Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 12 : D’Esculape Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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D'Æſculape.

CHAPITRE XII.

Genealogie d’Æſculape.QVELQUES-UNS penſent qu’Æſculape ait eſté fils d’Apollon & de la Nymphe Coronis, comme teſmoigne Homere en ſon hymne :

Ie chante vn medecin, Æſculape, iadis Né du Dieu Cynthien & Diue Coronis Fille au Roy Phlegyas, où ſont les champs de Dote, Où l’eau doux-grommelant du fleuue Amyne flote.

Et Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe dit que Phlegyas pere de Coronis entrant au Peloponneſe (maintenant la Moree) emmena quand & luy ſa fille enceinte d’Apollon, ce que toutefois il n’auoit encore apperceu. Elle venant à accoucher ſur les marches d’Epidaure, abandonna ſon fils en vne montagne qui pour cet accident fut nommee Titthias : combien que les autres diſent que cela auint ſur les terres de Telpuſe en Arcadie. Là dit-on qu’vne Cheure allaitta cet enfant, ſuiuie d’vn Chien qui quittoit ſon trouppeau pour la garder. Le paſtre voyant qu’il luy manquoit vne Cheure & ſon Chien, ſe mit en queſte par tout le paſcage, & trouua finalement l’Enfant, Ia Cheure & le Chien. Mais ayant veu ſortir du feu de la teſte de cet Enfant, croyant qu’il y auoit en luy quelque diuinité, il en fit courir le bruit par tout le païs. On dit que celuy qui recuillit Æſculape eſtoit fils baſtard d’Arcas, & ſe nommoit Autolaus. Puis-aprés eſtant en aage il eut la reputation de pouuoir guerir toutes les maladies dont les hõmesſeroient affligez. Quelques-vns diſent que Coronis enceinte coucha auec vn ieune homme nommé Iſchys fils d’Elate : dequoi Diane indignee la tua, ne pouuant endurer le deſhonneur faict à ſon frere. Et comme on la mettoit ſur le bucher pour la bruſler ſelon la couſtume, Mercure vint tirer l’enfant du ventre de la defuncte, ou bien Apollon meſme ſelon le teſmoignage d’Ouide au 2. des Metamor.adiouſtant qu’il fut nourry & eſleué par les mains du Centaure Chiron, duquel il apprit la medecine :

Phœbus ne pult ſouffrir que ſous meſme bucher On veiſt & mere & fils en cendre trebucher. Car il veint arracher l’enfant de la matrice Pour le ſauuer du feu, & en garde tutrice Le porta dans la grotte à Chiron double corps.

Plaiſante naiſſance d’Aeſculape ſelon Lucian.Les autres diſent qu’il ne naſquit pas de la Nymphe Coronis, mais bien d’vn oeuf de Corneille : pource que le nom de Coronis ſignifie l’un & l’autre, à ſçauoir, vne Nymphe ainſi nommee, & vne Corneille, comme dit Lucian au dialogue du faux Prophete, qui conte ainſi tout le faict : On dit qu’vn des anciens Religieux enferma vn bien petit Serpent dans vn oeuf de Corneille vuidé, & que l’ayant bien bouſché auec de la cire il l’enueloppa de bouë, & le cacha en vn certain lieu : puis aprés il dreſſa vn Autel, & aſſembla le peuple, luy faiſant entendre qu’il lui feroit voir vn Dieu. Aprés qu’il eut harangué l’aſſemblee, il inuoqua Apollon & Æſculape, vſant de certains propos qu’on n’entendoit pas, à ce qu’ils fuſſent propices & fauorables à la ville. Cela faict il puiſa de l’eau auec vne phiole la plongeant iuſques au fond, auec laquelle il ramena cet oeuf, qu’il caſſa en preſence de beaucoup de gens, & y trouuant vn petit Serpenteau tout frais eſclos, rauit toute l’aſſiſtance en grande admiration. Quelques iours aprés il fit voir en vn lieu obſcur vn Serpent de grandeur deſmeſuree, qui ſe remuoit par artifice, aſſeurant qu’il eſtoit ainſi creu, & que c’eſtoit le Dieu Æſculape fils d’Apollon. Depuis on creut que les Serpens eſtans en ſa protection, ainſi qu’on les dedioit à Iupiter ſournommé Trophonius, & à Hercynne compagne de Proſerpine, & portoit en ſa main vn baſton entortillé d’vn Serpent, comme l’a eſcrit Dercyle : Transfiguration d’Æſculape.& Ouide au 15. des Metamorphoſes dit qu’Eſculape ſe tranſfigura vn iour en Serpent. Car comme la peſte affligeoit vne fois cruellement la ville de Rome, ſi bien que tout le ſçauoir & experience de leurs medecins ne pouuoit apporter aucun ſoulagement à leur mal : adonc ils depeſcherent vne Ambaſſade vers Apollon à Delphes pour auoir ſon auis & conſeil : lequel leur fit reſponſe qu’ils n’auoient qu’à s’adreſſer à ſon fils ; & ainſi les renuoya à Eſculape. Alors le Senat Romain fit vne ſeconde deſpeſche en Epidaure : où les Ambaſſadeurs arriuez expoſerent au conſeil de la ville le ſujet de leur legation, ſupplians vouloir faire cette faueur & courtoiſie aux Romains de leur donner Æſculape, pour auoir gueriſon de la maladie qui les tourmentoit ſi indignement que leur bourgeois & citadins mouroient à gros tas, ſans ſecours ny ſoulagement quelconque : adiouſtans pour plus vray-ſemblablement les inciter à condeſcendre à leur requeſte, la reſponſe qu’ils auoient euë de l’Oracle. La choſe miſe en deliberation, les voix & les opinions furent fort diuerſes, les vns accordans cette courtoiſie & charité ; les autres la refuſans, remonſtroient qu’ils en pourroient peut-eſtre auoir affaire pour telle neceſſité, & ne le pourroient recouurer aſſez à temps. Artifice du diable nourriſſant les idiots en ſuperſtition. En fin l’affaire fut ſi longuement & ſi douteuſement diſputee, que le iour ſe paſſa ſans rien conclure. La nuict ſuiuante Æſculape parut en ſonge au chef de l’Ambaſſade Romaine, tenant de la main gauche vn baſton enlacé d’vn Serpent, & de la droite agençant ſa barbe. Alors il lui fit promeſſe de quitter ſon Temple d’Epidaure deſguiſé en Serpent, & s’en aller auec eux à Rome. Et de faict ſi toſt que les Ambaſſadeurs eſueillez ſe furent mis en prieres & oraiſons pour ſçauoir de luy s’il deſiroit qu’on lui dreſſaſt là quelque autel au nom de la Republique des Romains, ou s’il auroit patience iuſqu’à tant qu’il fuſt arriué à Rome : voicy qu’ils apperçoiuent dans le Temple vn grand Serpent ſifflant ſi eſtrangement que tout le Temple en fut eſloché, & croula depuis les fondemens iuſques au faiſte, ſi que ſon autel & ſon image & toutes les reliques du Temple en furent eſbranlees. Il auoit en oultre les yeux ſi reſplendiſſans de feu, que les Romains en furent grandement effraiez. Mais le Preſtre reconoiſſant cette tranſfiguration, les aſſeura qu’ils auroient bonne & fauorable iſſuë de leurs ſouhaits, & les exhortant d’adorer ce Dieu deuotement, ils s’en mirent en deuoir : lequel pour teſmoigner qu’il exauçoit leur priere, faiſoit branler la creſte qu’il auoit ſur la teſte ; & ſe prit derechef à ſiffler comme auparauant. Puis deuant que ſortir du Temple il ſe tourna de coſté & d’autre, comme diſant adieu à ſes Autels, & meſmes à tout le baſtiment. De là il paſſa à trauers la ville au veu & habitans, leſquels l’accompagnans il ſe traina tant qu’il arriua au port où eſtoit le nauire des Romains, dedans lequel il entra volontairement : leſquels ayans ce qu’ils deſiroient, firent voile, & reprindrent leur routte, tant qu’arriuans à Rome par le Tybre, ſa venuë ouye, il fut receu en tout honneur & reuerence par le Senat & tout le peuple, accompagné des Dames & des Veſtales, auec pluſieurs Sacrifices & encenſemens, ayans pour cét effect dreſſé pluſieurs Autels ſur la greue : durant leſquels, comme il contemploit de coſté & d’autre la ſituation du pays, il apperceut vne belle iſle ſur le Tybre ; dedans laquelle (montrant qu’il vouloit choiſir ce lieu pour ſa demeure) il quitta ſa forme de Serpent, & reprit la ſienne diuine. Ainſi par la venuë de ce Dieu ceſſa la peſte à Rome. Autre nativité d’Æſculape. Pauſanias en l’Eſtat des Meſſeniens dõneencore vne autre naiſſance d’Æſculape, diſant qu’il fut fils d’Arſinoé fille de Leucippe, non pas de Coronis, ſelon l’opinion d’aucuns : & neantmoins és Corinthiaques il maintient qu’il naſquit en Epidaure, & que toutes les ceremonies du ſeruice qu’on luy faiſoit vindrent d’Epidaure. Apollonius au quatrieſme liure teſmoigne qu’il naſquit à Laceree ſur le riuage du fleuue d’Amyn, en tels vers :

Indigné de ſon fils dont prés de Laceree Vers Amyn fut iadis Coronis deliuree. Æſculape nourry & inſtruit par Chiron.Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie eſcrit, comme auſſi quelques autres, qu’il eut vne nourrice nommee Trigon ; & fut eſleué par les mains de Chiron, qui fut depuis ſon precepteur, comme nous auons veu cy-deſſus en Ouide. Lactance au liure de la fauſſe Religion dit qu’il fut nourry de laict de chienne, & donné à Chiron, duquel il apprit l’art de medecine. Il fut premierement nommé Apie ; & Lycophron faiſant mention de luy en parle ainſi :

Ils chanterent le fils d’Apie Qui guerit toute maladie, Par ſa doctrine ſecourant Et homme &t beſte paſturant.

Zezes en la 10. Chiliade eſcrit qu’il ne fut pas ſeulement inſtruit par Chiron, mais auſſi qu’eſtant premierement nommé Apie à cauſe de ſa facilité & debonnaireté (car le mot de Epios, d’où vient Apie, ſignifie debonnaire) ou bien pource qu’il adouciſſoit par medicamens les maladies des perſonnes, d’autãtqu’il guerit Aſcle, Roy d’Epidaure, il fut nommé Aſclepie, les deux noms joints enſemble, & les Latins changeans bien peu de lettres l’appelerent Æſculape. Les autres ayment mieux dire que ce ne fut pas Aſcle, mais bien Aune Roy de Daunie, qu’il guerit du mal des yeux : & maintiennent qu’il fut ainſi nommé à cauſe de ſon ſçauoir & experience, pource qu’il ne laiſſoit pas mourir les hommes, & tirent ſon nom du mot ſcelléſthai, qui ſignifie mourir, mais y adiouſtant vn a qui emporte priuation il ſignifie le contraire ; d’autant que (comme ie viens de dire) il ne laiſſoit pas conſumer ou languir les perſonnes en leurs douleurs & maladies. Inuenteurs de la medecine.Neantmoins d’autres donnent l’inuention de la medecine à tels que bon leur ſemble. Ouide l’attribuë à Apollon : Pindare à Chiron, ſon precepteur : Æſculape à Promethee. Homere au 4. de l’Odyſſee, ſemble faire Pæon autheur d’icelle :

Celuy qui a donné aux Pæons origine Eſt le plus entendu qui ſoit en medecine.

Pluſieurs Æſculapes.Il eut vne ſœur nõmeeÆriope. Ciceron au 3. de la nature des Dieux dit qu’il y a eu pluſieurs Æſculapes : Le premier des Æſculapes (dit-il) fut fils d’Apollon, que les Arcadiens adorent, & dit-on qu’il inuenta l’eſprouuete, & fut le premier qui vſa de ligature et bandage és playes : le ſecond, fils de Mercure deuxieſme de ce nom : on dit qu’il mourut de la foudre, & fut enterré à Cynoſures : le troiſieſme, fils d’Arſippe & d’Arſinoé, que l’on dit auoir trouué le moyen de purger le ventre, & d’arracher les dents : qui a ſon ſepulchre & boſcage a luy dedié en Arcadie, prés du fleuue de Luſe. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie eſcrit que ce boſcage ou parc eſtoit de tous coſtez enclos de montagnes, & qu’il n’eſtoit permis à perſonne, ny de mourir ny de naiſtre dedans ce clos, non plus qu’en l’iſle de Delos. Or tant Æſculape que ſa poſterité mirent en vſage fort peu de receptes de medecine ; ſoit que le bon regime & ſobrieté de ce tempſ-là ne cauſaſt que peu de maladies ; ſoit que la medecine fuſt encore en ſa premiere naiſſance. Car iuſques à la guerre de Troye les medecins n’auoient guere d’experience en leur art, puis que les fils d’Æſculape ne reprennent point cette femme qui en la bleſſure d’Eurypile luy donnoit de la farine & du fromage broüillé enſemble, & du vin Pramnien à boire, comme dit Platon au 3. Dialogue de ſa Republique, veu que toutes ces drogues ne font qu’enflammer la playe, & ne peuuent aucunement appaiſer la douleur. On dit qu’Herodique maiſtre lutteur ſe voyant fort maladif, s’accommoda à vne certaine maniere de viure, & s’appliquant des medicamens trouua le premier certaines receptes de medecine, par le moyen deſquelles il ſe maintint long-temps & luy & d’autres. Toutefois la couſtume emporta, peut eſtre pour quelque choſe prattiquee qui luy ſucceda heureuſement, que les plus experts medecins, comme fut Hippocrate, furent appellez Æſculapiens. On dit auſſi qu’Hippolite deſchiré par ſes cheuaux Liure 2. chap.8. (comme il a eſté dit cy-deſſus) fut remis en vie par Æſculape. Ainſi le teſmoigne-il luy-meſme dans Ouide, au 15. des Metamorphoſes, conſolant la Nymphe Egerie, femme du Roy Numa :

Ores ie ne ſerois de vie iouyſſant, Et ne contemplerois le ciel reſplendiſſant, N'euſt eſté qu’Æſculape expert en medecine Me rendit liberal la vie par racine, Et par certain ſecours d’herbe & medicament, En dépit de Pluton courroucé grandement.

Ce que voyant Iupiter, marry que par l’inuention de cet art on peuſt reſtituer en vie quelqu’vn ; jaloux auſſi qu’autre que luy exerçaſt des œuures & miracles qui n’appartenoyent qu’à luy ſeul, il le mit en pieces d’vn coup de foudre, comme entreprenant ſur ſon pouuoir & ſon authorité, ainſi que l’enſeigne Virgile au 7. liure de l’Æneide :

Aprés que par le dol de la maraſtre ſienne Fut occis Hippolite, et qu’il eut enduré, Par cheuaux effrayez en pieces deſchiré, Aux deſpens de ſon ſang les peines de ſon pere, Le bruit eſt qu’il reuient à voir cette lumiere Et les aſtres du Ciel, remis en noſtre iour Par ius Pæoniens, & par la grande amour De Diane vers luy. Lors le tout-puiſſant Maiſtre Dépit qu’aucun mortel retournaſt en ſon eſtre Sortant des flots ſtygieux, du foudre qu’il lança Au profond des enfers derechef enfonça Le Phœbe-né trouueur de medecine telle, Qui pouuoit aux humains donner vie immortelle.

Mais Pindare à meilleure raiſon de dire que ce fut à cauſe de ſa ſordide auarice, dont il bruſloit :

Il aimoit trop l’argent et les dons precieux. Pour ce ſuject außi le grand-pere des Dieux Qui viuent à iamais, d’un grand eſclat de foudre Contre luy courroucé le reduiſit en poudre.

Quelques-vns diſent que cette Fable d’Æſculape, diſant qu’il faiſoit reuiure les morts, eſt venuë de ce qu’il gueriſt tout à fait pluſieurs perſonnes, de la vie deſquels on deſeſperoit, les remettant en ſanté à force de medicamens, à cauſe dequoy Pluton ſe vint pleindre à Iupiter de ce qu’Æſculape luy oſtoit ſes pratiques, & deſertoit ſon Empire & fit tant qu’à ſa requeſte Iupiter le foudroya : Ce qui auint vn peu deuant la guerre de Troye. Apollon marry de la mort de ſon fils (comme nous auons veu au Chapitre precedent) en verſa force larmes, qui furent conuerties en ambre, au dire d’Apolline, au 4. liure du voyage des Argenauchers :

–les Celtes ont conté Qu'on void tourner au fond de la plaine liquide Tous les pleurs ſanglottez, dont Phœbus Latonide Ruiſſelant de ſes yeux ſon viſage ondoya Pour la mort de ſon fils que Iupin foudroya.

Femme & fils d’Æſculape. En fin à ſa requeſte il fut tranſlaté au ciel, dont Apollon en fit vn Aſtre nommé Ophieus ou Serpentaire. Epione fut ſa femme, & Machaon ſon fils, tres-habile medecin ſelon le temps auquel il viuoit, qui fit le voyage de Troye à la ſuitte de l’armee Grecque : duquel Homere fait mention au 4. de l’Iliade, Agamemnon parlant à ſon herault :

Talthybe mon herault, va t’en de bande en bande Et cerche Machaon d’experience grande : Machaon né iadis d’un Medecin fameux, Æſculape, engendré de la race des Dieux.

Podalire auſſi fut fils d’Æſculape & d’Epione, & frere de Machaon, comme dit Pauſanias és Meſſeniaques : & és premieres Eliaques il luy baille pluſieurs filles, entre autres Iaſo & Hygiee. Orphee en vn hymne d’Æſculape dit qu’Hygiee fut ſa femme, non ſa fille, diſant :

Braue fils d’Apollon, d’vn bel air de viſage, Ennemy de langueurs, qui d’un ſaint aſſemblage T’es Hygiee adioint.–

Les Epidauriens ſolemniſoient en l’honneur d’Æſculape des ieux de cinq en cinq ans au bois ſuſdict, neuf iours apres les Iſthmiens ; toutefois deuant les Megariens, au commencement du primtemps. Lucian en ſon Iupiter Tragique dit qu’il portoit vne longue barbe : & Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe, que les Phliaſiens auoient vne ſtatuë d’Æſculape ſans barbe. Le meſme Lucian en ſon Icaromenippe eſcrit que le plus celebre Temple qu’il euſt eſtoit à Pergame, comme celuy d’Apollon à Delphes. Strabon au 8. liure rapporte qu’il auoit vn magnifique Temple à Tetrapolis, ville habitee d’loniens & Cariens. Ce Temple eſtoit touſiours plein de malades & detenus de toutes ſortes de langueurs, & les parois couuertes de ttableaux peints, eſquels on eſcriuoit les noms & les maladies de ceux qui penſoient auoir receu gueriſon de ce Dieu, comme on faiſoit auſſi en l’Iſle de Co, & à Trique. Superſtition des Gentils enuers Æſculape.Car cette ſotte maniere de gens ſe faiſoit accroire que ſi quelqu’vn gueriſſoit d’vne maladie, ayant d’auenture inuoqué le nom d’Æſculape, cela fuſt auenu par le moyen dudit Æſculape : & pour recompenſe ils luy appendoient des ttableaux és murailles de ſes Temples, & accompliſſoient des voeux qu’ils luy auoient voüé, comme pour loyer & ſalaire des biens & graces qu’ils auoient diuinemẽtreceus. Sacrifices d’Æſculape. Les Cyreins luy ſouloient ſacrifier vne Cheure ; ou pource qu’vne Cheure l’auoit nourry, ou pource que cet animal ſemble eſtre contraire à la ſanté, attendu qu’il eſt touſiours malade de fieure. Toutefois ſocrate au Phædon de Platon dit qu’il doit vn Coq au medecin Æſculape, puis qu’on luy faiſoit offrande d’vn Coq. Car auſſi le Coq luy fut dedié à cauſe de ſa vigilance. Il eut pluſieurs ſurnoms ſelon les lieux où l’on luy auoit dedié des Temples, ou pour quelque autre ſujet, & Ciceron au 2. liure des loix le met au rang de ceux qui pour les biens qu’ils ont faits aux hommes furent deifiez, comme auſſi Hercule, Liber, Pollux, Caſtor, Quirin & autres.

Mythologie phyſique d’Æſculape-Voila donc les contes des Anciens quant à Æſculape : tirons-en le ſens. Il fut fils d’Apollon & de Coronis. La raiſon ? ou qui fut cette Coronis fille de Phlegyas ? eſt la chaleur du Soleil, comme le mot ſemble le montrer ; car Phlegein ſignifie bruſler. ſa fille eſt dicte Coronis, c’eſt à ſçauoir le temperament de l’air, & cette vertu de l’air moyennemẽthumectee, qui reçoit vne ſalubre impreſſion du Soleil. Car ſi la chaleur du Soleil ne purifie l’air, & ne le rend plus delié, & ſi cette chaleur ne laiſſe en l’air quelque force d’humeur, il n’y peut auoir rien de ſain. Puis donc que la ſanté procede de chaleur & d’humeur bien temperez enſemble, elle eſt à bon droit nommee Coronis, comme nom tiré du verbe Grec Keránnyſtai. Pauſanias en l’Eſtat d’Achaïe dit qu’Æſculape n’eſt autre choſe que lair. Hygiee eſt ſa fille, qui ne ſignifie autre choſe que bonne ſanté. Car la bonne diſpoſition de l’air n’eſt pas ſeulement vtile & ſaine aux perſonnes, mais auſſi aux beſtes & aux plantes. Ce n’eſt donc pas ſans cauſe que les Anciens ont feint qu’Apollon ſoit pere d’Æſculape, & qu’Æſculape fournit aux eſprits & corps des hommes vne ſalubre vertu du Soleil, c’eſt à dire qu’il eſt l’ouurier de ſanté, pource que la chaleur du Soleil, domine ſur tous les elemens. C'eſt donc par la meſme force du Soleil que l’air ſe meut & s’engendre perpetuellement : & pourtant Æſculape eſt fils d’Apollon. Et d’autant que cela ne ſe peut faire ſans quelque myſtion de l’air, c’eſt pourquoy Coronis eſt ſa mere. De l’air ainſi temperé s’engendre la ſaincteté : parquoy elle eſt dicte fille d’Æſculape ; & luy ouurier de ſanté & inuenteur de medecine ; laquelle ayant tranſportee d’Egypte en Grece, il s’appropria toutes les inuentions de ſon pere & des Anciens, comme ſon pere auoit faict celles de ſes deuanciers. L'oracle que le diable profera ſous le nom d’iceluy en fait foy :

Tricque ville ſacree à l’honneur de m’auoir Veu naiſtre dans ſes murs. Tout l’art de Medecine Tient ſon eſtre de moy, comme außi tout ſçauoir. Ma mere m’enfanta d’vne ſaincte geſine Du ſperme d’Apollon, grand Æſculape, admis Parmy ceux-là qu’au ciel pour Dieux le monde a mis.

De faict le nom d’Æſculape monſtre qu’il n’a pas eſté Grec, ains eſtranger, quoy que les Grecs veulent faire croire, car il eſt Egyptien, & compoſé de Æſch, Cheure, & Keleph, Chien : comme qui diroit Cheurechien. On luy donna ce nom, pource qu’il ſe ſeruoit de laict de Cheure pour remettre les forces des maladies :

& de la langue de Chien, pour guerir les playes exterieures. Ce qui fit croire qu’vne Cheure l’euſt allaicté, & vn Chien pris en ſa garde. Outre la ſuſdite Hygiee il eut auſſi pluſieurs autres filles ; Iaſo entre autres, pource que les hommes reçoiuent vne infinité de commoditez du temperamment de l’air ; cette-cy notamment, qu’il eſt beaucoup plus aiſé de panſer & de guerir les maladies. Car Iaſo vient de iâſthai, qui ſignifie panſer & guerir. Or le Soleil communique aux hommes toutes ces commoditez & cette ſalubrité par le moyen des tours & retours qu’il fait tous les ans, & par les ſaiſons qu’il nous diuerſifie, tantoſt de froid, tantoſt de chaud. Raiſon de ſon image : & de la dedicace du Serpent. C'eſt pourquoy il y auoit à Titane, ville des Sicyoniens, vne image d’Æſculape fils d’Apollon, qu’ils appelloient Signe de ſanté. Le Serpent fut dedié à Æſculape ; & le baſton qu’il portoit à la main en eſtoit entortillé de deux : à cauſe que ceux qui par l’aide & ſecours des Medecins gueriſſe des maladies qui les oppreſſent, ſemblent comme ſe raieunir & deſpoüiller leur vieille peau, ainſi que font les Serpens, pource auſſi que le Soleil, de qui il eſt engendré, comme s’il vouloit poſer ſa vieilleſſe, commence au ſigne du Belier à reprendre ſes forces, iuſques à ce qu’il ſoit paruenu au Cancre ou Eſcreuice ; & beaucoup de ſortes d’herbes, plantes & animaux ſe renforcent quand & luy. Il y a dauantage, c’eſt que la force & vigueur des yeux qu’à le Serpent, conuient fort bien au Soleil : d’autant que le mot de ophis, qui ſignifie ce que nous appellons tantoſt Serpent, tantoſt Dragon, vient d’vn mot Grec qui ſignifie voir & regarder. Car le ſoleil, auquel il a eſté dedié, void tout, & iette ſes yeux, c’eſt à dire ſes rais, par tout le monde. Pourquoi le corbeau & le coq lui ſont dediez.C'eſt auſſi ce qui a fait en partie que le Corbeau luy ait eſté cõſacré ; & en partie, pource que cet oyſeau ſeruoit anciennement aux deuins & augures ; car Æſculape n’entendoit pas tant ſeulement la medecine, mais auſſi les deuinemens & predictions, qui ſont comme vne dependance de la medecine ; pource qu’il faut qu’vn bon medecin preuoye & prediſe aux malades, non ſeulement leur eſtat preſent, mais auſſi ce qui s’eſt paſſé en eux, & qui leur doit auenir ſelon leurs complexions. Ce qui n’acquiert pas peu de creance au medecin, & luy ſert de beaucoup pour la cure qu’il a à faire, comme dit Hippocrate. Pour meſme ſujet luy ont-ils aſſigné le Coq, à cauſe de ſa vigilance, ou pluſtoſt diligence à panſer les malades. Sa contenance eſtoit de porter vn baſton entortillé de Serpens, d’autant que la medecine ſert comme d’eſtançon & d’appuy à la vie de l’homme quand elle vient à s’affaiſer, & que le Serpent s’applique à beaucoup de receptes. Voyla ce que nous apprenons des Anciens touchant Æſculape, qu’il faut rapporter en partie aux choſes naturelles, en partie à l’hiſtoire. Car toutes les feintiſes qu’ils ont introduites touchant leurs Deux, ont eu quelque peu de verité & d’hiſtoire pour fondement de leurs contes. Or nous contentans de ce que deſſus, traittons de ſon maiſtre Chiron.