Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 20 : De Titye Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Titye.

CHAPITRE XX.

TITYE auſſi pour ſa meſchanceté & temeraire conuoitiſe n’endure pas peu de mal aux Enfers. Parens de Titye.Il eſtoit fils de Iupiter & de la Nymphe Elare, fille d’Orcomene, cõme le teſmoignent Apolloine au 1. liure, & Apollodore au premier liure de ſa Bibliotheque : laquelle Iupiter ayant engroſſee, craignant l’indignation & ialouſie de Iunon, cacha dans les entrailles de la terre iuſqu’à ce que ſon terme fuſt expiré, au bout duquel elle enfanta vn fils d’vne merueilleuſe grandeur, au trauail duquel ſa mere eſtant morte, la Terre le nourrit ; & pour cette cauſe il fut ſurnommé Terre-né, & nourriſſon de la Terre. Il fut ſi outrecuidé, ſi temeraire & ſi laſcif, qu’à l’inſtigation toutefois de Iunon, qui ne taſchoit qu’à luy faire deſplaisir, pource qu’il eſtoit né d’vne de ſes concubines, il voulut forcer Latone ; & pourtant Apollon & Diane l’aſſommerent à grands coups de traits, ſelon le dire d’Apolloine Rhodien. Mais l’auis d’Euphorion eſt, que Titye voulut faire cet outrage à Diane, non pas à Latone. Et Pauſanias és Laconiques eſcrit qu’en vn certain Temple les images d’Apollon & de Diane furent poſees, leſquels tous deux enſemble deſcochoient leurs fleches ſur Titye. Cela fut faict vers Panopee lez Lebadie, ville de Bœoce, où ledit Pauſanias dit que Titye fut enſeuely auprés d’vn torrent, le ſepulchre duquel contenoit enuiron le tiers d’vn ſtade, qui pourroit reuenir à quarante vn pieds & quatre poulces, en quoy il y a plus d’apparence qu’en ce que poëtiquement diſent Homere, Virgile, Ouide & Tibulle, que ſon corps couuroit quatre arpens & demy de terre. Aprés qu’Apollon & Diane l’eurent ainſi mal-mené, il fut enfondré ſous les Enfers, & ſi bien garrotté tout de ſon long, qu’il ne ſe peut aucunement bouger. Il y a deux Vautours (ou Serpens ſelon Hygin) qui le deſchirent continuellement, & ſe deſgorgent ſans ceſſe de ſon foye renaiſſant touſiours auec la Lune, à fin qu’il y ait eternellement dequoy le bourreller ; & que le ſuject & le fondement de la punition à laquelle il eſt condamné à perpetuité, ne defaille iamais : comme l’enſeigne Homere en l’vnzieſme de l’Odyſſee. Toutefois Virgile au 6. de l’Æneide ne luy donne qu’vn Vautour ſeul, au lieu qu’Homere luy en met vn de chaque coſté, deſcriuant en beaux termes cette Fable : le teſmoignage duquel ſuffira, n’eſtant au reſte differend de celuy d’Homere :

Titye en ce lieu meſme außi voir on pouuoit, Que la Terre nourry mere commune auoit. Quatre arpens & demy ſon corps couché s’allonge, Et ſon foye immortel & ſes entrailles ronge Fecondes au ſupplice vn eſtrange Vautour D’vn bec croche, & s’en paiſt, & cruel fait ſejour En ſon creux eſtomach, ny aux bords de ſon foye Touſiours, touſiours, naiſſant aucun repos n’ottroye.

Voicy vne ſemblable approbation d’Ouide au quatrieſme des Metamorphoſes.

Là Tityus geant deſmeſuré Par vn Vautour a le cœur deſchiré, Qui ſans ceſſer à ſon corps fait la guerre, Corps außi grand que neuf iournaux de terre.

C’eſt ce que les Anciens eſcriuent de Titye : tirons-en la verité.

¶Strabon au 9. liure fait de cette Fable vne hiſtoire, diſant que lors qu’Apollon, ſelon le bruit commun, deſcendit du ciel en terre, & qu’il appriuoiſa les hommes qui ne mangeoient auparauant que du fruict d’arbres ſauuages, Titye, Roy de Panope tres-cruel, eſtoit vn outrageux tyran, & tres-meſchant Prince, qu’Apollon combattit & tua à coups de traits, comme depuis il occit Python. Et afin que tels garnemens fuſſent à ſon exemple retenus en ceruelle, on fit courir le bruit que Titye eſtoit és Enfers horriblement gehenné du ſupplice cy-deſſus ſpecifié. Morale.Lucrece au 3. liure rapporte cette Fable aux appetits & concupiſcences de la chair & ſollicitudes de l’eſprit, diſant qu’on enſeigne beaucoup de choſes touchant les Enfers qui ne peuuent eſtre ; & que Titye, quand bien il auroit eu le foye auſſi gros que toute la terre, n’euſt ſceu endurer vne telle douleur perpetuelle : mais que les Anciens ont voulu par tels contes denoter les chagrins & ſoucis, deſquels il ſe faut retirer bien loin. Quoy qu’il en ſoit, Lucrece, cõme Philoſophe de la ſecte Epicurienne, ne veut point qu’on s’embroüille la ceruelle d’aucun penſer ny ſoucy. Taille deſmeſuree de Titye.Les autres diſent qu’on a eſtimé Titye eſtre d’vne taille ſi deſmeſuree, d’autant que les Anciens ont voulu donner à connoiſtre, qu’il n’y a ſi grande puiſſance que la force de iuſtice ne ſçache bien chaſtier, voire terraſſer, ſi tels meſchans & deteſttables monſtres d’hommes font quelque choſe mal à propos, & contre raiſon. Car il n’y a ſi bon nombre de gens-d’armes, ny gardes ſi ſoigneuſes, ny garniſon ſi bien eſtablie, ny complot, s’il n’y a de l’equité, que Dieu ne puiſſe fort aiſément deprimer & deſtruire par les plus foibles hommes du monde. Ses Vautours.Les autres diſent que les Vautours de Titye repreſentent le reſſouuenir des meſchancetez qu’on a commiſes, qui bourrellent ſans ceſſe l’ame des pecheurs, & les maſtinent miſerablement, ioint que toute meſchanceté preſagiſt par maniere de dire la vengeance de Dieu & la punition qui s’en doit enſuiure, laquelle talonne de prés & ſuit à la trace les meffaits. Ainſi doncques pour exhorter les hommes à l’equité, &les eſloigner de tous impies & cruels actes, afin que perſonne ne preſumaſt d’eſtre meſchant à l’endroit, ou des Dieux, ou des hõmes ſans crainte de punition, ils ont controuué ce que deſſus. Mais il faut faire eſtat que les plus excellentes Fables ſont celles qu’on peut deduire en pluſieurs voyes tendans à meſme but, à ſçauoir, de corriger les mœurs & cõplexions, & qui n’ont pas vne ſeule ſimple explication. Mythologie phyſique excellemment allegoriſee.Or je trouue que cette-cy ne contient pas ſeulement vne doctrine propre pour la reformation d’icelles, mais auſſi nous deſcouure quelque ſcience concernant l’obſeruation des choſes naturelles. Nous pouuons doncques dire que Titye eſt le tuyau de bled ; car les Grecs l’appellent auſſi títyros : mais vne lettre en eſtant oſtee, l’on a pensé que ce fuſt le nom d’vn homme, faute d’entendre la ſignification du mot. Ce Titye fut fils d’Elare, fille d’Orchomene & de Iupiter. Comment cela ? Orchomene eſt vne riuiere de Theſſalie, de laquelle la Nymphe Elare eſt fille, c’eſt à dire l’humeur lactee qui eſt encloſe és ſemences : parce que le tuyau des bleds ne pourroit naiſtre ſans les Nymphes des riuieres, c’eſt à dire ſans l’humeur, qui eſt le commencement de generation en toutes choſes. Que Iupiter ſoit l’air, nous l’auons dict aſſez de fois. Iupiter engroſſa cette Nymphe, d’autant qu’à certaines ſaiſons les ſemences conçoiuent de l’air vne temperature & humeur ayant force d’engendrer, qui les incite à pouſſer & ſortir hors de terre ; ce qui ſe void à l’œil en certaines ſemences, qui ne peuuent garder leur benignité que iuſques à certain temps : lequel expiré il faut qu’elles ſe montrent en veuë, autrement l’humeur genitale qui conſerue les ſemences, tourne peu à peu à neant comme vne vapeur de fumee, iuſqu’à ce que ces ſemences mortes pourriſſent tout à faict ; veu qu’en tel temps la ſemence eſt preigne, & conçoit de Iupiter ; & ſe cache dans la terre, de peur que Iunon, c’eſt à dire l’iniure de l’air, ne la traite trop rudement ; car le vieil grain, à cauſe des iniures de l’air, n’eſt pas fort propre pour ſemer. Puis-aprés on void ſortir de terre, non pas la ſemence, qui eſt pourrie & morte dans la terre ; mais bien le tuyau, qui eſt Titye. La terre le nourrit : & pourtant il eſt appellé Terre-né, & nourriſſon de la Terre. Il s’eſleue contre le Ciel, comme preſt à faire outrage à Latone : Apollon & Diane ſuruiennent, qui de leurs fleches le renuerſent & portent par terre, c’eſt à dire que quand le tuyau eſt paruenu à ſa iuste grandeur, le Soleil & la Lune le meuriſſent & le rendent preſt à y mettre la faucille. Car la Lune toute ſeule ne le ſçauroit amener à maturité, pource qu’il luy faut de la chaleur : auſſi le Soleil tout ſeul ne ſeroit baſtant de ce faire, d’autant que la chaleur toute ſeule le hauiroit ſi le temperament de l’humeur ne ſuruenoit. C’eſt pourquoy l’on dit que le foye de Titye ainſi froiſſé eſt rongé par des Vautours, parce que l’eſcorce exterieure du bled, c’eſt à dire le ſon, n’eſt pas propre à faire du pain, mais tout ce qui eſt dedans y ſert. Or il couure, non pas quatre arpens & demy, mais pluſieurs milliers d’arpens de terre qui ſont tous couuerts de grains. Ainſi doncques cette Fable contient toutes les façons de ſemer, de moiſſonner & de faire le pain ; puis que par ce moyen le foye de Titye eſt immortel & touſiours renaiſſant, ce qui denote la diligence que les laboureurs employent tous les ans à cultiuer les bien de la terre. Il eſt temps de diſcourir de Titans.