Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 22 : Des Geans Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Geans.

CHAPITRE XXII.

Origine des premiers Geans.ON dit que les Geans naſquirent auec les Erynnes de la Terre, & du ſang du Ciel, lors que Saturne trencha d’aguet auec vne faulx les parties genitales de ſon pere, ainſi le teſmoigne Heſiode en ſa Theogonie. Orphee eſt de meſme auis : ſi eſt bien Acuſilas, ſelon l’atteſtation de l’interprete d’Apolloine. Les autres diſent qu’ils ne naſquirent pas par le moyen de Saturne, mais ſeulement de la Terre : qu’Ops ou la terre les engendra, indigne de la mort & defaite des Titans ; qu’ils furent procreez pour ſe venger des Dieux. Entre les principaux eſtoient Ore & Ephialte, fils de Neptun, lequel prit vn iour à force Iphimedee, femme d’Aloëe l’vn des Geans, de laquelle il tira deux enfans, Ote & Ephialte, qu’Aloëe nourrit comme ſiens, croiſſans tous les mois de neuf doigts, & comme leurs autres compagnons s’equipoient, pour faire la guerre aux Dieux, Aloëe caſſé de vieilleſſe, ny pouuant aſſiſter, les enuoya tous deux à cette noble guerre, où ils moururent. Voicy comme Homere en diſcourt en l’vnzieſme de l’Iliade :

Aprés cela ie vis la femme d’Aloëe, Iphimede, qui fit vne belle lignee A Neptun, deux enfans Otus, Ephialtis. Quand ils vindrent au monde ils eſtoient fort petits Mais la Terre voulut par maternelle cure Les eſleuer tous deux. Ils eſloient de ſtature Les plus beaux qu’on peuſt voir en cette region, Et de l’air de viſage egaloient Orion. Tous deux n’auoient encor ſurpaſſé neuf annees, Que leur corps s’eſtendoit iuſques à neuf coudees En carrure, & de long à neuf aulnes montoit. Mais d’vn orgueil felon qui leur ame domptoit, Contre les Souuerains de menace ils vſerent De leur faire la guerre. Et pour ce faict poſerent Le mont d’Oſſe cornu ſur l’Olympe negeux, Et ſes bois, & ſur luy le Pelie ombrageux De pins, cheſnes, duiſans à faire eſttablerie, Cuidans gagner les cieux d’aſſaut & de furie.

Deſcription des Geans.Ces Geans n’eſtoient pas ſeulement d’vne taille prodigieuſement grande, ſi robuſtes & nerueux, qu’à force d’armes, par eux inuentees, ils terraſſoient tous ceux qui les attaquoient : mais auoient auſſi vn regard affreux, portoient de grands cheueux heriſſez, vne barbe toufuë & longue ; & auoient les pieds aboutiſſans depuis les cuiſſes en forme de ſerpens. Ils mangeoient les hommes, & faiſoient auorter les femmes groſſes, deſquelles ils deuoroient les enfans comme marcaſſins : & ſe meſloient indifferemment auec leurs meres, filles, ſœurs, maſles & beſtes brutes. En vn mot il n’y auoit meſchanceté qu’ils ne commiſſent, impies & grands mocqueurs de Dieu & de toute religion. Ils ont autrefois demeuré en la plaine de Phlegre vers Pallene en Macedoine, ou Thrace, ſelon les autheurs, & comme ainſi ſoit qu’ils fuſſent d’vne corpulence outrageuſement haute, & forts à l’equipolent, ils iettoient entre autres inſolences des cailloux & des troncs d’arbres embraſez contre le Ciel, ſelon le teſmoignage d’Iſace, diſant : La terre mal-contente de ce qu’on auoit faict aux Titans, engendra les Geans à Phlegre lez Pallene, ayant des pieds en façon de ſerpens cheuelus et barbus eſtrangement, qui eſlancerent contre le ciel des pierres & des cheſnes ardens, les principaux deſquels eſtoient Porphyrion & Alcyonee. Quant à ceux qui eſtoient aſſociez en cette guerre, ils eſtoiẽt pluſieurs, leſquels montans ſur de tres-hautes montagnes iettoient de gros quartiers de pierre contre les Dieux, deſquels ceux qui tumboient en la mer, ſe formoient en Iſles, & ceux qui cheoient ſur la terre ſe dreſſoient en montagnes, ſelon le dire de Duris Samien. Leur deſtin.Or il couroit vn bruit entre les Dieux, qu’on ne pouuoit faire mourir pas vn des Geans, s’ils ne prenoient quelqu’vn d’entre les mortels pour compagnon de cette guerre, au moyen dequoy Iupiter par le conſeil de Minerue s’aſſocia d’Hercule, qui fit la premiere charge, & tua de ſa main Alcyonee. Defaicte.Mais parce qu’il reſuſcitoit touſiours, voire auec plus de force, Minerue venant fondre ſur luy, le ietta hors du globe de la Lune : ainſi mourut-il. Iupiter puis-apres & Hercule ioints enſemble, tuerent en Tenarye Porphyrion, qui forçoit Iunon. Apollon creua l’œil gauche à Ephialte, & Hercule le droit. Cela fait, Hercule porta par terre & tua Euryte, luy lançant vn jauelot fait d’vn gros tronc de cheſne. Hecate defit Clytie, Minerue Encelade & Palante : puis chargeant Alcyonee vers l’Iſthme de Corinthe, le rendit mort. Polybote ſe ſauua de la meſlee, & s’enfuit tout à trauers la mer en l’Iſle de Coos : mais Neptun le pourſuiuant, empoigna à belles mains la moitié de l’iſle, & la luy renuerſa ſur le dos, n’ayant point d’eſpieu, ny de traict en main : laquelle recheant en bas fit vne autre iſle nommee Niſyre, comme qui diroit Iſlete en l’Archipel. Mercure aſſomma Hippolyte, Diane Gration, Mars Minas, les Parques Agrie & Thoon. Les autres furent foudroyez par Iupiter : quelques-vns enterrez ſous le Montgibel, comme Encelade, & ſous les iſles de Mycon & de Lipary : quelques-vns engloutis aux Enfers, où ils portent la peine deuë à leurs crimes. Pauſanias en l’hiſtoire d’Ar- cadie eſcrit qu’il y auoit vne valee dite Bathos, où l’on diſoit que les Geans auoient combattu les Dieux, en laquelle vallee on ſouloit ſolemniſer vne feſte & ſacrifice auec force eſclairs, tonnerres & tempeſtes, à l’imitation de cette bataille. Aſne de Silene pourquoi mis entre les eſtoilles.On dit auſſi que les Silenes s’y trouuerent au ſecours de Iupiter, & que l’Aſne de Silene tout effrayé de voir tant de groſſes maſſes de chair, ſe prit à braire fort eſpouuenttablement. Ces Geans ſe firent accroire que quelque terrible & dangereux monſtre eſtoit là venu pour les deffaire & les engloutir, tellement qu’ils prindrent l’eſpouuente, & ſe mirent en fuite : & pour vn merite tant ſignalé, ce bel Aſne fut mis entre les Eſtoilles. Deſtinee des Geãs.Au reſte quelques-vns ont dit que les Geans naſquirent à telle condition, que tandis qu’ils demeureroient au lieu où ils eſtoient nez, iamais ils ne mourroient : & que pour cette cauſe par le conſeil de Minerue on les tira hors du lieu de leur natiuité, que les vns diſent eſtre les iſles Pythecuſes, vis à vis des coſtes du Royaume de Naples ; les autres en diuers lieux. Diuerſes opinions du lieu de leur defaite.Quant au chãp de bataille où les Geans furent deffaits, les vns ſouſtiennent que ce fut à Phlegre, bourg de Thrace : les autres veulent que ce fut en la vallee de Phlegre en Theſſalie, à cauſe de la ferocité des habitans du lieu, & du peu de conte qu’ils tenoient des Dieux : & qu’ils ayent eſté là enterrez, à cauſe des cauernes de ſoulfre deſgorgeans du feu, où l’on a autrefois trouué l’os de la jãbe d’vn homme de telle grandeur, que quand il euſt, eſté chargé ſur vne charrette, trente paires de bœufs ne l’euſſent qu’à peine peu trainer. Les autres eſcriuent, que chaſſez par Hercule hors de Phlegre ville dicte Solfataria, en la terre de Labour en Italie, ils s’enfoncerent ſous terre ; que leur ſang empunaiſit la fontaine de Lucques : que cette contree fut nommee Phlegre, de phlox, c’eſt à dire flamme, parce qu’elle abonde en feu & veines d’eaux chaudes, & que tout le traict de Baja & de Cuma poulſe des eaux ſulphurees, & tenans de la nature du feu : & qu’elles ſont chaudes, d’autant qu’ils eſtuuerent eſdites eaux le feu que la foudre auoit engendré en leurs playes, veu que ſelon la nature de la foudre elles ſentent le ſoulfre. Dieux fugitifs en Egypte par la ſuruenue de Typhon.Au demeurant ont dict que de prime aſpect l’audace & la temerité des Geans donna telle eſpouuente aux Dieux, que dés que Typhon (autrement Typhœe) ſe preſenta, ils s’enfuirent tous en Egypte, & laſſez de la fatigue du chemin, n’ayans eſperance de pouuoir plus loing fuyr l’effort & violence d’iceux, ils ſe deſguiſerent tous en diuerſes figures d’animaux, comme le chante Ouide au cinquieſme des Metamorphoſes. Voyez cy deſſus, liu. 2. chap. 4.Et parce qu’ils ſe metamorphoſerent en pluſieurs formes de beſtes, les Egyptiens prindrent ſubiect d’adorer tant d’eſpeces d’animaux, comme ils ont faict. Or Virgile met au nombre de ces Geans, Cœe & Iapet : Horace, Mimas & Rhœque. Ils auoient en outre en leur compagnie, Aſie, Cinne, Besbic, Almops, Echio, Pelor, Athos, Celadon, Damaſor, Pallene, & pluſieurs autres. Prudence & valeur donnent aiſément victoire ſur l’ennemy.On dit que le conſeil de Pallas ſeruit beaucoup pour la defaite des Geans : ſi fit bien la valeur d’Hercule, & de Pan, qui ſonnant d’vne grande conque de mer durant la charge, leur donna l’eſpouuente : auſſi de Bacchus, lequel y fit fort bien ſon deuoir. Ainſi doncques par le moyen de ces Dieux, ils furent defaits & enfondrez aux Enfers. Et comme il eſt verittable que le ſupplice talonne ordinairement de prés toute iniuſtice, toute iniquité & meſchant acte, c’eſt contre la temerité & auarice des Geans & d’autres tels garnemens qu’Euripide prononce ces vers en ſon Helene, leſquels vn chacun doit auoir, non ſeulement en la bouche, mais auſſi les empraindre & engrauer ſoigneuſement en ſon eſprit :

Dieu hait la force & violence, Et veut ſon immortelle eſſence Que l’on poſſede en equité Ce qu’à chacun il a quitté : Non point en iniure ou rapine, Non point en prattique maline. Qu’on ſe deporte de rauir Le bien d’autruy pour aſſouuir Son effrenee conuoitiſe. Car du Ciel la voye & hantiſe Et de la terre tres-clement Il donne à tous communément. Là nous pouuons à ſuffiſance, Sans iniuſtice, ſans greuance, Sans faire au voiſin deſraiſon, Remplir de biens noſtre maiſon.

Voila les contes que les Anciens nous font touchant les Geans : il faut voir ſi nous y pourrons deſcouurir quelque ſecret.

Mythologie des Geans.Les Geans naſquirent de la Terre & du Ciel, & preſque d’vn parricide, & de la cruauté que Saturne exerça à l’endroit de ſon père : parce qu’on ne void guere ſortir choſe qui vaille d’vn adultere & conionction illegitime Fils de putains rarement bons.: & ceux qui ſont d’vne groſſe matiere, ne ſont pas volontiers, ny temperez, ny amis d’equité, & pourtant les corps les plus groſſiers ſont communément enclins à laſciueté, & gardent long-temps leur colere, ne cedent pas aiſémẽt à la raiſon, ſont moins capables de comprendre les ſciences, & se laiſſent le plus ſouuent emporter à leurs plaiſirs, volõtez & paſſions. Quels ſont les fils de Neptun.Toutefois les autres les font fils de Neptun & d’Iphimede, d’autãt que tous les cruels, inhumains & gens de ſang, ſont appellez fils de Neptun. La raiſon eſt, qu’eſtans compoſez de ſi grand’quantité d’humeurs que le Soleil ne les peut digerer, ils ne ſçauent que c’eſt que de bonnes mœurs, ny de gentilleſſe, ny de courtoiſie, ny d’humanité. Or les rayons du Soleil ſer- uent de beaucoup, non ſeulement pour la nourriture des corps, mais auſſi pour donner temperamment & moderation aux eſprits des hommes. Que c’eſt qu’Iphimedee.Mais qu’eſt-ce qu’Iphimedee, ſinon vne opiniaſtreté & obſtinee conuoitiſe emprainte en l’ame, qui ne veut ceder ny à conſeil ny à raiſon ? car les plus robuſtes corps & muſculeux, ont bien ſouuent peu de conſeil & de prudence. Telles gens doncques, comme mal-auisez, cruels, temeraires, qui ne faiſoient point eſtat qu’il y euſt choſe aucune honneſte que ce qui leur eſtoit agreable, oſerent bien entreprendre de chaſſer meſme Iupiter hors de ſon throſne celeſte. Quant à moy ie ſuis bien de l’auis de Macrobe au premier liure des Saturnales, chap. 20. que cela ne ſignifie autre choſe qu’vne maniere de gens imprudents, qui ſe laiſſent maiſtriſer par leurs appetits, concupiſcences & paſſions, contempteurs des Dieux, impies, nians toute diuinité, renuerſans entant qu’en eux eſt la religion ennemie de tout acte temeraire & damnable. Car ſans la religion & la crainte de Dieu l’on ne peut rien faire de iuste ny de ſainct. Mais d’autant, comme ie viens de dire, que la punition ſuit ordinairement & de prés ſon meffaict, trainant quand & ſoy vn monde de miſeres ; & que Dieu venge ſeuerement les trãsgressions & crimes des malfaicteurs ; ce n’eſt pas ſans cauſe qu’Hercule & Pallas & les autres Dieux les eſtrillerent ſi bien, & les precipiterent aux Enfers, où ils ſont perpetuellement gehennez de diuers & eſtranges ſupplices ; veu que perſonne ne peut longuement exercer ſes meſchancetez ſans en receuoir digne ſalaire. Pieds ſerpentins des Geãs que ſignifient.D’autre part, ce qu’on dit qu’ils auoient les pieds recroquillez & finiſſans en figures de ſerpens, montre qu’ils n’eurent iamais rien de bon en l’ame, & que tout le cours de leur vie ne s’eſt occupé qu’à choſes obliques, torſionnaires & pleines d’iniquité. Mais il ne ſera pas hors de propos d’adiouſter icy vne cõsideration que les Phiſiciens font ſur cette matiere. Conſideratiõ phiſique ſur les Geãs.Ils diſent donc, que les Geans ſont les eſprits enclos dans la terre, leſquels ne trouuans paſſage libre, ſe iettent hors par force, auec la rupture & fraction quelquefois de tres-hautes montagnes, deſquelles ils eſlancent les eſclats & quartiers ſi haut, qu’ils ſemblent vouloir guerroyer les Cieux, dont toute la terre à l’entour en eſt eſtrangement eſlochee. Dauantage, outre les ſuſdites opinions touchant l’origine des Geans, ie ne veux oublier ce qu’en dit Ioſephe en ſes Antiquitez Iudaïques, ſouſtenant qu’ils furent engendrez par la copulation des Demons auec certaines femmes. Mais ſçachons en peu de mots que les Demons ne peuuent realement & de faict s’accoupler auec les femmes, ny leur ſuſciter lignee, d’autant qu’il ny eut oncques homme engendré ſans ſemence humaine, reſerué le fils de Dieu. Bien peuuent les Diables, par la permiſſion de Dieu, changez en formes d’hommes ou femmes exercer les œuures de nature, & auoir affaire auec les hommes & femmes pour les alecher à luxure, tromper & deceuoir : mais ils n’ont point de ſemence, ny ne peuuent engendrer ; car il n’y a point de diuiſion de ſexe entre-eux ; de ſorte qu’ils ne peuuent eſtre diuiſez en hommes ou femmes.