Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 09 : De Jason Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Iaſon.

CHAPITRE IX.

IL me ſemble, deuant que commencer le recit des geſtes de Iaſon, eſtre neceſſaire de reprendre vn peu de loing la ſource de ſa race & origine, & raconter les cauſes qui l’eſmeurent d’entreprendre ce voyage tant renommé, vers des nations eſtrangeres & bien eſloignees de ſon pays, accompagné des plus braues & plus nottables Seigneurs de toute la Grece ; auquel il ſouſtint & deuora mille & mille dangers, qui ſeulement à les ouyr reciter, ſont ſuffiſans pour faire heriſſer les cheueux en teſte. Car excepté Hercule, dompteur indefatigable des monſtres du monde ; & Theſee, qui à l’imitation dudit Hercule mit à mort vne bonne quantité de bandoüillers, voleurs & mal-faiſans, & les contraignit de ſubir eux-meſmes les ſupplices & tourmens qu’ils faiſoient endurer à leurs hoſtes & paſſans : & Vlysse, qui encourut auſſi vne infinité de riſques & hazars, eſquels il perdit vne bonne partie de ſes compagnons : à peine en trouuera-on vn autre qui ſe ſoit montré ſi courageux toutes les fois qu’il a eſté beſoin de faire preuue de ſa valeur. Race de Iaſon.Or le faict eſt tel ; Salmonee eut de ſa femme Alcidice vne fille nommee Tyrrho, nourrie par Cretee, frere de Salmonee, Salmonee fut fils d’Æole, non de celuy qui fut Roy des vents : mais bien d’vn Æole, Roy d’Elide : & ne ſe contentant pas de ſa Royale majeſté, preſuma tant que de vouloir obtenir entre ſes ſubiects le tiltre de Dieu. Orgueil de Salmonee.Si fit conſtruire vn pont d’airain hault eſleué, de façon qu’il couuroit le deſſus d’vne partie de la ville ; sur lequel il faiſoit rouler impetueuſement ſon carroce, contrefaiſant le bruit du tonnerre : & tenoit en ſa main vn flambeau allumé ; s’il l’élançoit contre quelqu’vn, il eſtoit mis à mort par gens apoſtez. Liure 2. chap. 8. cy deſſus.Iupiter irrité de ſi grand orgueil, d’vn coup de foudre le precipita dans les enfers. Neptun embraſſant vne fois Tyrrho, fille de ce ſuperbe Roy, l’engroſſit de deux enfans, Pelias & Nelee, que la maraſtre de leur mere expoſa & mit à l’auenture dans vne vacherie, où ils furent nourris par quelques paſtres. Eſtans venus en aage, ils reconnurent leur mere & tuerent cette maraſtre cõme elle penſoit gaigner le temple de Iunon. Puis aprés Nelee ayant querelle auec Pelias ſe retira à Meſſine, & baſtit en ce territoire la ville de Pyle ; car il y auoit trois villes de meſme nom en la Moree ; l’vne ſur la riuiere d’Alphee ; l’autre, dicte Triphyllique, ſur le fleuue d’Amathois : la troiſiesme, ſur le Coryphaſe ; mais Pelias marié en Theſſalie auec Anaxibie, fille de Bias, ou (ſelon les autres) auec Philomache, fille d’Amphion, engendra Acaſte, Pelopie, Hippothoé, Piſidice & Alceſte. Crethee frere de Salmonee fils d’Æole ; apres auoir baſty Iolcos, eut de ſa niepce Tyrrho, Æſon, Amythaon, & Pherete. Aprés le decez de Crethee, Pelias regna à Iolcos. Or auoit-il eu auis par l’Oracle, qu’il mourroit de la main d’vn homme iſſu du ſang d’Æole. Entre ceux qui pour lors eſtoient de cette race-là, viuoit vn nommé Dolomede, fils d’Æſon & de Polymede, fille d’Autolique. Erechthee, Athamas, Salmonee & Crethee, eſtoient fils d’Æole ; Æole, ſelon le commun bruit de Iupiter. Ainſi donc Pelias pour ne laiſſer viuant aucun de la race d’Æole, ſe deffit des enfans de Crethee, & voulut auſſi dés le berceau faire mourir Dolomede . Iaſon ſauuë de la cruauté de Pelias.Mais ſes parēs, & ſes alliez ſçachans la volonté de Pelias, prindrent l’Infant, & à la faueur de la nuict l’emporterent, enfermé dans vn cercueil couuert de dueil, en guiſe d’vn mortuaire, & le conduiſans à la grotte de Chiron, le luy donnerent pour le nourrir. Dolomede venu en aage de diſcretion, & ayant appris en l’eſcole de Chiron la medecine & chirurgie, fut nommé Iaſon, qui vaut autant à dire que gueriſſant, ou medecin. Cauſe des auantures de Iaſon.Iaſon doncques ſortant de ladite eſcole ſe prit à labourer la terre, du long d’Anaure, riuiere de Thessalie. Pelias eut alors vn ſecond auis de l’Oracle, Qu’il euſt à ſe donner garde de celuy qu’il verroit auoir vn pied deſchaux. En meſme temps Pelias celebrant la feſte & ſolemnité de Neptun, inuita tous ſes parens & amis, pour honorer de leur preſence ſes ſacrifices. Iaſon, inuité ou non, s’y trouua ; & arriué ſur le bord de la riuiere d’Anaure, rencontra la Deeſſe Iunon deſguiſee en vieille, qui feignoit d’eſtre en peine de paſſer outre : dont il eut pitié ; & la chargeant ſur ſes eſpaules ſonda le gué, & la porta iuſques à l’autre bord. Mais au paſſer, l’vn de ſes ſouliers demeura dans vn bourbier, & ainſi pied nud s’achemina vers la ville. Pelias luy voyant vn pied deſchaux, luy demanda : Que ferois-tu à l’homme portant telle enſeigne, ſi l’on t’auoit auerty deuoir mourir par ſa main ? Iaſon inſpiré de Iunon luy reſpondit : Ie l’enuoyerois à la conqueſte de la toiſon d’or. Que c’eſtoit que la toiſon d’or.Ceſte toiſon eſtoit la peau d’or d’vn Belier qui auoit porté Phryxe en la Colchide, laquelle (comme on dit) il auoit dediee à Iupiter Phryxien, c’eſt à dire fauoriſant ſa fuite, & l’auoit penduë à vn arbre dans le parc de Mars à Colchos. Voyez le cha. ſuiuant.Les vns diſent qu’elle eſtoit blanche ; les autres de couleur pourprine, comme Simonide. Hygin chapitre 188. raconte qu’autrefois vne ieune fille nommee Theophane, eſtant pour ſon excellente beauté requiſe en mariage d’vne infinité de Seigneurs, Neptun en deuint amoureux auſſi bien que les autres : & pour en iouyr mieux à ſon aiſe la tranſporta en l’iſle de de Cromieuſe, là où ſes concurrans la ſuiuirent auec vne barque qu’ils recouurerent promptement. Mais pour les en fruſter, Neptun la transforma en vne brebis, ſoy-meſme en Belier, & les habitans du lieu en oüailles, que les Proques de la Damoiſelle ſe prindrent à eſgorger & en faire bonne chere, iuſqu’à ce que le Dieu meſme les euſt tous muez en loups. Et luy en la ſemblance qu’il auoit empruntee, eut cependant & à loiſir affaire à ſa Brebis, dont naſquit puis-aprés ce tant fameux & renommé Mouton à la toiſon d’or ; celuy meſme qui depuis fut placé là haut au ciel le premier ſigne du Zodiaque, auquel le Soleil eſtant paruenu l’annee ſe renouuelle de tous poincts. Denys de Mytilene dit que c’eſtoit vn pedant de Phrixe, nommé Aries, c’eſt à dire Belier, que les Colchiens auoient pris, & tenoient priſonnier bien eſtroictement, ſurnommé d’Or, à cauſe de l’excellence de ſon ſçauoir, & de l’integrité de ſes conſeils. Vn Dragon ou Serpent de la grandeur d’vn nauire à cinquante rames, gardoit cette toiſon, & ne s’endormoit iamais. Pelias donc, ſuiuant la reſponse de Iaſon, luy fit commandement de luy aller querir ceſte peau. Adonc Iaſon s’embarque en vn nauire conſtruit par le conſeil & ordonnance de Pallas, ayant vn mas babillard, pris au parc des Cheſnes de Iupiter, à Dodone, ville de Chaonie, prouince d’Albanie, où eſtoit le Temple & Oracle de Iupiter Dodonien, là où deux Colombes donnoient reſponſe à ceux qui alloient au conſeil ; les autres diſent que les Cheſnes meſmes du parc parloient & donnoient reſponſe. Cloche de Dodone.On fait auſſi mention de l’airin de Dodone, ou cloche, qui nuict & iour tintoit touſiours d’elle-meſme, tournee en prouerbe contre ceux qui babillent & cauſent plus que de raiſon. Ce vaiſſeau ainſi fabriqué, Iaſon deſmara, accompagné de 49. (ou 53. ſelon d’autres) braues & genereux Heros par luy choiſis entre pluſieurs, & s’achemina en Colchos. Damagete a laiſſé en ſes Memoires, que Pelias commanda à Argus conducteur & maiſtre ouurier du vaiſſeau (qui de ſon nom fut nommé Argò) de cloüer les aix auec des cloux foibles : toutefois il n’en fit rien. C’eſt le premier nauire (ce dit-on) qui iamais fut faict en long, & qui premier ſeruit à faire voyage lointain. Voyez liure 9. chap. 17.Neantmoins il y en a d’autres qui diſent que Danaus Roy d’Argos en auoit deſia faict vn ſemblable, lors que ſon frere Ægypte le pourſuiuoit : le vaiſſeau fut auſſi nommé Danaïs. Diodore Sicilien au 4. liure de ſon hiſtoire dit que Iaſon n’eut aucune commiſſion ny charge de faire ce voyage ; mais que meu d’vn deſir de gloire & de reputation, à l’exemple des Heros, qui par leur valeur & hauts faits auoient acquis beaucoup d’honneur, il demanda volontairement à Pelias qu’il luy permiſt de faire le voyage de Colchos ; ce qu’il luy octroya tres-volontiers, pource que n’ayant point d’hoirs procreez de ſon corps, il n’aymoit aucunement la race de ſon frere. Noms des Argonauchers.Or voicy les compagnons de Iaſon, qui de toute l’eſlite & la fleur de la Grece s’embarquerent auec luy, Hercule, fils de Iupiter & d’Alcmene, auquel comme plus aagé, & de plus grande experience, Iaſon par le conſentement de ſes compagnons defera l’honneur de chef & conducteur de l’entrepriſe, mais il ne le voulut accepter, ains le luy remit, à qui l’affaire touchoit de plus prés qu’à nul autre. Orphee Tracien, fils d’Oeagre, & de la Nymphe Calliope, le plus excellent poëte & muſicien de ſon temps. Caſtor & Pollux, enfans auſſi de Iupiter & de Leda. Pelee & Telamon, d’Æaque. Calais & Zetés, enfans du vent Boreas & de la Nymphe Orithie ; qui auoient des aiſles empourprees & les cheueux azurez. Aſterion, de Peline fils de Pyreme & de Comete. Polypheme, fils d’Elate & d’Hippee, de Lariſſe en Theſſalie. Iphicle, fils de Phylaque & de Periclymené, oncle de Iaſon Admet, fils de Pheree, du mont Chalcedonien, celuy à qui Apollon ſeruit iadis de Berger. Euryte & Euchion, enfans de Mercure & d’Andreate, de la ville d’Alope. Ætholides, fils du meſme Dieu & d’Eupolemie, de Gyrton en Theſſalie ; qui le premier s’auiſa que les Centaures ne pouuoient eſtre bleſſez de ferremens, ains ſeulement de troncs d’arbres. Cenee, fils d’Elate Magneſien, qui fut autrefois femme : mais Neptun l’ayant depucelee la tranſmua en garçon, auec cette prerogatiue, de ne pouuoir nullement eſtre endommagé de bleſſures en aucune part de ſon corps. Mopſe, fils d’Ampyque & de Chloris, Theſſalien : qu’Apollon gratifia du don de prophetie. Eurydamas, & Eurytion, entans d’Ire & de Demonaſſa. Thesee, fils d’Ægee & d’Æthra d’Athenes. Pyrithe, fils d’Ixion Theſſalien. Menece, fils d’Actor. Oilee, fils de Leodaque & d’Agrianome, Eubœen. Clytie & Iphite, enfans d’Euryte & d’Antiopé, Rois d’Oecalie ; deſquels Hercule tua le pere, & precipita de cholere le plus ieune du haut d’vne tour en bas. Butes, fils de Teleon & de Zeuxippe. Phalere, fils d’Alcon. Typhis, fils de Phorbas & d’Hymané Bœocien, & Pilote de la nef d’Argo. Argus, fils de Polybe & d’Argia, architecte d’icelle. Phliaſe, fils du bon pere Liber & d’Ariadné. Hylas, fils de Thiodamas & de la Nymphe Menodice, Oechalien, ieune enfant, & mignon d’Hercule, duquel nous parlerons tantoſt. Nauplias, fils de Neptun & d’Amymone, Argien. Idmon, fils d’Apollon & de la Nymphe Cyrene. Cettuy-cy fort experimenté en l’art de deuiner par le vol des oyſeaux, preuid bien qu’il finiroit ſes iours en ce voyage : mais il ne voulut neantmoins manquer à ſi loüable deſſeing, où il fut mis à mort par vn Sanglier. Lyncee & ldas Meſſeniens, enfans d’Apharee & d’Arene, dont l’aiſné eſt loüé d’auoir eu ſi bonne veuë que de voir cent trente mille pas loing, & apperceuoir la Lune au meſme poinct qu’elle defailloit & renaiſſoit : au lieu qu’à peine la peut-on deſcouurir auant le troiſieſme iour. Periclimene, fils de Nilee & de Chloris. Amphidame & Cephee Enfans d’Elee & de Cleobule, Arcadiens. Ancæe, fils de Lycurge, Tegeate (autres le diſent fils de Neptun, & Roy de Samos.) Augias, fils du Soleil & de Naupidame. Eupheme, fils de Neptun & d’Europe, Tenarien, ſi viſte & ſi leger du pied qu’il paſſoit vne carriere ſur les eaux, ſans enfoncer dedans ny ſe moüiller. Ergin, fils auſſi de Neptun & ſeigneur d’Orchomene, occis par Hercule, pour auoir voulu exiger tribut ſur la ville de Thebes en Bœoce. Meleager, fils d’Oenee & d’Althee, Roy de Calydoine. Eurimedon, fils de Bacchus & d’Ariadne, de Phliunte. Palemoine, fils de Lerne, Calydonien. Actor, fils d’Hypaſe, Peloponeſien, qui depuis accompagna Hercule contre les Amazones, y fut bleſſé, & mourut en chemin au retour. Iolas, fils d’Iphicle, Argien. Philoctete, fils de Pean. Et Acaſte, fils de Pelias & d’Anaxabie, Roy de Theſſalie. Aucuns enroolent les ſuiuans au lieu d’autres ſuſnommez : Amphion excellent muſicien & ioüeur d’inſtrumens, fils de Iupiter & d’Antiope, Argee, Aſterie, Actorion, Aglaüs, Amphiſteque, Autolyque, Biante, Calaüs, Canthe fils d’Abas : Coron, Deileon, Deucalion, Echion, Eribote, tres-habile medecin, Iphis, Iphidamas, Laocoon, Leodoque, Neſtor, Odee, Oenide, Phlogie, Tenaree, Talaus, & Tydee. Quelques-vns auſſi mettent en cette noble trouppe le Prophete Amphiaraus, fils d’Oilee. Or Iaſon veint premierement ſurgir en l’iſle de Lemnos, où la Royne Hipſipyle le receut, non ſeulement chez elle, mais en ſon lict auſſi, dont elle demeura enceinte de deux fils, qui depuis furent nommez Eunee & Deiphile. Ils trouuerent l’iſle toute vuide & deſnuee d’hommes, parce que leurs femmes (pour le ſubiect que nous auons recité au 3. chapitre du 5. liure) les auoient tous mis à mort, excepté Hipſipyle, qui auoit ſauué ſon pere. Puis alla moüiller l’ancre en vne iſle de la Propontide, dont eſtoit ſeigneur Cyzique, qui les ayant receus fort courtoiſement, fut par meſconnoiſſance occis par Hercule. Voyez le 9. chap. du 8. livre.Conſequemment il aborda vers les Marſes, de là à Chio, puis en la coſte d’Eſpagne ; & en ſuitte au port d’Amye, Roy des Bebryciens, que Pollux aſſomma à l’eſcrime des coups de poing. En faueur dequoy ſon voiſin Lyque, qui receuoit ordinairement vne infinité d’inſolences & d’outrages de luy, dedia aux Argonautes vne chapelle auec vn autel, pour l’auoir deliuré d’vn ſi pernicieux ennemy. Apres il ſingla vers les Syrthes de Lybie, & y baſtit vn Temple qui fut depuis conſacré à Hercule, aprés que les Argonautes eurent là ioué certains ieux & combats, eſquels Hercule fut declaré vainqueur. Et voyans qu’ils ne pouuoient paſſer outre à cauſe du peril de ces goulfres des Syrtes, ils porterent l’eſpace de douze iours leur galere à force de bras par les deſerts de Lybie ; iuſqu’à ce que retrouuans la mer ils la reietterent dedans. Toutesfois les autres diſent que ce fut à leur retour, lors que remontans contremont le Danube, ils vindrent iuſques à ſon embouchure, vers les montagnes de Croacie, terre des Ducs d’Auſtriche, où ils chargerent leur nauire ſur leurs eſpaules iuſques à la mer Adriatique. Ainſi donc rencontrans Eurypyle, fils de Neptun, il leur donna en ſigne d’hoſpitalité ce qu’il peût pour lors trouuer, à ſçauoir vne motte de terre, qu’Eupheme, fils auſſi de Neptun & de Mecione receut ; puis comme leur vaiſſeau alloit flottant à cauſe des vagues vers Thera, l’vne des Iſles Cyclades en l’Archipel, cette motte de terre s’eſmia toute, ſurquoy Medee ſe print à prognoſtiquer beaucoup de choſes à venir. Singlans outre, ils vindrent trouuer le Deuin Phinee (les vns le qualifient Roy de Thrace, les autres de Paphlagonie, les autres d’Arcadie) qui par la malicieuſe accuſation & calomnie d’Idee, ſa deuxieſme femme auoit creué les yeux à ſes enfans du premier lict, pour lequel crime par luy commis, les Dieux l’auoient auſſi priué de l’vsage de la veuë, & ſi ſeuerement puny, que toutes les fois qu’il penſoit prendre ſa refection, les Harpyes luy venoient ſoüiller, infecter, & enleuer ſa viande. Mais nonobſtant qu’il fuſt aueugle, ſi auoit-il vne reuelation, que ſes miſeres & mal-heurs ſe termineroient lors que les fils de Boree le viendroient trouuer. Phinee deliuré par les Boreades.En fin deliuré par leur moyen, il fit entendre aux Argonautes le moyen, la route & les difficultez de leur nauigation. Voyez liure 7. chap. 6.Que premierement ils auoient à paſſer les eſcueils Cyanees, qu’aucuns ont nommez Symplegades, ou rochers s’entreheurtans, d’où ſortoient de gros boüillons de feu, dequels il falloit eſprouuer le danger en mettant dehors vn pigeon. De là qu’il falloit s’eſcarter bien loing de la Bithinie, proche du Boſphore Thracien, d’autant que les Thraciens qui habitoient Salmydeſſe, deſtroit de Ponte, exerçoient de grandes cruautez à l’encontre des paſſans. Puis paſſer en l’iſle de Thune : de là vers les Mariandins & le marais d’Achereuſe, coſtoyans les montagnes de Paphlagonie. Il les aduertit d’outrepaſſer la ville des Enetes, le cap de Carambis, les riuieres de Halys, & d’Iris (auiourd’huy Lirio,) de Themyſcire, le territoire de Deas, la Cappadoce, les Chalybes peuples de Paphlagonie, les Tibarins, les Moſtynes : l’iſle d’Arete & le lac de Stymphale, les Macrons, Philyres, Bechires, Saphires, Byſeres, & la riuiere de Phaſis, trauerſant le pays qu’on appelloit Pays de Circé, & ſourdant és montagnes d’Armenie, riuiere abondante en phaiſans. En après il leur apprit qu’ils deuoient paſſer par Cite, ville de la Colchide, pays de Medee, foiſonnant en toutes ſortes d’herbes & ſimples, deuant qu’arriuer à la toiſon d’or. Toutes leſquelles places il falloit neceſſairement paſſer, à ceux qui d’Iolcos vouloient nauiger en Colchos. Quelque taprèsaprés Hercule rencontra les enfans du ſuſdit Phinee, & apprit d’eux la verité du faict, & cõme ils n’auoient eſté ſi indignement traittez & chaſſez ſinon par la mal-vueillance de leur belle-mere. Phinee occis par Hercule.Si le tua Hercule, & remit ſes enfans en liberté. Argonautes accõpagnez du Dieu Glauque.On dit que Glauque, Dieu marin, accompagna ce nauire deux iours durant, & qu’il prediſt à Hercule les peines & les trauaux qu’il luy faloit ſouffrir e  ce monde : au bout deſquels malgré la ialouſe enuie de tous ſes haineux, il ſeroit finalem nt deïfié : autant en promit-il aux Dioſcures, Caſtor, & Pollux, & exhorta les Argonautes à ce que dés qu’ils auroient pris terre, ils rendiſſent graces aux Dieux, leur offrans de tres-humbles & deuots ſacrifices, pour auoir par leur bien-vueillance eſchappé beaucoup de riſques, & de grands perils. Or les ſurnommez Seigneurs ayans moüillé l’anchre en Thrace, au lieu où regnoit Byzante (de qui la ville de Byzance, auiourd’huy Conſtantinople, portoit le nom) dreſſans vn autel, accomplirent les ſacrifices qui leur eſtoient enioints, puis ſinglans outre le canal de Conſtantinople & le deſtroit de Gallipoly, arriuerent en Phrygie. Il faut remarquer icy que Laomedon, Roy de Troye, auoit vne fille Heſione qu’il cheriſſoit ſur toutes les autres, laquelle pour les cauſes deduites ailleurs, il auoit eſté par le commandement de l’Oracle contraint d’abandonner à la mercy d’vne Balaine, que les Grecs nomment Cetò, n’attendant que la venuë d’icelle pour eſtre cruellement deuoree. Liu. 2. ch. 8. & liu. 7. chap. 1. au 9. labeur d’Hercule.Hercule ſuruenant auoit tué la balaine, & rendu la fille à ſon pere, qui moyennant ce bon & charittable office, luy auoit promis trente cheuaux feez que Iupiter luy auoit donnez (aucuns adiouſtent la fille meſme) Hercule le remercia pour l’heure, & luy dit qu’il les prendroit au retour. Les Argenauchers doncques paſſans par là deſpeſcherent des Ambaſſadeurs à Laomedon, Iphicle, & Telamon, pour demander le ſalaire par luy promis, mais violãt tout droit diuin & humain il les mit en priſon, & dreſſa vne dangereuſe embuſcade aux Argonautes. A cela le porterent tous ſes enfans, & mirent eux-meſmes la main à la beſongne, excepté Priam, ſouſtenant qu’il ne faloit denier iuſtice à perſonne, tant eſtranger fuſt-il. Mais comme il vid que ſes remonſtrances n’auoient point de lieu, il trouua moyen d’apporter deux eſpees aux priſonniers, leur diſant que c’eſtoient les clefs auec leſquelles ils deuoient ouurir les priſons. Ils n’y firent faute, car tuans leurs gardes, ils ſe ſauuerent, & reuindrent trouuer leurs compagnons. Ce qu’entendans, veu le meſchant & deſloyal traict que le Roy leur auoit faict, & ſa mauuaiſe conſcience, ils vindrent aux mains, & ioüans des couſteaux Hercule tua Laomedon, prit ſa ville, chaſtia rudement les autheurs d’vn ſi pernicieux conſeil, & donna le Royaume à Priam, pour l’amour de ſa iustice & integrité : Telamon qui le premier auoit eſcalé la muraille, eut Heſione pour femme.

Quelques-vns fondent l’origine de cette Fable ſur tel ſubiect, diſant que Cetò (autrement Cetus) fut vn Roy puiſſant en domaine terreſtre & maritime, qui par le moyen de ſes forces ſe fit redouter à ſes voiſins. Or eſtant vne fois ſuruenuë entre luy & les Troyens quelque contention, la querelle s’eſchauffa tellement, que force fut de prendre les armes. Cetus entrant ſur les terres des Troyens, leur gaſta vn pays ſpacieux d’eſtangs & mareſcages qu’ils auoient, aboutiſſant à la mer. Et d’autant qu’ils auoient eſté comme ſupris deuant que de pouuoir mettre aux champs des forces capables de s’oppoſer à la violence de leurs ennemis, ils furent contraints de le rechercher de paix, qui fut en fin concluë, à condition de payer à Cetus vn certain tribut annuel, ſelon qu’il auoit forcé pluſieurs autres peuples d’entrer en telle capitulation auec luy, moyennant certaine quantité, ou de cheuaux, ou de vaiſſeaux, ou de pucelles, ainſi que bon luy ſembloit, comme eſtant encor l’or & l’argent, ou point, ou peu en vſage. Ainſi le terme de l’impoſt eſcheu, luy-meſme bien accõpagné alloit exiger ſes truages, ſaccageant les pays & contrees qu’il trouuoit rebelles. En fin les peuples ne pouuans longuement ſupporter ce rigoureux ſeruage, commencerent à ſecouër le joug, les Troyens furent des premiers de la partie. Ce que Cetus ayant entendu, arma derechef, & ſingla contre eux : mais il les trouua en meilleure defenſe qu’à l’autre fois. Car Laomedon, Roy de Troye, ayãt imploré l’aide d’Hercule, l’auoit amené auec vne puiſſante flotte au ſecours de la ville, ſi bien que l’exacteur des tributs irraiſonnables, qui n’auoit encore appris le terme d’eſtre vaincu, fut ſi rudement chargé & combattu, que luy mort ſur la place, le reſte de ſon armee fut entierement defaict & diſſipé. Or peut eſtre qu’entre autres Damoiſelles que ce tyran exigeoit de Laomedon, ſa fille Heſione y eſtoit cõprise : & que recourant à Hercule, il luy fit promeſſe de luy donner en mariage auec quantité de Cheuaux, en recompenſe des bons offices qu’il eſperoit receuoir de luy : mais que pour auoir eſté trop vilainement ingrat, s’enſuiuit l’iſſuë que nous auons ouye. Plaiſant conte d’Hercule.Or dés que les Argonautes aborderent en Myſie, Hercule qui auoit rompu ſa gaſche, ſortit hors du nauire pour en aller tailler vne autre en la plus prochaine foreſt, où ſes compagnons paſſans outre le laiſſerent. Voyez le 1. chap. du liure ſuiuant.Les vns diſent qu’il les quitta volontairement pour aller à la queſte de ſon mignon Hylas, qui s’eſtoit noyé en luy puiſant de l’eau douce. Les autres que les Argonautes eſtoient bien aiſes d’eſtre deſchargez de luy, pource qu’il n’entendoit rien à ramer, & craignoient qu’il ne rompiſt toutes leurs rames & auirons, en lieu principalement où ils n’en peuſſent recouurer. Quelques-vns que ce fut à cauſe de la voracité de ſon grand corps, craignans qu’il ne deuoraſt en peu de temps toutes leurs prouiſions, & les affamaſt, ou bien pource qu’il eſtoit ſi peſant, que de quelque coſté qu’il s’aſſiſt, peu s’en falloit qu’il ne renuerſaſt le nauire. D’autres eſcriuent que ce fut par enuie, de peur que par la gloire & merite de ſa valeur il n’obſcurciſt la vertu de ſes autres compagnons. Or Iaſon ayant ſurmonté toutes les difficultez ſuſdites, arriua finalement en Scythie, pour lors peuplade d’Egyptiens, vers Ææte, Roy de Colchos, ou les fils de Phrixe luy firent fort bon accueil, & s’en alla auec eux baiſer les mains du Roy. Il y en a qui ſont d’opinion qu’Ææte luy fit au commencement fort bonne chere, & luy montra vn viſage tres-gracieux : mais comme il vint à luy demander au nom de Pelias la toiſon d’or qu’il maintenoit luy appartenir, & luy auoir eſté par fraude ſouſtraite ; Ææte luy reſpondit de cholere, qu’alors il octroyeroit ſa demande quand il auroit combatu, dompté & attellé au joug les Taureaux æripedes, ou pieds-d’airin, vomiſſans le feu par la bouche & narines ; & ſemé auec vne charruë de diamant les dents du Serpent que Cadmus auoit autrefois mis à mort : & qui plus eſt, occis les hommes armez qui ſur le champ naiſtroient deſdictes dents amollies & corrompuës en terre, deſquelles il auoit eu vne partie. Medee amourachee de Iaſon.Mais Medee, qu’vne amoureuſe flamme auoit deſia ſurpris, voyant la cruelle offre & propoſition de ſon père Ææte, ſe reſolut de ſecourir en ſi grande neceſſité ſon amy, deuſt-elle encourir la diſgrace de ſon pere, s’il luy vouloit promettre de l’eſpouſer. L’accord faict entre-eux, elle l’oignit d’vn preſeruatif plein d’enchantement, par lequel il ſe pouuoit garantir du feu des Taureaux, & à force de charmes endormir le Dragon gardien de la toiſon, donnant auis à Iaſon qu’il ſe gardaſt bien de labourer auec ces Taureaux contre & au deſſous du vent, de peur qu’il ne chaſſaſt les flammes ſur luy, & qu’il ne recommençaſt pas ſon rayon ou ſeillon au bout meſme qu’il l’acheueroit comme font les laboureurs : ains qu’il leuaſt ſa charruë, & retournaſt commencer ayant touſiours le vent à dos. Car quelques-vns diſent qu’Ææte fut bien ſi malicieux que d’acoupler luy-meſme ſes Taureaux, & les toucha le premier, puis les deſcoupla, commandant à Iaſon d’en faire autant. Ce qu’il executa ſans crainte ny apprehenſion aucune : & en ſuitte ſema les dents du ſerpent ſuſdit, deſquelles à l’heure meſme naſquirent des gens armez, en lieu de tuyaux & d’eſpics, tous preſts à charger en gros Iaſon, ſeul à ſouſtenir cet effort. Mais comme ils commençoient à dreſſer leurs jauelines & picques contre luy, par l’inſpiration de Minerue il ietta vne pierre au milieu d’eux, dont ſuruint cette diuiſion que nous deſcrirons ailleurs. Cela faict, Medee craignant que ſon premier charme ne fuſt trop foible contre la grande violence du Dragon, le renforça ſecrettement, & compoſa à Iaſon vn gaſteau faict de medicamens & d’herbes qui auoient la proprieté d’aſſoupir le corps, & l’enſeuelir dans vn profond ſommeil. A quoy elle adiouſta des paroles charmees, & par pluſieurs fois repetees, ſi que le Dragon l’ayant englouty fut ſoudain aſſopy de ſommeil. Toiſon d’or conquiſe par Iaſon.Ainſi Iaſon eut loiſir de prendre à ſon aiſe la toiſon d’or, pour laquelle conquerir il auoit couru ſi grande riſque. Quelques-vns eſcriuent que Medee apporta elle-meſme cette toiſon à ſon amy, lequel ayant ſa deſpoüille tant deſiree, deſmara de nuict auec ſes compagnons, de Colchos, ſelon le conseil que Venus luy en donna : laquelle ſçachant que le Roy Ææte ſe deliberoit de faire mettre le feu au vaiſſeau d’Argò, luy inſpira ſecrettement vne enuie d’entrer à ſa femme Eurylyte, cependant que les Argonautes gaigneroient le haut. Quant à la routte qu’ils tindrent à leur retour, on l’eſcrit diuerſement. Herodote dit qu’ils ſuiuirent le meſme chemin qu’ils auoient faict en allant ; Hecatæe Mileſien, que de la riuiere de Phaſis en la Colchide ils entrerent en la mer Oceane, de là ſur le Nil, puis en la mer Toſcane, par laquelle ils retournerent en leur pays. Artemidore Epheſien dit qu’ils mentent, pource que le Phaſis n’entre pas en la mer Oceane. Toutefois Timagete (comme l’on dit) a eſcrit au 1. liure des Ports & haures de mer, que le Danube deſcend des montagnes qu’on appelle Celtiques, ou Hyperborees, ou Riphæes en Scythie, & qu’il ſe iette en la mer Celtique. L’eau de cette riuiere ſe fourche en deux : la moitié deſcend en la mer Euxine ; l’autre partie entre en la Celtique. Les Argonautes s’embarquans à ſon embouchure vindrẽt par eau iuſques en en la Toſcane. Scimne de Delos a eſcrit que coulans le long de la riuiere de Tanaïs en Scythie, ils entrerent en vne large mer, & de là en la mer de Toſcane. Mais laiſſons toutes ces controuerſes du retour de ces Seigneurs, qui ſemblent pleines de reſueries, & eſcrites par gens mal-verſez en la marine ; & ſuiuons la plus commune & plus vray-ſemblable opinion : Qu’ayans accomply ce qu’ils auoient en charge à Colchos, ils s’embarquerẽt premierement ſur le Danube, & de là nauigerent en la mer Adriatique vers la Sclauonie, où Abſyrte fut ainſi mis en pieces. Argonautes fauoris de Iunon.Iupiter indigné d’vn ſi malheureux acte, enuoya des vents de tourmente aux Argonautes pour les faire noyer : mais Iunon fauoriſant leur retour, leur enuoya des vents gracieux & propices qui les pouſſerent en la mer de Sardaigne. Il ne faut ſur ce propos oublier à dire, que la tourmente les menaçant vn iour de naufrage, Orphee ſe voüa aux Dieux de Samothrace, pour le ſalut & ſauueté de toute la compagnie. Et comme elle ſe racoiſoit, deux eſtoilles leur apparurent ſur les teſtes des Dioſcures, Caſtor & Pollux, dont ils demeurerent fort eſtonnez, & creurent pour certain que c’eſtoit vn arre & aſſeurance qu’ils eſtoient en la ſauue-garde & protection des Dieux. Depuis cela paſſa en couſtume, que tous ceux qui ſe trouuoient en danger en hyuer, faiſoient vn vœu aux Dieux de Samothrace. En ſuite ayans outrepaſſé les Serenes, ils aborderent ſains & ſauues en l’iſle de Corfou, où peu s’en fallut que les Colchiens qui les pourſuiuoieut, ne les attrapaſſent. Et pourtant ils furent contrains de ſe retirer vers Alcinous, Roy de l’iſle. Comme ceux de Colchos requeroient Alcinous qu’il luy pleuſt leur liurer Medee pour la remmener à ſon pere, on leur reſpondit qu’on leur remettroit voirement entre mains ſi elle eſtoit trouuee vierge ; en ce cas, qu’il n’y auoit raiſon ny apparence de la retenir : mais que ſi elle eſtoit deſia femme de Iaſon, il eſtoit permis à vne femme de ſuiure ſon mary, ainſi la meſme nuict leurs nopces furent faictes. Parquoy les Colchiens craignãs de s’en retourner vers Ææte ſans auoir accomply leur charge, delibererent de s’habituer en Sclauonie. Mais les Argonautes deſancrans de là, ayans perdu Mopſe & Cante, ne ſçachans bonnement quel chemin prendre, Triton fils de Neptun leur donna moyen de ſe ſauuer, ſi que deſcendans leur nauire au lac de Triton, ils paſſerent en Candie, où Talus leur empeſchant le paſſage, fut mis à mort par les charmes & ſorcelleries de Medee. Puis ils vindrent en Egine (auiourd’huy Eugie) de là en Theſſalie leur pays. Cette nauigation fut faite (ce dit-on) en deux mois. Or les Colchiens s’appelloient auſſi Laziens, & eſtoient venus d’Egypte s’habituer là prés des Abaſges, ou Maſſagetes ; & les appelloit-on tantoſt Colchiens, tantoſt Scythes, tantoſt Aſians, tantoſt Leucoſyriens ; c’eſt à dire Syriens blancs : & demeurerent prés de Phaſis en Aſie. Il y a vne autre Scythie en Europe, prés le marais Mæotide (nommé communément par les Italiens Mar della Tana, & Mar Bianco, & Carpaluc) & la riuiere de Tanaïs. Entre les peuples de cette Scythie quelques-vns content les Alans, où eſt l’entree de l’Hyrcanie, & de la Prouince des Caſpiens. Autre raiſon du voyage de la Colchide.On allegue encor vne autre raiſon qui fit enuoyer Iaſon à la conqueſte de cette riche toiſon. Car on dit que quand Iaſon fut ſorty de la grotte de Chiron, & reconnu par ſon pere & autres parens, on luy fit vn feſtin ſolemnel, au partir duquel il s’en alla tout eſmeu, & plein de menaces trouuer le Roy Pelias pour luy redemander le Royaume de ſes anceſtres. Pelias luy promit de le luy rendre, s’il vouloit premierement faire le voyage de la Colchide, & rappeller trois fois l’ame de Phrixe ainſi qu’il eſtoit requis ; la raiſon eſtoit, que quelques viſions nocturnes le tourmentoient miſerablement à l’occaſion de ce Phrixe ; car ſi tu y vas (diſoit-il) ſi tu fais cela pour l’amour de moy, & que tu m’apportes la toiſon d’or, ie qui ſuis deſia ſur le bord de ma foſſe, te mettray ma Couronne ſur la teſte, qui és encore ieune & gaillard. Parquoy Iaſon acceptãt ces conditions entreprit le voyage. Voila ſommairement ce que les Anciens nous apprennent touchant Iaſon. Parens de Iaſon.Quant à ſes parents, tous les autheurs confeſſent vnanimement que Æſon fut ſon père : mais ils ne sont pas de meſme opinion touchant ſa mere. Pherecyde dit que ce fut Alcimede fille de Phylaque. Herodote eſcrit qu’il fut fils de Polypheme, fille d’Autolyque. L’auis d’Andron eſt que ſa mere fut Theognete fille de Laodique. Steſichore luy donne Æteoclymene ; Demetrius Scepſien, Rhio : les autres, Polymede. Apolloine & quelques autres Poëtes ont deſcrit les difficultez, hazards, & geſtes des Argonautes durant leur nauigation : & Medee en Euripide raconte par reproche en peu de vers les plaiſirs & bons offices qu’elle auoit faits à Iaſon, les dangers & trauaux eſquels il s’expoſoit ſans l’aſſiſtance qu’elle luy fit pour l’acquiſition de cette exquiſe toiſon : & prend pour teſmoings de ſes proteſtations les Heros compagnons du voyage, comme ſçachans fort bien que ſans ſon aide iamais il ne l’euſt obtenuë, ny accouplé les Taureaux qui vomiſſoient du feu, ny ſemé les dents du Dragon gardien d’icelle. Virgile auſſi touche ce faict en peu de vers au 2. des Georgiques :

Le feu par les nareaux les Taureaux vomiſſans N’y ont fendu les champs pour eſtre là ſemees Les dents du cruel Hydre, & les troupes armees N’y ont fait heriſſer ſur le dos des rayons Vne eſpeſſe moiſſon de dards et morrions.

Aprés que par le conſeil & operation de Medee Iaſon eut accomply tout ce qui luy auoit eſté enjoint, il s’en retourna auec ſa toiſon d’or, emmenant auec ſoy ſa bien-aymee, laquelle après l’aſſaſſin commis és perſonnes des parens de Iaſon, employa toute ſon induſtrie & toutes ſes fraudes à la ſolicitation d’iceluy, pour en auoir vengeance : & perſuada aux filles de Pelias (comme nous auons dict au chapitre precedent) de couper la gorge à leur pere qui ſe lamentoit en vain, auec promeſſe de le leur rendre frais & ieune comme elle auoit faict l’Aigneau. Æſon & Iaſon rajeunis par Medee.Aucuns meſmes diſent que comme Iaſon tendoit deſia ſur l’aage, elle le fit boüillir, & reprendre ſa premiere ieuneſſe. Teſmoings en ſont Pherecyde, le Poëte Simonide, & Lycophron. Autant en fit elle à Æſon, pere de Iaſon, comme eſcrit Ouide au 7. des Metamorphoſes à la requeſte dudit Iaſon qui l’auoit ſupplié d’abreger pluſtoſt ſa vie pour prolonger celle de ſon pere, ce qu’elle luy promit de faire, ſans rien toutesfois diminuer de la ſienne. Ainſi donc ayant appreſté ſes boüillons & oignemens, elle prend vn couſteau :

Et vient ouurir du vieil Æſon la gorge, Qui le vieil ſang abondamment deſgorge. Puis le goſier ouuert elle a remply De cet onguent en charmes accomply : Lequel aprés qu’Æſon eut voulu boire, Son poil chenu receut la couleur noire ; Son paſle teinct de ſon viſage part, Maigre il n’eſt plus ne ridé quelque part La viue chair aux membres ſe renforce, Dont tout allaigre il prend vigueur & force. Et esbahy n’auoir que quarante ans, A la vigueur de l’homme fort duiſans, D’eſprit il change, il change de courage, Laiſſant le cours de caduc & vieil age.

Et les nourrices de Bacchus.Il adiouſte puis-aprés que Bacchus voyant ce miracle tant ſignalé, vint prier Medee de vouloir auſſi raieunir les Nymphes qui l’auoient nourry, ce qu’elle fit, comme auſſi le teſmoigne Æſchyle és nourrices de Bacchus. Iaſon eut vne fille Atalante, qui fut mariee à Milanion : enſemble deux fils, Apis & Eunœë, & d’Hypſipyle fille de Thoas, Roy de Lemne, Philomele & Thoas. Phaisan porté en Grece.On dit que les Argonautes ayans veu vn oiſeau à Colchos, qui n’eſtoit point connu en Grece, l’emporterent en leur pays, & le nommerent Phaiſan, de la riuiere Phaſis où il auoit eſté pris. Mort de Iaſon.Staphyle a eſcrit que finalement Iaſon mourut par la ſuſcitation de Medee ; car elle luy conſeilla vn iour de s’aller repoſer ſous la pouppe du nauire d’Argò, qu’elle ſçauoit bien ſe deuoir en bref diſſoudre & deſpecer, ce qui auint comme il eſtoit endormy, dont il fut aſſommé. Les autres diſent auec plus d’apparence, que Medee deſpiteuſement indignee de l’ingratitude de Iaſon, qui à ſon grand preiudice s’eſtoit amouraché de Glauque (ou Creüſe fille du Roy Creon) elle ſous ombre d’amitié voulut honorer cette nouuelle eſpouſe de quelque preſent, & luy enuoya vne couronne (aucuns eſcriuent vn voile ou robe de toile tres-fine) frottee neantmoins de drogue, qui ſentant le feu meſme d’aſſez loing, le conceuoit aiſément & s’enflammoit, tellement que Glauque ne l’euſt ſi toſt accommodee ſur ſa perſonne, que non ſeulement elle, mais auſſi Creon, Iaſon & tous ceux qui ſe trouuerẽt autour d’elle, furent entierement auec le palais ars & conſumez, comme nous auons appris au chapitre precedent. Deïfié.Iaſon à cauſe de ſa valeur merita entre les Anciens qu’on luy dreſſaſt des Temples en pluſieurs endroits : mais ſur tout on l’adoroit auec beaucoup de deuotion en la ville d’Abdera en Thrace, où Parmenion luy fit faire vn riche & magnifique temple de pierres de taille.

Mythologie de Iaſon.Voila les proüeſſes & vaillances de Iaſon, dont preſque tous les Poëtes anciens enrichiſſent leurs eſcrits. Il ne faut pas douter que pour le temps auquel cette nauigation fut entrepriſe, elle ne meritaſt beaucoup de loüange, pour le peu d’experience qu’on auoit encore ſur mer, combien qu’elle ait eſté fort briefue : mais certes elle n’a nulle comparaiſon auec celles qui ont eſté faites en ces derniers temps par pluſieurs nations és terres nouuellement deſcouuertes. Hercule ne paruint pas iuſques au bout de ce voyage, pource qu’il s’amuſa a cercher ſon petit Hylas, à qui il auoit enuoyé querir de l’eau douce. Mais ſes compagnons, comme il auient à ceux qui ne tiennent conte des gens de bien & de valeur, deſpourueus de force & de vertu, furent contrains d’implorer l’aide d’vne femme, pour pouuoir iouyr de leur deſſein, d’enleuer la toiſon d’or. Les Argonautes ſont appellez Minyens par les Poëtes, à cauſe de Minyas fils de Mars, où d’Alee, ſelon les autres. Mais Minye eſtoit vne ville de Theſſalie (ou de Magneſie, comme veulent d’autres) dont les habitans eſtoient appellez Minyens, & parce que la plus grand’part des Seigneurs qui accompagnerent Iaſon, eſtoient Theſſaliens, & partis de Minye, ils furent d’vn nom general appellez Minyens. Accommodee à l’alchymie.Au reſte quelque-vns font d’opinion que les actes de Iaſon durant ce voyage de Colchos, ne ſoient autre choſe que les changemens & tranſmutations des corps qui ſe font par le moyen de la chemie ; Que c’eſtoit que la toiſon d’or.& cette toiſon d’or conquiſe finalement aprés vne infinité de trauerſes, la pierre qu’on appelle Philoſophale, qui ſe fait en fin aprés auoir tranſmué la nature & qualité de pluſieurs corps. Les autres eſtiment que ce qu’on dit Iaſon auoir trauerſé la mer de Pont auec ſes compagnons pour paſſer en Ia Colchide, emmenant auec ſoy Medee, fille du Roy Ææte ; ne ſoit pas dict poëtiquement, c’eſt à dire par fiction : mais ſouſtiennent que cette toiſon d’or eſtoit vn liure de parchemin ou de peau de mouton, contenant la ſcience par laquelle on peut faire l’or au moyen de la chemie : & que pour l’excellence du ſecret, ce liure fut nommé Toiſon d’or. Suidas eſt de cette opinion. Voire, mais c’eſt vne choſe bien fade, & ridicule, de penſer que iamais on ait trouué des Taureaux ou des Bœufs qui peuſſent ſouffler des flammes de feu par les nareaux, & que de dents ſemees en vn guerret fraiſchement labouré, peuſſent naiſtre non ſeulement des hommes, mais auſſi des hommes armez de toutes pieces : ou que iamais ſoit né vn Mouton, qui au lieu d’vne toiſon portaſt de l’or. Celuy qui le croiroit ſi cruëment, ſeroit malauiſé. Or il nous faut icy repeter ce que nous auons dit ailleurs plus d’vne fois : Que les ſages Anciens priſans la philoſophie tout ce qui ſe peut, partie afin que le peuple groſſier & ignorant, qui la pourroit pluſtoſt tourner en mocquerie, que la ſauourer ou comprendre, n’en fuſt participant, partie auſſi pour faire que prenant gouſt aux preceptes de ſapience, l’on s’abruuaſt auec quelque admiration des ſecrets qu’ils contenoient : ont affublé les myſteres de nature ou de ſcience d’vne infinité d’inuentions fabuleuſes, afin qu’on s’appliquaſt plus ſoigneusement à rechercher le ſens cõpris en icelles, ne plus ne moins que les Egyptiẽs ont enſeigné la doctrine & connoiſſance des choſes ſainctes par lettres & ſignes hierogliphiques. Car l’ordinaire des hommes eſt de meſpriſer & faire eſtat cõme de neant, des plus excellentes choſes du monde, quand elles leur ſemblent bien faciles, & de loüer magnifiquement & auoir en admiration ce qui ne ſe peut acquerir qu’auec beaucoup de peine & de trauail & de ſueur. Celuy qui ſe peut empeſcher de ſe laiſſer tumber en ce vice auec le commun peuple, n’eſt pas homme de peu de iugement. Expoſitiõ des noms des peres & meres de Iaſon.Or doncques Iaſon eſt dict fils d’Æſon & d’Alcimede, ou (ſelon les autres) de Polymede, ou de Rhio, & nourry par les mains de Chiron, le plus iuſte de tous les Centaures, duquel il apprit l’art de medecine, tous les noms de ſes meres emportent la ſignification de Conſeil. Æſon iſſu de la race de Neptun, qu’eſt-ce autre choſe que la prudence qu’on acquiert par le maniment de beaucoup d’affaires & de difficultez, qui aiguiſent l’eſprit de l’homme, & ſeruent à la prudence comme de matiere pour l’alimenter & l’entretenir ? car d’elles & de conſeil procede l’vſage de prudence. Et du ſien meſme.Il apprit de Chiron la medecine, qui luy fit porter le nom de Iaſon, car iaſis ſignifie medecine ou gueriſon. Et neantmoins qui a iamais ouy dire que Iaſon ait ordonné aucune medecine à quelque malade ? car il ne fut iamais medecin ny chirurgien prattiquant, auſſi ne faut-il pas penſer qu’vn ſi iuſte perſonnage que Chiron ait pluſtoſt appris à Iaſon à penſer le corps que l’ame, comme il eſt requis à vn homme de bien. Que s’il luy a montré comme il faut traitter & penſer l’ame ou l’eſprit, ie vous prie qu’eſt-ce qui conuient mieux à vn homme de bien que la prudence ? Sciences appriſes par Iaſon en l’eſchole de Chiron.I’eſtime quant à moy que Iaſon apprit en l’eſcole de Chiron quel antidote & remede il faut prendre pour ſe preſeruer des voluptez impures & deshonneſtes, par quelle moderation d’eſprit il faut calmer ſa colere, par quel art on doit rembarrer l’auarice, terraſſer les concupiſcences de la chair, & deſraciner l’ambition de ſon courage, attendu que c’eſt le plus vilain monſtre du monde, & le plus criminel vice de tous les autres. Expoſitiõ des monſtres dõptez par Iaſon.Iaſon garny de ſi bons enſeignemens eut la reputation d’auoir ſurmonté auec l’aide des Dieux, ou pour le moins par le conſeil de leurs ſeruiteurs & miniſtres, des monſtres eſpouuenttables, & d’auoir arriué à Colchos, dompté des Taureaux vomiſſans le feu, & reueſches eſtrangement, ce qui ne nous repreſente autre choſe qu’vne opiniaſtreté d’eſprit & colere. Car celuy qui n’eſt guidé par raiſon & conſtance de courage, c’eſt vn euenté ; c’eſt vn eſceruelé ; ou bien au lieu de conſtance il ſuit l’opiniaſtreté & vaine arrogance. Aſſuiettir les affections de l’eſprit à la raiſon & medecine de l’ame, qu’eſt-ce autre choſe que vaincre & ſouſmettre au joug ces Taureaux deſgorgeans flãmes vifues de feu, & repouſſer la fureur de ces hommes armez qui naiſſent des dents ſemees de ce Serpent ſi hideux ? Ou bien aſſopir par l’aide & cõseil de Medee cet horrible & ſpacieux Serpent, qu’eſt-ce autre choſe que par vn ſage conſeil & auis de l’entendement tenir en bride l’enuie qui boüillonne en nos cœurs ? Car Medee venant du mot Grec médos, ſignifie Conſeil. Par ſon moyen Iaſon remporta en ſon pays la toiſon d’or, & la conſacra aux Dieux, ou bien (ſelon l’auis de quelques-vns) la preſenta à Pelias : d’autant tant que ſur toutes choſes il faut fuyr l’auarice, & embraſſer iuſtice. Moralité de la Fable ſuſdite.Mais plus ſoigneusement faut-il craindre & honorer Dieu, & auoir ſon ſeruice en recommendation ; c’eſt le vray principe de toutes vertus & de la vraye felicité. Secondement il faut reuerer & reſpecter les Roys & Princes des nations, qui n’ont pas ſans la volonté de Dieu puiſſance ſur le reſte des hommes. En vn mot les anciens n’ont point tant celebré la nauigation de Iaſon, que les vns rapportent à l’hiſtoire, autres à l’art chemique, pour autre ſujet ſinon pour faire entendre que la vie humaine eſt de toutes pars aſſaillie d’vne infinité de difficultez & miſeres, & qu’il eſt bien requis & neceſſaire à vn homme de bien d’appliquer à ſon ame la medecine de conſeil, afin qu’il puiſſe courageuſement s’oppoſer à toutes reuolutions & inconueniens de ce monde, & à tous autres troubles qui viennent broüiller ſon eſtat. Autre ſubiect de l’entrepriſe de ce voyage.Ie n’ignore pas toutefois que d’autres ont eſtimé les Argonautes auoir faict cette nauigation pour conquerir la toiſon d’or, ou pluſtoſt pour piller l’opulence des Scythes, car l’enuie ſuit touſiours les richeſſes, ainsi que l’ombre le corps : & preſque toutes les guerres ſe font pour le butin, ſous vmbre de vanger quelque iniure receuë, ioint qu’auprés de la montagne de Caucaſe couloient quelques torrens qui portoient de l’or (comme le bruit eſtoit) que les Scythes ſouloient recueillir auec des aix percees, ou clayees, & peaux de brebis, teſmoin Strabon au 2. liure. Ceux qui de Theſſalie vouloient nauiger eſdits lieux, auoient à paſſer vne infinité d’eſcueils, de gouffres, & d’autres trauaux preſque incroyables, comme n’ayans encore que bien peu d’experience ſur mer. Voila pourquoy ils ont feint & controuué tant de contes remplis de frayeur & d’effroy. Plutarque en la vie de Theſee rapporte la conqueſte de cette toiſon au commerce, qui par la nauigation des Argenauchers fut rendu libre. Car il fut iadis defendu par toute la Grece en general & les mers adiacentes, à toutes perſonnes de quelque condition & qualité qu’ils fuſſent, de nauiger en vaiſſeau portant plus de cinq personnes, excepté ſeulement Iaſon, à qui la nef d’Argo auoit eſté decernee, auec commiſſion d’aller de coſté & d’autre pourſuiure & exterminer les Corſaires qui infectoiẽt la marine. Et par cette reueuë & ballayement fut reſtably le commerce (comme depuis fit Pompee de ſon temps) dont prouiennent plus de richeſſes & commoditez que ne ſçauroient valoir toutes les toiſons d’or de Colchos. Mais c’eſt aſſez diſcouru de Iaſon : paſſons à Phrixe.