient à Diane leurs ceintures & leurs demi-ceints, quand elles commençoient à ſentir les aiguillons de la chair, & s’ennuioient d’eſtre vierges. Toutefois Lucian dit que les Syriens auoient accouſtumé de faire ſes images barbuës, au lieu que les autres peuples le formoient ieune & ſans barbe. Mais cela faiſoit-ils, d’autant que les Aſſyriens eſtimoient ceſte aage-là bien imparfaite, n’eſtant pas encore paruenuë à tel poinct qu’elle peuſt eſtre pourueuë de beaucoup d’experience pour confronter le paſſé auec l’aduenir. Que ſignifie la mort de Python par Apollon.Et ceux qui diſent qu’eſtant encor bien ieune il tua Python à coups de traits, que veulent-ils ſignifier ſinon la nature du Soleil & du monde fraiſchement né ? Car le Soleil eſtant creé, & aprés luy toutes les autres eſtoilles, il commença par ſa chaleur à tirer à ſoy les vapeurs de la terre, qui eſtoient en grande quantité ; auquel temps telle qu’eſt la nature des enfans, la terre pleine d’humeurs, couuerte de beaucoup de nuages engendrez d’icelles & nouuellement extraite & ſeparee d’auec les autres Elemens, tout eſtoit plein de pourriture, qui vient d’abondance d’humeurs, ou pour le moins ne ſe peut faire ſans humeurs. Et lors le Soleil battant continuellement cette nouuelle terre par ſes rais, frappant cette pourriture comme à coups de traits, la ſecha peu à peu, & en fit vne ſaine demeure & marche-pied de tous animaux. Et ie ne penſe point que les Anciens forgeans telles Fables ayent eu autre intention ou ſujet, ſinon qu’adorans tantoſt les proprietez & les vertus des Elemens, tantoſt les eſtoilles en guiſe de Dieux, ils ont voulu par tels contes exalter la puiſſance de leurs Dieux. Car les Fables qui ſont faite touchant les Dieux des Payens, concernent la conſideration des choſes naturelles ou aſtronomiques : & celles qui ſont faites touchant les hommes, ſeruẽt pour dreſſer la vie humaine, & l’amender de mieux en mieux. Mais il eſt temps de quitter Apollon, & de prendre Æſculape.