Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 13 : De l’Oracle de Dodone Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De l’Oracle de Dodone.

CHAPITRE XIII.

L’ORACLE de Dodone a eu plus de vogue que tous autres cõme eſtimé le plus infaillible & verittable, tant à cauſe de l’affluence & grand nombre de gents, qui de tous coſtez y abordoient, que pour la quantité de gland qu’on y cueilloit, dont le monde ſe nourriſſoit pour lors ; teſmoing Virgile au I. des Georgiques :

Quand l’arbouſſe & le gland aux foreſts defailloit, Et Dodone le viure aux humains refuſoit.

Oracle de Dodone par qui inſtitué.Strabon au 7. liure de ſa Geographie dit que l’Oracle de Dodone fut dreſſé par les Pelaſges, pleuple d’Achaïe vers les confins de Macedoine & de faict Homere au 16. de l’Iliade appelle Iupiter de Dodone, Pelaſgique. Plutarque en la vie de Pyrrhe eſcrit que Deucalion & Pyrrha aprés le Deluge vindrent à l’Oracle de Dodone, qui eſtoit en Albanie, en la Prouince des Theſprotiens & Moloſiens. Il y auoit là vne grande & plantureuſe foreſt, remplie de pluſieurs Cheſnes & Fouteaux, qui rapportoient grand’quantité de gland & de faine, pourtant les Poëtes prennent quelquefois le nom de Dodone pour vne grande abondance de tel fruict. Dodone fut ainſi nommee du nom d’vne Nymphe de l’Ocean, ou bien (ſelon Hecate) de Dodonc fille de Iupiter & d’Europe. Inuentiõ de Pelaſge.On dit que Pelaſge fut le premier qui apprit aux habitans de ce pays-là de manger du gland, & que le meilleur fruict de tous les arbres à gland, c’eſt le faine, au lieu qu’auparauãt ils ne mangeoient que des herbes & racines, qui bien ſouuent les faiſoient mourir. Il trouua la maniere de faire des petites loges & des cabanes pour ſe mettre à l’eſſor & abry de la pluye, & ſe preſeruer & garantir des autres iniures & incommoditez de l’air, & des changemens des ſaiſons, & de faire des ſayes ou hocquetons de peaux de Porc pour s’affeubler le corps, comme les bonnes gens d’Eubœe & de la Phocide en ont porté quelque temps, ſelon le teſmoignage d’André Teien en ſa nauigation. Et pource qu’en la foreſt de Dodone il y auoit grand nombre de Cheſnes & de Fouteaux, Lucian és Amours prend ſujet de dire que tels arbres rendoient les Oracles. Ruſe de Sathan pour retenir les ſimples en ſuperstition.Quand aux Oracles des Anciens, ils eſtoient ordinairement fort ambigus & douteux, & ne les pouuoit-on bonnement entendre qu’aprés la choſe aduenuë & paſſee ; combien qu’Iophon Gnoſien, homme d’vn vif & prompt eſprit pour comprendre l’auis des Oracles, ait mis en vers heroïques Grecs, vne bonne partie de ces anciens Oracles, s’efforçant d’apprendre aux hommes le moyen de les entendre aiſément. Homere au 14. de l’Odyſſee, teſmoigne que les Cheſnes de Dodone donnoient les Oracles :

On dit qu’il s’en alla puis-aprés en Dodonne Pour auoir de Iupin l’auis qu’vn Cheſne y donne.

Reſponſes donnees par deux Colombes.Pauſanias en l’Eſtat d’Achaie dit que les Acarnans, les Ætoliens, les Epirotes, ou les Albanois, & autres nations voiſines auoient vn Oracle fort renommé, auquel deux Colombes rendoient les reſponſes de deſſus vn Cheſne. A cet Oracle venoient beaucoup de legations & ambaſſades de diuerſes nations de la terre, affligees, ou de quelque maladie, ou de ſeichereſſe & ſterilité, ou de famine, ou de telle autre calamité publique, afin d’auoir auis de ce qu’ils deuoient faire pour y remedier, leſquelles oyoient la voix de ces pigeons. Or les reſponſes s’y donnoient diuerſement, ſelon les ſaiſons ; car du commencement les Cheſnes parloient : puis aprés deux femmes Preſtreſſes de profeſſion, commencerent à les donner, deſquelles l’vne s’appelloit Periſtere, l’autre Triron, & pource que Periſtere en Grec ſignifie Colomb ou Pigeon, on prit de là ſubiect de dire que deux Colombes rendoient reſponſe à ceux qui alloient au conſeil. Ruſes de Sathan.Les autres ont opinion que deux Pigeons y parloient de faict ; ce qui peut bien eſtre auenu, d’autant que le Prince des tenebres eſtoit en credit, & les Demons auoient la vogue en ce temps-là, auquel les diables & les malins eſprits faiſoient, par la permiſſion de Dieu, telles & autres choſes beaucoup plus eſtranges, pour abrutir de plus en plus l’eſprit des hommes, leur faire pancher le nez en terre, comme porcs en l’auge, & les empeſcher d’éleuer les yeux en haut pour contempler les choſes diuines. Car la plus grand’part des hommes ſe laiſſent aiſément enlacer à vne fauſſe & ſuperſtitieuſe Religion, quand ils voyent & oyent parler des images & oyſeaux, predire par augures les choſes à venir, & deuiner par des animaux beaucoup d’accidens, cheminer pieds nuds ſur des charbons ardens, & autres tels miracles ſuppoſez pour abuſer les plus idiots d’entre le peuple. Voyez Plutarque au diſcours qu’il a faict.Et pourtant nous auons d’autant plus de ſubiect de rendre graces à Dieu, de ce que par la venuë de ſon fils vnique, noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt, toute cette brigade d’Oracles trompeurs a eſté renuerſee, & tous ces demons & malins eſprits auec leurs temples tellement deſtruicts, que dés pieça il n’en apparoiſt plus aucune trace ny veſtige. Leurs autels ſont par terre, leurs bois & parcs couppez, leurs liures contenans l’vſage de leurs ſeruices & ceremonies, bruſlez ; le chois de leurs victimes & offrandes mis à neant ; leurs Preſtres & charlatans de telles deceptions dechaſſez. Et n’y a preſque homme viuant qui par la grace de Dieu ne puiſſe connoiſtre & diſcerner quelle eſt la vraye & legitime maniere de le bien & deuëment ſeruir, ſi ce n’est quelqu’vn qui ſous ombre de quelque fauſſe & deſguiſee Religion, vueille viure en toute licence & impunité de meſchancetez. Car s’il n’eſtoit queſtion entre les hommes que d’eſtablir en la Chreſtienté le pur ſeruice de Dieu, & non pluſtoſt des cõmoditez particulieres, des penſions & des reuenus qu’on ne veut deſmordre en aucune façon, tout le differend ſe pourroit vuider en trois iours : & nous nous verrions en bref recueillis tous en vn troupeau, ſous la houlete d’vn ſeul Paſteur : & n’aurions point (ce qui eſt ridicule & deplorable) tant de troubles, tant de maſſacres, tant de guerres pour les religions. Car le vray ſeruice de Dieu conſiſte en raiſon, pieté, iuſtice & integrité ; & ne le faut point aſſeoir en nombre de gens armez de pied en cap, ny en quantité de Cheuaux d’ordonnance, ny en Regimens d’infanterie, ny en multitudes de pieces de batterie. Auſſi celuy qui eſt le plus puiſſant en guerre, n’eſt pas volontiers le plus religieux, ny le plus homme de bien : mais bien celuy qui peut rendre meilleure & plus probable raiſon de ſon deſſein. Car qui eſt celuy qui penſe pouuoir au milieu de tant d’eſpees nuës &cliquetis d’armes perſuader l’ame, laquelle eſtant diuine, ne peut eſtre aucunement forcee que par diſſimulation & hypocrisie ? Il n’y a piece de campagne de plus grand effect, ny plus forte pour ranger l’eſprit, que la Raiſon, à laquelle ſe voyant vaineu, il ſe ſouſmet volontiers, ou pour le moins demeure ſi honteux, qu’il ne peut ſinon auec rougeur & vergongne regarder en face ſa vainquereſſe. Mais ce ſuject requiert vn autre discours. Paſſons doncques à Niobé.