De Cupidon.
CHAPITRE XV.
Il ſemble qu’Heſiode en ſa Theogonie vueille dire qu’Amour ou Cupidon ſoit iſſu de cette matiere informe, lourde, obſcure, peſante & immobile, qu’on a nommee Chaos :L’on a deſia ſouuente-fois conu par experience que Cupidon eſt vn grand Dieu, & admirable, tant aux Dieux qu’aux hommes, tant és autres choſes que principalement en ce qui concerne ſon origine ; car c’eſt vne remarque fort honorable d’eſtre mis & placé au rang des plus anciens Dieux. Or les parents de Cupidon ne ſe trouuent point, et n’y a homme, ny particulier ny Poëte qui les nomme.
Le Chaos deſbroüillé, la terre aux larges reins Fut faite pour ſeruir aux grands Dieux ſouuerains De marche-pied faiſans ſur l’Olympe leur erre. Puis le Tartare obſcur enfondré ſous la terre : Et le plus beau qui ſoit dans le pourpris des Cieux, Amour chaſſe-ſoucy des hommes & des Dieux, Qui dompte le vouloir, & qui dans leur penſee Maiſtriſe les auis que l’ame a pourpenſee.
Car il dit que Cupidon naſquit incontinent aprés la Terre, & qu’il
Tout eſtoit vn Chaos, vn noir Erebe, & Nuict, Vn Tartare profond, la terre eſtoit encore Confuſe en cet amas, ſans Ciel, ſans Air, ſans Aurore. Quand la ſombr’-ailé Nuict, au ſein larg’-eſtendu D’Erebe fit vn œuf de Zephire pondu, Qui couué produiſit cet Archer de Cythere, D’or-ailé ſur les flancs, qui d’amour l’ame altere.
Orphee auſſi nous conte ie ne ſçay quoy de ſemblable touchant ſa naiſſance, diſant qu’il eſt né deuant toutes autres creatures :
Ie chante vn premier né, grand de double nature, Chut de l’air, né d’vn œuf, tout fier de la parure De ſes aiſles d’or fin, de qui naiſſance ont pris Les manans de la terre, & du vouſté pourpris.
Neantmoins ledit Platon qui n’agueres a dit qu’on ne trouue point les parens de ce Cupidon, vient puis aprés audit paſſage à conter vne Fable de ſa natiuité :
Theocrit en Hylias dit bien qu’il eſtoit né de parens Dieux, mais il n’aſſeure point quels ils ſont ; tant ſon origine & extraction eſt malaiſee à ſçauoir :Le bruit eſt (dit-il) que les Dieux ſolemniſans vn iour la feſte de la natiuité de Venus, ſe mirent à ttable aux cieux, & firent ſi bonne chere, que Pore, Dieu du conſeil & d’ abondãce, ayant vn peu trop beu de Nectar, ſ’enyura ; & trouuant Penie, Deeſſe de pauureté, dans le iardin de Iupiter, l’engroſſa : laquelle depuis enfanta Cupidon, qui fut donné à Venus pour la ſeruir, & faire ce qu’elle luy commanderoit ; par ce moyen on creut qu’il fuſt fils de Venus.
De qui que ſoit des Dieux qu’Amour ait ſon eſſence, Ce n’eſt pas pour nous ſeuls qu’il a receu naiſſance.
Quelques-vns diſent Amour eſtre fils de Saturne ; teſmoing Orphee.
Et l’Amour & les Vents ſont iſſus de Saturne.
Mais
Nous chantons la grand race extraite de Cyprine, La grand’ ſource royale, & fontaine diuine, De qui ſont deſcendus les immortels Amours, Qui les flancs empennez rodent & nuicts & iours.
Pauſanias és premieres Eliaques dit que Venus ſortant de la mer, fut receuë & accueillie par Cupidon, & couronnee par Suade ou Per-
Ie chante vn grand, vn ſainct, plaiſant, aymable Amour, Archer, ailé, puiſſant en flames, & d’vn cour Infiniment ſoudain, double-né, qui, folaſtre, Parmy les Souuerains et les hommes folaſtre, Qui tient les clefs de tout, ſoit du ciel ætheré ; Soit de la terre baſſe, ou du regne vitré, Meſme de tous les vents que Cerés la blétiere Entretient pour ouurir la matrice fruitiere De la terre, ou de ceux qui bourſouflent la mer, Ou ceux qui leurs ſouſpirs deſgorgent dans l’Enfer.
Les Anciens peignoient les Cupidons auec des ailes, & teintes d’azur, pourpre & iaune-doré, & à quelques-vns d’or tout pur : vn arc & des traits, le corps gras & potelé, le ſang chaud, & la couleur viue : comme Zeuxis le peignit à Athenes d’vne merueilleuſe beauté, couronné de chappeaux de roſes : de meſme peignoient-ils la Victoire & le premier qui la fit ailee fut Aglaophon Thaſien. Auſſi comme son
Rome, Royne du monde ; ore que la victoire N’a plus d’ailes, iamais ne perira ta gloire.
Puis aprés d’autres luy firent porter vne fleur d’vne main, & de l’autre vn Dauphin, comme il appert par cet Epigramme de Palladas, Poëte Grec :
Amour eſt nud, pourtant rit-il & eſt courtois ; Car il ne s’arme plus de fleches ny carquois Pour enflammer les cœurs, c’eſt à bon droit qu’il porte La fleur et le Dauphin. Il montre en cette ſorte Que d’vne main il tient la terre en ſon pouuoir, Que de l’autre il ſouſmet la mer à ſon vouloir.
On luy deferoit tant de credit & de puiſſance, que ce qui eſtoit laid & difforme, il le faiſoit trouuer beau & honneſte ; & eſtimoient qu’il euſt pouuoir d’hebeter & eſtourdir tous les ſens des amants. Il eut meſmement vn iour tant de hardieſſe que d’entreprendre de piller les armes & enſeignes de tous les Dieux, ſelon que Philippe, Poëte Grec, l’exprime gentiment en vn Epigramme :
Iadis les Cupidons prindrent par eſcalade L’hoſtel des Tout-puiſſans, & par grand’algarade S’armerent richement du butin glorieux Que pillans leur manoir ils firent chez les Dieux. Phœbus perd ſon carquois, ſon arc ; Iupin ſa foudre Dont il touchoit maint corps le reduiſant en poudre. Hercule ſa maſſuë ; et d’vn ſemblable trait Neptun ſa Fourche fiere, & Mars ſon halecret : Diane ſon flambeau treluiſant ; & Mercure Grand meſſager des Dieux, ſon ailee chauſſure, Et ſon Thyrſe Bacchus. Or ne faut ſ’eſtonner Si les hommes foiblets ſe laiſſent aſſener Aux fleches des Amours, puis que les Dieux ſupremes Les ont accommodez, de leurs armeures meſmes.
Puis donc que la puiſſance de Cupidon eſtoit ſi grande, à bon droit l’appelle Platon le plus heureux de tous les Dieux qui luy ſont aſſujettis.
Il fait deux Cupidons, & nomme l’vn Celeſte ; l’autre, Vulgaire. Mais outre les ſuſdites marques & enſeignes on luy en a bien adiouſté d’autres : & ne Quant à moy (dit-il) ie tien qu’encore que tous les Dieux ſoient bien-heureux, neantmoins Cupidon (s’il eſt loiſible de le dire ſans encouurir blaſme ny reprehenſion) eſt plus heureux que tout tant qu’ils ſont, le plus beau & le meilleur qui ſoit point entre-eux.
A qui eſt cet enfant ? à Venus. Cette trouſſe Pour quel ſujet eſt elle ainſi pleine ? c’eſt pource Que, s’il eſt peu prudent, ſes coups ſont aſſeurez, Et ne deſcoche en vain ſur ceux qu’il a mirez. Pourquoy va-t’il tout nud ? il eſt tout ſimple, & s’ouure Pour ſe montrer à plein, & hait cil qui ſe couure. D’où vient qu’il eſt enfant ? c’eſt qu’il fait eſtre tels Les vieillars preſts d’aller és infernaux hoſtels. Qui luy garnit les flancs d’ailes ? c’eſt inconſtance. Pourquoy n’a-t’il nul front ? il ſeme mal-vueillance. Qui luy creue les yeux ? vn desbordé plaiſir. D’où vient cette maigreur ? le ſoucy
Or d’autant qu’il n’y a rien qui gaſte tant la ſanté des hommes, qui plus affoibliſſe leurs corps, ny qui plus peruertiſſe les bonnes mœurs que les delices ; les Anciens en ont attribué la cauſe à vn excez, boire & manger. Auſſi Palladas Poëte Grec, dit fort bien qu’il n’y a choſe tant repugnante à la nature de Dieu que de ne tenir aucun regime en ſon viure, & mener vne vie diſſoluë, s’occupant ſans ceſſe à farcir & noyer ſon ventre : d’autant que telle intemperance conduit les hommes à toutes vilainies & desbordemens, joint que l’humanité & courtoiſie, la iuſtice, temperance, & toutes autres vertus ſont compagnes & ſuiuantes de frugalité, non de gourmandiſe ny d’yurongnerie. Et pour dire en vn mot, tant de marques & d’enſeignes, tant de puiſſances, tant de butins & deſpoüilles, tant de cruels compagnons : ce difforme aueuglement, cette aage incapable de prudence & de conſeil, ont eſté par les Poëtes attribuez à Cupidon, pour exprimer la rage de la diſſolution des hommes ; de façon qu’il ſemble n’y auoir en nature choſe qui plus meſſée à vn honneſte homme, bien né & bien nourry : eſquelles choſes neantmoins beaucoup de gens ſe plaiſent par trop, tellement qu’ils n’en peuuent parler qu’auec vn
Qui dit qu’Amour ſoit Dieu ? car les œuures diuines Ne ſont iamais malines : Ne tient-il pas en main vn glaiue bien pointu De cruelle vertu ? De combien d’aſſaßins où il ſe baigne & ſoüille Emport’-il la deſpoüille ?
Cupidon eſt vn fleau qui les ames bourrelle ; Il n’engendre qu’eſtrif, ennuy dueil & querelle.
Car qu’y a-il auiourd’huy qu’on n’obtienne par paillardiſe, par macquerelages & garçons de loüage ? Il y a beaucoup de villes, beaucoup de Prouinces, beaucoup de Royaumes ruynez par le moyen de ce Dieu des enragez & forcenez. Car combien de villes ont pris les armes pour l’amour de quelques femmes rauies ? combien de femmes ont liuré & trahy leur patrie & leurs parens entre les mains de leurs ennemis pour ſemblable fureur ? combien de maris ont attenté la mort de leurs femmes, & combien de femmes celles de leurs maris, à cauſe de ce beau Dieu ? combien de meres ont eſgorgé leurs enfans ? en ſomme il n’y a meſchanceté : impieté, ſacrilege, deſloyauté, ny crime, tant enorme ſoit-il, duquel Cupidon ne ſoit autheur. Et pourtant quiconque ſe meſlera de loüanger l’Amour, ne merite pas le nom de ſage : & celuy qui ſe laiſſe aſſujettir à luy, & ploye le col ſous ſon joug, eſt le plus miſerable homme qui viue : joint que bien ſouuent il donne tel conſeil à ſes ſuiuans, que cette bonne Dame Medee le prend pour elle à l’encontre de ſes parens, de ſa patrie, & de ſon propre honneur, lors qu’apprehendant les hazards que ſon bien-aymé Iaſon encouroit, ces propos luy eſchapperent de la bouche :
Que ſera-ce de moy ſi la Parque enuieuſe Luy fait paſſer le bord de l’onde Stygieuſe ? C’eſt faict : n’en parlons plus, adieu fidelité, Adieu toute vergongne, adieu pudicité.
Amour qui fais cruelle guerre Aux mieux rentez qui ſoient en terre, Qui loges ſur les yeux ſuccrins, Et ſur les deux bouttons pourprins Des ieunes filles amoureuſes : Qui marches, ſur les eaux ondeuſes, Qui daignes meſmes heberger Chez vn bien malotru berger. Il n’y a d’immortelle eſſence, Ny de corruptible ſemence, Qui puiſſe euiter ton ardeur. Mais qui te tient, tumbe en fureur. Tu rends iniuſtes par outrages Meſme les plus ſaints perſonnages ; Tu troubles par inimitié Ceux qui ſont ioints par amitié. Tu ſemes entre les plus proches Haines, querelles & reproches.
A ſçauoir ſi les Dieux dardent en nos eſprits Cette ardeur, Euryale, ou ſi la force grande De ce deſir ardent qui dans nos cœurs commande, Eſt Dieu fait à chaſcun ?—
Si toſt que la beauté d’vne femme on regarde, D’vn clein d’œil amoureux vne forme elle darde Qui plus viſte qu’vn trait vient aſſener le cœur, Duquel elle ſe rend en peu d’heure vainqueur. L’œil en eſt le chemin : & de cette picquure. Se gliſſe dans le cœur vne telle bleſſure Dont l’on ſe void atteint, voire ſi bien donté, Qu’on en perd quand & quand toute ſa liberté.
Eros, vn frere qui fut appellé Anteros, Contr’amour : pour luy ſeruir de compagnie, d’autant qu’il s’ennuyoit & languiſſoit tout ſeul, & ne proffitoit point. Ce qu’aperceuant Venus, elle s’en alla au conſeil à la Deeſſe Themis qui luy fit reſponſe qu’il auoit beſoin d’vn Anteros, pour luy correſpondre, à ce qu’ils peuſſent s’entreſecourir. Ainſi Venus engendra de Mars cet Anteros, qui ne fut pas pluſtost en lumiere, que Cupidon commença à croiſtre, dilater & eſtendre ſes ailes & pennage. Et meſme tandis qu’Anteros eſtoit preſent & auec luy, il paroiſſoit beaucoup plus beau & plus grand : là où tout le contraire aduenoit en ſon abſence. Et combien que Thalés mette l’eau pour le commencement de toutes choſes, qui certes eſt bien vne matiere tres-propre pour la generation : toutefois elle n’engendre rien ſimplement, ſans cet ouurier (ſoit que nous l’appellions amitié, ou maſle, ou faiſant deuoir de masle, ou chaleur) c’eſt à ſçauoir, cette force diuine, qui donne eſtre & naiſſance à toutes creatures. Et ne faut penſer que l’opinion de ceux qui croyent toutes choſes compoſees ſe reſoudre en eau & terre, ſoit vraye ; car il ne ſe peut faire qu’il n’y ait que ces deux élemens, ou que tout ſoit faict & compoſé de ces deux-là, du tout inutiles s’ils ne ſont aydez d’vn principe plus diuin. Les Anciens doncques ont eſtimé qu’Amour n’eſtoit autre (comme ie viens de dire) que ce qu’Empedocle diſoit, à ſçauoir vne vertu diuine par laquelle choſes ſemblables ſont induites à deſirer de s’accoupler & vnir coniointement : ou pour mieux dire, vn entendement diuin, qui imprime en la nature meſme tel affection & tel appetit.
Qui a le premier par peinture Ou par ouurage de ſculpture Feint des ailes à Cupidon ? Son burin, pinceau ou charbon Ne ſçauroit grauer ou pourtraire Qu’vne arondelle paſſagere. Il eſtoit des mœurs ignorant D’vn Dieu non leger, mais peſant Et qui mal-aisément rebrouſſe Du cœur entaſmé de ſa trouſſe. Comment donc ſeroit-il oyſeau ? Ce ſont abus d’vn fol cerueau.
Iſidore Peleuſien dit qu’il a des ailes, pource qu’aprés auoir pris ſon plaiſir de quelque choſe, il la quitte le plus ſouuent, & s’enuole ailleurs. Il eſt armé d’arc & de fleches, à cauſe des tourmens que les fols endurent en leur eſprit. Et Xenophon dit que les Amours ſont appellez Archers, parce que les belles perſonnes bleſſent de bien loing. Seruius auſſi ſur Virgile rend la raiſon de ſes fleches, qu’il dit repreſenter les pointures du repentir & de la douleur qui touſiours ſuiuent l’amour. Mais cet equipage faict pluſtoſt repreſenter l’incroyable viſteſſe & promptitude de l’eſprit de Dieu, qui s’eſpand & penetre ſubtilement par tout.
Cupidon n’eſt point Dieu, mais vne paßion Qui cauſe à tous humains tres-grande affliction.
Parlons maintenant des Graces.