Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 24 : De Pâris Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Pâris.

CHAPITRE XXIV.

Songe d’Hecube touchant Pâris.CE n’eſt ſans raiſon ni mal-à-propos, ains pour montrer la legereté des hommes, que les anciens nous ont laiſſé en leurs Memoires ce qu’ils ont eſcrit de Pâris fils de Priam, & de Hecube ; à ſçauoir qu’il fut Iuge de la contention & diſpute qui ſuruint entre Iunon, Pallas & Venus touchant la beauté. Or pour reprendre le faict vn peu plus haut, ils diſent que Hecube eſtant enceinte ſongea vne nuict qu’elle auoit enfanté vne torche allumee, qui enflammoit toute l’Aſie, laquelle propoſant ſon ſonge aux Deuins, ils luy prognoſtiquerent : Que le fils qu’elle auoit au ventre & qu’elle deuoit enfanter, cauſeroit la ruine totale de ſa patrie. Auentures de Pâris né.Doncques aprés que cet Enfant fut venu au monde, le Roy Priam le donna à Archelas pour l’expoſer emmy les bois à la mercy des beſtes ſauuages ; où rencontré par vne Ourſe elle l’allaicta l’eſpace de cinq iours. Mais les autres eſcriuent que la Royne Hecube le fit ſous main enleuer, & le fit nourrir par les paſtres de Priam au mont Ida. D’autres auſſi, qu’Archelas le nourrit comme ſien. Voire-mais qui pourroit éuiter ce que Dieu a vne fois reſolu & determiné en ſon priué conſeil ? Car Thyeſte fils de Pelops, & Petit fils de Tantale, auoit pareillement faict expoſer aux beſtes le fils inceſtueux qu’il auoit eu de Pelopeïe ſa fille : d’autant qu’il auoit eu auis de l’Oracle, qu’il ſeroit vn iour cauſe de beaucoup de maux ; mais nonobſtant vn paſtre le trouuant emmy les bois ; le fit nourrir par vne Cheure, & pour ce ſujet il fut nommé Ægiſthe ; qui depuis occit Atree ſon oncle fils auſſi de Pelops, & Roy de Mycene, & ſon fils Agamemnon duquel il entretenoit la femme. Thyeſte par corruption couchant auec Aërope, femme d’Atree ſon frere, en eut deux fils ; pour lequel forfaict Atree le bannit de ſon Royaume : Inhumanité d’Atreus.puis le rappella, & fit habiller les deux enfans d’iceluy, en guiſe de venaiſon, leſquels il luy fit à ſon deceu manger, de laquelle inhumanité le Soleil eut tant d’horreur, qu’il retrograda, s’en retournant vers ſon Aurore. Ægiſthe venu en aage en prit vengeance, non ſeulement ſur Atree, mais auſſi ſur ſon fils Agamemnon, reuenu de la guerre de Troye ; Ægiſthe adultere, parricide, tyran.car durant l’abſence d’Agamemnon, Ægiſthe auoit non ſeulement entretenu Clytemneſtre, femme d’iceluy : mais auſſi s’eſtoit ſous main emparé de ſes Royaumes de Mycene & d’Argos, & comme Clytemneſtre faiſoit vn feſtin au Roy Agamemnon ſon mary, Ægiſthe ſous ombre d’amitié, & par le conſentement de Clytemneſtre, le tua au milieu du repas, les autres diſent que ce fut ſur le riuage de la mer, ſe proumenant auec luy. Clytemneſtre occiſe par ſon fils auec ſon ruffien.Puis aprés Oreſte, fils d’Agamemnon, & Clytemneſtre tua ſa propre mere auec ſon ruffien. Semblablement pour reuenir à mon conte, Troye ne fut pas ſauuee pour auoir Pâris eſté chaſſé & abandonné aux beſtes farouches : ny Saturne ne put euiter la violence de Iupiter, combien que l’Oracle les en euſt auertis, puis que la prouidence diuine l’auoit ainſi determiné. Ce Pâris venu en aage d’adoleſcence deuint extremément beau, robuſte & adroit, ſi bien qu’vne Nymphe de cette contree-là, nommee Oenone, s’enamoura de luy, & en eut deux enfans. Bonne reputatiõ de Pâris en ſon ieune aage.Sur ces entrefaites il fit preuue de ſon courage & de ſa valeur, vn iour que certains bandouliers & voleurs ſe ſaiſirent des haras & trouppeaux du Roy Priam ; & comme ils les touchoient deuant eux, Pâris auerty du vol, r’allia ce qu’il pût de paſtres, pourſuiuit les brigands, les mit à mort, & recouura le butin. Pourtant fut-il nommé Alexandre, qui vaut autant à dire que Chaſs’hommes, ſelon le teſmoignage que luy-meſme en donne en ſon epiſtre à Helene :

Ie n’eſtois qu’vn enfant lors que d’entre les mains I’arrachay nos trouppeaux des brigands inhumains. Et pour auoir oſé ſi haut faict entreprendre, Ie fus qualifié du ſurnom d’Alexandre.

Or s’il croiſſoit en toutes les perfections qui peuuent dependre du corps : auſſi faiſoit-il és excellences & graces de l’eſprit : tellement qu’il acquit auſſi la reputation d’homme equitable & droiturier, comme de faict les paſttes luy rapportoient ordinairement tous les differends & debats qui ſuruenoient entre-eux, & le prenoient & conſtituoient pour iuge & arbitre ; leſquels il appointoit auec beaucoup de iuſtice & d’equité. Là deſſus auint que les nopces de Pelee & de Thetis ſe celebrerent, eſquelles toute la Cour Celeſte fut inuitee, reſerué la Diſcorde, que perſonne n’y conuia. Pomme de Dircorde.Elle doncques malcontente de ce meſpris, ietta par le trou d’vne porte de la ſale où le feſtin ſe faiſoit, vne tres-belle & tres-excellente pomme d’or, ayant cette inſcription, La plus belle la prenne. Mercure la recueillit, & l’eut le dicton. Alors pluſieurs d’entre les Deeſſes ſe la voulurent approprier : mais en fin elles cederent toutes à ces trois : Iunon, Pallas, Venus ; leſquelles, chacune la briguant, entrerent en grande noiſe & conteſte ſur la precellence de leurs beautez. Iupiter doncques ordonna qu’elles s’en rapporteroient au iugement de Pâris. Quelque temps aprés Hector fit publier à Troye diuerſes ſortes de Tournois, de combats, & de ieux de prix en vne place dicte Rome. Adonc le berger qui auoit nourry Pâris, luy fit entendre qu’il n’eſtoit pas ſon fils comme il luy auoit faict acroire iuſques alors, ains du Roy Priam, & de la Roine Hecube, & luy perſuada de s’aller, ſans ſe faire connoiſtre, eprouuer à ces combats auec les autres Princes. Que s’il auenoit qu’à raiſon de ſa vile qualité de berger on luy vouluſt faire quelque ſupercherie, ils exhiberoient les langes, drappeaux & autres marques auec leſquelles il auoit eſté expoſé, pour ſeruir de reconnoiſſance. Il creut cet auis, & s’eſtant là tranſporté, s’attaqua au Prince Hector, ſon frere aiſné, à la lutte, & le porta brauement par terre. Hector tout honteux & tranſporté de colere, qu’vne telle eſcorne & brauade luy euſt eſté faicte par vn payſan, fut ſur le poinct de luy planter ſon eſpee dans le ventre. Mais les ſuſdites beatilles repreſentees, Pâris fut reconnu, careſſé & receu au rang des enfans de Priam. Strabon au 13. liure dit que Pâris iugea ces Deeſſes ſur la montagne d’Antandre prés d’Alexandrie ; combien qu’Ouide die que cela fut fait ſur le mont Ida. Ces trois Deeſſes le prattiquerent chacune particulierement, luy faiſans de belles promeſſes. Iunon luy promit l’Empire d’Aſie & d’Europe : Pallas, de le rendre le plus ſage & vertueux de toute la Grece : mais Venus le chatoüilla mieux que les autres, luy faiſant promeſſe de luy bailler la plus belle femme de tout le monde, s’il vouloit donner ſentence à ſon auantage : comme il en diſcourt luy-meſme en l’epiſtre ſuſdicte.

Tant de ſoucis ardens de vaincre les agitent, Que par maint riche don elles me ſolicitent A leur donner ma voix. La femme à Iupiter Des couronnes me vient & ſceptres preſenter. Mais ſa fille me faict de vertu ſi grand’feſte, Que douteux ie ne ſay ſur lequel ie m’arreſte.

La meſme epiſtre contient pluſieurs autres diſcours ſur ce propos, que l’on peut voir dans les Epiſtres d’Ouide. Euripide adiouſte és Troades, que Pallas, outre la promeſſe de ſageſſe & vertu, luy promit la conqueſte de la Grece. Beauté d’Helene.Or en ce temps-là Helene auoit la reputation d’eſtre la plus belle femme de toute la Grece, ſurpaſſant toutes les autres en richeſſes & nobleſſe de race. Voyez le 9. chap. du 6. liu. Car elle eſtoit fille de Tyndare, Roy d’Oebalie, & de Lede : d’autres la font fille de Iupiter, lors que deſguiſé en Cygne il engroſſit Lede, dont elle conceut deux œufs, de l’vn deſquels naſquit Caſtor & Helene ; de l’autre Pollux & Clytemneſtre, les autres diſent que de l’vn des deux œufs iſſirent Caſtor & Pollux : de l’autre Helene & Clytemneſtre : les autres que Pollux & Helene iſſirent d’vn œuf : mais que Caſtor & Clytemneſtre furent enfans de Tyndare. Voyez le 19. cha. du 9. liure. D’autres encore ont opinion qu’Helene ne fut pas fille de Lede, mais bien de Nemeſis, que Lede fut ſeulement ſa nourriſſe ou gouuernante, & Iupiter, ſon pere. Ceux qui la penſent eſtre nce de la transfiguration de Iupiter en Cygne, diſent que pour eterniſer la memoire de ce beau faict, le Cigne merita de trouuer place entre les Eſtoilles. Ainſi doncques la beauté d’Helene attiroit à ſoy l’amitié & l’amour de tous les Princes de Grece, comme en effect, ils s’aſſemblerent tous vn iour en la Cour du Roy Tyndare pour la demander en mariage, & voir qui l’emporteroit, nonobſtant qu’elle euſt auparauant eſté rauie par Theſee, qui luy fit vn enfant (duquel elle accoucha dans Argos, où elle fit baſtir vn Temple à Lucine) puis renduë à ſes freres, qui l’allerent redemander. Toutefois les vns maintiennent qu’elle fut renduë vierge, les autres qu’elle en eut deux filles, Hermione & Iphigenie, & autres que nous nommerons tantoſt. Et parce qu’on preuoyoit bien que celuy qui l’eſpouſeroit, ne feroit que ſe charger d’enuie & de querelles : Serment des Cheualiers, ſeruiteurs d’Helene, ſuiuant la couſtume des Anciens.tous ceux qui luy faiſoient l’amour, eſperans chacun en ſon particulier de la pouuoir obtenir & emporter, firent ſerment d’obſeruer & d’entretenir la loy que Tyndare auoit faicte : Qu’ils employeroient toutes leurs forces & moyens pour la defendre, enuers & contre tous ceux qui la voudroient offenſer en ſon honneur, ou la rauir, à ſon legitime mary. Ce fut auprés d’vn lieu nommé Platenet, vers la chappelle de Minerue, que Tyndare fit aſſembler tous ces braues Princes, ſeruiteurs & Courtiſans de ſa fille, leſquels iurerent ſur les teſticules d’vn Cheual taillé, de prendre Helene en leur protection & ſauue-garde, & la garantir de l’effort & violence de ceux qui voudroient troubler ou violer les nopces de celuy à qui elle ſeroit legitimement eſcheuë en mariage. Aprés ce ſerment, Tyndare fit enterrer le Cheual en la meſme place. Car la couſtume des Anciens eſtoit de iurer ſur les genitoires des hoſties quand ils contractoient alliance auec quelqu’vn. C’eſt pourquoy quand Hercule fit alliance auec les enfans de Nelee, fils de Neptun, & luy & eux iurerent mutuellement ſur les teſticules d’vn porc ſacrifié. Cela ne ſe faiſoit pas en toutes ſaiſons, comme dit Demoſthene en ſon plaidoyé contre Ariſtocrate, veu que c’eſtoit vn grand & ſolemnel ſerment, mais ſeulement à certains iours. Dauantage les champions des ieux Olympiques auoient auſſi cette ceremonie particuliere, de s’obliger par ſerment faict en termes exprés ſur les genitoires d’vn porc taillé, deuant qu’entrer en lice, Qu’ils ne commettroient aucune fraude ny barat, ny tricherie, leſquels porcs, le ſerment faict, eſtoient de nul vſage, car la religion defendoit expreſſément de manger les offrandes ſur leſquelles on auoir iuré. Liure 7. de l’Iliade.Et de faict Homere atteſte, que ce porc, deſcoupé en pieces, ſur lequel Agamemnon iura de n’auoir point touché à Hippodame, fille de Briſes, qu’Agamemnon auoit oſtee & rauie à Achille, fut par Talthybe ietté dans la mer, ſelon la couſtume & ceremonie des anciens ſacrifices. Plutarque és vies de Ciceron & de Publicola, dit que les Ligueurs & coniurez de Rome en firent bien autrement : c’eſt qu’ils eſgorgerent vn homme, & que tous les liguez s’obligeans par vn grand & horrible ſerment, burent ſon ſang aux bonnes graces l’vn de l’autre, & mangerent ſes trippes & freſſure. Æſchyle eſcrit qu’en matiere de ligues & coniurations, la couſtume de tous les liguez & vnis enſemble, eſtoit de gouſter du ſang de la beſte ſacrifiee pour cette fin, iurans par les noms de Mars, Bellone & Frayeur. Ils auoient encore vne autre couſtume en tels affaires, de tenir à belles mains vne barre de fer toute chaude, & de prier les Dieux que leur iuron teinſt & duraſt, iuſqu’à ce que cette barre nageaſt ſur l’eau ; ce qu’ayans dict, ils la iettoient dans l’eau. Car ils auoient opinion, que ceux qui iuroient en bonne conſcience, & ſans fard ny hypocriſie, pouuoient meſme tenir en leurs mains du fer rouge & ardent ſans ſe bruſler, & marcher ſur le feu ſans ſe bleſſer. De ce diſcours on peut recueillir, qu’en matiere d’alliances & de ligues, la façon & ceremonie des ſermens eſtoit diuerſe. Mais reprenons nos briſees. Voyez cy deſſus au chap. de Iaſon.Il aduint depuis que Pâris fut enuoyé en ambaſſade auec vingt galeres pour redemander ſa tante Heſione, fille de Laomedon, Roy de Troye, que Hercule auoit, à la priſe de la ville tué, & donné l’Infante à Telamon, Roy de Salamis. Menelas, pour lors Roy de Lacedemone, le receut, & luy fit tres-bon accueil, qui ſur tous les autres Princes de Grece auoit eu cette faueur d’eſpouſer la belle Helene. Mais voyant qu’il s’en falloit retourner ſans rien faire, Ingratitude & perfidie de Pâris.mettant en oubly la bonne reception, & l’honorable traittement que Menelas luy auoit faict, il luy deſbaucha Helene, & l’emmena auec grand’quantité d’or & d’argent, & les meilleurs & plus beaux meubles, bagues & joyaux qu’elle euſt (combien qu’il euſt auparauant promis la foy à Pegaſe, autrement dite Oenone) cependant que Menelas eſtoit allé en Candie pour quelque affaire qui luy importoit. Toutefois Herodote en ſa Clio dit que Pâris ne fut pas enuoyé en qualité d’ambaſſadeur pour redemander Heſione ; mais qu’inuité par l’exemple de ceux qui l’auoient deuancé en ſemblables traicts, parce que les Egyptiens auoient impunément enleué Ion aux Grecs, les Grecs, Europe aux Egyptiens, & les Argonoches Medee à ceux de Colchos, leſquels ils ne rendirent pas à ceux qui les allerent redemander : il entreprit de gayeté de cœur ce voyage pour emmener & rauir Helene, ce qu’il fit en l’abſence (dit-il) de Menelas, & que bruſlant d’amour qu’il portoit à Helene, il print Lacedemone de force, & emmena auec luy Helene, quelque defenſe qu’elle ſceuſt faire, enleuant quand & quand toutes les richeſſes , & les threſors Royaux : & que pourtant Menelas ne fit aucune difficulté de la reprendre. Au demeurant voicy comme Ouide deſcrit les exemples qui peurent aiguillonner Pâris à faire de meſmes :

Les Thraciens prindrent à peu de peines Pour Aquilon Orithie d’Athenes : Et toutefois leur terre & region Ne ſouffrit mal d’aucune legion. Bien ſceut Iaſon prendre en ſa nef Medee, Quoy qu’elle fuſt ſoigneuſement gardee : Et neantmoins puis qu’il s’en amoura La choſe ainſi ſans guerre demoura. Et meſmement ton rauiſſeur Theſee, Rauit außi Phædra pour eſpouſee : Minos pourtant point ne ſe mutina, Ny les Cretins contre Athenes mena.

Ainſi bien ſouuent l’impunité des fautes commiſes ſert d’exemple & d’aiguillon pour en faire d’autres. Neantmoins Diognet en l’hiſtoire de Smyrne dict que Pâris ne fut, ny Ambaſſadeur, ny induit par les ſuſdits Exemples, mais bien par le conſeil & l’auis de Venus, ſuiuant le deſſein de laquelle Harmonidas, ou (ſelon Andretas) Pherecle luy fit la galiotte dans laquelle il fit le voyage : & que dés qu’il eut enuiſagé & ietté la veuë ſur Helene, il en deuint eſperduëment amoureux : & la rauit (ſelon quelques-vns) lors qu’Ino ſacrifioit auec les Religieuſes de Bacchus ſur le riuage de la mer, où le peuple auec grande affluence auoit accouſtumé de conuoler : ſi qu’il luy fut aiſé d’enleuer Helene, & quand & quand les plus exquis & precieux meubles qui fuſſent au palais de Menelas. Or retournant à Troye, auec elle & les biens qu’il auoit pillez à Sparte, il fut ſurpris d’vne tourmente en l’Archipel, qui le ietta malgré luy en la coſte d’Egypte, où il fut contraint d’aller donner fonds en l’vne des bouches du Nil dicte depuis Canopique, de Canope pilote de Menelas, qui retournant de Troye aprés le ſac de la ville auec ſon Helene, vint ſurgir & aborder en ce lieu-là, où Canope s’endormant ſur le ſable, fut mordu par vn de ſes ſerpens qu’on appelle Hemorrhoïdes, & en mourut. Helene fachee de la mort de leur pilote, accourut, & de colere eſcraza de ſes pieds l’eſchine de ce ſerpent, & luy en fit ſortir les cartilages & les nerfs qui font la ligature du dos, & depuis les ſerpens ont touſiours gliſſé à dos rompu. Là meſme Hercule auoit vn Temple ainſi priuilegié, que ſi quelque eſclaue le pouuoit gaigner, & ſe deuoüoit à ce Dieu, receuant ſes ſacrees marques, il ne loiſoit à perſonne mettre la main ſur luy. Les eſclaues que Pâris emmenoit ayans ouy le vent de cette franchiſe, gagnerent ce Temple à garant, & le chargerent enuers les Pieſtres du Temple, & le Gouuerneur de la ville nommé Thonis, de trahiſon & perfidie enuers Menelas, leur ſeigneur, comme aprés auoir receu de luy toutes les amitiez & courtoiſies qui ſe peuuent, il luy auroit rauy & enleué ſa femme, & ſaccagé tous ſes treſors. Thonis fit ſoudainement ce rapport à Prothee, qui pour lors regnoit en Egypte. Pâris priſonnier de Prothee.Le Roy commanda qu’il fuſt amené par deuãt luy lié & garrotté, pour l’ouyr en ſes defenſes. Ainſi Thonis retint les vaiſſeaux, & mena Pâris auec Helene & les eſclaues accuſateurs, à Prothee ſeant à Memphis (auiourd’huy le grand Caire) & comme il l’eut enquis de ſa qualité, & du ſubiect de ſon voyage auec cette flotte : Pâris luy declara franchement, & le nom de ſa patrie, & celuy de ſes parens. Mais interrogé ſur le faict d’Helene, il ſe prit à tergiuerſer : ſi que les eſclaues renforcerent leur premiere accuſation, & le rechargerent de nouueau par les particularitez de tout ce qu’il auoit commis en ce voyage. Là deſſus Prothee faiſant conſcience de faire mourir vn paſſant que les vents auroient ietté en ſes limites, aprés vne griefue reprimende le renuoya bien auec ſa ſuitte, ſans luy faire aucun deſplaiſir en ſa perſonne ; mais retint la femme de Menelas, auec tous ſes meubles, ſes bagues, & ſes ioyaux : iuſqu’à ce que ſon mary vint repeter le tout : commandant à Pâris, & à ſa compagnie, de vuider hors des terres & pays de ſon obeyſſance dedans trois iours. Diuerſes opinions ſui ces incidens.D’autres diſent que Pâris deſſogeant de là, ſe & ſauua en Phrygie ſans que rien luy fuſt oſté. Les autres quil regagna ſon pays, ne remportant qu’vne image d’Helene. Les autres qu’il s’en retourna auec ſa nouuelle femme droit en ſa patrie, & que les Troyẽs ne voulurent pas ſeulement ouyr les Ambaſſadeurs que les Grecs leur deſpecherent pour redemander Helene auec ſes joyaux & beatilles. Au reſte quelques-vns veulent dire que Pâris ne coucha qu’vne fois auec elle ſur le territoire d’Athenes : toutefois il en eut que là, qu’ailleurs (ce dit-on) Buniche, Agan & Idee. Les autres eſcriuent qu’ayans pris terre en l’iſle de Crane (l’vne des Sporades autour de Candie) qui depuis fut nommee Helene, il en tira vn coup, mais par force, d’autant qu’elle ſe repentoit deſia d’auoir quitté ſon mary, & parce qu’elle n’y condeſcendoit point volontairement, Herbe engendree des larmes d’Helene. Mythologie phyſique.elle ietta quelques larmes, qui engendrerent vne herbe dicte de ſon nom, Helenium, communement Enula campana : de laquelle ſi les femmes boiuent auec du vin, on dit qu’elle leur excite vn appetit & enuie du maſle, & les tient en bonne & gaye humeur, ſuiuant ce qu’en eſcrit Alexandre Cornelius en l’hiſtoire de Phrygie. On luy donne auſſi outre les ſuſdits enfans, Nicoſtrate, Ephiola & Menelas, & Megapente. Auentures d’Helene & Pâris.Mais d’autant que l’iſſuë d’vne meſchante & vicieuſe vie n’eſt que bien peu ſouuent heureuſe, on dit qu’Helene aprés le deceds de Menelas, fut en fin par ſes enfans, Nicoſtrate & Megapente, chaſſee de la maiſon, & qu’elle ſe retira à Rhodes, chez ſa couſine Polyxo, femme de Tlepoleme, Roy de trois villes en ladite iſle, qui mourut en la guerre de Troye par les mains de Sapedon, fils de Iupiter. Mot ordinaire & digne de femme diſſoluë.Mais pource que Tlepoleme eſtoit mort à l’occaſion de l’adultere d’Helene, Polyxo femme altiere & vindicatiue, deſirant auoir raiſon de la mort de ſon mary, enuoya ſes femmes & filles de chambre & autres ſuiuantes deſguiſees en Furies, qui l’empoignans ainſi qu’elle eſtoit au baing, la pendirent & eſtranglerent à vn arbre, teſmoing Pauſanias en l’Eſtat Laconique. Pareillement Alexandre reſſemblant à pluſieurs ieunes hommes qui ſe defont au croiſtre, ne fut depuis qu’vn laſche & coüard : voire treſdommageable citoven à ſa patrie, comme le montre fort bien Home au troiſieſme de l’Iliade : & comme les deuins l’auoient predict à ſa mere, il ſuſcita les armes de toute la Grece contre ſoy & le Royaume de ſon pere, auparauant le plus ancien & le plus floriſſant de toute l’Aſie, lequel par ſa luxure & impudicité, il fit deſtruire, rez pieds, rez terre. Venus au ſecours de Pâris.Durant ladite guerre il entreprit de ſe battre en duel auec Menelas ; & comme il eſtoit preſt de tomber entre les mains de ſon ennemy, Venus le vint enleuer du milieu du combat. En fin ſes freres Hector & Troïle deſia morts, comme Achille s’acheminoit ſous la parole de Priam, au temple d’Apollon Thybree, ſous ombre de traitter auec luy du mariage de ſa fille Polyxene qu’il auoit veuë ſur la muraille ; Pâris en ayant aduis, prit ſon carquois, & s’alla tapir derriere l’image d’Apollon : ſi le tua d’vne fleſche. Polixene ſacrifiee aux ombres d’Achille.En ſuite à la priſe de Troye Polyxene eſtant paruenuë vifue en la puiſſance des ennemis, l’ombre d’Achille apparut en ſonge à quelque Sei- gneurs, de l’armee Grecque, demandant que Polyxene, ſous pretexte de laquelle eſpouſer il auoit eſté traitreuſement tué, luy fuſt donnee en ſacrifice expiatoire de ſa mort. Pyrrhe, fils d’Achille, voulut eſtre executeur de cette cruauté ; de ſorte que l’ayant priſe, il l’emmena ſur le tumbeau de ſon pere, où il l’egorgea. Mort de Pâris.Depuis il tua auſſi Pâris ſautres diſent que ce fut Philoctete ſe battant auec luy cap à cap) & ſon Helene eſpouſa Deiphobe. Les autres diſent qu’il s’eſtoit retiré & faiſoit ſa demeure en l’iſle de Lemne, d’où l’on le tira pour luy faire perdre la vie : toutes leſquelles pauuretez & miſeres Horace au premier liure des Carmes teſmoigne luy auoir eſté predictes par Neree. Voila le faict de Pâris, partie veritable, partie fabuleux.

Mythologie phyſique.Cette Fable repreſente proprement la generation des choſes naturelles. Car que peuuent ſignifier les nopces de Pelee & de Thetis, ſinon que tous corps naturels s’engendrent du meſlange de la terre & de l’eau, auec l’aide de la chaleur ? Car le mot de pélòs, en Grec ſignifie bourbe ou limon, & Thetis, l’eau, comme nous dirons tantoſt. Tous les Dieux ſe ſont trouuez à la mixtion de ces deux-là, comme à quelques nopces, d’autant que la ſeule matiere n’eſt ſuffiſante ny baſtante, ſi l’ouurier n’y met la main. Car ſoit qu’il faille inſerer des ames mortelles és corps des beſtes brutes, ou des immortelles és corps des hommes, veu qu’elles commandent & ſeigneurient auſſi en quelque façon les corps des beſtes, il eſt conuenable de les extraire de quelque plus noble lieu que ne ſont les elemens. Or ſoit que l’ame humaine ſoit extraicte & tiree de l’air, ou du feu elementaire, ou des corps celeſtes, ou de toutes leſdictes choſes, ſoit qu’elle ſoit vne harmonie & conſonance prouenant d’vne egalité de temperamens, ou quelque choſe de plus noble que tout cela, ils ont dict que c’eſtoient les Dieux, qui tous enſemble la concedoient aux corps, & que de chaſque vertu celeſte elle en empruntoit quelque particuliere faculté. Voila comment tous les Dieux s’aſſemblent aux nopces de Pelee & de Thetis. De tous les Dieux il n’y a que Diſcorde qui faict defaut, parce que les choſes de ce monde ne ſe peuuent conſeruer en leur eſtre que par amitié, & plus les temperamens s’accordent enſemble, plus auſſi ont elles de vigueur & de force. Mais quand Diſcorde, & vne inegalité de forces naturelles ſuruient, alors on ne void point de bon meſnage : non ſeulement le temperament ſe perd, mais auſſi toute la compoſition ſe diſſout, car tout ainſi que l’amitié eſt le commencement de la generation, auſſi Diſcorde & noiſe ſont le principe de corruption. Morale.Ie ne vois pas autre choſe en cette Fable qui puiſſe concerner la nature, le reſte donc ſe rapportera aux mœurs. Les villes, Royaumes & autres Eſtats ſont ſubiects à meſmes inconueniens que chaſque corps en ſon particulier ; car il n’y a rien qui ne les perde ſi toſt que Diſcorde. Or entre ces trois Deeſſes, Iunon, Pallas, & Venus, Diſcorde entreuient preſque touſiours, parce que c’eſt vne choſe de tres-mauuaiſe digeſtion, de voir dans les villes & dans les Eſtats (comme il aduient le plus ſouuent) des ignorans, gens ſans aucune experience & ſageſſe, commander à de mieux entendus & plus auiſez qu’eux, des pauures aux riches (entre leſquels il y a vne diſcorde & antipatie naturelle) des hommes deſbordez & de mauuaiſe vie aux gens de bien, r’aſſis & attrempez. Car de trouuer quelqu’vn qui ſoit tout enſemble ſage, moderé, riche, c’eſt l’vne des plus mal aiſees rencontres qu’on puiſſe faire, que s’il s’en trouuoit beaucoup de tels, perſonne ne refuſeroit d’eſtre commandé d’eux. Au reſte que ce qu’on dit de la ſentence de Pâris ne ſoit pas vray, ains choſe controuuee, meſmement Helene.cette femmelette en Ouide le teſmoigne :

Ie ne ſçaurois penſer que la diuine eſſence Ait leur beauté ſouſmiſe au ſort de ta ſentence.

L’intention des antiens en cette Fable.Afin doncques d’enfſammer ceux qui ſeroient eſleuez en qualité de dominer ſur les autres, à ſe munir des vertus vrayement dignes d’vn Prince, les Anciens inuenterent cette Fable, par laquelle ils ont voulu donner à entendre, Que celuy qui doit auoir quelque commandement & authorité ſur autruy, doit eſtre continent, ſage, bien conditionné, heureux en ſes entrepriſes : comme ainſi ſoit que Pâris mettant en arriere, & la ſageſſe & les richeſſes pour preſter l’oreille à la laſciueté, fut cauſe de la perte du Royaume de ſon pere, & de ſa patrie, qui ne ſe pouuoit conſeruer que par l’aide & ſecours de ces deux Deeſſes. Car d’autant que chacun a quelque eſtude & inclination, à laquelle ſon humeur ſe plaiſt plus qu’à toutes autres, quelques-vns appellent du nom de Pâris cette concupiſcence charnelle. On luy donne commiſſion de iuger de la beauté de ces trois Deeſſes, qui toutes trois ſembloient eſtre bien dignes d’emporter le prix de la pomme d’or : & pour obtenir ia victoire, Iunon luy promettoit des Royaumes, Pallas de la ſageſſe, Venus vne tres-belle femme. Mais qui eſt celuy qui au lieu de grandeur & puiſſance, d’honneurs, dignitez & eſtats vueille choiſir vne vilaine putain ? ou bien qui eſt l’homme ſi mol & ſi laſche, qu’au lieu de ſageſſe & prudence, le plus diuin & plus excellent bien qui puiſſe auenir à la nature humaine, il ait le courage (ſi ce n’eſt quelque laſche vilain) d’accepter & ſe tenir à vne orde cupidité ? que ſi quelqu’vn eſt tel, n’eſt-ce pas vn tres-mauuais & tres-dangereux citadin ? quel droict d’hoſpitalité n’entreprend-il de violer ? Il n’y a certes celuy d’entre nous, qui de ſon iugement ne blaſme celuy de Pâris, & d’autre part à peine y a-il celuy qui n’imite vn ſi poltron & laſche iugement. Quand les Anciens nous ont propoſé & mis en auant cette vilainie de Pâris, ils nous ont voulu contraindre à condamner noſtre folie. Car Venus, que Pâris à tant priſee & eſtimee, n’eſt rien que folie, comme meſme ſon nom Grec, Apbrodite, le ſignifie, ſelon le teſmoignage qu’en donne Euripide és Troades, deſduiſant auſſi le nom d’icelle, d’Aphroſyné, ſignifiant folie & trouble d’eſprit. Et de faict nature a fort ſagement auiſé, de n’ordonner qu’vne bien petite eſpace de temps pour l’employer aux plaiſirs charnels ; car ſi elle en auoit concedé dauantage, nous verrions que les hommes y ſeroient, ſans comparaiſon, plus enclins voire plus furieux que les beſtes meſmes. Voila Pâris depeſché, s’enſuit maintenant de clorre & finir ce liure par la Fable d’Acteon.