Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 25 : D’Acteon Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Acteon.

CHAPITRE XXV.

ACTEON auſſi ne ſe trouua pas bien pour auoir eſté ſi hardy & ſi oſé que d’auoir regardé Diane toute nuë : tant les Anciens ont eſté curieux d’apprendre & enſeigner aux hommes quel honneur. & reuerence il falloit porter aux Dieux immortels. Genealogie d’Acteon.Il fut fils d’Ariſtee & d’Autonoé, fille de Cadme. Il aymoit naturellement l’exercice de la venerie, cõme ayant eſté nourry en l’eſchole de Chiron : & ſur la chaleur du iour s’alloit volontiers repoſer à l’ombre, ſur vn rocher prés de Megare ſur le chemin de Platee, que pour ce ſuject on appelloit la Roche d’Acteon. Auint vn iour qu’il s’opiniaſtra aprés vn Cerf qui s’en alloit de forlonge deuant ſes chiens, & là deſſus demeuré en default, cuidant le redreſſer auec le limier, il ſe rendit d’auenture dans vn gros haſlier, au lieu le plus deſuoyé & le plus caché de toute la foreſt, là où Diane ſe baignoit auec ſes Nymphes & ſuiuantes, en vne belle claire & fraiſche fontaine, ſourdant au creux d’vn rocher, au val de Gargaphe, pour ſe refraiſchir, ſelon qu’elle auoit accouſtumé aprés le trauail de la chaſſe. Or la vid-il & regarda, toute nuë qu’elle eſtoit. Dont cette Vierge non ſeulement honteuſe, mais auſſi indignee d’auoir éſté deſcouuerte nuë par vn homme mortel, puiſa de s’eau dont elle arrouſa le viſage d’Acteon, auec tel propos de malediction :

Soit deſormais par toy propos tenus Que de Diane as veu le corps tout nu : Que ton profit faces ie ſuis contente D’oreſnauant ſi iamais tu t’en vante.

Acteon mué en Cerf, & deſchiré par ſes chiens.Deſlors ſa teſte commenca à charger de longues cornes branchuës, & tout ſon corps à ſe former & s’eſtendre en Cerf, excepté la raiſon qui luy demeura, ſans toutefois la pouuoir exprimer de paroles. Ainſi donc transformé & deuenu peureux, ſelon la qualité de cet animal, il print la fuitte, bien eſtonné de pouuoir courre ſi legerement : Là deſſus ſes chiens le deſcouurirent, & tant le coururent, qu’en fin l’ayant atteint en la vallee de la montagne de Cytheron, ils l’abbatirent, & combien qu’il s’efforçaſt de tout ſon pouuoir de leur faire entendre qu’ils s’attachoient à leur maiſtre, qui les auoit tant aymez & cheris, toutefois il ne pût iamais proferer aucune voix humaine, meſme ſes compagnons & les picqueurs, ignorans ſa deſconuenuë & ſon deſaſtre, halloient & encourageoient les chiens contre luy, regrettans fort qu’ils perdiſſent ce plaiſir de la priſe du Cerf putatif, mais luy-meſme euſt bien deſiré d’en eſtre abſent. Quant aux noms de la meutte des chiens qui deſchirerent Acteon, ils ne ſignifient autre choſe que la couleur de leur poil, ou leur ſagacité naturelle, ou quelque autre qualité propre aux chiens : comme Melampe, c’eſt à dire, ayant les pieds noirs : Ichnobate, ſuiuant à la trace : Pamphage, mange-tout : Dorcee, qui a bonne veuë : Oribaſe, montagnard, ou errant par les montagnes : Nebrophon, qui tuë les faons : Lelaps, tempeſte : Theron, fier : Pterelas, ailé ou viſte : Agré, queſtant : Hylee, foreſtier, ou chien de bois : Napé, aboyeur ou queſtant és haſliers : Pœmenis, chien de berger : Harpye, rauiſſaut : Ladon, reſemblant à vn faon : Dromas, coureur : Canache, fremiſſant : Sticté, peinte ou bigarree : Tigris, ſauuage : Alcé, robuſte : Leucon, blanc : Asbole, enfumé : Lacon, beuglant : Aëllo, tempeſtatif : Thoé, leger ou viſte : Cyprien, libidineux ou paillard : Lyciſque, louuet : Harpal, rauiſſant, Melan, noir : Lachné, pelu : Labros, rapide, Agriode, propre à courir aux champs : Hylactor, aboyeur : & pluſieurs autres qu’il nourriſſoit que quelques-vns nomment iuſques au nombre de cinquante. Vengeãce de Diane.Pauſanias raconte en l’hiſtoire Bœocienne, que Diane fit enrager les chiens d’Acteon, qui puis-aprés le meſcognoiſſans le tuerent. Les autres diſent que Diane affeubla le corps d’Acteon d’vne peau de Cerf, afin que ſes chiens, par elle incitez à ce faire, le dechiraſſent, de peur qu’il n’eſpouſaſt Semele. Steſichore Himereen eſt de ce aduis. Acuſilas dit que ce fut pour l’auoir forcee. Les autres ſont d’opinion qu’Acteon ne fut ny tranſmuë ny couuert de peau de Cerf, mais que Diane donna cette imagination à ſes chiens de le prendre pour vne beſte fauue, & qu’alors ils le coururent en guiſe d’vn Cerf. Deux Acteons.Au reſte il ſemble qu’il y ait eu vn autre Acteon fils de Meliſſe, deſchiré par les Bacchantes, celebrans les Orgies, feſte & ſolemnité de Bacchus : duquel Acteon, l’enarrateur d’Apolloine faict vn tel diſcours : Les Corinthiens firent beaucoup d’honneur à Meliſſe, pour les auoir deliurez de Phidon, Roy d’Argos qui les menaçoit de ruine totale. Or auint vn iour que les Bachiades ſe ruans de furie chez luy emmenerent ſon fils Acteon, quelque reſiſtence que peuſſent faire ſes parens. Et quand ce veint le temps de la celebration des ieux Iſtmiens, Meliſſe empoignant les cornes de l’autel, prononca beaucoup d’execrations à l’encontre des Corinthiens, en cas qu’ils ne vengeaſſent la mort de ſon fils, ce qu’ayant dict il ſe precipita du haut d’vn rocher, en bas. Bacchantes chaſſees de Corinthe.Adonc les Corinthiens craignans de laiſſer la mort d’Acteon ſans vengeance, partie pour les bien-faicts receus de ſon pere durant ſa vie, partie auſſi par le commandement de l’Oracle, chaſſerent les Bacchiades hors de leur reſſort. En meſme temps l’vn d’entre-eux nommé Cherſocrate edifia Corfou, chaſſant les Colchiens qui habitoient là, où toutes les autres Bacchiades ſe retirerent. Plutaque au traicté des narrations fabuleuſes, le faict bien fils de Meliſſe Corinthien, mais non mis en pieces par les Bacchantes, mais queſtant ieune garcon, & beau tout ce qui ſe peut, il fut deſiré de pluſieurs, & entre-autres d’Archias, de la race des Heraclides, tenant pour lors le premier rang en ſa cité, tant en biens qu’en authorité & credit, qui ſe voyant n’en pouuoir iouyr de gré à gré, prit reſolution de le rauir, & de faict ſe mit en deuoir de ce faire. A quoy le pere, aſſiſté de ſes parens & amis, ſe preſenta pour les ſecourir, & fut en ce contraſte deſmembré & mis en pieces. Quand au pere du premier Acteon, Ariſtee, on dit qu’il receut tant d’ennuy de la mort de ſon fils, qu’eſtant irriré contre la Bœoce, voire contre toute la Grece, il en ſortit, & ſe retira en Sardaigne. Mais pourquoy eſt-ce que les Anciens ont tranſmis à leur poſterité choſes tant admirables, & dignes d’vne memoire eternelle ?

Mythologie.Pour dire ce qu’il m’en ſemble, ie croy que prenant leur fondement ſur quelque hiſtoire, ils ſon deſcendus à vn enſeignement propre pour l’inſtitution des mœurs. Chiens d’Acteon enragez, peuuent auoir deſchiré leur maiſtre.Car quel inconuenient y a-il de croire que le Soleil, entré au ſigne du Lion, & la Lune eſtant en ſa force, les chiens d’Acteon ſoient deuenus enragez, principalement durant les iours Caniculaires ? D’autre part, quand les chiens ſont enragez, quel moyen, quelle raiſon, qu’elle connoiſſance les peut empeſcher de s’attacher meſmes à leur maiſtre ? Quelques-vns eſtiment que par la rage des chiens d’Acteon, & par la colere de Diane, Deeſſe de la chaſſe, il faille entendre qu’Acteon venu en aage, conſiderant les dangers qu’il y auoit à la chaſſe, & le peu de proffit qu’il y faiſoit, s’en tira bien, mais ne perdit pas pourtant l’affection qu’il portoit à ſes chiens, leſquels continuant à nourrir ſans qu’ils luy rapportaſſent aucun proffit, il y mangea preſque tout ſon vaillant ; & que c’eſt ainſi que ſes chiens le deuorerent. Mais ie ne trouue pas beaucoup de gouſt en cette explication ; car en ce diſcours l’intention des Anciens n’a point eſté d’accourager leur poſterité à la chaſſe ny de les en deſtourner auſſi : ains de corriger par quelque bon amendement les mœurs des hommes moins reformees. Ils les ont doncques voulu admoneſter & exhorter ſelon leur doctrine, à bien faire aux gens de bien, & les deſtourner de faire plaiſir, ou s’employer pour des ingrats & des meſconnoiſſans des biens qu’on leur faict ; ce qu’auſſi Theocrite ſemble vouloir donner à entendre par ce vers :

Nourry des chiens afin qu’ils te deuorent.

Plaiſir le mieux employé.Et de faict le mieux employé plaiſir de tous, eſt celuy qu’on exerce à l’endroit d’vn homme de bien, & qui le ſçait reconnoiſtre : mais le bien-faict à vn mauuais homme, & qui eſt ingrat, eſt tres-mal employé ; veu que les meſchans pour ne ſe voir contraints de rendre la pareille, cherchent bien ſouuent ſubiect de noiſe & de querelle mal-fondee, à l’encontre de ceux qui leur ont faict, ou plaiſir, ou ſeruice, & font mine d’eſtre fort en colere, afin que par ce moyen ils ſemblent eſtre quittes de ce qu’on a faict pour eux : voire s’ils ne venoient à blaſmer de malefice ceux auſquels ils ont de l’obligation, & deſquels ils ont receu du plaiſir. Afin doncques de nous rendre plus prudents & mieux auiſez à choiſir les perſonnes à qui nous voulons faire du bien ou du ſeruice, afin que nous n’achetions point à nos deſpens des eſpions de noſtre honneur, de nos moyens, de noſtre vie, & des ingrats de nos ſeruices, les Anciens nous ont bien voulu enſeigner le moyen de faire plaiſir, d’autant que faire bien à vn honneſte homme, c’eſt par maniere de dire le receuoir : & c’eſt vne partie & eſpece de iuſtice, comme le montrent ceux qui ont traitté des offices & deuoirs que nous deuons les vns aux autres. Curioſité de dangereuſe cõſequence.Dauantage cette Fable nous auertit de n’eſtre point trop curieux de nous meſler des affaires qui ne nous touchent en rien : pource que ç’a eſté choſe trop dangereuſe à beaucoup de gens, d’auoir ſceu le ſecret d’autruy, ou d’auoir mis le nez aux affaires ſecrettes des Princes, & des Grands, ou meſmement des Dieux, leſquels s’ils ont tant ſoit peu de ſoupçon ou desfiance que quelqu’vn ait deſcouuert leurs myſteres & ſecrets, ont bien moyen de le ruiner & deſtruire. En ſomme les Anciens ont laiſſé à leurs ſucceſſeurs des Fables, que beaucoup de gens, peu entendus & mal-auiſez, pour ne les ſçauoir bien ſauourer, appellent contes de vieilles, pour nous retirer par icelles de temerité, cruauté, arrogance, paillardiſe, & toutes autres ſortes de mauuaiſes actions : & nous induire & exhorter à humanité, prudence, beneficence, integrité, temperance, & generalement pour corriger & reformer de mieux en mieux la vie humaine.