Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 10 : De Phrixe, & de Hellé Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Phrixe & de Hellé.

CHAPITRE X.

Genealogie de Phrixe.PHRIXE qui poſa la toiſon d’or en Colchos, fut fils d’Athamas & de Nephelé. Athamas regnant à Thebes eſpousa Nephelé, & en eut deux enfans, Phrixe & Hellé. Puis-prés repudiant, ie ne ſcay pourquoy, Nephelé, il eſpouſa Ino, de laquelle il eut Clearche (autrement Learche) & Palæmon, depuis appellé Melicerte. Voyez le 4. chap. du 8. liur.Ino deuint eſperduëment amoureuſe de ſon beau fils Phrixe : à laquelle ne voulant complaire, Nottable meſchanceté d’vne belle-mere.elle commença de le hayr autant qu’elle l’auoit aymé, ſelon qu’ordinairement la haine des belles-meres eſt exceſſiue. Pindare en ſes hymnes appelle Ino Demotique, Pherecyde, Themiſto, Sophocle, Nephelé, Hippias, Gorgopire. Or voicy le traict qu’Ino fit à Phrixe & à Hellé. Elle commanda à ſes fermiers de frire tous les grains, tant de bleds que de legumes qu’il falloit mettre en terre, afin qu’ils ne peuſſent germer ; puis-aprés corrompit par preſens les Preſtres d’Apollon Pythien, les Prophetes & les Deuins, afin qu’ils fiſſent entendre au Roy Athamas, que pour remedier à la famine, attendu que les bleds ne venoient point, il eſtoit neceſſaire de ſacrifier aux Dieux l’vn des enfans de Nephelé. Athamas, ces triſtes nouuelles ouyes, croyant que ce fuſt vne neceſſité, deſtina ſon fils Phrixe, & l’enfatraſſa des coiffures, bandeaux, rubans & autres ornemens accouſtumez aux victimes, pour eſtre mis ſur l’autel en ſacrifice. Mais Nephelé ſuruint qui enleua ſes deux enfans, Phrixe & Hellé, & leur donna vne brebis ou vn mouton d’or dont Mercure luy auoit faict preſent, qui les emporta à trauers l’air. Auint qu’eſtans arriuez à ce bras de mer, qui eſt entre le cap de Sigee en Phrygie la mineur & le Cherroneſe, Hellé ſe laiſſa choir en la prochaine mer, qui depuis cette chutte fut appellee Helleſponte, auiourd’huy Bras S. George, ou Deſtroit de Gallipoli. On l’appella auſſi Mer Atamanthide. Teſmoin Æſchyle és Perſes ; & Ouide en l’epiſtre de Leandre :

Ores tu vois l’Athamantide mer, Et ſes grands flots boüillonnans eſcumer, Tant qu’il n’y a nulle nef qui ſoit ſeure Meſme en ſon port en tourmente ſi dure ; Et croy qu’alors telle eſtoit cette mer Quand on la veint du nom d’Hellé nommer. Las ! cette coſte eſt bien aſſez honnie. Depuis qu’elle eut cette fille engloutie. Ce bras de mer me ſoit moins rigoureux ! On ſçait aſſez ſon crime mal-heureux. Certe à Phrixus ie porte grand’enuie, Qui trauerſa ce maudit bras en vie Sur vn Mouton au lainage doré, Où de ſa Sœur fut le corps deuoré.

Phrixe ayant perdu ſa ſœur Hellé, laſſé de la longueur du chemin & du trauail, ſe repoſa au cap de Brixabe : où les habitans du lieu, gens barbares, l’ayans veu, accoururent auec armes pour luy faire vn mauuais party. Mouton d’or immolé à Iupiter Phrixien.Mais le Mouton s’enclinant & vſant de voix humaine le reſueilla : parquoy ſe ſauuant il vint à Colchos (Hellé fut depuis peſchee, & enterree ſur le bord de la mer, ce dit Herodote en ſa Polymnie) & immola ce mouton à Iupiter ſurnommé Phyxien, c’eſt à dire, fauoriſant ſa fuite : & poſa la peau ſur vne yeuſe au parc de Mars, laquelle on dit depuis auoir eſté baillee en garde à vn Serpent. Les autres diſent que Phrixe logea vn iour chez Dipſaque, fils de Phyllis, riuiere de Bithynie, & d’vne Nymphe du pays ; & que là il offrit en Sacrifice ſon Mouton à Iupiter tiltré Laphyſtien, à cauſe d’vne colline ainſi nommee, où il auoit vn Temple. Depuis la couſtume demeura, que tous les ans quelqu’vn de la poſterité de Phrixe ſacrifioit audit Iupiter, teſmoin Suidas au 2. liure de l’Eſtat de Theſſalie. Femme enfans & de Phrixe.Æete receut amiablement Phrixe, & quelques annees aprés luy donna en mariage ſa fille Chalciope, ſœur de Medee (que Pherecyde au 6. liure eſcrit auoir eſté proprement dicte Euenie, & ſurnommee Chalciope, & Ophiuſe) & en eut quatre fils, qu’Auſilaüs appelle Argus, Phrontis, Melane, Cytilon ; Epimenide en adiouſte vn cinquieſme, Pesbon. D’autres luy donnent encore vn ſixieſme, Cytore, du nom duquel fut nommee la montagne de Cytore en Galatie : auquel on adiouſte auſſi Telamon & Augias. Les autres diſent qu’il n’eut que Argus, Melias Catis, Sorus, Phrontis, & Hellé. D’autres auſſi maintiennent que ſa femme s’appelloit Iophoſſe, non pas Chalciope. Haine perpetuelle de Iunon contre les iſſus des concubines de Iupiter, & leurs alliez.Quelque temps aprés Athamas par la volonté de Iunon deuint enragé, pour auoir nourry Bacchus, que Mercure auoit porté chez luy par le commandement de Iupiter : pource auſſi que Ino tante de Bacchus, s’efforçoit par tous moyens de luy acquerir vne diuine reputation entre les hommes ; & Iunon le haïſſoit à mort pour le ſuject que nous auons declaré en ſon lieu. Ainſi doncques Athamas agité de furie voyant ſa femme Inon accompagnee de ſes deux enfans, ſe perſuada que c’eſtoit la Lionne auec ſes Lionceaux qu’il auoit n’aguere veus. Il ſe prend donc à courir aprés pour les mettre à mort, & comme le deſcrit Ouide au 4. de ſes Metamorphoſes, arrachant ſon fils Learche d’entre les mammelles de ſa mere, le froiſſa contre vn pilier, & le tua. Ino toute effarouchee ſe ietta dedans la mer auec ſon autre enfant Melicerte. Mais Venus voyant cette pitoyable deſolation s’en alla trouuer ſon oncle Neptun, le priant de vouloir receuoir ſa niepce Inon auec ſon fils entre les deïtez marines ;

Cette oraiſon par Venus prononcee Fut à ces vœux par Neptun exaucee Car à Inon & à Melicerta Ce qu’ils auoient de mortel il oſta, Et leur donnant autorité nouuelle, Change leur nom, leur face renouuelle. La mere fut dicte Leucothea, Dieu Palæmon nommé le fils il a.

Athamas chaſſé de son Royaume.Cette Fable ſe raconte diuerſement : mais nous remettrons le reſte au chap. d’Inon & de Palæmon. Tant y a qu’Athamas à l’occaſion de ces meurtres fut chaſſé de ſon Royaume & de la Bœoce, & s’enfuyant alla au conſeil de l’Oracle, qui luy donna aduis de s’habituer là où les beſtes ſauuages le receuroient en leur banquet. Vn peu apres il aduint qu’il rencõtra vne troupe de Loups en Athamanie, prouince de Theſſalie, ou de Sclauonie, ſelon l’aduis de quelques-vns, leſquels deuoroient quelques Brebis, & s’enfuirent dés qu’ils l’eurent-apperceu, abandonnans leur proye à demy-mangee. Troiſieſme femme d’Athamas.Si ſe reſolut Athamas ſuiuant la reſponſe de l’Oracle, de faire là ſa demeure : où il eſpouſa en troiſieſme nopces Themiſto fille d’Hypſee, de laquelle il eut Leucon, Erythras, Schæon & Tithon, ou, ſelon l’opinion des autres, Pæus. Toutesfois Denys en ſes Argenauchers les nomme Schenee, Eurythie, Leucon, & Tithoree. Diuers aduis touchant la fuite de Phrixe, & sa toison.Les autres diiſent que Phrixe ne fut point amené à l’autel pour eſtre ſacrifié, mais qu’eſtant enuoyé pour choiſir vne belle Brebis pour offrande, vn Mouton par la permiſſion de Iupin ſe prit à parler, & luy deſcouurit tous les mauuais deſſeins & complots de sa maraſtre : & pourtant il prit auec luy ſa ſœur, & s’aſſeans tous deux ſur le dos du Mouton, ſuiuant le conſeil qu’il leur donna, s’enfuirent hors de leur pays, & ſelon le commandement de ſa mere, ſacrifia ledit Mouton prés la riuiere de Phaſis. Les autres eſcriuent que le Mouton ſe prit à parler lors qu’Hellé ſe laiſſa choir, & luy dit qu’il ne craigniſt point, l’aſſeurant qu’il le porteroit en Colchos. Les autres, que Nephelé eſtoit vne Deeſſe, qui ſe voyant meſprisee par Athamas à l’appetit d’vne femme, s’enuola aux Cieux, & faiſant ſa plainte à Iupiter, il enuoya vne malediction ſur le domaine d’Athamas, qui fut cauſe de faire forger les contes que nous auons ouys des complots d’Inon. Au reſte quand Phrixe & Hellé ſe retirerent en Colchos, il ne faut pas penſer qu’ils y furent portez à trauers l’air : mais qu’allans à beau pied iuſques en la ville d’Abutic en Aſie, ils s’embarquerent, & Hellé chut dans la mer ainſi comme ils la paſſoient ; mais Phrixe paracheuant ſon voyage, arriué à Colchos offrit ſon Mouton à Iupiter Phyxien. Les autres diſent à Mars, les autres à Mercure : où s’eſtant habitué il appella le pays de ſon nom, & fut depuis appellé Phrygie. Conuertie en or par Mercure.Les autres encore qu’il pendit la peau à vne branche de Cheſne dans le parc de Iupiter, & que Mercure la conuertit depuis en or. Combien que M. Manilius au 4. des Aſtronomiques vueille dire qu’elle eſtoit deſia d’or quand le Mouton trauerſa la mer pour ſauuer Phrixe en la Colchide. Vengeãce de Nephelé sur Athamas delivré par Hercule.Finalement auint que Nephelé eut moyen de ſe venger d’Athamas, & l’ayant en ſa puiſſance, le fit trainer à l’autel de Iupiter pour là eſtre eſgorgé en offrande, & faire reparation par l’effuſion de ſon ſang, de l’aſſaſſin par luy commis. Mais Hercule ſuruenant le deliura. C’eſt ce qui a donné ſubiect à Sophocle de faire ſa Tragedie d’Athamas. Au reſte pour eterniſer la memoire d’vn ſi bon office, Nephelé obtint de Iupiter, à force de prieres, que le ſigne du Belier ſeroit placé entre les eſtoilles, ce qui fut faict. Les autres ont eu opinion que ce Belier ou Mouton ne fut autre choſe qu’vn nauire, ayant vn Mouton peint en la proüe, dans lequel Phrixe & Hellé trauerſerent la mer, mais comme l’Infante regardoit de deſſus la proüe en l’eau, elle cheut dedans & ſe noya. Les autres diſent que ce Belier eſtoit le nom du nourriſſier, ou gouuerneur de Phrixe, qui deſcouurant la mauuaiſe conſpiration d’Ino, luy donna auis de ſe ſauuer, qui ſuiuant ce conſeil, il ſe retira à Colchos : & de là print-on ſubiect de dire qu’vn Belier, ou Mouton l’auoit emporté. C’eſt ce qu’en eſcrit Denys és Argonautiques ; adiouſtant qu’il fit auſſi ſa retraitte en Colchos auec Phrixe, où ils furent tres-bien-venus. Mais par ſucceſſion de temps Æete s’eſtant imprimé vne crainte qu’il ne le vouluſt à la longue depoſſeder de ſon Royaume, & s’en inueſtir luy-meſme, ſuiuant l’auis qu’il auoit eu de ſe donner garde d’vn eſtranger, de la race des Æolides, fit mourir Phrixe. Ses enfans ſe ietterent dans vne barque pour paſſer & ſe retirer deuers leur ayeul Athamas, mais ils firent naufrage en chemin. Et là deſſus Iaſon les ayant rencontrez en liſle de Die, ne ſçachans plus à quel ſainct ſe vouër, les receut en ſon vaiſſeau, & les ramena ſains & ſauues à leur mere Chalciope, qui pour recompenſe de cette gratuité & bien-faict, moyenna ſi bien pour Iaſon enuers ſa ſœur Medee, que par l’aide & ſecours d’icelle, il veint à bout de ſon entrepriſe. Quant à Hellé, on dit qu’eſtant morte de maladie en ce voyage, elle fut iettee dedans la mer, ſelon la couſtume des mariniers & nauigeans qui n’ont moyen d’enterrer leurs morts.

Mythologie hyſtorique de Phrixe & Hellé.Tous ces contes icy ſont pleins de vray-ſemblance, horſmis la maniere de la fuite de ces ieunes Princes ; car cela ne peut eſtre qu’vn Mouton euſt vne peau d’or, ne qu’il peuſt voler emmy l’air. Mais parce que la couſtume des Anciens eſtoit de marquer non ſeulemẽt leurs monnoyes de quelques animaux domeſtiques ; ains auſſi de les imprimer preſque en toutes autres choſes, & d’appeller la choſe du nom de l’animal qu’elle portoit ou cizelé, ou graué, ou pourtraict : i’oſerois bien croire que Phrixe & Hellé s’embarquerent en quelque galere qui s’appelloit le Belier, ou le Mouton, pour en auoir vn peint & doré, ou en la prouë, ou en la pouppe : ſuiuant meſme ce que quelques-vns en eſcriuent, & que l’Infante ſe trouuant mal, comme non accouſtumee aux vapeurs marines, appuyee ſur ſon coſté ou autrement, tumba dans la mer.

Ceux qui reduiſent ces contes en hiſtoire, la deſcriuent comme s’enſuit. Athamas fut l’vn des principaux chefs de l’armee Grecque aſſiegeant Troye, où il auoit emmené quant-& ſoy ce qu’il auoit de plus precieux, commettant la charge de toute ſa maison à vn prudent perſonnage, & ſien fidelle ſeruiteur nommé Krios, nom Grec ſignifiant Belier, ou Mouton, que les Latins nomment Aries. Or il aduint que le Roy Athamas conceut vn iour vne pernicieuſe inimitié contre ſon fils Phrixe (peut-eſtre pour le faux ſubiect que nous auons ouy cy-deſſus) de laquelle il ſe deſcouurit à Belier, reſolu de luy faire perdre la vie. Belier aprés auoir par pluſieurs honorables remonſtrances taſché de diſſuader Athamas de cette inhumaine entrepriſe, luy mettant en auant l’innocence & la bonté de ſon fils, enſemble l’amour reciproque que doit le pere à ſon enfant, l’enorme inconuenient & le blaſme qu’il encourroit, l’ineuittable vengeance de telle impieté, ſans toutefois le pouuoir aucunement deſmouuoir de ſon meſchant deſſein : preuoyant l’extreme dommage qui s’en enſuiuroit, & le perpetuel regret & remors qui bourreleroit ſon ame, ſi par faute d’aduertiſſement le ieune Prince ſouffroit ſi cruelle mort par les mains de celuy qui deuoit eſtre le ſouſtien & garand de ſa vie, ſe delibera nonobſtant le deuoir qui l’obligeoit au pere, de donner auis à l’Infant de ce mortel complot. Et parce que le ſejour en la Cour d’Athamas n’euſt pas eſté ſeur pour luy, il donna ſi bon ordre, qu’en peu de iours il fut equippé d’vne bonne nef, laquelle il fretta & garnit de toute ſorte de munitions neceſſaires, & de grandes richeſſes, & s’embarquerent, emmenant auec ſoy la mere de Pelops, nommee Eos, c’eſt à dire, Aurore. Sa ſœur Hellé voulut eſtre de la partie, ſi fit trouſſer bagage, & charger ſes plus precieuſes bagues & ioyaux. La Prin- ceſſe Aurore auoit faict pourtraire vne effigie d’or, repreſentant ſa ſemblance au naturel, laquelle Phrixe, pour montrer le rang qu’il tenoit entre les illuſtres & riches perſonnages, poſa a la pouppe du nauire. Phrixe ſe reputoit de tous poincts heureux, d’auoir eſchappé l’indignation de ſon pere, ſi la mort de ſa ſœur ne luy euſt appreſté nouueau ſubiect de douleur : laquelle ne pouuant endurer la fatigue de la mer, tumba en griefue maladie, dont elle mourut en peu de iours. Sa douleur fut augmentee de ce qu’en pleine mer il ſe voyoit contraint d’abandõner le corps de la defuncte Infante en proye aux poiſſons & monſtres marins, ſans luy pouuoir donner ſepulture digne de la ſinguliere amitié qu’ils s’eſtoient de tous temps portez. De tel inconuenient cette mer fut appellee Helleſpont, comme nous auons dit cy-deſſus. Phrixe auec le reſte de ſa flote pourſuiuant ſa route & auenture, anchra finalement, & deſcendit en Pharon, iſle du Royaume de Colchos, où le Roy Æete le receut auec toute courtoiſie & magnificence : puis ayant faict ſuffiſante preuue de la valeur & vertus de Phrixe, luy donna l’Infante ſa fille en mariage, à laquelle il fit preſent de la naïfue ſtatuë de la Princeſſe Aurore, non de la toiſon de ſon pretendu Mouton. Voila comment on aſſeure la verité de cette hiſtoire.

Les autres eſcriuent que Trigon, Roy des Scythes, gendre d’Æete, eſtoit à Colchos, quand Phrixe fut pris auec ſon precepteur ou gouuerneur : que ce ieune Prince fut donné à Æete, qui le voulut auoir, & le fit nourrir cõme ſien, puis le laiſſa heritier de ſon Royaume ; mais qu’il ſacrifia aux Dieux ſon precepteur, Belier : & l’ayant faict eſcorcher, ſelon la couſtume du pays, il cloüa ſa peau en vn Temple. Peau de Belier pourquoi surnommee d’Or.Ce Belier fut ſurnommé d’Or, parce qu’il faut faire eſtat que le conſeil des ſages eſt auſſi precieux, voire plus que l’or. Les autres veulent dire que le Roy Æete fit dorer cette peau, & luy donna des gardes, ayant eu auis de l’Oracle, qu’il periroit lors qu’vn eſtranger l’auroit enleuee : c’eſtoit à dire, quand ſageſſe & cõseil luy manqueroient. Et pourtant eu eſgard à la rudeſſe & à l’inhumanité des gardes, il fut dit qu’vn Dragon ou Serpent touſiours veillant, des Bœufs ou Taureaux farouches & ſifflans du feu par les narreaux & par la bouche, & des hommes nez de terre tout-armez, auoient en garde cette toiſon d’or. Et d’autant qu’on auoit faict venir ces gardes de la Tauride, Prouince de de Sarmatie, habitee auiourd’huy par les Polonois, Moſcouites & Tartares ; Moyen de la conqueſte de la toiſon d’Or.on dit que Medee partit de nuict à portes fermans, & heurtant à la porte du Temple appella les gardes en leur langage ; leſquels la reconnoiſſans pour fille du Roy, ouurirent promptement la porte. Là deſſus les Argenauchers ſe ruans l’eſpee au poing ſur ces barbares, en tuerent vne partie, chaſſerent le reſte, & enleuerent la toiſon, ou peau. On adiouſte qu’Æete mettant aux champs le plus d’hommes qu’il peut pour lors, attaqua l’eſcarmouche contre les Argo-Nochers, eſtant encore à l’anchre : en laquelle pluſieurs d’entre-eux furent bleſſez, & Iphite tué ; de l’autre part le Roy bleſſé. Mais comme les Argenauchers virent que leurs ennemis croiſſoient touſiours, ſi qu’il n’y auoit moyen de ſouſtenir ſi grand nombre de gens armez, ils leuerent l’anchre & deſmarerent. Toutefois il y en a qui ſouſtiennent que les Colchiens furent mis en route par la valeur des Argenauchers, aprés auoir perdu beaucoup de leurs gens. Expoſitiõ morale.Or i’eſtime que par cette Fable ils ont voulu apprendre comment il faut ſupporter les viciſſitudes des affaires de ce monde : veu que cela ſent ſa femme, ne pouuoir ſagement endurer les mutations que nous voyons ordinairement auenir, ou s’atriſter par trop, & faillir de cœur en aduerſité, & s’enorgueillir outre meſure pour quelque proſperité. Car en quelque danger & hazard que nous nous trouuions, quelque bon & heureux ſuccez qui nous fauoriſe, la prudence nous doit ſeruir de rondache ; eſtant verittable, que les mal-auiſez ſont le plus ſouuent accablez par la ſuruenuë de quelque ſoudain & non-preuenu changement. D’autre part Lucian au Dialogue de l’Aſtrologie, eſcrit que Phrixe prenoit fort grand plaiſir à l’eſtude d’aſtronomie : & que cela donna ſuject aux autheurs des Fables, de dire qu’vn Belier l’auoit porté au Ciel. Mais quand à moy i’eſtime que cela ne ſignifie autre choſe, ſinon que celuy qui ſe ſçait bien & ſagement ſeruir des choſes preſentes, approche fort de la nature diuine : & que celuy qui en abuſe par imprudence, par mauuais gouuernement, & par orgueil, ſe precipite aiſément d’vn haut grade de dignité : comme il en prit à Hellé. Car il n’y a eſtat, condition, ne qualité d’homme, tant ferme & ſttable ſoit elle, qui, s’il plaiſt ainſi à Dieu, ne vienne en moins de rien à ſe renuerſer : dont on ſe trouue puis-aprés autant eſtonné que ſi l’on eſtoit chut des nuës : & qu’ainſi ſoit, la ſignification des noms le monſtre ; car Athamas ſignifie non-admirable, veu que thaumázeſthai vaut autant qu’admirer, d’où vient le nom d’Athamas, en adiouſtant la premiere ſyllabe, a, qui luy donne vne ſignification du tout contraire : & Nephelé ſignifie nuë. Or ſi nous ne nous eſtonnons point pour tant & ſi diuers accidens que nous eſprouuons continuellement, ains eſleuons nos yeux plus haut au Ciel, nous viendrons aiſément à mettre à non-chaloir les affaires de ce monde. C’eſt ce que dit Horace eſcriuant à Numice :

De choſe que ce ſoit merueille point ne prendre, Eſt le ſeul poinct qui peut, Numice, heureux nous rendre.

Et de faict, qu’eſt-ce qu’on peut auoir en admiration, veu que toute la vie de l’homme ne ceſſe de flotter de coſté & d’autre, ne plus ne moins qu’vn nauire au milieu de la haute mer agité de tous les vents & emporté de region en autre ? car qui voudra faire eſtat des moyens & de l’amitié des hommes, des Royaumes & principautez, & de la faueur des Grands ; il trouuera que tout cela luy durera tant qu’il aura vent en pouppe, & que l’heur luy dira. Or que cette proſperité ſoit vne inclination de l’homme à vn heureux eſtat ; ſoit qu’on la vueille appeller conſeil de Dieu, ou autrement, ſi elle accueille l’homme ſage, il s’en ayde auec vne decente moderation d’eſprit, à l’exemple de Phrixe, qui ſe trouuant à Colchos, en vn Eſtat plus tranquille & plus aſſeuré, eſleué à la dignité Royale, s’y comporta fort modeſtement, aprés auoir eſchappé les machinations & mal-vueillances de ſa belle-mere. Or il faut maintenant dire quelque choſe du vaiſſeau d’Argo.