Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 11 : Du Navire d’Argo Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Du Nauire d’Argo.

CHAPITRE XI.

CE Galion dans lequel les Seigneurs ſuſnommez nauigerent à la conqueſte du Mouton d’or, fut baſty par Argus, (qu’Apollonius Rhodien au 1. de ſes Argonautes faict auoir éſté fils d’Areſtor, ainſi que le gardien d’Io, mis à mort par Mercure) & du nom de l’Architecte fut nommé Argò. Toutefois Diodore au 4. liure, veut que ce ſoit à cauſe de ſa grande legereté, qui le rendoit le plus aiſé & maniable vaiſſeau de tous ceux qui iamais monterent ſur mer ; car argòs entre autres choſes ſignifie leger, viſte & ſoudain. Ciceron en la 1. Tuſculane en tire l’etymologie de ce que les Grecs eſtoient appellez Argiues, lors qu’ils s’embarquerent deſſus. Pelias auoit commandé à ce meſme Argus de ioindre legerement les aix, & les cloüer de petits cloux, afin que plus aiſément il ſe peuſt diſſoudre &faire perir toute la trouppe. Mais il fit tout le contraire, auſſi voulut-il eſtre compagnon du voyage pour le radouber au beſoin, & pourtant il eut le bruit d’auoir eſté construit par le deſſeing & inſtruction de Pallas. Stade eſt la meſure de 125. pas.Il fut faict en vne ville diſtante d’Iolchos en Theſſalie, de vingt ſtades, qui pour ce regard fut dicte Pagaſa, ou Pegaſa, du mot pegnyſthai, c’eſt à dire ioindre, aſſembler & lier l’vn auec l’autre, teſmoin Strabon au 9. liure, & Ouide en l’epiſtre de Pâris, appelle Iaſon Pagaſien.

Iaſon Pagaſien enleua bien Medee : La Theſſale pourtant n’en fut point degaſtee Par la Colchique main.—

Voyez cy-deſſus en Iaſon.Le mas de ce nauire fut faict d’vn Cheſne coupé dans le parc de Iupiter de Dodone, que Pallas elle meſme marqua. Lycophron apappelle ce mas, Pie babillarde, pour les raiſons cy-deſſus alleguees, & Valere Flacque, Vaiſſeau fatidique ou deuin, au 1. liure des Argonautes. Cette galere auoit trente rames de chaſque coſté. Theocrite en ſon Hylas l’appelle triacontazygos, c’eſt à dire, ayant trente bancs ou ſieges pour aſſeoir ceux qui rament. Cõmencement de la nauigation.Quelques-vns diſent qu’elle fut faicte à Pelion, ville de Theſſalie, de belle grandeur, bien equipee & garnie de tout ce qui luy faiſoit beſoin ; au lieu qu’auparauant les Grecs ne nauigeoient qu’en de petites ſcaphes & barqueroles, qu’ils faiſoient de trones d’arbres creuſez ; quelques-vns d’eſcorces d’iceux bien couſuës : les autres, de cuir & peaux de beſtes accommodees ſelon leurs moyens, meſmes de joncs & cannes, qui leur ſeruoient, bien que foibles aux vents, & tendres à la vague. Ils auoient tiré la forme & l’vſage de ces petits vaiſſeaux des Syriens, Egyptiens, ou Africains. Car aucuns diſent qu’Atlas inuenta les nauires, & commença l’art de nauiger. En ſuite les Copeens, habitans de Bœoce, prés du fleuue & lac de Cephiſe, apporterent l’vſage des rames & auirons. Dædale inuenta le mas & les antenes : ſon fils Icare, les voiles. Les Tyriens formerent les ancres, qu’Eupalame fit à deux dents. Anacharſis ſubtiliſa les harpons ; Pericle les crocs, mains & agrafes, pour cramponner vn nauire au combat. Les Plateens compaſſerent les premiers la iuſte largeur des vaiſſeaux. Typhis eut l’honneur d’auoir donné les premieres regles pour le gouuernement des nauires. Minos d’auoir inuenté les flottes nauales. Après l’inuention des voiles, Æole enſeigna la prattique d’icelles : à cette occaſion fut-il eſtimé Dieu des vents. En fin ils adiouſterent tant d’inuentions les vnes ſur les autres, qu’ils rendirent la nauigation accomplie de tous points, & s’abandonnerent peu à peu à l’incertain de la grand’Mer, pour connoiſtre leurs voiſins, & traffiquer commodément auec eux. Si que croiſſans leur courage & ſubtilitez, auec le gain qui procedoit de ce commerce, ils façonnerent des nauires propres aux vents & aux rames, en calme & tempeſte, en petite & haute mer, à tout vſage en ſomme. Damaſtre Erictheen fut le premier inuenteur des galleres à deux par banc. Aminocle Corinthien de celles à trois, les Carthageois de celles à quatre. Muſichton de Salamine y en mit cinq. Xenagoras de Syracuſe, ſix. Autres diſent que ce fut Boſphore, charpentier renommé de ſon temps entre les Chalcedoniens. Depuis Mneſigethon en mit iuſques à dix. Iaſon curieux d’apprendre en la conſideration des choſes eſtranges, dreſſa le premier (diſent-ils) & fit equiper vn bon nauire, propre à faire voyage loingtain, garny de trente rames, comme nous auons dict. Le bruit courant de ce nouueau baſtiment, beaucoup de Seigneurs des pays circonuoiſins voulurent auoir leur part de cette ſi noble entrepriſe. Iaſon en choiſit des plus ſignalez, iuſques au nombre de cinquante quatre, luy compris. Les vns diſent que le vaiſſeau fut nommé Argò du nom du condu- cteur de l’œuure, les autres du mot Grec argòs, c’eſt à dire viſte & leger, pource qu’il fut trouué de bonne voile. Or aprés qu’Argò eut mis ces Heros à bon port, & qu’il les eut ramenez en ſauueté chez eux, Iaſon la dédia à Pallas : & parce qu’elle auoit ſi heureuſement porté tant de vaillans & nottables perſonnages, dont quelques-vns eſtoient meſmement, ou bien ont eſté depuis Dieux, elle fut placee entre les eſtoilles, en telle aſſiette que la pouppe ſe leue deuant que la prouë, comme le declare Arat :

Vers la queuë au grand Chien la nef d’Argò ſe rouë, Sa pouppe toutefois ſe leue auant ſa prouë : Non comme ceux qui vont ſinglans en haute mer, Où les nauchers on void à qui mieux mieux ramer : Ains regarde le Ciel luy tournant le derriere, Comme des matelots la trouppe mariniere Tourne de ſes vaiſſeaux d’vn diligent effort Le bec deuers Neptun pour mouiller l’ancre au port. Quittans le dos vny de la plaine liquide : Ainſi ſe tourne außi cette Argò Iaſonide, Depuis la prouë au mas confuſe d’obſcurté, Et du mas à la pouppe eſtoillant en clairté.

Argò pourquoi eſtoillée.Pource que ce nauire auoit eſté faict par le conſeil de Pallas, les Anciens ont pris ſujet de dire qu’il auoit eſté mis au nombre des eſtoilles ; parce que comme ainſi ſoit que Dieu ne laiſſe point de bienfaict ſans remuneration, cette recompenſe eſt la plus agreable à Dieu, laquelle procede de ſapience & conſeil. Celle qui ſe faict ſans le conſeil de Pallas, & comme par quelque instinct & conduite de nature, n’eſt pas à blaſmer : mais ce qu’on entreprend de faire auec raiſon, eſt beaucoup plus agreable à Dieu & plus loüable. Liberalité recommandee par les Anciens.Ayans donc intention d’exhorter les hommes à ſe rendre prompts & volontaires à reconnoiſtre par beneficence les plaiſirs & ſeruices receus : ils ont dit que la liberalité & largeſſe eſtoit choſe diuine, & fort approchant de la nature des Dieux immortels : joinct que pour exemple de ces meſmes vertus, beaucoup d’animaux, voire d’autres choſes deſpourueuës de ſentiment, auoient eſté poſees au rang des eſtoilles, pour auoir faict quelque bon ſeruice aux Dieux, deſquels elles auoient cet honneur que d’approcher de bien prés : comme entre autres la Cheure d’Olene, de laquelle nous traitterons conſequemment.