Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 04 : De Memnon Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Memnon.

CHAPITRE II.

Genealogie de Memnon.MEMNON fut fils de l’Aurore, & de Tithon, l’vn des Satrapes d’Aſſyrie, qui pour lors auoit le plus grand credit & authorité à la Cour de Theutame, Roy d’Aſie, & eut ledit Memnon vn frere nommé Emathion (comme dit Apollodore au troiſieſme liure, & Heſiode en ſa Theogonie) tous deux Roys d’Æthiopie. Diuers auis ſur ſa natiuité.Denys en ſa Coſmographie dit qu’il naſquit à Thebes, & Strabon au 15. liure nomme ſa mere Ciſſia. Mais les Æthiopiens (ce dit Diodore Sicilien au 2. liure de ſa Bibliotheque) habitans en Egypte le maintiennent y auoir éſté né, montrans vn ſien fort antique chaſteau, qui porte encore ſon nom. Pauſanias és Phocaïques raconte qu’il fut Roy d’Æthiopie, & qu’il en partit pour aller au ſecours des Troyens contre les Grecs. Car Priam Roy de Phrygie, ſe voyant fondre ſur les bras vne ſi groſſe puiſſance, conduite par Agamemnon, demanda ſecours au Roy Theutame, duquel il tenoit ſa Couronne en foy & hommage ; qui luy enuoya dix mille Æthiopiens, auec autant de Suſiens, & deux cens chariots armez en guerre ; le tout ſous la conduite du prince Memnon, eſtant alors en fleur d’aage, & vaillant de ſa perſonne tout ce qui ſe peut. Mais il partit pluſtoſt de Suſes, ville de Perſe : car deuant la guerre de Troye Memnon auoit conquis toute cette eſtenduë de pays, qui eſt entre deux iuſques à la riuiere de Choaſpe, au pays des Medes, joint qu’il auoit faict baſtir à Suſes vn ſuperbe & magnifique Palais, portant ſon nom, ſur vn lieu haut releué, qui dura iuſqu’à la Monarchie des Perſes. D’ailleurs Strabon au 16. liure eſcrit qu’en la ville d’Abyde prés Ptolemaïs en Egypte eſtoit le Palais Royal de Memnon, baſty tout de pierre de taille, auec vn Labyrinthe de meſme ouurage, qu’on appelloit le Labyrinthe de Memnon. Il fit à ſon arriuee tout plein de beaux exploits d’armes en faueur des Troyens : iuſques à ce que finalement les Theſſaliens luy dreſſerent vne embuſche, le ſurprirent & tuerent. Quintus Calaber, Poëte Grec, eſcrit que Memnon ayant mis à mort Erenthe & Pheron, deux braues & vaillans ieunes Seigneurs, qui ſuiuoient pour leur plaiſir la cornette de Neſtor, Antiloque fils de Neſtor ſe mit en deuoir de les vanger ; mais luy-meſme y demeura pour les gages : Dequoy le pauure pere extremément affligé, ainſi vieil & decrepite qu’il eſtoit, s’adreſſa à Memnon pour le combatre, lequel ayant compaſſion & reſpect à ſon aage, ne le voulut point offenſer, ains luy dit doucement qu’il ſe retiraſt ; car ce ne luy ſeroit point d’honneur de le combatre. Adonc Neſtor eut recours à Achille, qui aymoit vniquement Antiloque defunct, lequel ſe batit longuement auec Memnon, ſi que l’iſſuë en fut long-temps douteuſe. Mais en fin aprés pluſieurs conſultations des Dieux interuenuës là deſſus, Achille luy tira de toute ſa force vn grand coup d’eſtoc, qui le perça d’outre en outre. Et dit que là où il fut bleſſé ſourdit vne fontaine, de laquelle on voyoit couler du sang tous les ans au meſme iour qu’il fut tué ; ainſi le teſmoignent ces vers de Qu. Calaber :

Qui ſanguin va baignant la prouince aſſoifuee, Alors que de Memnon s’attriſte la iournee, En laquelle il mourut.—

Regrets de l’Aurore sur la mort de Memnon.La belle Aurore ſa mere toute triſte & deſconfortee de la mort de ſon fils, ſe reueſtit à l’inſtant de groſſes nuës noires comme pour en porter le dueil ; proteſtant de iamais ne vouloir plus rendre de iour aux humains : iusqu’à ce que Iupiter, partie par douces mignardiſes & conſolations, partie par menaces & criemens, la fit retourner à ſon accouſtumé deuoir, non toutefois deuant qu’impetrer de Iupiter, que quãd on viendroit à bruſler le corps de Memnon (ſelon la couſtume des Anciens ) il fut conuerty en oyſeau. Le Poëte Simonide eſcrit qu’il fut enſeuely prés de Palthe ville de Syrie, vers la riuiere de Bade. Ioſephe au 2. liure de la guerre Iudaique, ch. 9. dit que ſon ſepulchre eſtoit prés d’vn ruiſſeau qu’il nomme Bedee, paſſant iouxte Ptolemaïs ville de Galilee. Strabon au 13. liure veut dire qu’il ait eſté enterré au deſſus de l’embouchure d’Æsape, & pour ce ſuject le plus proche bourg de ſa tumbe fut nommé le Bourg de Memnon. Les autres ſont d’autre auis, diſans qu’il fut enterré à Troye, non emporté en ſon pays. D’autres encor ſouſtiennent qu’il ne fut oncques à Troye, & qu’il deceda en Æthiopie, aprés y auoir regné cinq aages d’hommes. Et pource (dit Philoſtrate en la vie d’Apollonius) que les Æthiopiens ſont de tres-longue vie par deſſus tous autres mortels, ils pleurent & lamentent Memnon, comme s’il eſtoit mort en adoleſcence, & font toutes les meſmes querimonies dont l’on ſçauroit vſer au dueil de quelqu’vn qui ſeroit auãt le temps delogé de ce monde. Pauſanias és Laconiques dit que le cimeterre de Memnon tout de cuiure, alumelle & gardes, auec ſon eſpieu, dont le bas & la pointe eſtoit auſſi d’airain, fut appendu à Nicomedie (les Turcs l’appellent auiourd’huy Nichor) dedans le Temple d’Æſculape. Ouide au 13. des Metamorphoſes deſcriuant les regrets de l’Aurore ſur le treſpas de ſon fils, dit que du bucher de Memnon naſquirent pluſieurs oyſeaux, comme l’on void en la requeſte qu’elle fait à Iupiter :

Ainſi du corps ardent les cendres deſia ſeiches Voletent emmy l’air comme noire flammeches, Et volans font vn gros qui en vn s’entretient, Puis prend forme de teſte, & la couleur retient De ce broüillas fumeux ; le feu leur donne vies, Et leurs legeretez les a d’ailes fournies.

Oyſeaux nez du bucher de Memnon.Ces oyſeaux furent nommez Oyſeaux de Memnon ; & de ce meſme bucher en ſortirent pluſieurs autres oyſeaux, qui ſe ſeparerent en l’air en deux troupes ; puis aprés s’eſtre bien entrebatus, cheurent dans le feu, ſe ſacrifians eux-meſmes pour les obſeques de Memnon. Theocrite en l’Epitaphe de Bion dit que Memnon meſme fut tranſmué en oyſeau, & qu’il vola tout au haut du bucher, & le ſanctifia. Pline au 26. chap. du 10. liure dit que ces oyſeaux prennent tous les ans leur volee de l’Æthiopie vers les ruines de Troye, où ils ſe combattent cruellement ſur le ſepulchre de Memnon. Et Cremutius teſmoigne (ce dit-il là meſme) qu’ils viennent de cinq en cinq ans à ce combat ſans faillir, autour du Palais d’iceluy Memnon en Æthiopie, où il regnoit du temps de la guerre de Troye. Pauſanias en la deſcription de de la Phocide, maintient aussi que ces oyſeaux Memnoniens, à ce que diſent les habitans de l’Heleſponte, ne faillent tous les ans de s’en voler à certains iours vers ſon ſepulchre, où s’il y a quelques herbes cruës qui ſoient demeurees vn peu courtes, ils les emondent & ſarclent à tout leur bec, & les arrouſent auec leurs ailes baignees en l’eau de la riuiere d’Aſope. Miracle de la ſtatuë de Memnon.Lucian au faux amy eſcrit que la ſtatuë de Memnon, qu’on auoit dreſſee à Thebes en Egypte, au Temple de Serapis, faiſoit vn nottable miracle ; c’eſt que quand le Soleil leuant venoit à batre deſſus, elle rendoit d’elle-meſme vn ſon fort plaiſant à ouyr : & ſur le ſoir on l’oyoit ietter vn bruit plaintif, comme s’eſioüiſſant à la venuë de ſa mere, & s’attriſtant à ſon depart. Voicy comme Suidas en diſcourt : Cette ſtatue eſt tournee vers les rayons du Soleil, n’ayant encor vn ſeul poil de barbe, & faicte de marbre noir : les deux pieds ſont faits à l’imitation des ouurages de Dædale ; les mains dreſſees et appuyees ſur vn ſiege. Elle eſt taillee de façon qu’elle ſemble ſe vouloir leuer : les yeux & les organes qui ſeruent a la voix, font mine de vouloir parler. Au reſte du temps on n’y void rien d’eſtrange : mais quand le Soleil leuant donne deſſus, on y void choſe mereilleuſe ; car außi-toſt que ſes rais luy battent dans la bouche, elle ſe prend à parler, ſes yeux paroiſſent gais et rians, comme feroient ceux d’vn homme qui riroit au Soleil ; & ſemble qu’elle vueille faire la reuerence au Soleil, comme les ſeruiteurs honneſtes et bien apris font à leurs maiſtres. On dit meſme que cette ſtatuë de marbre noir ſouloit ſeruir d’Oracle, & donner auis à ceux qui alloient vers elle au conſeil. Et Strabon au 17. liure eſcrit qu’il fut vne fois à Thebes en Egypte, où il vid deux fort grandes & maſſiues ſtatuës de pierre, l’vne prés de l’autre : que le haut de l’vne eſtoit deſia tumbé par vn tremblement de terre, & ce qui eſtoit encore debout ſur ſa base, ietta vn cry enuiron vne heure, non fort grand, mais neantmoins il fut oüy d’vn bon nombre de gens qui ſe trouuerent là preſens ; tant elle eſtoit artificiellement entaillee ſur ſa baſe. Eſtudes des Religieux Thebains.Et ſi vous conſiderez ce que peut la ſcience, ou l’experience que les Preſtres Thebains auoient en matiere d’Aſtronomie & de Philoſophie, vous ne le trouuerez pas incroyable. Car ils n’employoient pas leur temps dans l’excez du vin & des femmes ; ains ce qui leur reſtoit de loiſir aprés l’execution de leur charge, ils le paſſoient en tres-honneſtes eſtudes, cõme en la contemplation des choſes, ou naturelles, ou diuines. Zezés en la 64. hiſtoire de la ſixiéſme Chiliade dit que les Egyptiens appelloient Memnon Cippe, & qu’il auoit vne colomne de Iaſpe qui rendoit vn ſon gaillard & plaiſant de iour, s’eſiouyſſant de voir ſa mere, & lugubre, ou dolent de nuict, ſe deulant de ſon depart. Pausanias és Attiques aſſeure auoir veu à Thebes en Egypte vn Coloſſe d’vne ſtatuë que la plus part diſoient eſtre de Memnon Eleen, lequel autrefois estoit venu d’Ethiopie en Egypte, & en cette contree qui s’eſtend iusqu’à Suſes. Les Thebains ne le nommoient pas Memnon, ains Phamonophes, qui fut (à ce qu’ils disoient) l’vn de leurs citoyens. Quelques-vns diſoient en outre, que cette ſtatuë eſtoit du Roy Seſoſtris, laquelle Cambiſes tronçonna. Et de faict, encore pour le iourd’huy (dit Pauſanias) tout le haut d’icelle, depuis la teſte iuſques au fau du corps, eſt arraché. Quoy que ſoit, elle eſt aſſiſe, & tous les iours enuiron le leuer du Soleil rend certain retentiſſement, preſque ſemblable à celuy d’vne corde qui ſe vient à rompre en vne harpe ou viole. Voila les contes que ie trouue de ce Memnon.

Mythologie de Memnon.Ils diſent que Memnon fut fils de Tithon & de l’Aurore, pource qu’il regna en la plage Orientale, & meſme les Latins appellent quelquefois l’Orient du nom d’Aurore, comme Virgile au 8. liure.

Marc-Antoine de là fier du butin barbare, Et qui d’armes ſon camp diuerſement empare Des peuples de l’Aurore & du bord rougiſſant Vainqueur, traine l’Egypte, & du Soleil naiſſant Les forces apres ſoy—&c.

Ce qui ſe dit à cauſe que ſur le leuer du Soleil, lors que l’Aube du iour commence à poindre, il ſe leue le plus ſouuent vne douce & agreable aure : & ſemble que le mot d’Aure ne ſignifie autre choſe que Petite aure. Quant à ce qu’ils recitent qu’il alla au ſecours de Priam à Troye, qu’il y ait eſté tué & honorablement enſeuely, tout cela n’eſt pas eloigné de la verité. Mais que de ſon bucher ſe ſoient leuez des oyſeaux, & que ſa mere ait impetré de Iupiter qu’il fuſt immortaliſé, qu’eſt cela autre choſe qu’vne flaterie des Poëtes ? car pour gaigner la bonne grace des Roys ils chãtoient en leurs vers qu’ils acquerroient vne gloire immortelle, qu’ils eterniſeroient leur memoire, que toutes les nations du monde publieroient à iamais leurs diuines loüanges, & aſſaiſonnoient leur dire de beaucoup d’ornemens fabuleux, & d’vn parler emmiellé, ainsi qu’on tempere les plus faſcheuſes receptes auec quelques drogues plus aiſees à prendre, de peur qu’vne ſimple & nuë flaterie ne fiſt mal au cœur à leurs auditeurs. Ce qui concerne ſa ſtatuë faiſant miracle, montre quelle a esté la galantiſe & habileté des anciens artiſans, qui ont non ſeulement dreſſé des coloſſes & images d’vne grandeur incroyable & d’excellent artifice, & des colomnes d’vn poids admirable, d’vne taille & graueure incomparable, mais auſſi les ont tranſportees en pays bien lointains. Ils ont eſté ſi adroits à ioindre des pierres enſemble, que meſme ceux qui les regardoient bien attentiuement, ne pouuoient apperceuoir les iointures ; teſmoin cette braue pyramide qui d’Egypte fut emmenee à Rome. Ie ne voy rien au reſte en Memnon qui concerne les mœurs & la reformation de la vie humaine ; car ce n’eſt qu’vne explication preſque toute hiſtorique. Et pourtant paſſons à Tithon.