Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 14 : De Venus Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Venus.

CHAPITRE XIIII.

Geneaologie de Venus.CETTE Venus, que les hommes ſenſuels appellent ordinairement Deeſſe des delices, de plaiſirs, mignardiſes, gentilleſſe, elegance ; de generation, appariant tout le monde, accouplant les creatures celeſtes, terreſtres, aquatiques ; Dame tres-belle, agreable, puiſſante à merueilles ; Princeſſe foiſonnant en amour, qui par vn & voluptueux germe aſſemble les deux ſexes, & continuë leur eſpece iuſques à la conſommation des ſiecles ; Royne de reſiouyſſance & des paſſe-temps ; maiſtreſſe gracieuſe, miſericordieuſe ; de doux accez & de facile abord : qui ſeme, remplit & comble de ſes plãtureuſes beneficences les creatures mortelles : à laquelle on donne pluſieurs autres qualitez & tiltres tendans à declairer l’affection maternelle qui l’induit à la propagation des natures mortelles : eſt, ſelon les contes des Anciens, ſans mere, nee des genitoires du Ciel, que Saturne luy couppa & ietta dans la mer : & de l’eſcume qui de ce iect s’engendra au deſſus de l’eau. Or afin qu’il ne ſemblaſt que les hommes fuſſent vilainement enragez d’amour, & s’y laiſſaſſent emporter comme beſtes cheualines, ils l’ont accompagnee de ſon fils Cupidon ; & les ont adorez en guiſe de Dieux, diſans qu’ils auoient puiſſance de donner toutes les commoditez concernans les plaiſirs de la chair. Car ſi l’on oſte d’entre les perſonnes les noms de Venus & de Cupidon, ou bien ſi l’on croid qu’ils ſoient non Dieux, mais bien deſirs & appetits de nature, comme ils ſont de fait : qu’eſt-ce qu’il reſtera, que ſeulement vn tres-vilain & tres-ſale nom d’appetit charnel & d’impudicité deſbordee ? Ainſi donc l’inuention de ces noms, qu’on a tenus pour Dieux, a fait que la conjonction de l’homme auec la femme, & l’accouplage des animaux en leur eſpece Commoditez & incommoditez de l’acte Veneriẽ. n’eſt point trouué de ſi mauuais gouſt, ny ſi deshonneſte. Et tout ainſi que tel acte eſt neceſſaire preſque à toutes ſortes de creatures pour continuer leur nature ; auſſi ſon vſage trop frequent & ſans meſure les amene à beaucoup de choſes illegitimes, affoibliſſant le corps & l’eſprit. Or afin que les crimes des paillards & desbordez ſemblaſt moins illicites, ils ont donné à Venus & à Cupidon des chariots, des triomphes, des armees, des enſeignes. Mais puis qu’on ne peut par aucun nom faire trouuer honneſte ce qui de ſoy-meſme ne l’eſt pas, laiſſans ces vilains là croupir en leur ordure & furieux appetit, comme porcs & beſtes à baſt, nous viendrons à rechercher ce que les Anciens nous en apprennent en leurs contes fabuleux. Elle eſt donc nee de l’eſcume de la mer, & du ſang du Ciel ; pour cette cauſe les mariniers & nauigeans l’inuoquoient ſous le ſurnom de Marine, & de fait Muſæe en ſon Leandre dit que Venus, engendree de la ſemence de mer,

Commande ſur les flots et boüillons de Neptune, Et ſur toute douleur qui noſtre ame importune.

Au reſte, peu aprés que Venus fut nee, ſortant hors de l’eau marine elle ſe prit à eſſuyer à deux mains l’eau de ſon viſage & de ſes cheueux. C’eſt pourquoy le plus excellent de tous les peintres qui iamais ayent eſté, Apellés, fit ce rare ttableau de Venus ſortant de la mer, qu’on croyoit eſtre, par maniere de dire, ouurage celeſte : de laquelle Antipater de Sidon a exprimé en Grec l’admirable beauté & grace par vn Epigramme de meſme ſubſtance :

Voicy cette Venus, qui n’agueres extraite Des ondes de Neptun, artiſtement pourtraite Du pinceau d’Apellés, preſſure de ſes crins, Sa perruque, eſpurant l’eſcume et flots marins. Lors Pallas & Iuno : N’ayons plus auec elle Pour le prix de beauté ny propos ny querelle.

Alexandre le Grand luy fit faire ce ttableau ; & pour l’inciter à mieux trauailler ; il luy en fit prendre le pourtraict ſur vne ſienne Maiſtreſſe ; belle en toute perfection. Puis s’apperceuant que le Peintre aprés l’auoir bien contemplee toute nuë, en eſtoit deuenu amoureux, luy en fit preſent. Ainſi doit vn braue Prince gourmander ſes paſſions, non pas en affoler.On la peint ordinairement auec vn teint & cheueux chaſtains ; auſſi les Poëtes auoüent qu’ils ſont plus beaux & plus agreables que les blonds. Pour cette raiſon ils l’appellent quelquefois Chaſtaignere. On dit qu’elle fut conceuë dans vne conque ou Nacre de perle, en laquelle auſſi elle nauigea en Cypre ; & pourtant Venus parlãt en Papinien d’vne belle femme, dit qu’elle eſtoit digne d’eſtre ſa ſœur, & de nauiger en vne meſme coquille ou eſcaille. Homere en vn hymne de Venus dit que les Heures la prindrẽt en leur charge pour la nourrir aprés que Zephyre l’eut emportee en Cypre par deſſus la mer :

Ie chante ſur mon lut la belle Cytheree, Qui ſe cerne le chef d’vne treſſe doree ; A qui liſle de Cypre, (où d’vn ioly Zephir, Auec l’eſcume molle, vn gracieux souſpir L’enuola ſur les flots de la plaine azuree,) Rend l’honneur qu’elle doit à ſa Dame honoree. Les Heures humblement la vindrent receuoir, Accueillir, bien-veigner, & ſelon leur deuoir La reueſtir d’habits de diuine nature, Couurans de guimples d’or leur blonde cheuelure.

Il ne dit pas qu’elle paſſa en Cypre dans vne coquille, mais que Zephyre l’y porta auec l’eſcume de la mer. Cette iſle s’appelloit premierement Sphecie, du nom des Spheciens qui y habitoient. Puis aprés elle fut nommee Ceraſte, parce que les habitans de ce lieu auoient de groſſes tumeurs à la teſte, reſſemblans à des cornes : car Ceras ſignifie vne , & Ceraſtés, cornu. Elle fut auſſi ſurnommee Macarie, c’eſt à dire, heureuſe à cauſe de ſa grande fertilité. Mais depuis que Venus y fut arriuee elle fut dicte Cypre ; & elle, Cyprienne, ou Cyprine, de mots ſignifians que c’eſt elle qui donne la grace de porter au ventre. Les autres maintiennent que Cypre a eſté le pays & la naiſſance de Venus, laquelle en teſmoignage de son ancienne lubricité, & pour luy donner couuerture, eſtant Dame & maiſtreſſe du pays, ordonna qu’impunément & ſans crainte les femmes ſe peuſſent abandonner à qui bon leur ſembleroit. Et de la vint la couſtume que les filles Cypriennes, notamment celle de Paphos, auant que prendre mary, venoient à certains iours ſur le bord & haure de la mer, pour ſe preſenter au premier des eſtrangers qui pour ſon argent en voudroit iouyr, & par cette maniere de gain retiroient la ſomme pour payer leur doüaire, & ſatisfaire à la Deeſſe Venus par les premices de leur pudicité ; puis mariees, viuoient en femmes de bien auec leurs maris. Ils luy conſacrerent vne eſpece de conque qu’ils appelloient langue, & les conques de l’iſle de Cythere (du nom de laquelle Venus eſt dicte Cytheree) pource que cette-là prouoque les aiguillons de la chair, & celles-cy ſeruent pour l’embelliſſement des cabinets & ioliuetez des Dames. Liu. 3. de la nature des Dieux. Pluſieurs Venus.Ciceron dit qu’il y a eu pluſieurs Venus, filles de diuers parens. La premiere de ce nom fut fille du Ciel & du Iour, & eut vn Temple en Elide. La ſeconde procreée de l’eſcume marine, de laquelle, & de Mercure naſquit Cupidon, deuxieſme de ce nom. La troiſieſme, fille de Iupiter & de Dione, qui eſpouſa Vulcan : & le fils qui naſquit de Mars & d’elle, ſe nomme Anteros. La quatrieſme engendree de Syrus & de Syra, autrement nommee Aſtarte, eſpouſa le bel Adonis. Pauſanias és Bœotiques en fait auſſi mention de trois ; dont Harmonie fit faire les ſtatuës du bois de nauires de Cadme ſon mary, & les dediant leur donna à chaſcune ſon propre nom. A la premiere, Vranie ou Celeſté, à cauſe de ſon chaſte & pudique amour, abhorrant toute compagnie charnelle. L’autre, Pandeme, ou vulgaire & commune, qui tend à l’accompliſſement des œuures de la chair. La troiſieſme Apoſtraphie, comme diuertiſſant le genre humain de l’orde & vilaine concupiſcence, & des effects d’icelle contre les loix de nature. Mais Platon au banquet dit qu’il y a deux Venus & deux Cupidons ; car Venus n’eſt point ſans Cupidon, & puis qu’il y a deux Venus, il faut neceſſairement qu’il y ait auſſi deux Cupidons. L’vne (dit-il) eſt plus ancienne, & ſans mere, fille du Ciel, laquelle auſſi nous appellons Celeſte : pure & nette, n’ayant autre ſoin, & ne cherchant rien qu’vne ſplendeur reluiſante en la diuinité, où par vne très-feruente amour qu’elle produit & engendre en nous, elle taſche continuellement d’attirer nos ames, & les vnir à l’eſſence de Dieu, comme celle qui en eſt la propre marque & l’image. L’autre eſt plus ieune, fille de Iupiter & de Dione ; & ſe nomme Populaire, charnelle, voluptueuſe, couſtumierement retiree és grottes, barricaues, cauernes & autres lieux eſcartez & obſcurs, ſçachant aſſez que ſes actions & ſes comportemens ont beſoin de couuert. Auſſi Pauſanias és Arcadiques fait mention d’vne Venus, ſurnommé Melæna, noire ; pource que ſes myſteres requierent pluſtoſt la nuict que le iour. Toutefois Orphee en ſes hymnes appelle auſſi cette Celeſte, fille de la mer. Les vns dient qu’elle eſt nommee en Grec Aphrodite, c’eſt à dire Eſcumiere, & Aphrogenie, du mot aphròs eſcume ; les autres, du mois d’Auril, pource qu’elle naſquit en ce mois, comme il ſemble qu’Horace le teſmoigne au 4. des Carmes :

Mais toutefois afin que tu ſois faite Certaine à quelle gaye feſte Or inuentee il te faut aßiſter ; Ore tu as les Ides à feſter, Iour mipartant le moins de la Cyprine, Engeance de l’onde marine.

Venus pourſuiuie en mariage par tous les DieuxElle monta aux Cieux par l’aide & le miniſtere des Heures, tres-richement habillee ; ſi que toute la Cour celeſte la bien-venant, & luy baiſant les mains, la trouua ſi belle, que chaſcun conuoita ſon amour, & deſira de l’auoir à femme. Comme donc Theocrite és Syracuſes dit qu’elle eſtoit fille de Dione, en ces vers :

Veronique iadis, Cyprine Dionee, Eut de toy cet honneur, que quoy qu’elle fuſt nee D’homme, & de femme humains & ſujets à la mort, Elle ne ſentiroit de la Parque l’effort.

Auſſi Virgile au premier de l’Æneide la dit fille de Iupiter :

Le pere des humains Et des Dieux luy iettant vn ſouſris de viſage Dont tout il raſſerene & le ciel et l’orage, Vient donner à ſa fille vn gracieux baiſer : Puis par ces doux propos ſe prit à l’appaiſer : Chaße arriere de toy toute peur Cytheree, &c.

Mais Epimenide Candiot dit que Venus fut fille de Saturne & d’Euonyme :

Saturne prit à femme Euonyme gentille, Deſquels naſquit Venus, qui gayement eſparpille Sur ſon col tout autour ſes cheueux au poil d’or.

Toutefois la plus commune opinion fut qu’elle eſtoit nee de la mer & de l’eſcume, & qu’elle fut eſleuee par les Nymphes, puis ſe retira premierement en la montagne de Cythere, & de là en Cypre ; & que ſous ſes pieds naiſſoient des fleurs, dont elle fut nommee Cytheree, comme Heſiode en diſcourt amplement en ſa Theogonie. Quant à la premiere Venus fille du Ciel & du Iour, les Anciens en font peu de mention : mais leurs eſcrits ſont aſſez remplis & entrelardez des actes & galantiſes de la derniere, à laquelle ils ont indifferemment attribué tout ce qui pourroit eſtre commun aux autres. Et pource qu’elle auoit le bruit d’eſtre nee de la mer, Horace la met au rang des Eſtoilles ou des Dieux fauorables aux mariniers :

Ainſi la Deeſſe puiſſante De Cypre, ainſi d’Heleine les germains, Eſtoille doublement luiſante, Le pere encor qui des vents tient les frains D’vn cours proſpere te gouuerne, Ayant en ſerre, hors Iapyge, mis Les autres vents en leur cauerne.

Bacchus Eſcuyer de Venus.Elle auoit Bacchus pour ſon Eſcuyer ; car Venus, (dit Lucian) eſt bien plus plaiſante quand elle ſe trouue accompagnee du bon Bacchus ; & plus doux außi le meſlange & temperament qui prouient de l’vn et de l’autre : que s’ils ſe viennent à ſeparer, ils ſe reſiouyſſent, eſtans à part, beaucoup moins. Elle pratiqua la premiere (comme nous auons dit) l’art des Courtiſanes : pourtant fut-elle tenuë pour Deeſſe des amans. On la met auſſi entre les Dieux commis & preſidens ſur les nopces, teſmoin Pauſanias és Meſſeniaques ; & Plutaque és Problemes, diſant que les Dieux nopcieres eſtoient Iupiter le grand, Iunon la grande, Venus, Suadele, & Diane. Et pource qu’elle naſquit en riant, comme dit Heſiode, elle eut le bruit d’eſtre amie de toute ioye & riſee, choſes conuenables & propres à faire l’amour, ſuiuant ce qu’en dit Horace en ces vers :

Soit que de ta douce arriuee Nous aßiſter mieux il t’agree Erycine au ris gracieux, Autour de qui le ieu volete, Et le gay Cupidon s’arreſte.

C’eſt pourquoy les Poëtes la qualifient bien ſouuent du nom de Philomide, c’eſt à dire Ayme-ris, comme ne demandant qu’à rire & ſe reſiouyr. Et comme ainſi ſoit que chaſque Dieu euſt ſa charge & function particuliere, Iupin la tance à bon droit lors qu’elle fut bleſſee par Diomede (comme le deſcrit Homere au 5. de l’Iliade, Au 7.liu. c. 5.& nous le verrons ailleurs) d’auoir oſé entreprendre ſur la charge de Mars, & l’exhorte à ſe meſler ſeulement des mariages :

Iupin voyant Venus : Venus ma fille aymee, Ce n’eſt à toy (dit-il) de conduire vne armee : Entrer en vn combat n’eſt pas de ton meſtier Mais bien faire l’amour , les filles marier : Laiſſe iouer des mains à Mars & à Minerue, Et les mignards amours à toy ſeule reſerue.

Demi-ceint de Venus.Pource donc que tel eſtoit l’exercice & l’occupation de Venus, on luy fait porter vn bauldrier, ou demy-ceint tout remply de douceur, de propos gracieux, de bien-vueillance, de mignardiſe, de perſuaſion, de petites fraudes amoureuſes ; tiſſu de toutes contrarietez repugnantes, propres à r’allumer vn amour qui s’amortiroit, ainſi qu’auec vn fuſil & eſmorſe ; d’amoureux attraits, & courroux ; de benins accueils, & refus ; de doux ſouſris, & de deſdaings ; de reconciliations, & deſpits ; d’amiables ottrois, & rigoureuſes reſponſes ; d’eſperance, & deſeſpoir : de ris, & pleurs : de ioye, & de triſteſſe : & autres ſemblables renouuellemens d’eſguillons, & qui reſueillent les endormis, & font plus aller qu’on ne veut. Homere le deſcrit ainſi au 14. de l’Iliade :

Elle ſe deſlia ſon brodé demy-ceint, Picqué, faict à l’aiguille, en mille ſortes peint. Là ſont tous les appaſts, là ſont les mignardiſes, Là tous les traits, attraits, là toutes les feintiſes : La ſe trouue la grace & la douce amitié, L’appetit de ſe ioindre à ſon autre moitié : Là l’amoureux babil qui deçoit les courages, Qui deſrobe le cœur, & meſme des plus ſages.

Sermens faits au nom de Venus n’obligẽt point.Outre ces belles qualitez, elle eſtoit ſi courtoiſe & ſi friuolement gracieuſe, qu’elle ne ſe faiſoit que rire des faux ſermens que les amoureux faiſoient par ſon nom, comme dit Tibulle au 1. des Elegies :

Ne crain point de ioüer : les ſermens de Cyprine Se perdent emmy l’air & la plaine marine.

Herodote en ſa Melpomene dit que certains peuples nommez Enaries & Androgynes ſe ſouloient vanter d’auoir appris de Venus à deuiner auec des houſſines de ſaules. Chariot de Venus.Les Anciens la font marcher par pays, portee ſur vn chariot tiré par des Cygnes, teſmoing Ouide au 10. des Metamorphoses :

Venus n’eſtoit encor dans le Cypre arriuee, Sur ſon carroſſe ailé par les Cygnes tiree.

Et au 15. il luy donne vn autre carroſſe tiré par des Pigeons :

Et tout à trauers l’air ſon char viſte-courant Attelé de Coulombs, l’ame au bords Laurent.

L’amitié que Venus porte aux Pigeons, procede du bon office que luy fit vne fois la Nymphe Periſtere, dont la Fable ſe conte ainſi : L’Amour eſtant auec ſa mere en vn lieu de plaiſir, couuert & tapiſſé de toutes ſortes de fleurs, gagea qu’il amaſſeroit autant ou plus de ces fleurs qu’elle : Venus au contraire, que non. Ainſi chaſcun ſe mit en deuoir de butiner, à qui plus. L’Amour par la promptitude des ſes aiſles, voletant de fleur en fleur, eſtoit preſt d’emporter la victoire, comme la Nymphe Periſtere ſuruint, qui ſe rangeant du coſté de la Deeſſe, cueillit de ces fleurs auec elle, de façon que le petit Amour ne pouuant ſuffire à toutes deux, demeura vaincu, perdit ſa gageure : & d’indignation qui l’eſmeut à ſe vanger, transforma cette Nymphe en Oyſeau de ſon nom. Toutefois Sappho feint ſon chariot eſtre tiré par des Moineaux, oyſeaux fort paillards. Pigeons & Moineaux pourquoi sacrez à Venus.Les autres eſtiment que les Moyneaux luy ayent eſté dediez, pource que les Grecs les nomment ſtroutoì, & le membre viril a eſté quelquefois en Grec appellé de ce nom-là, ſelon le dire de Pherecyde. Elle portoit vn chappeau de roſes, leſquelles on dit auoir pris cette couleur du ſang de Venus.

Neantmoins Ouide à la fin du 10. des Metamorphoſes, dit que cette fleur receut telle couleur du ſang d’Adonis, tué par vn Sanglier. On luy faiſoit auſſi porter des fleches, comme nous voyons en la Medee d’Euripide :

Ne veille oncques, Cyprine, De ta trouſſe ſuccrine Emmiellee d’attraits Tirer l’vn de tes traits, Ny d’vn dard aceré De ton carquois doré Entamer ma poitrine.

Iulian Ægyptien en rend meſme teſmoignage, diſant :

Venus a bien appris à porter vne trouſſe, Et des arcs & des traits dont pas vn ne rebrouſſe, S’elle veut d’auenture à ſon joug amener Vn amant, qu’elle ſçait droit au cœur aſſener.

Virgile auſſi au 1. de l’Æneide conte comme elle apparut à Ænee, déguiſee en forme de chaſſereſſe, auecle carquois pendant ſur l’eſpaule, les cheueux eſparpillez, trouſſee iuſques aux genoux, & la poitrine ouuerte. Or comme il y auoit pluſieurs Venus, auſſi leur ſeruice ſe faiſoit par diuerſes ceremonies & Sacrifices. Car il n’eſtoit pas loiſible d’offrir du vin és Sacrifices de celle qui s’appelloit Celeſte, comme teſmoigne Polemon au liure qu’il a eſcrit à Timee : Les Atheniens ſoigneux d’obſeruer telles choſes, diligens & religieux en matiere de Sacrifices diuins, font des Sacrifices Nephaliens à Mnemoſyne, aux Muses, à l’Aurore, au Soleil, à la Lune, aux Nymphes, & à Venus la celeſte. Combien que l’Oracle Pythien fit depuis commandement, Liure 1. chap. 11.ainſi qu’il a eſté dit ailleurs, de preſenter aux Nymphes du miel & du vin. Tels ſacrifices s’appelloient Nephaliens, à cauſe de la ſobrieté qui s’y obſeruoit, pource qu’on n’y beuuoit point de vin, qui eſt le fondement de toute intemperance. Le bois auſſi qu’on bruſloit és Sacrifices des Dieux, qui n’eſtoit point de figuier, ny de vigne, ny de meurier, s’appelloit Nephalien. Trois Venus de Lucian.Il ſemble que Lucian en ſes Deuis amoureux faſſe pareillement trois Venus, dont il nõme l’vne Celeſte, l’autre Populaire, qu’il appelle auſſi Publique ; & la troiſieſme, Des iardins : & dit qu’on ſacrifioit à la Publique vne Cheure blanche, aux autres deux vne Geniſſe. Toutefois les autres ont voulu dire que la Geniſſe appartenoit à Minerue, comme luy eſtant dediee, ainſi que l’Agneau à Iunon, l’Oye a Iſis, le Pigeon à Venus, teſmoing Apollodore au liure des Dieux. Mais Strabon au 9. liure dit que les Porcs eſtoient auſſi quelquefois admis és Sacrifices de Venus, pource qu’elle prenoit plaiſir à telle offrande, à cauſe de la mort de ſon Adonis, qu’vn Porc ſanglier tua : neantmoins quelquefois on ne luy offroit que du laict, du miel & du vin. Qu’autre fuſt le ſeruice de Venus la Populaire, & autre celuy de la Celeſte, Pauſanias le teſmoigne en l’Eſtat d’Attique, diſant auſſi que Theſee ordonna le premier les ceremonies de ſon ſeruice, & de celuy de Suadele, aux Atheniens. Ciceron au 2. de la nature des Dieux, dit que les Latins l’ont appellee Venus, pource qu’elle vient à toutes creatures. Sophocle en ces deux vers exprime quelle eſtoit ſa puiſſance :

Cyprine eſt extremément forte, Car tousiours victoire elle emporte.

C’eſt pourquoy Leonidas dit qu’elle s’arme en vain pour faire la guerre aux hommes, veu qu’elle vainquit Mars, Dieu des guerres, meſmement toute nuë :

Ces armes ſont à Mars : Cyprine à quel deſſein Couures-tu pour neant ta poitrine & ton ſein D’vn ſi peſant fardeau ? tu vainquis ſans armure Mars armé ; ſi donc luy de diuine nature N’eut pouuoir d’inuiter ton pouuoir immortel, T’armes-tu point en vain contre vn homme mortel ?

Force de Venus.Sa force a eſté ſi grande, qu’il n’y a eu preſque pas-vn Dieu qui ne ſe ſoit ſouſmis à ſes loix & commandemens. Elle auoit puiſſance & ſeigneurie au Ciel & en la terre, en la mer, & ſur tous les Elemens, & pourtant Euripide eſcrit qu’elle produit & engendre toutes choſes, qu’elle commande par tout, qu’elle eſt courtoiſe & gracieuſe à ceux qui shumilient deuant elle, & qu’elle ſçait bien raualer les courages altiers qui s’eſleuent contre ſa grande puiſſance & majeſté :

A ceux qui luy cedent Cyprine Se montre courtoiſe & benine : Mais s’elle trouue quelque altier, Haut à la main, orgueilleux, fier, Sçais-tu comment elle l’eſtrille ? Venus à trauers le Ciel drille Rodant par le vuide de l’air. Puis de là reuient deualer Dedans les flots de la maree. D’elle toute chose est creée ; Elle fait qu’Amour eſt vainquer Par ſes attraits de noſtre cœur : Elle guide ſes traits, & meſme Elle le donne, elle le ſeme : C’eſt d’elle que nous receuons L’eſtre par lequel nous viuons.

Pour cette cauſe Homere en l’hymne de Venus, dit qu’elle regit & manie comme il luy plaiſt toutes ſortes de beſtes de l’air, & de la terre & de la mer :

Muſe, dy-moy les faits de la belle Cyprine, Qui iadis eſchauffa de ſon feu la poitrine Des habitans du Ciel ; qui forte, ſurmonta Toute l’humaine race, & qui meſme donta Les oyſeaux bigarrez, et toute creature Qui cerche és flots ſalez ou ſur terre paſture.

Theocrite dit qu’elle eſt plus forte & plus vaillante que Iupiter :

Vaincu des traits pointus de Cyprine, qui meſme Fait ployer ſous ſes loix Iupiter Dieu ſupreme.

En vn mot ils luy ont tant deferé d’honneur & de pouuoir, qu’ils ont voulu dire qu’elle auoit creé le monde, & que l’ayant creé, elle l’entretenoit & conſeruoit en ſon eſtre : & n’ont pas penſé qu’il ayt eſté baſty ny compoſé ſans qu’elle y miſt la main : teſmoing ce qu’en dit Orphee ;

Tout ſubſiſte par toy ; par ta ſeule puiſſance Tout ce rond Vniuers demeure en ſon eſſence. Les trois Parques font ioug à ton commandement, Tout corps ſe fait & forme à ton ſeul mandement, Ou qui reside és Cieux : ou qui la terre habite, Ou qui nageant s’esbat dans les flots d’Amphitrite.

Mort d’Adonis.Les Poëtes nous content que Venus ayma eſperduëment Adonis, fils du Roy Ciniras, & de Myrrhe, fille de ce meſme, lequel comme dit Virgile en l’Eclogue, tiltree Gallus, fut berger. Mais Mars joloux de cét amour, luy fit apparoir vn grand Sanglier ; & comme ſes Chiens le ſuiuoient, il l’enferra de ſon eſpieu ; lequel ayant arraché de ſon corps, il s’en vint attaquer le pauure Adonis, deſarmé, & de ſa dent le tua. Voyez Ouide au 10. des Me. & cy deſſous liu. 5. ch. 16.Et pource qu’il eſtoit beau ieune homme & adroit, elle prenoit tout ſon plaisir en luy : & pourtãt elle regretta ſa mort plus qu’on ne ſçauroit imaginer, comme dit Theocrite en l’Epithaphe d’Adonis, toutefois elle n’en tira point de race. Enfans adulterins de Venus. Si fit bien d’Anchiſe, auec lequel ayant couché, elle engendra Ænee, qui aprés la priſe de Troye obtint des Grecs (ſelon le dire de quelques-vns) d’eſtre remis en liberté, & d’emporter de tous ſes moyens ce qu’il pourroit, Pieté d’Ænee.ainſi prenant ſon pere, ſa femme & ſon fils, les Dieux Penates, il monta ſur la montagne d’Athe, & y baſtit vne ville, que de ſon nom il appella Æneade. Liure 2. chap. 6.Les autres diſent qu’Ænee eſtant priſonnier auec Andromache, femme d’Hector, fut donné en butin à Neoptoleme, fils d’Achille, & emmené en Theſſalie, pays d’Achille. De ce tant fameux adultere, deſcrit cy-deſſus, qu’elle fit auec Mars, elle eut Harmonie, ſelon le teſmoignage d’Heſiode en ſa Theogonie : laquelle toutefois d’autres penſent eſtre fille de Iupiter & d’Electre. Amour malencontreuſe de Mercure enuers Venus.Mercure auſſi luy fit quelquesfois l’amour : mais attendu ſes dignes grades & hautes qualitez, ſa beauté & ſa ieuneſſe, il y opera fort mal, ou pour le moins rencontra piteuſement. Car ils eurent de leur concubinage vne creature, qui ne fut bonnement ny Dieu ny homme, homme ny femme, & neantmoins tous les deux enſemble : au reſte, mauſade, diſgraciee & deſplaiſante à l’vn & à l’autre ſexe : qui des noms de ſes deux parens joints en vn, fut appellé Hermaphrodite, comme le nom meſme le montre : car les Grecs appellent Mercure Hermés, & Venus Arphrodite. Ainſi l’enſeigne Ouide meſmement au 4. des Metamorphoſes.

Vn ieune enfant naſquit de Venus & Mercure, Qu’és antres Ideans d’vne ſoigneuſe cure Les Naïades iadis nourrirent cherement, Telle eſtoit ſa façon, qu’en ſon corps clairement On pouuoit remarquer Hermés & Aphrodite, Suiect qui luy donna le nom d’Hermaphrodite.

De Butes, ou (ſelon l’auis d’autres) de Neptun, elle eut Eryce, que Hercule eſtouffa en luttant auec luy. On dit auſſi qu’elle eut vne fille Meligunis. Dauantage, qu’elle ayma Dionyſe, & que durãt le voyage qu’il fit és Indes, elle entretint Adonis, que puis aprés à ſon retour de cette guerre elle s’achemina au deuant de luy pour le bien venir, portant vne couronne ſur ſa teſte, qu’elle poſa ſur celle de Bacchus ; toutefois ne le voulut ſuiure, pource qu’elle auoit deſia pris party, & eſtoit enceinte, puis s’achemina vers Lampſac, en intention d’y faire ſes couches. Mais Iunon pleine de jalouſie, ſous ombre de la viſiter comme bonne amie, Natiuité fabuleuſe de Priape.fit tant que d’vne main charmee elle luy mania le ventre, & luy fit enfanter vn enfant difforme, qui ſur tout eſtoit equippé d’vne deſmeſuree partie genitale pendante, & fut depuis nommé Priape, comme dit Poſſidonius au liure des Heros & Demons. Aucuns diſent que Suade (ditte des Grecs Pithò, c’eſt à dire Perſuaſion) fut auſſi fille de Venus ; pource que le bien parler est vne choſe des mieux ſeantes & plus requiſes à faire l’amour. Pour cette cauſe on logeoit la ſtatuë de Venus auprés de celle de Mercure, Dieu d’eloquence & de la facõde. On la peignoit auſſi pour l’vne des compagnes de Venus, entre les Graces, d’autant que le beau diſcours eſt l’vn des principaux attraits d’amour. C’eſt pourquoy peut-eſtre les plus Anciens ont dict que l’Amour eſtoit fils de Mercure ; & que Phurnut appelle Pithò & Mercure, diuinitez de meſme autel, & tenans vn meſme ſiege. Heſiode en ſa Theogonie dit que Mars & Venus couchez enſemble engendrerent Crainte & Palleur :

Lors que Mars teint Venus eutre ſes bras eſtrainte, Elle conçeut de luy la Palleur & la Crainte.

Elle eut auſſi de Neptun vne fille nommee Rhode, ſelon le dire d’Herophile, laquelle toutesfois Epimenide dit auoir eſté fille de l’Ocean. On dit en outre qu’elle eut Electrion, & cinq autres fils du Soleil. Et combien qu’elle fut mariee auec Vulcan, ſi eſt-ce qu’on ne trouue point qu’elle ait eu aucun enfant, veu qu’elle a le bruit d’en auoir conceu ſi grand nombre de tant d’adulteres & paillardiſes, exercees tant auec des Dieux qu’auec des hommes. Auſſi ne l’epouſa-elle que par maniere d’acquit, & ne fit iamais bon meſnage auec luy. Dautre part elle auoit ſi liberalement proſtitué ſon corps, que malicieuſement euſt elle trouué part ailleurs. Au reſte elle a obtenu pluſieurs ſurnoms, ou des lieux & places où elle eſtoit adoree, ou de ceux qui luy auoient dedié quelque baſtiment, ou ſelon quelque rencontre ſuruenuë. Ainſi fut elle dicte Salaminienne, Acidalienne, Paphienne, Idalienne. Cytheree, Ericyne, Gnidienne, Cyllenienne, Olympienne, Eſpionne, Pontique ; & titree de pluſieurs autres noms que ie croy eſtre choſe ſuperfluë de reciter. Il y auoit beaucoup de places eſquelles elle eſtoit bien religieuſement honoree & ſeruie, deſquelles Ouide cotte vne partie au dixieſme des Metamorphoſes :

De l’vnique beauté de ce ieune homme eſpriſe, Le bord Cytherien hormais elle meſpriſe. Elle ne void Paphos que d’vn œil deſdaigneux, Elle quitte Cnidos en poiſſons foiſonneux, Elle laisse Amathus, qui richement abonde En metaux de grand prix, desquels elle est feconde.

Et Virgile au 10.

Amathus eſt à moy, Paphos haut eſleuee, Les logis Idaliens, & le lieu Cytheree.

Et pource que nous auons dit cy-deſſus que Venus auoit fait & creé toutes choſes, ce n’eſt pas de merueille ſi pour exprimer ſa puiſſance, Image de Venus.Canache Sicyonien la fit d’yuoire & d’or, en ſorte que ſur ſa teſte elle portoit le Ciel, d’vne main du pauot, & de l’autre vne grenade.

On la peignoit aussi toute nuë dans vn beau chariot, attellé de deux Cygnes & autant de Colombes, couronnee de myrthe, ayant vn flambeau ardant entre les deux mammelles : en la main droite le globe du monde ; en la gauche, trois pommes d’or. A ſes eſpaules les trois graces nuës auſſi, s’entretenans par les mains en rond, auec des pommes és mains, & les viſages retournez tout au rebours l’vne de l’autre. Es ſacrifices de cette Deeſſe la couſtume eſtoit de luy conſacrer les cuiſſes de toutes les offrandes, excepté des Porcs : & les Sicyoniens bruſloyent les autres pieces auec du bois de geneure : mais quãd on roſtiſſoit les cuiſſes, on bruſloit quand & quand de l’acanthe ou branche-vrſine. Cette Deeſſe, non plus que les autres Dieux, n’eſtoit pas contente qu’on mit en nonchaloir ſes Sacrifices : Vengeance de Venus contre les Dames de Lemnos.& de fait, comme les Dames de Lemnos eurent intermis pour quelques annees les Sacrifices de Venus, elles attirerent ſur elles ſon ire & sa fureur, & les en ſceut fort bien punir. Car elle les rendit ſi punaiſes, que leurs maris les dedaignerent tellement qu’ils n’en vouloient pour tout approcher. Voyez liure 5. chap. 3.Or auoient-ils en meſme temps guerre contre ceux de Thrace, d’où ils emmenoyent ſouuent des femmes priſonnieres, qu’ils aymoyent mieux que les leurs propres, ce qu’elles ne pouuans voir de bon œil, firent complot d’eſgorger tous leurs maris en vne nuict. Et non ſeulement l’executerent, mais auſſi firent auec eux mourir leurs priſonnieres. Puis aprés craignans que leurs enfans venus en aage ne vouluſſent venger l’outrage faict à leurs peres, elles les maſſacrerent auſſi tous ſans en eſpargner pas vn. Cela ſe fit par l’indignation de Venus, qui ſe reſent fort bien de l’indignite où meſpris qu’on fait de ſa maieſté, & ne ſouffre pas aiſément qu’on neglige ſon ſeruice : comme elle meſme ſe vante en l’Hippolyte Couronné d’Euripide, que toutes creatures contenuës dans l’enclos des Cieux, qui noüent deſſous les eaux de la mer, qui marchent & rampent sur la terre : en ſom- me qui ont moyen de contempler la lumiere du Soleil ; ſi elles luy portent l’honneur & reuerence qui luy eſt deuë, elle les recompenſe de gloire, d’honneur & de beaux eſtats ; mais qu’elle ſcait fort bien rabatre l’orgueil des plus fiers, deſquels elle aura receu quelque outrage, ſoit de fait, ſoit de penſee. Car (dit elle) c’eſt choſe ordinaire & commune aux Dieux, de prendre vn ſingulier plaiſir aux hommes, qui par humble ſeruice s’aſſujettiſſent à leurs majeſtez. Jugemẽnt de ParisOn dit qu’eſtant vne fois entree en cõtention auec Iunon & Pallas touchant la beauté, elles s’en rapporterent à ce que Pâris, fils de Priam, en iugeroit : mais cette-cy ſuborna le Iuge, promettant de luy faire auoir la plus belle femme du monde, Helene : ſi que par ſon iugement & ſentence elle emporta le prix : mais ce iugement corrompu & frauduleux couſta depuis bien chair aux Troyens & à tout leur Eſtat : pource que tous actes iniques ſont fols & mal-auiſez ; mais ſur-tout ceux qui ſe font par le moyen de Venus, cõme dit Euripide és Troades : Autre etymologie d’Aphrodite.joinct qu’elle n’eſt pas ſeulemement dicte Aphrodite d’Aphròs, c’eſt à dire eſcume ; mais auſſi d’Aphroſyne, folie & trouble d’eſprit, & cette etymologie redarguë de grande folie ceux qui font tant d’eſtat d’vn plaiſir de ſi peu de duree. Car ſi nous deuõs euiter tous ces mouuemens d’eſprit qui nous induiſent à commettre quelque acte deshonneſte & de mauuais exemple ; encor plus exacement deuons-nous reſiſter aux chatoüillemens de Venus, & nous abſtenir de toute impudicité & des actions laſciues, car rien ne peut aduenir à l’homme de plus ſale, de plus vilain, ny de plus calamiteux. Et qui eſt celuy qui puiſſe auec verité s’attribuer le nom d’homme, ſe laiſſant, à la façon des beſtes brutes tranſporter à ſes concupiſcences desbordees, & à ſes appetits charnels ? Effects de Venus.Certes de toutes les voluptez que l’homme recerche, il n’y a point de plus deteſttable ny de plus dangereuſe que la paillardiſe & plaiſir venerien, qui conſume les moyens, nuit à la memoire, affoiblit la veuë, refroidit & debilite l’eſtomach, veu que la ſemence genitale emporte auec elle cette force & vertu par laquelle la viande ſe cuit en l’eſtomach : dont aduient que beaucoup de choses ſuperflues y demeurent encloſes, qui ne ſe peuuent ſuffiſamment euacuer, & beaucup de mauuaiſes humeurs s’engendrent par tout le corps. Receptes contre icelle.Voicy donc de braues preceptes & maximes de medecine, qu’il faut touſiours auoir en bouche pour conſeruer la ſanté, que Manger ſans ſe ſaouler : N’eſtre point pareſſeux au trauail & exercice : Conſeruer ſa ſemence genitale , ſont trois choſes ſaines ſur toutes autres. Et pourtant vn Poëte Grec à raiſon de dire que :

Le vin, les bains, Venus, rompent le corps mortel, Et le font habitant trop toſt du bas hoſtel.

Que ſi cet appetit te chatoüille & demange trop, il y a bon remede à cela, & bien aiſé à prattiquer, à ſçauoir, Viure sobrement, c’eſt de là que depend cette parole, Sans Cerez & Bacchus, Venus eſt froide. Le ſecond des preceptes ſuſdits n’y ſert pas de peu, qu’Ouide deſcrit ainſi au liure du remede d’Amour :

Chaſſe l’oiſiueté, d’amour le trait pointu N’aura de t’aſſener ny force ny vertu.

Plutarque eſcrit que la Ruë y eſt tres-bonne, pour eſtre de nature & qualité ſeche, prouenant de la force de ſa chaleur ; car elle aſſemble & ſert comme de preſure à la ſemence genitale : & pourtant Ouide en parle ainſi :

Tu peux auec proufit te ſeruir de la Ruë, Qui par ſon chaud & ſec peut eſclaircir la veuë.

Il eſt bon auſſi de manger des Laictuës pour acoiſer cette ardeur de Venus, pource qu’elles refraichiſſent. C’eſt ce que les Poëtes ont voulu donner à entendre, diſans que Venus coucha ſon Adonis mort parmy les Laictuës. On dit auſſi que l’Origan, d’autant qu’il eſt froid, fait paſſer telle enuie ; & pourtant on le ſemoit par les chemins durant la feſte des Loix qu’on ſolemniſoit en l’honneur de Cerés, durant leſquels Sacrifices il falloit que les Preſtres officians, & ceux auſſi qui s’y tranſportoient fuſſent chaſtes. Merueilleux effects de Silemne & de la roche de Leucade.Il y auoit en outre quelques lieux propres à ces receptes, comme le fleuue de Silemne, prés de Patare, ſelon que le recite Pauſanias és Achaïques : qui auoit cette proprieté de faire oublier, & aux hommes & aux femmes leurs anciennes amours s’ils s’y baignoient : & Sappo en Ouide dit qu’en Leucadie prés de Nicopolis il y auoit vn lieu haut eſleué, d’où ſe iettans en la mer, ils mettoient tout leur amour en oubly, ſans ſe faire autre mal :

Deucalion ſurpris d’vne flamme amoureuſe De Pyrrha, chaudement dans cette plaine ondeuſe Se iette à corps perdu, & vient ſans ſe bleſſer Ce boüillon chaſſe-amour des pieds & mains preſſe. Außi-toſt on euſt veu le feu de Cytheree Eſteindre au corps baigné cette ardeur alteree Dont il alloit bruſlant : ainſi Deucalion Fut ioyeux allegé de la flamme d’Adon ; Telle eſt la qualité de l’eau Leucadienne, Que ſi cet Acherot de Cyprine te gehenne De ces feux couſtumiers monte ſur ce rocher : Et du baut en la mer ne crain de deſrocher.

Le premier qui ce precipita de cette roche fut Phocas, comme dit Plutaque au traité des femmes illuſtres. Sappho meſme, la plus excellente femme en la poëſie qui iamais ait eſté, Dame docte, belle, de gentille humeur, & de complexion tres-amoureuſe, enamouree d’vn beau ieune mignon Lesbien, nommé Phaon, s’en picqua de telle ſorte que vaincuë d’impatience, elle fit volontairement le ſault Leucaden. Quant à moy ie tien que c’eſt le dernier remede dont il faille vſer, & ne conſeille à perſonne d’eſſayer s’il ſe pourra ſans peril ietter d’vn ſi haut precipice à la mercy des ondes marines : combien que Ciceron faſſe mention de cette roche au 4. des diſputes Tuſculanes, comme celle dont pluſieurs ont fait le ſaut. Plantes dediees à Venus.Or entre les plantes & les arbres la Roſe & le Myrthe eſtoient dediez à Venus, à cauſe de leur ioliueté & gentilleſſe ſinguliere ; car la Roſe entre les fleurs, & le Myrthe entre les arbres, emportent le prix de beauté. Virgile le teſmoigne en la 7. Eclogue :

Bacchus ayme la Vigne, Hercule le Peuplier, La Cyprine le Myrthe, & Phœbus le Laurier.

Auſſi les Poëtes appellent le Myrthe, ſejour des ames amoureuſes aprés leur mort. Et Virgile au 6. feint vne foreſt de Myrthes aux Enfers, en laquelle errent vagabondes les ames de ceux qui durant leur vie ont eſté d’amoureuſe humeur. La plaine en laquelle eſt cette foreſt s’appelle les champs du dueil. Quelques-vns neantmoins veulent dire que le Myrthe ſoit ſacré à Venus, pource qu’elle s’en veint gentiment enguirlandee de cet arbre ſe preſenter au iugement que Pâris deuoit donner touchant la precellence en beauté des trois Deeſſes, dont elle remporta la victoire. Myrthe aymé de Venus, hay des autres Deeſſes.Pourtant Iunon & Pallas deteſterent touſiours depuis cet arbre là. Aucuns en donnent cette raiſon, pource qu’il croiſt volontiers ſur le riuage de la mer, d’où Venus naſquit. Les autres, d’autant qu’il eſt propre à beaucoup de maladies de femme, & myſteres veneriens. Cependant il n’eſtoit pas dedié à elle ſeule ; car Bacchus s’en accommodoit auſſi, ſelon le teſmoignage d’Ariſtophane és Grenoüilles :

Iacche ô Iacche gentil, Vien dançant par cette prairie, Vers ceux qui de ta confrairie. Obſeruent ſaintement le ſtil : Et de ton chef la belle treſſe Dun verd chapeau de Myrthe entreſſe.

Peut eſtre d’autãt que la pance & la dance ſont ſi eſtroittemẽt alliees : Et de fait Bacchus & Venus, ſuiuãt le dire d’aucuns, engendrerent les trois Graces, qui ſelon les autres, eſtoient conſacrees à Venus, pource qu’elle ne fait rien ſans leur ſceu. Car lors qu’elle deuoit receuoir de la main de Pâris la pomme de Victoire, elle fit venir à elle Hymenee, Cupidon, les Amours, & les Graces, comme dit Pauſanias. Liure 7. chap. 8. Liu. 5 cha 16.La Pomme auſſi, ſymbole d’amour, eſt dediee à Venus, à cauſe que par le moyen d’elle-meſme, pluſieurs parties d’amourettes ſe ſont dreſſees autrefois, comme entre Hippomene & Atalante. Pareillement la Myrthe, pour le ſuject que nous dirons ailleurs.

Mythologie phyſique de Venus. Voyla les principaux contes que nous auons des Anciens quant à Venus. Et pour en tirer la ſubſtance, il faut ſçauoir que Venus n’eſt autre choſe que cet occulte appetit & cette enuie d’engendrer, dont nature a pourueu tous animaux, que Lucrece au 4. liure exprime comme s’enſuit :

Ainſi donc cettuy-là qui des traits de Cyprine Finement acerez ſent ferir ſa poitrine : Soit que ſon Archerot les vienne deſcocher D’vne doüillette main : ſoit que pour accrocher Quelqu’vn dedans ſes rets elle meſmes elance D’vn rude & puiſſant bras quelqu’amoureuſe lance ; Du lieu qu’il eſt atteint, c’eſt là meſme qu’il tend, Deſireux de ſe ioindre à celle qu’il pretend.

Or nous en auons vne bonne preuue en ce que la tiedeur printanniere de l’air diſpoſe & reſueille toutes choſes pour engendrer leur ſemblable, ioinct que le meſme Poëte appelle l’aure & ſouffler du Zephire, meſſager ou auant-coureur de Venus. Pourquoi Venus eſt nee de l’eſcume de la mer.On dit qu’elle eſt nee de l’eſcume marine, pource que la ſemence genitale des animaux n’eſt autre choſe que l’eſcume du ſang qui ſurnage & boüillonne par deſſus. Et d’autant que la ſaumure ou liqueur ſalee n’apporte pas peu d’aide à la generation, prouoquant à luxure par ſa chaleur & acrimonie mordicante (teſmoin la quantité des rats & ſouris & autre vermine qui s’engendrent és batteaux qui voiturent ordinairement du ſel : dans leſquels les femelles s’engroſſiſſent, meſme ſans conionction de maſle, à force de leſcher le ſel) on luy fait accroire qu’elle eſt procreée de la mer, qui conſiſte preſque toute de ſel, hormis de quelque portion d’eau douce qui y eſt entremeſlee, pour la rendre & tenir liquide. Son educatiõ par les Nymphes. La nourriture de Venus denote la ſeparation des eaux d’auec la terre en la creation du monde, lors que par la prouidence diuine la mer ſe ſequeſtrant de la terre, cette-cy demeura deſcouuerte pour la commodité des animaux qui ne peuuent viure dans l’eau, laquelle terre eſt par endroits arrouſee de belles fontaines & riuieres d’eaux douces, pour le meſme effect, car la terre ſeroit de tous poincts inutile ſans eau. Lactance dit qu’elle a eſté nommee Deeſſe d’Amour, parce que ç’a eſté vne Courtiſane, qui la premiere fit eſtat de tenir bordeau ouuert à tous les allans & venans. Or chaſque eſpece deſire de ſe ioindre à ſon ſemblable, comme Chiens auec Chiennes, Cheuaux auec Iumens, Lions auec Lionnes, & ne void-on point en nature qu’aucune forme diſſemblable ſ’accouple enſemble. Cela ſe faict par l’inſtinct de nature, qui a empraint en toutes ſortes d’animaux certaines ſemblances & formes, abhorrans celles qui leur ſont differentes & diſſemblables, afin de mieux ſ’’abſtenir d’vne conionction vaine, inutile, & qui ne peut rien engendrer qui puiſſe continuer ſon eſpece. Animaux trop differents en eſpece ne produiſent rien.Car tout ainſi qu’vn arbre ne ſe plaiſt pas qu’on luy ante vn greffe par trop diſſemblable ; auſſi les femelles ne prennent pas plaiſir d’habiter auec des maſles fort differents de leur eſpece. Et combien que les Viperes frayent volontiers auec les Anguilles, & que les Chiennes ſe laiſſent parfois couurir par des Loups, ou les Louues par des Chiens, pource qu’ayans le corps fait quaſi d’vne meſme façon & taille, ils eſlancent vne pareille ſemence, choſe qui ſert beaucoup à la generation : ſi toutefois les oyſeaux ſ’apparioyent auec les Anguilles, ou autres animaux fort diſſemblables, ils ne ſçauroient rien engendrer. Ainſi donc la generation ſe doit faire, & ſe fait ordinairement entre animaux ſemblables & de meſme eſpece, ou pour le moins peu differents. Il n’y a donc animal qui n’ait quelques eſprits & aiguillons pour l’induire à l’amour, & la temperie ou diſpoſition bien proportionnee de l’air leur ſert comme de maquerelle : & de ces eſprits les vns ſont plus tardifs à faire leur deuoir & charge, les autres plus prompts & plus ingenieux : & pourtant il aduient quelquefois qu’vn maſle ayme vne femelle, ou vne femelle vn maſle, ſans ſ’eſtre iamais entre-veus. D’où procede l’Amour.Les autres enſeignent que Nature, tres-ſage, mere de telles choſes, accorde & vnit enſemble les affections & les temperamens qui ont quelque correſpondance & ſympathie, & qu’elle faict ſortir de tous les endroits du corps certains rais occultes & incognus : que toutefois les autres ayment mieux dire proceder des yeux, & ferir le courage de l’autre ; & que celuy qui en eſt atteint & feru, ſe tournant vers l’endroit d’où luy vient le coup, y deuinant, & comme preſentant quelque volupté, & deſirant de ſe ioindre à ſon ſemblable ſe laiſſe gliſſer & couler à cet appetit : c’eſt ce qu’on appelle Amour, & d’vn nom propre Cupidon. Il aduient neantmoins quelquefois que leſdicts rais ne procedent que de l’vn des deux, ne pouuans paruenir iuſques au but pour quelque diſſemblance qui ſe trouue entr’eux deux, & ſentent bien qu’ils ne font aucune impreſſion ſur l’autre : auſſi ne ſont ils pas ſi bandez ou preignans, & ne durent gueres, & laſchent incontinent leur priſe. Car nature ne permet pas qu’on ſ’applique long temps pour neant à quelque beſongne. Que c’eſt que Venus.Venus dõc eſt ce plaiſir & volupté que l’affection des creatures preuoid qu’elle receura ſe conioignant auec ſon ſemblable ; c’eſt pourquoy elle a eu le bruit & reputation d’eſtre ſi bonne ouuriere & Deeſſe d’Amours, & pour cet effect on deduit ce ſien nom Cytheree, du verbe Grec Κυειν pource qu’elle fait enfanter & conceuoir. Les autres appellent Venus ce mouuement d’affections, que nature meſme cauſe par le moyen de l’air bien temperé. Nous auons deſia dict pour quel ſuiect on la faict nee de l’eſcume de la mer, à ſçauoir, pource que la ſemence genitale ſe faict & ſe forme de la plus pure partie du ſang, dequoy nous auons preuue, en ce que l’vſage trop frequent de Venus n’eſt pas moins nuiſible à l’eſtomach, à la memoire, & à la veuë, que la ſection des veines. Raiſons de la genealogie de Venus.Les autres ont voulu dire qu’elle eſtoit fille de Iupiter & de Dione, d’autant que l’appetit & conuoitiſe d’engendrer ſe conçoit de chaleur, & de cette matiere qui eſt inferieure ; car toute la matiere corruptible des Elemens ſe peut appeller Dione. Ceux qui la font fille du Ciel & du Iour, ſ’accordent auec les Theologiens Chreſtiens ; car aprés que Dieu tout-puiſſant eut creé le ciel, le iour & les eſtoilles, il imprima en toutes creatures vne amour & inclination à engendrer. C’eſt pourquoy ayant creé les animaux & la verdure, parlant à toutes ſes creatures, il vſe de ces mots ; Croiſſez & multipliez. Raiſon de ſes charges & effects.Pour cette meſme raiſon eut elle la charge & commiſſion des nopces. Elle eſt dicte Ayme-ris, ou pource que l’amour ſe fait par ioye & lieſſe, ou pource que les animaux ſont principalement en leur force lors qu’ils ſont propres à faire race ; ce qui ſe fait par vne cõuenable ſymmetrie & proportion d’elemens. Pour cette cauſe on la dit auſſi femme de Vulcan : qui l’ayant ſurpriſe en adultere auec Mars, l’enreta toute nuë, & l’expoſa en riſee aux autres Dieux, & ne la tua pas, L. Iulia de adult.comme la loy le permet aux hommes : ou pource qu’il n’eſtoit poſſible de mettre à mort vn Dieu, ou pource qu’il eſtima luy eſtre mal-ſeant de commettre vn acte ſi cruel, indigne d’vn homme de bien, beaucoup plus d’vn Dieu : Femme impudique ne ſoüille point la bonne reputation d’vn hõme d’hõneur.voulant auſſi faire entendre que c’eſt vne folie & temeraire opinion de penſer que la laſciueté d’vne femme impudique puiſſe apporter quelque deſhonneur, ou ſoüiller la bonne reputation d’vn honneſte homme, ſi ce n’eſt que le mary volontairement & ſciemment conniue aux ordures & vilennies de ſa femme. Car perſonne ne doit legitimement porter le chaſtiment des fautes d’autruy. Les Lacedemoniens auoient donc brauement faict, d’ordonner que ſi quelque adultere ſe laiſſoit ſurprendre ſur le faict, le bourreau luy tirailloit publiquement au marché le membre honteux, puis eſtoit pour vn certain temps banny de leur Seigneurie & iuriſdiction ; ce qui ſe faiſoit, ſans que les maris des femmes paillardes en receuſſent aucun blaſme ou deſhonneur. Et pourtant ce ſage Stilpon, quand Metrocle, philoſophe de la ſecte Cynique, le penſa diffamer, luy reprochant qu’il auoit vne fille impudique, le rembarra fort à propos, luy faiſant telle demande ; Eſt-ce ma faute ou celle de ma fille ? C’eſt (reſpondit Metrocle) la faute de ta fille, mais c’eſt vn mal-heur pour toy. Comment cela ? diſt Stilpon, les pechez ne ſont-ce pas fautes ? Voire. Et les fautes de ceux qui ont failly, ne font-ce pas fouruoyemens ? Il eſt vray. Et les fouruoyemens de ceux qui ſe ſont fouruoyez, ne ſont-ce pas leurs mal-heurs ou meſaduentures ? Par ces paroles ce ſage perſonnage luy voulut apprendre qu’il ne faut point blaſmer perſonne pour les crimes d’autruy. Raiſon de la bleſſure de Venus.Au reſte Venus fut bleſſee par Diomede, pource que ceux ſur la natiuité deſquels Venus domine, ſont beaux de viſage, fiers de courage, mais d’vne paſte mollaſſe, & ne ſont pas fort propres à porter les armes. Et pourtant Pâris eſtant né ſous la domination de Venus, voicy ce que luy dit Helene en ſon epiſtre, chez Ouide :

Tu dis aſſez que tu ferois merueilles, Et qu’en toy ſont proüeſſes nompareilles : Mais bien void-on par ta force & tes yeux Qu’autre meſtier que guerre te ſied mieux. Plus ſubiette eſt ta contenance telle A bien aymer, qu’à bataille mortelle. Or laiſſe donc aux gens cheualeureux Le faict de Mars par trop auantureux : Et toy Pâris, pren d’amour la banniere. Car pour certain bien t’en ſied la maniere. Laiſſe à Hector les guerres & debats : Retien pour toy des Dames les eſbats : Plus y feras par ta douce requeſte Que par le glaiue ou armes en conqueſte.

Que ſignifie la puiſſance attribuee à Venus.Iupiter auſſi diſoit que les charges & les offices des autres Dieux n’eſtoient pas conuenables à cette Deeſſe, comme ainſi ſoit que chaſcun d’entr’eux euſt ſa commiſſion & office particuliere, pource qu’il n’y a puiſſance ſi grande qui ſoit d’elle-meſme aſſez forte, & qui n’ait beſoin de l’aide de quelqu’vn. C’eſtoit bien aſſez pour rembarrer & humilier l’arrogance & temerité des hommes, veu que les Dieux meſmes ne pouuoient pas toutes choſes, ains ne ſe pouuoient paſſer les vns des autres. Ceux qui diſent qu’elle domptoit toutes ſortes d’animaux, que Iupiter meſme ſe ſouſmettoit à l’Amour, que Venus auoit creé le monde, & le conſeruoit en ſon eſtre, & que toutes choſes dependoient de ſa prouidence : il ſemble qu’ils ont voulu exprimer la bonté & l’amour incroyable de Dieu enuers les hommes. Dauantage les Anciens nous content que Venus ſe rit & ſe mocque des pariuremens des amans : d’autant que ceux qui par quelque nottable eſmotion d’eſprit ſe laiſſent emporter à l’amour, ne ſont pas en leur bon ſens, ains courent où les boüillons de leur ame les tranſportent. Car celuy qui tout rauy & bruſlant d’amour vient à faire des ſermens, ne differe en rien d’auec l’homme, qui inſenſé iureroit de vouloir à l’aduenir inſenſer auec la raiſon meſme : d’autant que tous ces deux-cy ne ſe laiſſent pas conduire à la raiſon, mais bien aux folles paſſions de leur ame. Raiſons des animaux tirans le chariot de Venus.D’autre coſté le chariot de Venus eſtoit tiré par des Cygnes, pource que ceux qui ſont nets, propres & beaux, font plus gentiment l’amour, & ſont auſſi plus volontiers aymez. Car le Cygne eſt quaſi le plus blanc, le plus net & propre oyſeau qui ſoit point. Les autres toutes-fois font tirer ſon carroſſe à deux ſortes d’oyſeaux qui ſont merueilleuſement chauds & paillards, Pigeons & Moineaux. Explication des trois Venus.Or comme ainſi ſoit qu’il y ait trois Venus, les Amours auſſi & les Cupidons leurs enfans, ſont de diuerſes qualitez. Cette Venus ſurnommee Vranie ou Celeſte, ſignifie vn amour pur & loyal, eſloigné de toute conuoitiſe charnelle, telle que nous le deuons à Dieu, à la patrie, aux gens de bien & vertueux, à nos bien-faicteurs, & generalement à noſtre prochain ; & cet amour n’eſtant entaché d’aucune ſoüilleure corporelle, ſe peut appeller celeſte, pur & diuin. Venus la Populaire eſt celle qui fait que les animaux ſe conioignent & ſ’accouplent, ſelon que la nature le leur permet pour continuer leur race. Mais celle qui eſt dicte Apoſtraphie, ou Deſtournereſſe, a eu ce ſurnom, pource que voyant les barbares commettre beaucoup d’enormes pollutions & vilainies par conionctions abominables, elle leur ordonna certaines loix pour refrener & tenir de court leurs conuoitiſes deſhonneſtes, & les deſtourner de leurs paillardiſes inceſtueuſes, cõme le nom d’Apoſtraphie le montre, qui vient d’Apoſtréphein, ſignifiant deſtourner. Et pource que cette Venus Celeſte ne peut proceder que d’vne affection bien ſobre & temperee, c’eſt à bon droit que les Anciens obſeruoyent de n’apporter point de vin en ſes Sacrifices, pource que le vin cauſe toutes ſortes de reſueries, diſſolutions, intemperances. Cette Venus qu’on nomme Populaire, ne refuſe, ny le vin, ny de boire d’autant, comme eſtant Deeſſe du commun peuple, & des eſmeutes turbulentes de la commune. Pourquoi la creatiõ de l’Vniuers eſt attribuee à Venus.Et d’autant que cette meſme Venus ſ’engendre de la temperie de l’air, & induit toutes creatures à procreer, les anciens l’ont appellee Creatrice de tout le monde : laquelle eſt principalement cette benignité & douceur de l’air que l’on ſent au printemps, que Virgile exprime en cette ſorte au 2. des Georgiques.

Aux fueillages des bois le gracieux primtemps, Le primtemps aux foreſts eſt grandement vtile ; Les terres au primtemps enflent leur ſein fertile, Qui requiert la ſemence au germe genital, Lors ioyeuſement gliſſe au giron coniugal L’Air pere tout-puiſſant par vne heureuſe pluye, Et grand dans vn grand corps meſlé va donnant vie A tout genre de fruicts. Lors les bois eſgarez Reſonnent ſous le chant des oyſeaux bigarrez ; Le beſtail amoureux certains iours reitere L’allechante douceur des plaiſirs de Cythere. La plaine eſt en geſine, & leur ſein vont les champs Sous les tiedes ſouſpirs de Zephyres laſchants. Vne humeur tendre en tous abonde, & frais-eſcloſe L’herbe aux nouueaux Soleils ſeure commettre s’oſe.

Par ces vers Virgile deſcrit les raiſons naturelles qui font qu’en ce temps-là toutes creatures ſont plus enclines à l’amour & à Venus qu’en aucune autre ſaiſon : ce qu’auſſi Lucrece depeint gentiment, quand il vient à tumber ſur le diſcours de Venus, montrant que c’eſt celle qui incite tous les animaux à conſeruer leur eſpece, & qui leur engendre vn appetit naturel de faire choſe ſemblable à eux :

C’eſt toy qui fais du Ciel les feux eſtoillez luire, Et qui peux accoiſer la mer porte-nauire ; C’eſt toy qui fais germer les ſeillons porte-blés Pour grener en eſpis : c’eſt par toy qu’aſſemblés Tous genres d’animaux d’vn lien amiable Soigneux de leur eſpece engendrent leur ſemblable. Par toy tout corps viuant contemple du Soleil Les rayons lumineux & viſage vermeil. Dame, le vent te fuit, außi te fuit la nuë ; Et la terre außi toſt qu’elle ſent ta venuë, S’eſmaille ſous tes pieds de mille belles fleurs, Et ſe diuerſifie en cent & cent couleurs, Fiere de t’accueillir : & la plaine azuree Te darde vn œil doucet & mignarde riſee. L’air ſe void außi toſt de broüillas eſpuré, Et du celeſte feu nettement eſclairé. Car dés que le Primtemps vn nouuel air inſpire, Et ſ’ouure la vigueur du genital Zephyre. On oit premierement les mignards oyſelets Par le vuide de l’air en leurs chants nouuelets Deſgoiſer ta venuë, & ſentir, Cytheree, Ferus de ta vertu, leur poitrine alteree. Les Feres puis aprés broſſent emmy les champs, Et trauerſent les eaux, leur paſture cerchants. Ainſi ſous tes appats, ſous ta douce conduite Tout animal viuant plein d’amour à ta ſuitte L’on void ſ’acheminer, et la part où tu veux Qu’il chemine aprés toy, tu l’emmen’ amoureux.

Mais Euripide graue-doux Poëte montre bien plus clairement que toutes choſes ſ’engendrent par vne ſymmetrie & iuſte proportion d’Elemens, & que cette force qui procede du mouuement des corps celeſtes (appellons-la, ou celeſte ou naturelle) qui fait que les Elemens ſont ramenez, ou pluſtoſt les ramene à ce meſlange, n’eſt autre choſe que Venus, en vn mot : laquelle il introduit parlant ainſi d’elle-meſme :

Tu ne ſçaurois pas faire entendre, Ny bien ſuſſiſamment comprendre, Combien Venus peut auoir Sur les mortels de pouuoir. Elle fournit de nourriture A toute humaine creature ; Mais pour t’en mieux aſſeurer Que par vn ſimple parler. Eſpluchons ſa grand’ energie. La terre appete de la pluye. Quand ſon ſolage alteré Eſt d’humeur tout eſpuré, Deſirant, par trop deſſechee, Se ſentir par eau refraiſchee. L’air meſme caligineux Plein d’ombrages nubileux Par deſſus la terre deſcharge Pour l’amour de Venus ſa charge. Mais quand cette qualité De chaud & d’humilité Eſt treſbien proportionnee, Lors toute choſe nous eſt nee Qui ſert à noſtre aliment, Et qui fait chaſque animant Deſſous l’air non ſeulement naiſtre, Mais verdoyer, fleurir & creſtre.

Raiſon de l’amour & mort d’Adonis.Ceux qui prennent Adonis pour le Soleil, ont raiſon de dire que Venus ayma Adonis : pource que ſans la force du Soleil, Venus n’eſt rien. On dit qu’en hyuer il meurt, d’autant qu’en telle ſaiſon l’engeance des herbes & de pluſieurs autres choſes ceſſe. Car quand le Soleil vient à eſmouſſer & rallentir ſes rais, il a moins de force : & le froid eſt fort contraire à toutes actions de nature. Or quand il fut mort, pourquoy le poſa-elle parmy les laictuës ? C’eſt à cauſe du froid de l’hyuer. En ce temps meſme ſe faiſoit la feſte d’Adonis, & dit-on que durant cette meſme feſte, la riuiere nommee Adonis deſcendant de la montagne du Liban, auoit de couſtume d’eſtre ſanglante. Liberalité commandee.Les Graces eſtoient filles de Venus la Celeſte, à cauſe de la liberalité dont on doit vſer enuers les gens de bien. L’vne des trois luy tourne le dos, & les autres deux la regardent en face ; d’autant que c’eſt le deuoir d’vn homme liberal & magnanime d’imiter les bonnes terres, rendans à meilleure meſure qu’elles n’ont receu. Ces trois ſœurs là ſe tiennent l’vne l’autre par la main, & ſont vierges, & touſiours rient : pource qu’il faut eſtre liberal ſans en eſperer recompenſe ; veu que c’eſt pluſtoſt le faict des marchans, de faire plaiſir ſous eſperance de proffit ; joint auſſi que le bien-faict procedant d’vne bonne & franche volonté, ſans aucune contrainte, ou ſans ſe faire chapperonner, emporte beaucoup plus d’obligation & de recognoiſſance. Pourquoi Pâris prepoſa Venus à ſes competitrices.Les Fables diſent auſſi que Pâris la iugea plus belle que Pallas & que Iunon, pource que plus de gens s’adonnent aux voluptez charnelles, qu’à bien façonner leur eſprit ; aux vices, qu’aux vertus ; à vilainie & diſſolution, qu’à gloire & honneſteté. Car pluſieurs perſonnes pour iouyr d’vn plaiſir bien ſale, & de peu de duree, ont mis en arriere leur honneur, leur reputation ; perdu le moyen & commodité d’exploiter de bons affaires, & faict de grands frais & deſpenſes pour aſſouuir leurs appetits ; qui finalement deuenus les plus miſerables hommes du monde, pour auoir trop obey à leurs ſens charnels, ſont tumbez en de grands malheurs & pauuretez. Or voyla ce que les Anciens nous ont appris touchant la qualité, la force & la puiſſance de Venus, & les contes qu’ils en ont faict : que ſi quelque choſe y manque, le diſcours ſuiuant de ſon fils Cupidon le ſuppleera.