Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IV, 16 : Des Graces Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Doccula, Enzo <br />Dominguez, Gabin (indexation - 03/2024) Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Graces.

CHAPITRE XVI.

Genealogie des Graces, & leurs nõs.CEUX qui ont eſcrit des Graces, que les Grecs nomment Charites, leur donnent tels parens que bon leur ſemble. Heſiode en ſa Theogonie dit qu’elles ſont filles de Iupiter & de la belle Nymphe Eurynome fille de l’Ocean. Orphee en vn hymne qu’il a chanté en leur loüange, au lieu d’Eurynome met Eunomie pour leur mere. Ces deux-cy les nomment Thalie, Euphroſine, Aglaïe. Les autres les font filles de Iupiter & d’Autonoé, & les nomment Paſithee, Euphroſyne, Ægiale. Antimache tres-ancien poëte dit qu’elles ſont nees du Soleil & d’Æglé. Quelques-vns n’en font que deux, Clyte & Phaëne ; où (ſelon d’autres) Auxò & & Hegemone. Quelques-vns leur aſſocient auſſi Suadele ou Perſuaſion. Toutefois la plus commune opinion en tient trois, comme le teſmoigne Meleager en ces vers :

Trois Graces il y a, trois Heures, douces Vierges.

Et les mettans en la compagnie de Venus, les font conduire par Apollon. Auſſi les Poëtes les accompagnent volontiers les vnes des autres, comme fait Horace au 4. des Carmes :

La Grace nuë en rond oſe mener le bal Iointe auecques les Nymphes belles, Et auecques ſes ſœurs iumelles.

On dit que la plus ieune Aglaïe fut femme de Vulcan. Neantmoins preſque tous les autheurs les font ſuiuantes, & comme Dames d’honneur de Venus, & ſont fort en diſpute touchant leurs habits, car les vns ont voulu dire quelles eſtoient toutes nuës, les autres les maintiennent veſtuës. Anciennement les Graueurs, Peintres & Poëtes les ouurageoient habillees, comme on a trouué leurs images & pourtraits faits par Pythagoras de Paros, Bupale & Apellés : & Socrates fils de Sophoniſque, les mit auſſi veſtuës à l’entree du chaſteau d’Athenes. Horace meſme teſmoigne qu’elles eſtoient veſtuës, puis qu’il fait mention de leur ceinture, qu’elles ne porteroient pas ſi elles eſtoient nuës :

Le chaud garçon, & les Graces deceintes ; Auecque toy le chœur des Nymphes ſaintes.

Suppoſé donc, qu’elles eſtoient iadis couuertes d’habillemens, pource que c’eſtoit choſe laide à voir qu’vne femme toute nuë, ou pource qu’on auoit peur qu’elles euſſent froid en hyuer, elles tumberent depuis par ſucceſſion de temps en main de gens, qui comme voleurs les deſpoüillerent, dont elles furent contraintes de s’enfuyr du monde : teſmoin le Poëte diſant :

La Foy, diuinité qui n’a point de ſeconde, Les Graces & Bonté ſont ſorties du monde.

Etheocle, Roy des Orchomeniens fit le premier baſtir vn Temple aux Graces, & de faict les Anciens eſcriuent qu’elles s’alloient bien ſouuent baigner en ce pays-là dans la fontaine Acidale, comme dit Strabon au 9. liure.

Mythologie phyſique & morale des Graces.Or les Graces, filles de Iupiter & d’Eurynome ne ſignifient autre choſe que la fertilité des terres, & de l’abondãce des grains. Car le mot Eury, ſignifie largement, & nómos loy, deſquels deux mots eſt fait le nom d’Eurynome : & cette richeſſe & foiſon de biens ne vient que par le benefice de la paix, ce qu’auſſi ſignifie le nom d’Eunomie, leur autre mere. Car lors que les loix & l’equité regnent, & que la violence, les brigandages & les pilleries ceſſent ; on void les terres rire, les maiſons s’eſgayer, les Temples des Dieux immortels s’eſiouyr, & toutes creatures reprennent leur en-bon point. Toutefois ce bienfaict ne procede pas ſeulement d’Eurynome, ou d’Eunomie, ou d’Autonoé, qui ſignifie prudence, mais auſſi de Iupiter, car pour faire que l’annee foiſonne en biens & ſoit de bon rapport, il faut que la benignité de Dieu y entreuienne, & que l’air ſoit bien temperé. C’eſt ce qu’ont voulu dire ceux qui les font filles du Soleil & d’Æglé, ne croyans pas que rien peuſt naiſtre ſans la bonté diuine & la chaleur du Soleil. Car certes le Soleil eſt gouuerneur de tous les Elemens, & ſelon qu’il eſlance les rais de ſon viſage, les terres portent peu ou prou, & toutes autres creatures ſont, ou gayes ou triſtes. Elles ſont trois ſœurs iointes enſemble, d’autant que l’on reçoit triple proffit de l’agriculture, à ſçauoir du labourage, des arbres, & du beſtail : & pourtant c’eſt à bons tiltres que les Graces ſont ainſi qualifiees. Car Thalie vient du mot thaltein, qui ſignifie pululer & bourgeonner, & denotte cette gentille ſaiſon en laquelle les arbres viennent à pouſſer & ietter leurs bourgeons. Aglaie ſignifie ſplendeur, & Euphroſyne la ioye qui reſiouyt l’homme quand il void les biens de la terre proſperer. Cette Aglaye fut femme de Vulcan, à cauſe de la ſplendeur & beauté qui ſe void en tous les arts, dont l’inuention eſt attribuee à Vulcan. Les autres au lieu d’Aglaie mettẽt Paſithee entre les Graces ; ce qui ſe rapporte à la ioye & plaiſir que ſe donne le beſtail, courant deçà delà emmy les champs : & tirent l’etymologie de ce nom (qui autrement ſignifie toute diuine) de deux mots qui valent autant que courir par tout. Raiſon de la poſture des Graces en leurs pourtraits.On les qualifie Deeſſes des biensfaits, pource que ſans le rapport & fertilité des terres, perſonne ne peut eſtre riche ny liberal donneur. Deux d’entre-elles nous regardent, & l’autre nous tourne le dos : pource que la liberalité de la moiſſon & de la terre eſt merueilleuſement grande, qui pour petite quãtité de ſemence, rend de ſi grands tas & monceaux de grains, ſi la benignité du ciel le permet ainſi. Si ce n’eſt qu’ils ayent auſſi voulu donner à entendre qu’il n’y a faueur ny proſperité en ce monde, tant grãde ſoit elle qu’il n’ait touſiours quelque arriere-main, ou reuers, & ne ſoit accompagné de quelque amertume & desfaueur. Et ne puis approuuer l’opinion de ceux qui diſent que ces deux-là nous regardent pour nous auertir que pour vn plaiſir ou bien-faict receu, il en faut rendre deux ; car les gens de bien & d’honneur en rendent autant qu’ils en ont moyen, & ſans nombre, auec diſcretion neantmoins. Car c’eſt malfaict de donner à qui ne merite, ou n’a beſoin ; & ſigne d’ingratitude & d’auarice, de ne donner quand il eſt beſoing, & à celuy qui merite qu’on luy donne. C’eſt ce que les Anciens nous ont appris par vne autre image des Graces, qu’ils faiſoient conduire par Mercure, ſymbole de la raiſon & de ſain iugement, afin que ſuiuant les veſtiges d’iceluy, les hommes ſçachent comment, à qui, & quand ils doiuent donner & faire plaiſir, imitans de tout leur pouuoir la diuine bonté, touſiours preſte de nous bien faire. Mais les meſchans non ſeulement n’en rendent point, mais au contraire, pour recompenſe des plaiſirs qu’on leur aura faits, n’en rendent qu’outrages & deſplaiſirs. Et la plus grand’part ne voulans point reconnoiſtre l’obligation qu’ils ont à quelqu’vn, ou pour auoir receu de luy quelque plaiſir, ou pour en auoir eſté bien ſeruis, penſent bien en eſtre quittes s’ils leur cherchent quelque inepte & ridicule querelle. D’autre coſté celuy qui fait plaiſir pour le receuoir au double, n’eſt abſoluëment homme de bien, mais marchand ou courtier, & traffiqueur de biensfaits. Elles ſont Vierges, pource que le gain qu’on fait des choſes ſuſdites eſt tres-deshonneſte : & ne puis neantmoins accorder qu’elles ſoient toutes nuës, pource qu’on en void peu, reſerué Dieu tres-bon, & ſouuerain pere de toutes creatures, qui donne ſans eſperance d’en receuoir autant ou plus : & cette munificence & liberalité loüable en Dieu, eſt folie en l’homme, ſi elle n’eſt coniointe auec prudence. Au reſte on n’a pas ſeulement nommé les trois ſuſdites du nom de Graces : mais auſſi tout ce qu’on trouuoit beau, gentil & agreable, a eſté qualifié de ce nom, & ſuiuant cela Muſæe dit que Hero auoit en ſa personne, non pas trois, mais cent Graces, c’eſt à dire, vn grand nombre ;

Les Anciens fauſſement n’ont mis en la famille Des Graces que trois ſœurs ; car Hero la gentille Par ſes mignards attraits & par ſon corps decent D’vn ſeul ris de ſes yeux en fournit plus de cent.

Deſſein des Anciens en l’introduction des Graces.Quelle a donc eſté l’inuention des Anciens en l’inuention de ces Graces ? d’exhorter les hommes à viure en paix & concorde, & ſuiure la vertu, d’autant que d’elles, auec l’aide & aſſiſtance de Dieu, qui est touſiours propice & fauorable aux gens de bien, les hommes reçoiuent toutes commoditez & tranquillité, & par ce moyen ils les incitoyent auſſi à s’appliquer à l’agriculture, tres-honneſte & tres vtile exercice. Mais depuis que tant d’outrages d’hommes mal-viuans, & l’auarice qui auoit ſaiſi leurs courages eurent renuerſé toutes bonnes inſtitutions, peruerty l’equité & raiſon, troublé tout l’eſtat du monde, & profané le labourage, les Poëtes dirent qu’elles auoient quitté le monde, & quelques-vns les appliquans à leurs affaires particulieres, les mirent à nud, les firent voir toutes nuës, les outragerent de beaucoup d’indignitez, & controuuerent pluſieurs contes ridicules d’elles, qu’il vaut mieux leur laiſſer expliquer, & dire quelque choſe des Heures.