Des Silenes.
CHAPITRE IX.
IL faut bien qu’il y ait eu pluſieurs Silenes (comme auſſi Nicandre en ſes Theriaques l’atteſte) puis que Pauſanias en l’hiſtoire Attique dit que les plus auancez en aage d’entre les Satyres, s’appelloient Silenes ; mais on fait principalement mention de l’vn d’iceux, plus ancien que tous les autres : toutefois on ne ſçait de qui il fut fils ; ſinon qu’il naſquit à Malee, ville de la ſeigneurie des Lacedemoniens, ſelon Pauſanias & Pindare. Mais Catulle dit que ce fut en Nyſe, ville d’Indie. Ælian au 3. liure de la diuerſe hiſtoire le faict fils d’vne Nymphe inferieure de condition, quant aux Dieux : mais par-deſſus auſſi celle des mortels, & la mort meſme.Silene pere nourriſier de Bacchus.D’ailleurs on dit Silene auoir eſté pere nourriſſier de Bacchus. Ainſi le teſmoigne Orphee en l’hymne de Silene. Lucian au conſeil des Dieux eſcrit. Que c’eſtoit vn viellard de petite ſtature, gras & ventru au poßible, camus & chauue, auec des longues oreilles, droites & fort pointuës, tremblant de ſes membres, ſe ſouſtenant ſur vn baſton, le plus ſouuent monté ſur vn aſne, courbé contre-bas, veſtu d’vne longue houpelande iaune, à vſage de femme. Au demeurant l’vn des meilleurs Maiſtres de camp & Capitaines de Bacchus, & auquel il auoit le plus de fiance pour aſſeoir ſon oſt, & bien ordonner ſes gens en bataille.
Virgile en ſ ſa 6. Eclogue dit qu’il eſtoit preſque touſjours yure, & le dechifre comme s’ensuit :
Et Mnaſyle et Chromis ieunes garçons au fond De ſa grotte ont trouué Silene d’vn profond Sommeil enſepuely, ayant groſſes & plenes, De l’Iacche d’hier, comme touſiours, les venes. Son verd chappeau de fleurs au loing de luy giſant Abbatu de ſa teſte, & ſon hanap peſant Pendu à l’anſe vſee.—
Il eſtoit touſiours accompagné de Satyres, teſmoing Ouide au 2. liure de l’art d’aymer, où il dit que le bon-homme enyuré, eſtant cheut de deſſus ſon Aſne, les Satyres le releuerent & luy ayderent à remonter. Luy-meſme au 4. des Metamorphoſes dit que luy & les Satyres eſtoient ordinairement à la ſuitte de Bacchus :
A ta ſuite tu as les Preſtreſſes Bacchantes Qui ſont à ton diuin Sacrifice vacantes ; Tu és accompagné des Satyres cornus, Et du vieillard griſon enyuré Silenus, Qui ne ſe peut tenir ſur ſon Aſne qu’à peine, Que ſon corps chancellant vn baſton ne ſouſtienne.
On dit que Midas trompa vn iour ce bon vieillard Silene ayant verſé du vin dans vne fontaine, pource qu’il aymoit fort le vin, & ainſi le prit d’aguet, comme eſcrit Pauſanias en l’hiſtoire d’Attique : & Ouide en fait mention en l’onzieſme des Metamorphoſes :
Bacchus alors auoit des Satyrs la cohorte, Les Bacchantes außi qui luy faiſoient eſcorte, Silene eſtoit abſent, car les Phrygiens manans L’auoient tout chancelant charge de vin & d’ans Encheueſtré de fleurs, & mainte belle treſſe, Et mené vers le Roy Midas à grande preſſe.
Mydas ſçachant qu’il appartenoit à Bacchus, comme eſtant ſon pere nourriſſier, luy fit fort bon & honorable accueil, le traittant l’eſpace de dix iours ; puis le rendit à Bacchus ; qui pour contr’eſchange de courtoiſie luy donna le choix de demander ce qu’il deſiroit de luy, auec promeſſe de l’impetrer ; Liure 9. chap. 15.lequel a l’inſtant fit cette mal-auiſee requeſte dont nous traitterons en ſon lieu. Ælian au lieu ſus allegué, dit que Silene & Midas eurent vne fort eſtroitte accointance enſemble, & que Silene luy communiqua tout plein de choſes excellentes & rares, comme, Que l’Europe, l’Asie & l’Aphrique n’eſtoient qu’iſles entourees de tous costez de la mer Oceane, & qu’au-delà de ce globe-cy, y auoit vne terre ferme, de grandeur demeſuree, voire comme infinie ; peuplee d’animaux diuers & grands à merueilles, & d’hommes de plus grande taille deux fois que la noſtre commune, excedans au double le cours de noſtre aage : Qu’ils auoient entre autres deux villes de grandeur eſtrange, n’ayans rien de ſemblable entr’elles. Les habitans de l’vne, nommee Euſebe, ou Debonnaire, eſtoient d’vne humeur douce & benigne, gens de paix, riches au poſſible, puiſſans en biens, que la terre leur produiſoit ſans labourage, ſans ſemence ; exempts de maladies : de ioyeuſe vie obſeruateurs de l’equité, ennemis de noiſes & querelles ; ſi que les Dieux meſmes ne deſdaignoient point de conuerſer parmy eux. Les citadins de l’autre, appellee Machime, c’est à dire, Guerriere, eſtoient belliqueux de faict, touſiours le harnois endoſſé pour faire quelque nouuelle conqueſte ſur leurs voiſins : rarement atteints de maladie, dont ils meurent peu ſouuent, ains ordinairement à la guerre, aſſommez à coups de pierres ou de leuiers : abondans en or & argent, dont ils font moins d’eſtime que nous du fer, & plusieurs autres poincts qu’Ælian recite, leſquels ſont plus fabuleux que verittables. Silenes mortels.Pauſanias dit que les Hebreux & ceux de Pergame auoient des tumbeaux de Silenes : dont on conclud qu’ils estoient mortels. Mais Strabon au 10. liure eſcrit que les Satyres, Silenes, Bacches & Tityres eſtoient Demons, ſeruiteurs & miniſtres des autres Dieux. Aucuns diſent que ce Bacchus laiſſa en Italie les Silenes accablez de vieilleſſe, allant à la guerre contre ceux de Tarſe : & leur donna charge d’y planter des vignes, afin que l’Italie fuſt fertile en vin. Et pourtant leurs deſcendans firent des ſtatuës & des images de Silenes, portans du vin dãs des ouyres, pour eterniſer la memoire deſdits Silenes. Deſroute d’Indiens par l’Aſne de Silene.Or en la premiere bataille que Bacchus liura aux Indiens, l’Aſne de Silene, ſa monture ordinaire, à gueule bee large & ouuerte, ſe prit à braire ie ne ſcay quoy de genereux, horrible & Martial : & les Menades ſecondans cet augure, à grands hurlemens, d’vne impetuoſité merueilleuſe les allerent viuement inueſtir & chocquer, ceintes & retrouſſees, auec de longues couleuures eſpouuenttables, en deſcouurant le fer caché au bout de leurs jauelots, bardez d’hierre & fueillages de vigne. Tellemẽt que les Indiens & leurs Elephans peſle-meſle tournerent tout ſoudain le dos, & ſans garder ordre quelconque, ſe mirent à vauderoute, tant que les iambes les peurent porrer : mais finalement ils furent tous pris & emmenez captifs en triomphe. Aſne de Silene eſtoilé.Et d’autant que cet Aſne auoit eſté comme le premier autheur & la cauſe de cette deſroute, ioint qu’il auoit auſſi faict vn ſemblable office à Iupiter en la guerre des Geans, il fut par le benefice de Iupiter & de Bacchus rengé au nombre des eſtoilles celeſtes, duquel fait mention Arat au liure des ſignes, des eaux, & des vents ; enſeignant qu’il y a vne petite nuee pré le ſigne de Cancre, ſiſe entre ſes eſpaules, inueſtie d’Eſtoilles de coſté & d’autre, nommees Aſnes (l’vn deſquels eſt celuy de Silene) & que pour cette cauſe on l’appelle à bons tiltres Creche. Quand doncques cette nuee paroiſt pure & claire, c’eſt ſigne de beau temps, ce qu’auſſi dit Theophraſte au liure des ſignes du beau temps auenir. Voicy ce qu’en dit Arat, Poëte Grec :
Remarque puis la Creche : on y void vne nuë, Vers le Septentrion, de petite eſtenduë, Ou le Cancre treluit, d’elle non eſcartez Tourne-boulent deux feux ayants tenves clartez. Leurs corps ne ſont pas ioints, ains ſeulement l’eſpace D’vne aulne les deſioint & diſtingue leur place. L’vn tend deuers Nordœſt, & l’autre vers l’Auton. Ces deux corps eſtoillez ont le tilire d’Aſnon. Et la Creche au milieu l’vn & l’autre ſepare Qui des yeux des humains diſparoit & s’egare, Quand le Ciel s’eſclaircit alors que le Soleil Nous rid d’vn frond ſerein & viſage vermeil. Mais ſi toſt que Iupin nebuleux nous menace D’abreuuer d’eau nos champs, ils conioignent leur face Auoiſinans leurs corps, & d’vn baiſer commun De deux differents feux ne ſemblent eſtre qu’vn.
Quand doncques cette nuee, que Theophraſte appelle la Creche de l’Aſne, s’euanoüit, comme il auient, quand l’humeur s’eſpeſſit & s’amaſſe, veu qu’elle eſt tenve & debile, il ſemble que ces deux Eſtoilles s’approchent l’vne de l’autre, & c’est vn preſage de la tempeſte à venir. Or il ſemble qu’elles s’aſſemblent en vn, d’autãt que le corps diaphane & tranſparent des vapeurs deſia preſque conuerties en eau, deſrompt les rais des yeux, & les empeſche de pouuoir au vray diſcerner leur diſtance. Voila ce que les Anciens nous enſeignent de Silene & de ſon Aſne.
¶Mythologie de Silene.Or le font-ils compagnon de Bacchus, & le deſpeignent en forme d’vn bon homme ; ventru & chancelant en yurognerie, pource que le vin & l’yurognerie rendent les hommes gras & ventrus, appeſantit la teſte, & les fait chanceler voire les fait vieillir pluſtoſt. Quelques-vns ont voulu dire que Silene a eſté vn bon vieillard, & pere nourriſſier de Bacchus, d’autant que le vin de pluſieurs fueilles cauſe & augmente d’autant plus les ſuſdites incommoditez. C’eſt pourquoy l’on dit qu’il eſtoit monté ſur vn Aſne, pource que ceux qui boiuẽt plus que de raiſon, ſont ordinairement peſans, tardifs & hommes de neant, inutiles aux affaires, gens de courte memoire, ſubiets à oubliance, repreſentee par l’Aſne, le plus lourd, hebeté & ignaue animal qui ſoit ; car toutes les voluptez déreglees apportent peu de proffit à la vie humaine ; veu qu’elles ne rendent pas ſeulement l’eſprit, mais auſſi le corps inhabile à toutes bonnes choſes, ſi l’on s’amuſe à le mieux traiter que nature ne requiert, & pour en repreſenter perpetuellement la memoire deuant les yeux des hommes, & les exhorter à s’en deſtourner, les Anciens ont dit que ſon Aſne auoit eſté mis au rang des Eſtoilles. Cecy peut ſuffire quant à Silene : Voyons les Faunes.