Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 14 : De Niobé Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Niobé.

CHAPITRE XIV.

Origine de Niobé.NIOBE, que les vns diſent auoir eſté fille de Tantale & d’Euryanaſſe : les autres de Pelops, ou (ſelon d’autres) de Taygete, l’vne des Pleiades, fut mere de pluſieurs enfans : laquelle ſe glorifiant outre meſure, tant pour la quantité d’iceux, que meſme pour ſa beauté, fut tant outrecuidee que de ſe parangonner auec les Dieux immortels, voire ſe propoſer à eux. Car voicy comme elle braue & ſe vante au 6. des Metamorphoſes d’Ouide, deſconſeillant les Thebains de vacquer aux Sacrifices de Latone & de ſes enfans :

Quelle rage vous tient ! quelle folie honteuſe, De prepoſer les Dieux de puiſſance douteuſe A ceux que vous voyez ? pourquoy eſt honoré De Latone le nom, & d’encens adoré Pluſtoſt que moy de qui le los on ne reuere Ny d’encens ny d’autel ? i’ay Tantale pour pere ; Qui ſeul eut cet honneur de pouuoir banqueter A la ttable des Dieux ; ie me puis bien vanter Que ma mere eſtoit ſœur des filles Atlantides. Atlas eſt mon ayeul, qui des nuës humides Et du Ciel eſtoillé tient ſur ſon dos l’aiſſeul. I’ay Iupin d’autre-part pour mon deuxieſme ayeul. Ie me vante outre-plus de l’auoir pour beau-pere, Toute la terre & gent de Troye m’obtempere. Le palais de Cadmus fait ioug ſous mon pouuoir, Mon eſpoux auec moy regit à ſon vouloir Thebes puiſſante ville & les bourgeois d’icelle, Quelque part que ie mets de mon œil la prunelle, Ie ne voy que richeſſe & threſors de valeur. Et ce qui doit encore donner quelque couleur A ce que ie pretens ; i’ay de la gentilleſſe, De la grace et beauté prou pour vne Deeſſe. I’ay ſept filles, ſept fils vigoureux & membrus, Qui me feront bien-toſt des gendres et des brus. Auiſez maintenant ſi i’ay iuſte matiere De me dreſſer ſur pieds, et de quelle maniere Vous m’oſez preferer la fille de Cœus Latone & ſes enfans, trop ſimplement deceus,&c.

Maris & enfans.Toutefois Apollodore Athenien, au premier liure de ſa Bibliotheque eſcrit que Niobé fut fille de Phoronee, Roy de la Moree, & de Laodice. Les vns diſent qu’elle eſpouſa Zethe, fils de Iupiter & d’Antiope, frere d’Amphion, les autres Alalcomene de Bœoce, les autres Amphion de Thebes. Peut-eſtre qu’il y a eu deux Niobes : mais on ne parle que de la fille de Tantale. Quant au nombre des enfans qu’elle eut d’Amphion, les Autheurs n’en ſont point bien d’accord. Herodote dit qu’elle n’eut que deux fils & trois filles. Apollodore eſt de meſme auis. Homere au dernier de l’Iliade luy donne ſix fils & ſix filles. Heſiode dix maſles, & autant de filles. Les autres ſept fils & ſept filles : qui eſt la plus commune opinion. Or elle ne fut pas ſeulement ſi orgueilleuſe à cauſe d’vne ſi belle & grande lignee, que d’entrer en contens auec Latone, à qui ſeroit la plus heureuſe : mais auſſi luy dit tant de poüilles & d’iniures, qu’apres ſes plaintes faites à ſes enfans, Apollon & Diane, ils deſcendirent tous deux à Thebes, Tuez par Apollon & Diane.& quand & quand Apollon luy tua ſix fils à coups de traits, & Diane ſix filles, tous ieunes encore, comme le conte Plutarque au liure de la ſuperſtition. Les filles furent tuees en la maiſon du père ; & les fils comme ils eſtoient à la chaſſe en la montagne de Cytheron. Iſmen impatient de la grand’douleur qu’il ſentoit du coup receu, ſe ietta dans vne riuiere dicte pied de Cadme, qui depuis porta le nom d’Iſmen en Bœoce, prés de Thebes. Ouide au liure ſus-allegué dict qu’Apollon luy tua tous ſes enfans comme ils s’esbatoient en vne belle plaine, hors la ville, les vns à manier leurs cheuaux, les autres à la lutte : & qu’Amphion auerty de leur mort, ſe paſſa ſon eſpee à trauers le corps. Les noms de leurs fils eſtoient Sypile, Agenor, Phedime, Iſmen, Eupnyte, Tantale, Damaſichthon : leurs filles, Neere, Cleodoxe, Aſtyoche, Phaëte, Pelopie, Egyge, Chloris, ſelon Zezos en la 141. hiſtoire de la 5. Chiliade. Apollodore au lieu d’Eupnyte nomme Minyte, & les filles comme s’enſuit : Ethoſæe, ou There, Cleodoxe, Aſtyoche, Phthie, Pelopie, Aſtycratee, Ogygie. Ouide change aucunement l’ordre & les noms des maſles, & les nomme ainſi : Ismen, Sipyle, Phedime, Tantale, Alphenor, Damaſichthon, Ilionee. Pauſanias nomme vn Argus, fils de Niobé, en l’Eſtat de Corinthe, les autres mettent Amphion entre ſes fils ; & entre ſes filles, Amycle, les autres Genua, qu’on eſtime neantmoins auoir eſté fille d’Axiothee, femme de Promethee, qui fonda vne ville ſur le riuage de la mer Liguſtique (qu’on appelle auiourd’huy Riuiera di Genoa) & l’appella de ſon nom, Genua, nous l’appellons Gennes. Les autres diſent que cette ville ayant eſté preſque toute ruinee, elle la reſtaura. lſace eſcrit que Homoloïs & Pelaſge furent enfans de Niobé, & donne à Pelaſge Iupiter pour pere. Apollodore dit que ce fut la premiere femme qui coucha auec Iupiter, de qui elle engendra Argus. D’autre coſté Chloris fut quelque temps dicte Melibœa, laquelle on dit eſtre ſeule reſtee de toutes ſes ſœurs, auec Amycle ; & entre les maſles, Amphion, pource qu’ils ſe ietterent à genoux deuant Latone, la ſupplians bien humblement les vouloir prendre à mercy, teſmoin Pauſanias en l’Eſtat d’Attique. Or Niobé ayant vn iour fait perte de tant d’enfans (telle eſt l’inconſtance des affaires de ce monde) ne fut pas mieux aduiſee au milieu de ſes afflictions, qu’elle auoit eſté lors que tout luy venoit à ſouhait. En fin n’eſtant baſtante pour ſupporter tant d’ennuy, elle fut par la miſericorde des Dieux, muee en vne froide & immobile ſtatuë de marbre, comme le declare amplement Ouide au 6. liure des Metamorphoſes. On dit que Niobé voyant la mort de ſes enfans ſe retira à Sipyle, ville de Phrygie, domaine de Tantale, lieu de ſa naiſſance, où elle fut ainſi metamorphoſee, en iettant quelques larmes. C’eſt pourquoy Pauſanias rapporte que ſa ſtatuë eſtoit vne roche haute & pointuë en Sipyle, qui comme taillee ſelon l’optique & perſpectiue, n’auoit aucune forme de femme, ny ne ſembloit point pleurer à celuy qui la regardoit de prés : mais quand on en eſtoit loing, on euſt proprement dit que c’eſtoit vne femme qui pleuroit. Ouide dit qu’apres qu’elle fut conuertie en pierre, vn grand vent l’emporta en Sipyle, où elle ſemble larmoyer à ceux qui la regardent. Et en l’epiſtre d’Aconce il dit qu’elle eſtoit à Sipyle, montagne de Mygdonie :

Et la ſuperbe mere à bon droit empierree, Que l’on void à preſent en Mygdon eſpleuree.

Il ſemble que Sophocle en ſon Antigone vueille dire qu’elle ne fut pas tout à coup conuertie en pierre, mais peu à peu, ſelon la requeſte qu’elle en fiſt aux Dieux. Le meſme Poëte en ſon Electre dit qu’elle pleure en vn tumbeau de pierre, comme ainſi-ſoit que ſon corps ait eſté tranſmué en pierre. Voila ce qu’on dit de Niobé, fille de Tantale. Niobé fut fille de Phoronee, Prince de la Moree, & de la Nymphe Telodice, ou Laodice, & ſœur d’Apis : lequel tyranniſant ſes ſubiects fut tué par Telxion. Toutesfois les autres diſent qu’elle ne fut pas ſœur, mais bien mere d’Apis, Roy des Argiens & Sicyoniens, qui cedant ſon Royaume à ſon frere Ægialee, s’en alla en Egypte, où il eſpouſa Iſis, & là eſtablit ſon Royaume. Apis adoré par les Egyptiẽs.Et parce qu’il auoit fait beaucoup de biens à ſes ſubiects, & inuenté pluſieurs choſes vtiles & commodes pour la vie de l’homme, les Egyptiens luy firent beaucoup, d’honneur aprés ſa mort, & l’adorerent ſous le nom de Serapis, en forme d’vn Bœuf viuant, parce que cet animal eſt preſque le plus duiſible à l’homme entre tous autres. Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie eſcrit que ce n’eſt pas en toute ſaiſon, mais ſeulement en Eſté qu’on void larmoyer cette ſtatuë de Niobé. Pareil changement ſouffrit vne vieille par le courroux & deſpit de Venus. Voyez liure 2. chap. 6.Car on dit que comme Venus eſtoit en colere contre les Dieux, pource qu’ils auoient enduré que Vulcan l’euſt couuerte d’vn filé auec Mars, & que pour ce ſuject elle s’eſtoit allé de honte cacher és bois de Caucaſe, tous les Dieux la chercherent long temps, mais pour neant, iuſqu’à ce qu’vne vieille decela le lieu où Venus ſe muſſoit, ſur laquelle deſchargeant ſa colere, elle la tranſmua en rocher. On dit dauantage, que quand Apollon & Diane eurent fait mourir les enfans de Niobé, Iupiter les tranſforma tous en pierres pour neuf iours, & qu’au dixieſme il leur rendit leur premiere forme, ſans vie toutefois, & permit qu’on les enterraſt.

¶Voila les contes fabuleux, que nous chantent les Anciens touchant Niobé, Voyons maintenant ce qu’ils ont voulu dire. Tout ainsi Mythologie morale.que par les exemples ſuſdits ils nous exhortoient à vne prompte & gaye recognoiſſance des plaiſirs & des ſeruices receus, nous monſtrans liberaux enuers nos bien-faiteurs : comme ainſi ſoit qu’ils ont donné place entre les eſtoilles à vn Nauire à vne Cheure, & à pluſieurs autres animaux, voire choſes inſenſibles, qu’ils ont ou eſtoillees, ou deïfiees : auſſi par cét exemple ils nous induiſent à vſer des biens & proſperitez que Dieu nous enuoye, d’vn courage raſſis, ſans nous enorgueillir en façon aucune, ny faire aucun acte de temerité. Niobé fut fille de Tentale & d’Euryanaſſe. Tantale repreſente l’auarice, Euryanaſte l’opulence de biens. De ces deux choſes s’engendre l’orgueil & fierté des hommes, qui ont ordinairement pour compagnes & ſuiuantes, vn meſpris du nom de Dieu, vn deſdaing de ſon prochain, & vne oubliance des biensfaicts receus ou de Dieu ou des hommes. Ainſi doncques cette Niobé (prenons là ou pour orgueil, ou pour temerité) void autour de ſa ttable ſi grand nombre d’enfans, qu’elle en deuient extremement altiere & ſuperbe. Car elle void d’vn coſté beaucoup de biens & de richeſſes, l’honneur qu’on leur fait plus qu’à Dieu meſme, la nobleſſe de ſes predeceſſeurs & l’anciennete de ſa maison. D’autre part elle ſe void appuyee de quantité d’amis & d’alliez, de bon nombre de vaſſaux, & de grande multitude de peuple qui ſe leue au deuant d’elle pour luy venir baiſer les mains, ou luy faire la reuerence quand elle chemine : & pourtant il luy eſt bien aduis qu’elle a ſurmonté l’enuie des hommes, & qu’il n’y en a point au monde de plus digne ny de mieux rentee qu’elle, & que Dieu meſme ne la deuance point ny en heur ny en puiſſance. Orgueil & outrecuidance precurſeurs de ruine totale.Quand quelque famille ou ville en vient là, & que ſon orgueil & fierté paruient iuſques à tel poinct, ſçachez que ſa ruïne eſt proche, comme nous l’enſeigne ceſte Fable. Mais quand quelqu’vn eſt tant outrecuidé que cela, des que Dieu luy vient mettre la main ſur le collet, il n’y a n’enfans, ny nobleſſe qui le puiſſe garantir de la vengeance diuiuine. La raiſon eſt qu’il n’y a point de ſi grande faueur, de ſi grandes richeſſes, ny de ſi grande dignité, que Dieu par l’effect de ſa vertu ne puiſſe d’vn ſeul clein d’œil en ſon ire porter par terre. Et dés que les moyens viennent à manquer, & (comme on dict) la chance tourner, les alliez montrent le dos, les amis abandonnent ; il n’y a plus de ſeruiteurs, plus de vaſſaux, plus de ſuiuans, plus de bonnetades, plus de reuerences, plus de baiſe-mains. Celuy qui à la ſortie de ſa maiſon ſe voyoit accompagné comme d’vne armee de gents, ſe trouue eſſeulé ; perſonne ne fait plus ſemblant de le ſalüer : la nobleſſe, tant ancienne ſoit elle, pût, s’il n’y a des moyens. Or doncques pour humilier l’orgueil des hommes, corriger le meſpris qu’ils font d’autruy, & r’aualler leur temerité & vaine iactance, les anciens ont introduit Niobé ſe vantant de beaucoup de prerogatiues tant enor- gueillie en ſa proſperité que d’oſer s’attacher aux Dieux, & les deſdaigner ; ſi fut elle nonobſtant en moins de rien deboutee de toute ſa felicité. Tant de calamitez tout à coup ſuruenans l’eſtonnerent ſi fort qu’elle ne put ietter ny larmes, ny voix aucune, comme Ciceron en ſa troiſieſme Tuſculane en donne teſmoignage, diſant : On feint que Niobé ait eſté muee en pierre, d’autant que (ce croy-ie) durant ſon dueil elle demeura touſiours ſans mot dire. Que s’elle n’euſt point eſté ſi temeraire en ſon eſprit, s’elle ne ſe fuſt point monſtree ſi hautaine lors que le vent de proſperité luy donnoit à dos, tant d’afflictions, & de calamitez ne l’euſſent point tant trauerſee : ou pour le moins apres vne ſi nottable perte elle ſe fuſt reconnuë, confeſſant qu’elle n’auoit pas enfanté des plantes touſiours verdoyantes, ains qui pouuoient fleſtrir & fener quand il plairoit à Dieu : & s’elle ſe fust rangee au bon plaiſir de Dieu, elle n’euſt point eſté conuertie en ſtatuë. Car l’homme ſage doit auoir touſiours en bouche cette ſentence doree d’vn Poëte Grec :

Nulle felicité, ſans Dieu, n’eſchet à l’homme.

Expoſition hiſtorique.Aucuns veulent accommoder ce faict à l’hiſtoire, & diſent qu’il auint quelquesfois vne grande peſtilence en Phrygie, par laquelle tous les enfans de Niobé moururent en vn iour. Et comme ainſi ſoit que les principaux autheurs de ladite maladie, outre la cauſe efficiente, ſont le Soleil & la Lune, comme s’engendrant de chaleur & d’abondance de vapeurs, les Fables ont dict qu’Apollon & Diane les auoient aſſommez à coups de fleches. La pauure mere reſtant toute eſtourdie au milieu de ſi griefues aduerſitez, voire paroiſſant auoir perdu tout ſentiment ; les ouuriers de Fables dirent qu’elle auoit eſté transformee en ſtatuë de pierre. On dit que Iupiter les conuertit en pierres, pource que durant ce fleau de Dieu les hommes ſont ordinairement inhumains & deſpoüillez de charité, de crainte qu’ils ont d’en eſtre auſſi frappez, & n’y a ny parenté, ny alliance, ny amitié, pour eſtroitte qu’elle ſoit, qui les induiſe à compaſſion. Mais la peſtilence ceſſant au dixieſme iour, lors on vacqua à leur ſepulture. S’enſuiuent quelques autres exemples de meſme eſpece.