Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 17 : D’Ixion Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Ixion.

CHAPITRE XVII.

MAIS Ixion fils, ſelon Hygin, de Leonte ; ſelon Euripide, de Phlegias ; ſelon Æſchyle, d’Antion ; ſelon Pherecyde, d’Æton & de Piſione : ſelon les vns, de Mars & Piſidice : & ſelon les autres, de Iupiter, fuſt beaucoup plus meſchant que les ſuſnommez. Il eſpousa Die fille d’Eionee, ou Deionee, promettant de faire beaucoup de biens à ſon beaupere ; car en ce temps là les nouueaux mariez ſouloient faire des preſens aux peres de leurs eſpouſees, comme le demonſtrent ces vers d’Homere :

Il donne en premier lieu deux fois cinquante aumailles. Puis promet mille chefs de cheures & d’oüailles.

Deionee donc demandant à ſon gendre l’execution des promeſſes qu’il en auoit tirees luy baillant ſa fille, & l’en ſollicitant auec aſſez d’inſtance, Ixion le pria de venir banqueter chez luy, ſous ombre de le traicter magnifiquement, & de s’acquiter de ſon deuoir, confeſſant de bouche que l’equité de la choſe le contraignoit à ce faire. Mais il fit creuſer vne profonde foſſe, comme vn fourneau à brique, à l’entree du lieu où le feſtin ſe deuoit faire, & le remplit de charbons ardents, qu’il couurit par deſſus d’vn fort leger plancher, ſi bien que le pauure hõme trebucha miſerablement là deſſous. L’enormité du crime fut ſi deſplaiſante aux hõmes & aux Dieux, que deſployans leur vengeance ſur luy, il deuint enragé, & fut long-temps vagabond par le pays, ſans pouuoir trouuer aucun qui le vouluſt retirer, ny Dieu ny homme qui l’abſoluſt & purifiaſt de ce forfaict ? d’autant qu’il auoit eſté le premier ſi hardy que de mettre la main ſur ſon allié. Finalement Iupiter ayant pitié de ſon infortune, le purgea, pource qu’il auoit grande repentance de ſon crime : & qui plus eſt, le receut au Ciel, luy fit fort bon traittement, & le pourueut d’vn eſtat de Conſeiller & Secretaire d’Eſtat, auec tant d’honneur que de le faire boire &manger à ſa ttable. Or fut-il en recompenſe du bien & de la faueur que Iupiter luy auoit de partie, ſi preſomptueux que de s’attaquer à Iunon, la courtiſer, & luy tenir propos d’amour, voire iuſques à la ſolliciter de ſe vouloir prodiguer à luy, tout enyuré qu’il eſtoit de Nectar & d’Ambroſie. Ce qu’elle ayant faict entendre à Iupiter, à peine en voulut-il rien croire, craignant que ce ne fuſt calomnie, fort bien informé d’ailleurs de la haine qu’elle portoit à ceux qu’il auoit engendrez d’autres que d’elle, & ſe reſouuenant comme il en auoit pris à Bellerophon & à Hippolyte : ains voulut en eſtre luy meſme teſmoing oculaire. Voyez le 8. chap. du 2 li. & le 4. chap. du 9. liu.Il amoncela doncques vne nuee en vn corps, & en forma vn phantoſme à la ſemblance de Iunon, & le mit en la chambre où Ixion ſe ſouloit retirer. Le compagnon cuidant que cette image fuſt Iunon meſme, accomplit ſon deſordonné deſir, & engendra les Centaures, qui pour cette cauſe furent nommez Nubigenes. Dequoy ne ſe pouuant taire, ains ſe glorifiant en toute compagnie d’auoir connu charnellement la Dame du Ciel & Royne des Dieux, il en cauſa tant que ſon babil le fit tout vif precipiter du Ciel aux enfers , Iupiter ne le pouuant faire mourir, non plus que tous autres qui auroient mangé de l’Ambroſie. Là fut-il pieds & mains garrotté ſur vne rouë de fer, autour de laquelle ſe couleurinoient grand’quantité de ſerpens, & eſtoit là ſans ceſſe bouleuerſé d’vn perpetuel tournoyement de ladite roüe, ſans iamais pouuoir prendre repos, ce que declare Virgile au troiſieſme liure des Georgiques.

Les Furies craindra l’enuie mal-heureuſe, Et du Cocyte noir la riue rigoureuſe, Et les tortus Serpens d’Ixion tourmenté, Et ſa cruelle rouë.—

Et Ouide au 4. des Metamorphoſes.

Sur vne rouë eſt pendu Ixion, Qui touſiours tourne en grand’affliction.

Puis Tibulle au premier liure.

La d’Ixion on void ſur la roüe agiter Le corps, qui ſur Iunon oſa bien attenter.

Il eſt encore là criant aux hommes, qu’à ſon exemple ils apprennent à ne rendre mal pour bien, ains la pareille à ceux qui leur auront faict plaiſir. Strabon au 9. liure eſcrit que Phlegias ne fut pas pere, mais frere d’Ixion, de qui Pirithe, Chiron & autres furent fils.

Mythologie d’Ixion.Voyla ſommairement ce qu’on eſcrit d’Ixion : voyons maintenant comme on peut expliquer cecy. Zezes en la 273. hiſt. de la 7. Chiliade drappe outrageuſement Pindare & le Philoſophe Palephate, comme s’ils luy auoient volé ſes meubles, ou pillé les Temples des Dieux. Pindare, pour auoir voulu dire qu’Ixion ayant contẽté ſon ap- petit auec cette Nueé ſuppoſee par Iupiter, en eut vn fils ſans l’aide des Graces nommé Hyperphiale, qui ſaillit les Iumens de Magneſie en la montagne de Pelion, deſquelles naſquit vne eſpece reſemblant partie aux meres, partie au pere. Voyez le chap. des Centaures, liu. 7. ch. 4. où la verite de cecy eſt amplement deſcrite.Et Palephate, pour auoir eſcrit que les Centaures furent appellez fils d’Ixion : d’autant que comme certains Taureaux ſauuages entrans en Theſſalie rauageoient tous les bleds, les ieunes gens du pays montans à cheual donnerent la chaſſe à ces Taureaux, les chargeans à grands coups d’aiguillons. Or les bonnes gens du plat-pays les voyants de loing, ſe firent accroire que par la ſuperieure partie de leurs corps ils eſtoient hommes, & par le bas, cheuaux, pource qu’ils n’auoient point encore veu perſonne à cheual : & d’autant qu’ils les auoient veus picquans ces Taureaux, ils les appellerent Centaures, & Hippocentaures, nom compoſé de trois : de hippos, c’eſt à dire cheual ; Kentron, aiguillon ; & tauros, Taureau. Si ne vois-ie pas que cela ſoit tant eſloigné de l’antique ſimpleſſe & credulité des bonnes gens du temps paſſé. Mais voyons combien abſurde eſt l’expoſition qu’il allegue. Car il dit que cette Nuee eſtoit vne eſclaue nommee Aura en la maiſon de Pharaon, qu’Ixion picqua, & d’elle naſquit la race des Centaures, ainſi nommez de centron, c’eſt à dire, aiguillon, & d’Aura. Premierement qui a iamais ouy parler de ce mot de Picquer, en choſes veneriennes, ſi ce n’eſt entre bouffons & plaiſanteurs ? D’autre coſté il nous paye en monnoye de fort bas alloy, en ce que quand il eſt queſtion des Fables Grecques, il eſt question de les faire trouuer bonnes, & les prouuer par exemples, pris tantoſt des Egyptiens, tantoſt des Chaldeens : attendu que ces peuples eſtoient auſſi differents en humeurs & ceremonies au ſeruice diuin, & en langage, qu’en façons d’habits, & diſtance de pays. Que s’il y auoit chez Pharaon vne eſclaue dicte Aura, il falloit de deux choſes l’vne ; ou montrer que cette Fable euſt eſté forgee en Egypte, ou prouuer que Aura fuſt venuë en Theſſalie : autrement mieux luy valoit ſe taire de choſe qu’il ne ſçauoit pas. D’Ixion & de Die naſquit Pirithe, qui pour l’alliance qu’il prenoit auec les Centaures eſpouſant Hippodame, ou Deidame, les pria de ſes nopces ; mais ayant offert ſacrifices à tous les Dieux, il mit Mars au rang des pechez oubliez : & pourtant attira ſur ſoy l’ire & fureur d’iceluy. De là vint que par le courroux dudit Mars, auec ce qu’ils auoyent d’ailleurs la teſte eſchauffee de vin, Liure 7. chap. 4.ils furent induits à faire par laſciueté beaucoup d’outrages aux femmes des Lapithes ; d’où ſourdit cette nottable guerre & deffaicte. Quant à ce qu’Ixion ioüa d’vn tres-meſchant & abominable tour à ſon beaupere, cela eſt dict ſuiuant l’hiſtoire ; duquel ſe repentant puis-aprés, il tumba en furie. Et parce que c’eſtoit le premier meurtre commis entre alliez en ces quartiers-là, personne ne vouloit auoir, ny ſa hantiſe, ny ſon amitie : ſi qu’il fut contraint de s’enfuir de ſon pays, & ſe retirant chez quelque Roy (car en ce temps-là tous les Roys, à cauſe de la fraiſche memoire de Iupiter, portoient le nom de Iupiter) il luy fit tres-bonne reception, le purifia, luy donna abſolution, & le fit ſon Conſeiller & Secretaire. En cela ie ſuis d’accord auec Zezes, pource qu’il y a apparence de verité. Lubricité d’Ixiõ.Ixion eſtant là dedans tint en ſecret quelques propos d’amour à la femme de ce Roy, dont elle mal-contente, ſans toutefois le luy faire paroiſtre, en donna aduis à ſon mary ; lequel ne croyant de leger ſa femme, voulut luy meſme en voir l’experience. Si fit habiller de l’eſtat & ornement Royal de la Royne vne femme de peu d’eſtoffe, nommee Nephelé, c’eſt à dire Nuee, enjoignant à la Royne de mander à Ixion qu’il la vinſt trouuer de nuict en certain lieu à telle heure qu’elle luy aſſigneroit, où elle ne feroit faute de ſe trouuer. Luy donc ſelon le mot du guet, penſant bien trouuer la febue au gaſteau, cuidant embraſſer la Royne, n’eut affaire qu’auec vne eſclaue, Enfans d’Ixion & de Nuee.de laquelle naſquit Imbre, qui le premier fut dit Centaure. On dit auſſi que d’Ixion & de ceſte Nuee naſquirent Odites, Ornee, Phlegree, Phole & Riphee, qui donna nom aux montagnes des Riphees en Scythie vers le Septentrion. Raiſon de la nomination des Centaures.Depuis on appella Centaures non ſeulement ceux qui iſſirent d’Ixion, mais auſſi pluſieurs autres habitans en Theſſalie en la montagne de Pelion, pource qu’en façon de Taureaux ils alloient la teſte baiſſee charger leurs ennemis, & eſtoient par maniere de dire furieux en faict de guerre. Ils furent (ce dict-on) les premiers qui trouuerent moyen d’aſſuiettir & dreſſer le Cheual à l’vſage de l’homme, de le manier, & ſe battre à Cheual, ayans deſia les fraims & mors de bride, enſemble les ſelles & tout l’equipage & harnois duiſible à vn Cheual, eſté inuenté par les Lapithes, ſuiuant le teſmoignage de Virgile au 3. des Georgiques. Voila pourquoy la Fable dit qu’Ixion eut abſolution de Iupiter, fut receu au Ciel, qu’il aſſiegea la pudicité de Iunon, & pour cet attentat fut chaſſé du Ciel & enfondré aux enfers. Cauſe de ſa ruine & banniſſement.Car ſon impudente temerité le fit chaſſer de la Cour, & perdre ſon eſtat de Conſeiller & Secretaire, dont il deuint le plus miſerable homme du mõde, gehenné toutefois d’vne perpetuelle gloire & ambition. Et d’autant qu’elle engendre infailliblement l’enuie, il fut dict qu’il auoit eſté precipité aux enfers, garroté parmy des Serpens, à vne rouë tournant ſans ceſſe comme vne aile de moulin. Mythologie morale.Cette narration ne conuient pas mal aux enuieux & ambitieux, cõme teſmoigne ce graue auteur Plutarque en la vie d’Agis & de Cleomenes : Ce n’eſt pas mal à propos ny ſans raiſon que quelques vns cuidẽt que la Fable d’Ixion cõuienne aux ambitieux, aſſauoir qu’il ait embraßé vne Nuee au lieu de Iunõ, & que les Centaures en ſoient iſſus. Car ceux qui ſont allechez de gloire cõme d’vne image de vertu, ne font iamais rien de bon, ains commettent beaucoup de choſes indignes & illegitimes, tranſ- portez de diuerſes agitations d’eſprit, & complaiſans aux conuoitiſes & affections de leurs courages. Car ceux qui en guiſe de vertu veulent tirer de la gloire de toutes choſes, ou qui au lieu de la vraye ſageſſe en ſuiuent vne fauſſe & imaginaire ; force leur eſt de faire beaucoup d’actes deshonneſtes, & pourtant ils engendrent en leurs conceptions des monſtres ſemblables au Centaures de la Nuee. Et pource que l’eſtre de ceux qui par mauuaiſes menees & practiques paruiennent au plus haut degré de gloire & d’honneur, n’eſt iamais de duree ; voylà pourquoy Ixion fut deboutté du Ciel, démis de ſon Eſtat, & plongé aux enfers, gehenné d’vn ſupplice eternel, à ſçaueir du ſouuenir de ſes mal-verſations. Au reſte l’eſtime que les Poëtes ont gentiment pour le proufit & l’inſtitution de la vie humaine impoſé à Ixion vn ſupplice plus rigoureux qu’aux autres malfaiteurs tourmentez des ſupplices d’Enfer, ſelon que plus il auoit receu de bien & de grace de Dieu : pource qu’il a eſté tres-bien dict, que plus on quitte à quelqu’vn plus il a d’obligation. C’eſt en vn mot que ceſte Fable a eſté miſe en auant par les anciens, pour nous apprendre par icelle, Que le vice le plus odieux à Dieu, c’eſt l’ingratitude & oubliance des biensfaits receus : & ce d’autant plus quand on ne ſe contente pas de les mettre en oubly : mais que pour le bien meſme ou rend le mal, de laquelle meſchanceté Dieu ne manque iamais à prendre vengeance. C’eſt toutesfois le plus ordinaire vice qui regne entre les hommes, & que pluſieurs Princes ont rux deſpends de leur Eſtat & vies ſouuentefois experimenté ; aſſaillis & guerroyez par ceux que par leur manificence & liberalité ils auoient chery ſur tous autres, comblez de biens & d’honneurs, & promeus aux plus nobles, voire ſouueraines charges & eſtats.