Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 06 : De Cygne Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Cygne.

CHAPITRE VI.

Voyez cy deſſus l’vnzieſme labeur d’Hercule.QVANT à Cygne les Anciens autheurs en eſcriuent diuerſement, le faiſans fils de diuers parens, & mué en oyſeau de meſme nom que luy, pour diuerſes raiſons. Car ce Cygne qu’Hercule tua, & qui depuis fut transformé en oyſeau, fut fils de Mars & de Cleobuline, comme dit Poſſidonius au liure des Dieux & des Heros. Hercule l’occit, d’autant qu’il faiſoit mourir tous les eſtrangers arriuans en Theſſalie, ayant faict veu de baſtir à ſon pere vn Temple de teſtes d’hommes par luy mis à mort. Il y eut auſſi vn autre Cygne fils d’Apollon, qu’Achille tua deuant Troye, duquel Iſace eſcrit ce qui s’eniuit : Achille eſtant au ſiege de Troye tua Cygne, & Tenis, fils putatif de Cygne, mais de faict d’Apollon. II le tua pource qu’eſtant venu au ſecours des Troyens il auoit bouſché le deſtroit de la mer Troyenne auec de longues galeres, qui empeſchoient le paſſage aux Grecs, & ne leur permettoieut de prendre terre. Pluſieurs l’eſtiment fils de Neptun. Neantmoins Silene en ſes hiſtoires fabuleuſes dit que les compagnons de Diomede furent transfigurez en tels oyſeaux, ainſi que les ſœurs de Meleager en oyſeaux Meleagrides qu’on appelle poulles d’Inde. Vengean- de Mars & Venus contre Diomede.Voicy comme le fait paſſa. Diomede fils de Tydee & de Deiphile eſtant au ſiege de Troye, ſa femme Ægiale par vengeance des playes que Mars & Venus auoient receuës de la main d’iceluy deuant ladite ville, deuint eſperduëment, voire furieuſement amoureuſe de Comete, fils de Sthenel, ou bien (ſelon les autres) de Cyllabar, ou Cylleber, ſi que Diomede eſtant de retour chez ſoy aprés la priſe & ſac de Troye, trouua ſa femme ſi bien coiffee de l’amour de ce ieune homme, que meſme peu s’en fallut qu’elle ne luy fiſt perdre la vie, s’eſtant à peine ſauué vers l’autel de Iunon argiue. Luy voyant que tout baſtoit mal pour ſa perſonne, n’ayant plus d’eſperance de pouuoir viure en ſeureté auprés d’elle, ſe retira par deuers les Dauniens, peuples de l’Apoüille en Italie, où pour lors regnoit Daune. Auint en meſme temps que Daune fut aſſiegé par quelques ſiens ennemis, lequel ayant nouuelles de la valeur de Diomede, & de ſon arriuee en Italie, enuoya au deuant de luy, le prier de le ſecourir en telle neceſſité, auec promeſſe de luy donner vne partie de ſa prouince pour s’y habituer en recompenſe du bien, plaiur & ſeruice qu’il luy feroit. A ces conditions il ſecourut les Dauniens, & s’en acquitta ſi bien qu’ils furent deliurez du ſiege, & leurs ennemis defaicts, puis il baſtit vne ville en la contree que Daune luy donna, qu’il nomma Argyrippe, où il eſtablit ſa cour, c’eſt auiourd’huy Benevent, comté fort riche du Royaume de Naples. Car Daune deſirant luy faire paroiſtre qu’il vouloit eſtre recors du bon office qu’il en auoit receu, luy fit option de choiſir lequel il aymeroit mieux, ou tout le butin des ennemis, ou tout leur territoire qu’il auoit conquis. Diomede ne voulut choiſir ny l’vn ny l’autre ; & Daune voulant par quelque digne preſent reconnoiſtre ſes bienfaicts & offices, en fit iuge Althene, frere baſtard de Diomede. Fertilité au territoire de Daune par la priere de Diomede.Mais Althene qui aymoit Euippe, fille de Daune, & taſchoit par toutes ſortes de moyens de gratifier à Daune, ſi qu’il luy adiugea le pays conquis, & tout le butin à Diomede, lequel mal-content de cette ſentence, requit les Dieux, que toute la ſemence qu’on ietteroit ſur terre tournaſt à neant, & ne rendiſt aucun fruict, ſi ce n’eſtoit quelqu’vn de ſes gens ou citadins qui la ſemaſſent. Sa priere fut exaucee, & la terre ne rapporta plus de fruicts. Que ſi elle en pouſoit quelque peu, par la malignité de l’air ils cheoient en bas, ou ne pouuoient meurir ny venir à perfection. Le beſtail mouroit emmy les champs, les preignes auortoient. Daune bien eſtonné de tel eſclandre, enuoya au conſeil deuers l’Oracle pour ſçauoir le ſubiect d’vne ſi grande indignation des Dieux à l’encontre de luy & de ſes ſubiects, & quelle offenſe il auoit commiſe contre leurs majeſtez pour eſtre ſi griefuement affligé, tant en ſon particulier, que generalement en tout ſon Royaume. L’Oracle fit reſponſe que telle calamité procedoit partie de l’imprecation de Diomede, partie de l’ire des Dieux, & principalement de Venus, qui auoit meſme ſuſcité Althene contre ſon frere par l’amour d’Euippe. Daune pour l’heure diſſimula ſon mal-talent, & remit l’execution de ſon deſſeing à temps plus opportun. Diomede tué par Daune.Quelques iours apres il dreſſa vne embuſcade à Diomede, & le ſurprenant le mit à mort, comme mal voulu & ennemy des Dieux. Les Grecs compagnons de Diomede, qui l’auoient ſuiuy en Italie, voyans la mort ſi ignominieuſe & pitoyable de leur Capitaine, ſe prindrent à le pleurer amerement, & en porter vn merueilleux dueil. Et ſes cõpagnons muez en oyſeaux.Comme ils en faiſoient leurs plaintes & doleances auec cris & lamentations, ils furent par la miſericorde & compaſſion des Dieux muez en oyſeaux criards, qui de luy furent appellez Diomedeens, oyſeaux priuez & benings enuers les gens de bien refuyans de tout leur pouuoir les meſchans & forfaitteurs, ſi qu’il ſemble qu’ils retiennent encore ie ne ſcay quoy de l’humanité. Cela fut faict en l’iſle de Diomede, vis à vis du mont Sainct Ange. Les autres diſent qu’ils furent conuertis non pas en Cygnes, mais bien en oyſeaux reſſemblans fort aux Cygnes, qui habiterent depuis en ladite iſle ſans en departir, & ne s’en eſt point veu ailleurs. On dit qu’ils auoient des dents, les yeux eſtincellans comme feu, & le pennage blanc. Les autres eſcriuent qu’ils furent transformez en Herons, & qu’on en voyoit iadis de priuez qui venoient en la ville de Diomede, baſtie par Diomede, & nommee de ſon nom en l’Apouille. Quant à la prouince de Daune, elle eſtoit en l’Apouille, & fut depuis dicte Iapygie, d’Iapyx fils de Dædale ; puis aprés Salacie, finalement Calabre : & l’Apouille fut ainſi appellee d’Argyrippe, ville de Diomede, qui fut en ſuitte nommee Apulis. Au demeurant, aprés la mort de Diomede, toute les ſtatuës qu’il s’eſtoit faict dreſſer en pluſieurs endroits de ſon territoire, de tres-belles pierres qu’il auoit bien pris de la peine de charger en ſes vaiſſeaux aprés la deſtruction de Troye, furent auec vne grande infamie abbatuës & iettees dans la mer, comme diſent Timee Sicilien en l’hiſtoire de ſon pays, & Alcime, leſquels eſcriuent auſſi que Diomede ayant la rondache d’or de Glauque (Simpleſſe de Glauque.fils d’Hippoloche & petit fils de Bellerophon, venu au ſecours des Troyens, homme au demeurant ſi ſot qu’il trocqua ſes armes d’or fin, auec celles de cuiure de Diomede : d’où vient que pour denoter vne grande inegalité en matiere d’eſchange, on dit en facon de prouerbe, Troc de Glauque et de Diomede) tua le Serpent de Colchos, qui auoit deſtruit & rauagé la Phæacie : Statuës de Diomede iettees auec son corps en la mer.& que dés qu’il fut arriué en Italie, bien fier d’vn ſi braue exploit, pour lequel on faiſoit beaucoup d’eſtime de ſa valeur, il ſe fit eſleuer force ſtatuës en diuers lieux pour en immortaliſer la memoire, leſquelles il fit tailler des plus belles pierres qu’il pût choiſir en la ruyne de Troye : & furent toutes auec ſon corps trainees en la mer par le commandement de Daune. Cygne transformé en oyſeau.Pauſanias en l’Eſtat d’Attique dit que Cygne eſtoit Roy des Ligures, habitans delà le Pau, ſort bon muficien, lequel eſtant mort fut par Apollon conuerty en oyſeau de meſme nom que le ſien. Ouide au deuxieſme des Metamorphoſes, dit que pour la bonne amitié qu’il auoit porté à Phaëton, comme ſon parent du coſté maternel, il porta tant de dueil de ſa mort, & de la transformation de ſes ſœurs en peupliers, que par ſes pleurs & gemiſſemens il attendrit ſi fort le cœur des Dieux, que de pitié qu’ils en eurent ils le tranſmuerent en Cygne, & que ſe ſouuenant du feu qui conſuma Phaëton, il ne ſe voulut iamais fier en l’air, ains choiſit ſon contraire element, à ſçauoir l’eau, pour y faire ſa demeurance. Et d’autant que Cygne auoit en ſon viuant fort aymé la Muſique, on creut qu’aprés ſa mort il auoit eſté conſacré à Apollon, Dieu de Muſiciens. Lucian au Dialogue du Cygne dit que les Cygnes eſtoient aſſeſſeurs d’Apollon, & que ceux qui ſçauoient la Muſique eſtoient ſes mignons, leſquels aprés leur mort il tranſmuoit en oyſeaux de ce nom.

Mythologie morale.Voyla les contes que les Anciens nous font quand aux Cygnes, que ſi nous les eſpluchons exactement, nous trouuerons qu’ils nous auertiſſent en partie qu’il n’y a aucune vilainie, aucune arrogance, que Dieu ne ſçache fort bien venger & punir & qu’en partie ils tendent à la loüange des gens d’honneur. Car puis que Diomede s’eſtoit pris aux Dieux meſmes, & les auoit bleſſez, il luy eſtoit impoſſible de fuyr leur iuſte ire & vengeance, pource qu’il s’eſtoit tellement enorgueilly durant ſa proſperité, qu’au milieu d’icelle il ne ſceut meſme eſpargner les Dieux, leſquels il luy euſt eſté plus ſeant de reuerer, craindre & regracier, comme Autheurs de toute la felicité humaine. Ses compagnons furent changez en oyſeaux, d’autant que toute aduerſité & mal-encontre fournit d’aiſles à ceux qui auparauant eſtoient amis pour s’enfuyr dés qu’elle arriue. Ils deuindrent ſemblables à des Cygnes ; ou furent meſme muez en Cygnes, deſgoiſans des paroles & cris lugubres & pitoyables, à cauſe qu’il n’y a point de ſeureté, ny de ſageſſe ; ny de pieté, à pleurer les calamitez des meſchans, qui par le conſeil & prouidence de Dieu ſouffrent telles pauuretez pour auoir été outrageux non ſeulement à leurs prochains, mais à Dieu meſme. Car ceux-là deuiennent ſemblables aux brutes qui ne peuuent pour le moins en partie moderer & retenir les mouuemens impetueux de leurs courages, & ne ſe diſpoſent point à prendre en gré cõme venant de la main de Dieu, ce qui vne fois conclu & arreſté en ſon conſeil ne ſe peut aucunement reuoquer. Voyla le vray ſujet de la metamorphoſe des compagnons de Diomede en oyſeaux de tel nom. Inuentiõ des Poëtes, autheurs des Metamorphoſes.Les autres diſent que ce Cygne occis par Achille au ſiege de Troye fut transformé en oyſeau de ſon nom, non de faict (car iamais ne fut que les hommes ayent eſté metamorphoſez, ny en plantes ny en oyſeaux, ny en poiſſons, ny en rochers) mais que les Poëtes feignoient telles transfigurations pour la conſolation des parens & amis des defuncts ; car ç’a bien eſté l’vn des principaux ſujets de tãt de Fables qu’ils ont forgees, à ſçauoir pour flater, ſe faiſans accroire que tout leur eſtoit permis, pourueu que par leurs bourdes & caſſades ils peuſſent auoir l’oreille & bonne grace des Princes de leurs temps. C’eſt ainſi qu’on a ſouuent fourré parmy les Dieux, des hommes aprés leur mort, auſquels on a dreſſé des Temples, des Autels, aſſigné des Preſtres pour officier deuant eux, ordonné des ceremonies & ſeruices particuliers pour les adorer, pluſieurs autres quittans leur forme humaine, ſe ſont logez en diuers corps de beſtes par la douceur & ſuauité du diſcours Poëtique, auec vn merueilleux plaiſir & contentement des lecteurs. Proprieré de la Muſique.Car la gente Poëſie a cela de propre, que les choſes qu’on trouueroit ridicules, vaines, menſongeres & de mauuais gouſt, eſtãs recitees d’vn libre & plein diſcours qu’on appelle proſe ; elle les rend non ſeulement probables & approchãs de verité, mais les empraint tellement aux eſprits des hommes auec vn extreme plaiſir & delectation admirable des auditeurs, qu’à peine les en peut-on effacer. C’eſt à cauſe de la nature des vers conſiſtans en meſures & de la varieté des choſes, qu’il eſt permis aux Poëtes d’inſerer en leurs eſcrits ; au lieu que les autres manieres d’eſcrire ont accouſtumé de continuer d’vn droict fil & ſuite leur diſcours entamé, deuant que d’y emmeſler quelque conte eſtranger, ou puiſé d’ailleurs : car comme ainſi ſoit qu’il eſt quelquefois loiſible aux Poëtes par digreſſion d’entrer en la deſcription des choſes de peu de valeur, à peine le permet-on aux autres Eſcriuains, ſinon pour cauſe d’importance, & quand l’affaire le requiert ainſi par neceſſité. Raiſon de la Metamorphoſe de Cygne.Quand à ce qu’ils diſent que Cygne, Roy de ces Gaulois, habitant iadis delà le Pau, en la Ligurie, qu’on appelle auiourd’huy Riuiere de Gennes, fut par Apollon mué en tel oyſeau, les Poëtes ont voulu faire entẽdre, qu’il eſt malſeant aux Princes & aux Gouuerneurs des peuples, d’ignorer les arts liberaux, d’autant qu’ils embelliſſent l’eſprit de Royales vertus, & le façonnent à bien & deuëment gouuerner leur Eſtat preſent, preuoir ſagement les choſes à venir, & ſe comporter modeſtement tant en proſperité qu’en aduerſité. Vertu de la muſique.C’eſt à mon auis par la Muſique qu’il faut commencer à dreſſer leur tendre eſprit, mais non de celle que font beaucoup de criards & biberons à gorge deſployee, d’autant qu’elle a cette vertu, que premierement elle compoſe & agence l’eſprit & les mœurs auparauant peu raſſis ou dreſſez, puis le prepare & habilite à gouſter aiſément toutes bonnes & honneſtes diſciplines. Les autres diſent que les Poëtes pour captiuer la bien-vueillance des parens & alliez viuans du Roy Cygne, l’ont loüé pour l’art de Muſique, qu’il auoit fort bien ſceu, diſans qu’il auoit en ſa vie eſté tant agreable aux Dieux, qu’apres ſa mort ils l’auoient voulu faire reuiure, changé en vn tres-bel oyſeau, dedié à Apollon, & qui reçoit la mort meſme en chantant, parce quil connoiſt bien que Dieu l’aime & le veut faire paſſer en vne meilleure vie. Car comme ainſi ſoit que la mort eſt commune à toute creature, & qu’elle n’a point d’eſgard, ny aux races ; ny aux alliances, ny aux moyens, ny aux honneurs des perſonnes, ſi ce n’eſt que quelqu’vn par la force de loüange & de vertu ſurpaſſe par la perpetuité de ſon nom le but ou borne que nature a communement eſtably à tous hommes, il n’y a rien és affaires de ce monde qu’il faille grandement ſouhaiter, que cette ſeule gloire qu’on s’acquiert par vne bonté de mœurs, ſaincteté de vie, foy, pieté, integrité, innocence, liberalité. Cela ſe fait auſſi par vne belle connoiſſance des ſciences & arts liberaux, & cet honneur ſe conſerue longuement és cœurs de la poſterité. Car puis que nous ne pouuons viure ſans nous occuper pour le moins à quelque exercice, quelle plus honneſte vacation peut-on adreſſer aux beaux eſprits, que d’employer quelques heures du iour à la cõſideration & connoiſſance des actions du paſſé, & des reſueries par leſquelles beaucoup de Seigneurs ont perdu, tant leurs perſonnes que leur Eſtat, ou par quelles vertus ils l’ont ſagement conſerué ? Mais voicy la plus honneſte eſtude, la plus vtile, & preferable à toutes autres occupations ; Se façonner ſoy-meſme en toute honneſteté & modeſtie & diriger à vertu toutes les actions de ſa vie. Voila quant à Cygne : s’enſuiuent des Harpyes.