Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 19 : De Tantale Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Tantale.

CHAPITRE XIX.

PAREILLEMENT Tantale Roy de Prygie, qu’on dit eſtre en perpetuel tourment aux Enfers, tantoſt apprehendant la chute d’vn rocher qu’il void panchant ſur ſa teſte, tantoſt affligé de male rage de faim & de ſoif, fut vn homme deteſttable & vilain ingrat enuers ſes bien-faicteurs. Genealogie de Tãtale.Euſebe au 2. liure de la preparation Euangelique le fait fils de Iupiter & de la Nymphe Pote, que Ian Diacre & Didyme nomment Pluto. Zezes en la 10. hiſtoire de la 5. Chiliade, reconnoiſt bien Pluto, pour ſa mere, mais il eſcrit que ſon pere fut Imole, Roy de Lydie. Lucian au Dialogue des Dipſades (ſerpens venimeux qui font mourir de ſoif ceux qu’ils mordent) le nomment fils d’Æthon. Inhumanité par luy commiſe.On dit quil traitta vne fois les Dieux en ſa maiſon, & que leur ayant appreſté vn braue & ſomptueux feſtin, il leur ſeruit entre autres mets ſon fils Pelops en quartiers, que boüillis, que roſtis, comme ne leur pouuant montrer de plus ſuffiſant teſmoignage de reuerence & d’hoſpitalité, ny leur donner de plus exquiſe viande que ſon propre fils qu’il aymoit vniquement. Ce que les Dieux cognoiſſans ſe garderent bien d’en manger, horſmis Cerés, qui comme tranſportee hors de ſoy-meſme pour le dueil qu’elle auoit du rauiſſement de ſa fille, en mangea par inaduertance vne eſpaule, Pelops r’animé auec vne eſpaule d’yuoire.mais les autres Dieux ayans pitié de cet enfant, le ietterent dans vne chaudiere, & le faiſans cuire & refondre, le r’animerent. Voyez en Pelops liure 7.Mais d’autant qu’il luy manquoit vne eſpaule, que Cerés auoit faict paſſer par ſon ventre, Iupiter luy en fit vne d’yuoire, laquelle aprés la mort dudit Pelops fit beaucoup de ſignes & de miracles, & guerit pluſieurs maladies, ſelon le dire de Pline au 28. liure, chap. 3. & les Pelopides ſes deſcendans prindrent pour leurs armoiries vne eſpaule d’yuoire. Et parce que Tantale auoit contaminé le feſtin des Dieux, y ſeruant de la viande humaine, & violé le droict d’hoſpitalité par le meurtre de ſon fils, le mettant à mort malicieuſement (diſent quelques-vns) chap. 17.pour faire eſſay de leur diuinité, il fut confiné aux Enfers, & Faim & ſoif inſatiable de Tantale.condamné à eſtre touſiours bourrellé d’vn appetit de manger & boire, voyant deuant ſoy de bonnes & exquiſes viandes ſans auoir moyen d’en taſter, pour l’empeſchement que les Furies luy en donnent, comme dit Virgile au ſixieſme de l’Æneide :

Sous les hauts licts dreſſez au banquet genial Luiſent les Chalis d’or, & en excez royal S’offrent appareillez les mets deuant ſa face. Des Furies aupres la plus grande ſe place, Et les ttables des mains empeſche de toucher, Et ſe leuer ſur pieds pour l’approche empeſcher, Et hauſſant vn flambeau de bouche horrible crie.

Homere en l’onzieſme de l’Odyſſee, ne dit pas que les Furies donnent aucune frayeur à Tantale aux Enfers : mais qu’il eſt trauaillé d’vne perpetuelle ſoif, plongé dans l’eau iuſqu’u menton : mais quand il cuide ſe baiſſer pour boire, elle s’enfuit de luy, de meſme font pluſieurs fruicts, deſquels il voudroit bien haper quelqu’vn.

La Tantale ie vis en angoiſſeuſe peine, Qui ſe paſmoit de ſoif au milieu de la plaine D’vn eſtang l’abreuuant iuſques ſous le menton, Sans qu’il euſt d’en gouſter ſeulement l’abandon ; Car tout autant de fois d’vne bouche alteree Qu’il penſe humer de l’eau, ſoudain l’humeur vitree Luy retourne le dos, puis reuient derechef, Et le trompant encor fuit de deuant ſon chef, Là void-il de ſes yeux vne quantité d’arbres Chargez d’excellent fruict, grenades, figues, cappres, Pommes, poires, citrons, auranges, & le fruit Que l’arbre ſainct trouué de Minerue produit. Tout cela luy fait feſte, & dés que le bon-homme Penſe eſtendre la main pour cueillir quelque pomme, Il void tout außi-toſt ce beau fruict s’eſleuer, Qu’vn Zephir outrageux vient au ciel enlever.

Semblablement Ouide au 4. des Metamorphoſes deſcriuant les tourmens de pluſieurs damnez aux Enfers :

Et Tantalus eſt vn petit plus loing Fort tourmenté par vn extreme ſoing Pour eſtancher ſa ſoif en la fontaine, Qui plus s’approche, eſt plus de luy lointaine, Prés de ſa bouche vn pommier rare & cher S’enfuit de luy s’il veut au fruit toucher.

Diuers auis touchant le ſupplice de Tantale.Les vns diſent que Iupiter l’accable d’vne montagne nommee Sipyle qui luy affaiſſe le dos. Les autres, qu’il eſt pendu en l’air auec vne roche panchante ſur ſon chef, qui toutesfois & quantes qu’il taſche à boire, luy donne vn grand coup ſur la teſte, & que tel eſt ſon ſupplice és Enfers, Ciceron l’enſeigne en ſa 4. Tuſculane, diſant : De laquelle miſere, à ſçauoir, d’ennuy & faſcherie, approche celuy qui craint quelque mal qui le talonne de prés, & ſous cette apprehenſion demeure tout eſperdu & comme mort. Les Poëtes voulans denoter la force d’vn tel mal, diſent que Tantale aux Enfers a vne pierre eminente ſur la teſte, pour punition de ſes meffaits, de l’impuiſſance de ſon courage, & de ſa fiere et orgueilleuſe parole. Euripide en ſon Oreſte dit que Tantale ne peut ſubſiſter en aucun lieu, de crainte qu’il a de ladite pierre ; & qu’il ſouffre cette peine à cauſe de ſon inſolence, & de ſon babil effronté. Pource qu’ayant cet honneur de manger, mortel qu’il eſtoit, à la ttable des Dieux, & peſcher en meſme plat, il auoit babillé trop indiſcrettement. Ouide auſſi teſmoigne que ce rigoureux ſupplice luy fut impoſé pour ſa mauuaiſe & dangereuſe langue, pour auoir decelé les ſecrets des Dieux aux hommes :

Tantale dans les eaux cherche à boire de l’eau, Et pourſuit de la main quelque pomme fuyarde, C’eſt ce que luy cauſa ſa langue babillarde.

Les autres diſent que ce fut pour auoir declaré à Aſope ſa fille Ægine que Iupiter auoit rauie, toutefois on en dit autãt de Siſyphe. Mais Cornelius Gallus tres-excellent Poëte montre en quelque gentils vers Grecs, que Tantale fut chaſſé aux Enfers pour auoir eſté trop babillard, donnant trop de licence à ſa langue desbordee, laquelle l’homme ſage doit contenir comme en certains barreaux & treillis ; d’autant que ſi elle vient à manifeſter ce qu’il faut taire & tenir en ſilence, elle cauſe aux cajoleurs beaucoup de miſeres à l’aduenir :

Cet heureux commenſal qui iadis s’abreuuoit Du Nectar doucereux qu’à la ttable il buuoit Du Grand-maiſtre des Dieux, ſon famelique ventre Hauy de male ſoif, d’vn eſtang dans le centre Deſire d’aſſouuir du boire des humains. Mais touſiours l’eau fuyant le laiſſe à vuides mains, Vuide bouche, au milieu du marais en grand’trance. Boy, dit l’eau, & appren les ſecrets de ſilence. C’eſt ainſi qu’on punit le diſcours effrené De celuy qui n’a bien ſa langue refrené.

Quelques-vns, entre autres Zezes & Didyme ; apres Pindare, aux Olympies, cuident que Tantale merita ce ſupplice pour auoir, eſtant admis à la ttable des Dieux, deſrobé du Nectar & de l’Ambroſie, pour en donner à ſes compagnons mortels, auſquels il n’eſtoit loiſible d’en manger. D’autres encor, comme l’vn des interpretes de Pindare, diſent que ce fut pour auoir deſrobé, ou laiſſé deſrober vn chien qu’on luy auoit donné en garde, lequel eſtoit commis à la garde du Temple de Iupiter en Candie : & que quand Iupiter l’enuoya querir par Mercure, il luy dit qu’il ne l’auoit pas. D’autres ne diſent pas qu’il ſoit plongé aux Enfers, mais bien au beau milieu du Pau, où il trempe iuſqu’au menton. Au demeurant on trouue qu’il a eu deux fils & vne fille, mais de quelles femmes, on ne ſçait bonnement. Niobé ſe vante d’eſtre fille de l’vne des Pleiades, Taygete ſelon quelques-vns : les autres diſent qu’il eſpouſa Anthemoiſe, fille de Lyque.

¶Or ce que les vns font Tantale fils de Iupiter & de Plote, ou Plute, les autres d’Æthon, les autres d’Imole, ce n’eſt pas, comme veulent dire quelques-vns, qu’il y ait eu pluſieurs Tantales. Cela vient de ce que chaſcun interprete cette Fable ſelon ſa fantaiſie, toutesfois tendans tous à meſme fin & intention. Car pourquoy eſt-il fils de Iupiter ? Pource qu’on eſtime que Tantale auoit vne grande connoiſſance des choſes diuines & naturelles, laquelle n’eſt pas donnee à tout le monde, mais ſeulement à ceux deſquels les ames (ſelon la doctrine des Pythagoriens) ſont principalement extraites de la ſphere de Iupiter pour les trãsmettre és corps des hommes, ou qui auroient Iupiter pour ſeigneur de leur horoſcope, ou aſcendãt de leur natiuité : lequel par ſa force & vertu les fournit, & de richeſſes, & de ſageſſe. Mais comme ainſi ſoit que ſelon la creance d’Anaxagoras & d’Empedocle, la plus haute region de l’air ſoit ignee, ce n’eſt pas mal à propos que Tantale eſt eſtimé fils d’Æthon, c’eſt à dire de l’air ardent & ignee. Expoſitiõ de Pelops ſeruy deuant les Dieux, que ſignifie.On dit qu’il traitta vn iour les Dieux en ſa maiſon, & qu’il leur ſeruit ſon fils Pelops pour le manger, de qui Cerés deuora vne eſpaule. Que ſignifie cela, ſinon les trauerſes & afflictions que les gens de bien & ſages ont à ſouſtenir tandis qu’ils vacquent aux choſes ſaintes & diuines ? car pour ſuiure Dieu il faut abandonner ſes enfans, & ce que l’on a de plus cher & precieux. Car la felicité de ce monde encline pluſtoſt du coſté des meſchans que des bons, & celuy que l’on void embaraſſé de diuerſes aduerſitez, il faut faire eſtat que Dieu l’a pris en grace, s’il les endure poſſedant ſon ame en patience ; ou pour le moins l’y receura bien toſt, pource que par telles incommoditez il exerce la conſtance & magnanimite des gens de bien. Or cettuy-cy eſtant fort riche, fut ſi ententif à la connoiſſance des choſes diuines, que tout ſoin de ſes moyens mis en arriere, il meſpriſa toutes les voluptez & plaiſirs charnels. C’eſt pourquoy quelques-vns diſent qu’ayant toutes choſes en abondance & ſouhait, & qu’eſtant plongé au milieu d’vne abondance de tous biens, il voyoit au deſſus de ſa teſte vn rocher qui l’empeſchoit d’en iouyr. De l’ambroſie & Nectar communiqué par luy aux hommes.Il fit manger & boire à ſes amis & compagnons la viande & breuuage des Dieux, l’Ambroſie & le Nectar, d’autant qu’il communiqua aux hõmes la ſcience celeſte qu’il auoit acquiſe ; car il n’y a viande ny bruuage plus doucereux ny plus exquis que la connoiſſance de Dieu. De la pierre qu’il roule.Qu’eſtoit-ce donc que cette pierre ou roche penchant ſur ſa teſte ? le trauail & l’eſtude aſſiduelle qu’on employe pour obtenir telle ſciences, laquelle nous reuocquant des appetits & concupiſcences de cette chair. les fols l’appellent l’vne des Furies qui l’empeſchoit d’auoir iouyſſance de boire de l’eau dans laquelle il trempoit iuſqu’au menton, & de manger de ſi beaux fruicts qu’il voyoit autour de luy, car au moyen de ſes grandes richeſſes, rien ne luy manquoit de ce qui concerne les ioyes & plaiſirs de ce monde : mais à cauſe de l’occupation de ſon eſprit, il n’en iouyſſoit pas.

Toutefois les autres enſeignent que cette Fable tend à deſtourner les auaricieux de leur auarice, diſans qu’on appelle les riches fils de Iupiter, à cauſe de leurs moyens ; & qu’ils ſont condamnez à perpetuelle ſoif : d’autant que quelque abondance qu’ils ayent, iamais ils ne ſont ſaouls, joint que plus on en a, plus on en deſire auoir. C’eſt pourquoy Horace parlant au premier liure de ſes Sermons, d’vn certain auaricieux, dit :

—Tantal que la ſoif brûle Taſche de prendre en vain le fleuue qui recule De ſes levres fuyard, que ris-tu abuſé ? Le conte eſt faict pour toy ſous vn nom ſuppoſé.

Mais il ſemble que Ciceron au paſſage ſus-allegué vueille dire que cette Fable enseigne aux hõmes à vuider leurs eſprits de toute crainte & ſoucy friuole : & de ſemblable aduis eſt Lucrece, diſant :

Du roc pendant en l’air ce que Tantale a crainte. N’eſt pas qu’il ait en l’ame vne terreur emprainte Qui le rende aſſopi d’vne apprehenſion. Mais pluſtoſt les humains par vaine paßion S’enueloppent l’eſprit de frayeur inutile Pour ſçauoir quel deſtin la Parque à chacun file.

Et de fait l’homme ſage ne doit eſtre ſaiſi d’autre crainte que d’offenſer la bonté de Dieu, veu qu’il faut pluſtoſt ſeruir Dieu par reuerence & bien-veillance, le recognoiſſant pere & autheur de tous biens, que le craindre comme horrible & rigoureux. Les autres ſont d’aduis que cette Fable nous apprend à tenir en arreſt noſtre langue : ou (ſelon les autres) d’auoir en abomination toute meſchanceté & cruauté, comme ainſi ſoit que toſt ou tard Dieu venge ſeuerement les meffaits des hommes. On en tire auſſi vne inſtruction pour les Magiſtrats & Conſeillers des Princes, auſquels ils laiſſent comme en depoſt leurs Eſtats & Couronnes, pour receuoir d’eux vn fidele conſeil en leurs affaires, & le garder ſaintement en leur cœur ſans le diuulguer. Les autres croyent que cette fiction donne à entendre, qu’il ne faut point deſcouurir aux profanes & mocqueurs de Dieu les ſecrets & myſteres de la Religion, pour ne ſemer les perles deuãt les pourceaux : d’autant qu’à l’endroit de telles gens il en prend comme des viandes, qui nourriſſent les vns ſelon la force & vigueur de leur eſtomach à ſanté, & tuent les autres, ou leur font rengreger leur maladie. Car ſelon qu’vn chacun eſt homme de bien, ainſi prend-il en bonne part la connoiſſance des myſteres ſacrez. Paſſons maintenant à Titye.