Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 16 : D’Amphion Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Amphion.

CHAPITRE XVI.

AMPHION n’a pas eſté ſi fort renommé pour auoir eſté ſeulement grand ioueur d’inſtrumens & bon muſicien : mais auſſi pour l’inconſtance de ſes auantures & miſeres. On dit que luy & ſon frere Zete furent fils de Iupiter & d’Antiope. Elle auoit eſpouſé Lyque Roy de Thebes en Ægypte, qu’on dit auoir eu cent portes publiques, & neantmoins Epopee Roy de Sicione (aucuns le nomment Epaphe) coucha par fraude vne fois auec elle. Ce qu’eſtant venu en la connoiſſance du Roy Lyque, il la repudia & eſpouſa en ſecondes nopces Dirce. Sur ces entrefaites Iupiter voyant Antiope fille de Nyctee Roy de la Bœoce (fils de Neptun & de Celæne fille d’Atlas) repudiee par ſon mary, entra chez elle deſguiſé en Satyre, & l’engroſſit. Dirce la voyant enceinte ſe fit acroire que Lyque l’entretenoit encore ſecrettement : & ſur ce ſoupçon la fit empriſonner. Mais comme ſon terme d’enfanter approchoit, auec l’aide de Iupiter elle eſchappa de priſon, & s’enfuit en la montagne de Cytheron : là où ſentant les tranchees ordinaires aux femmes en tel eſtat, elle accoucha en vn quarrefour de deux enfans gemeaux, leſquels furent nourris par des paſtres, & en nommerent l’vn Zéthus, du mot Zeteîn, c’eſt à dire chercher ; d’autant que la mere cherchant place pour enfanter, fut contrainte de s’en deliurer ſur le chemin ; qui fit auſſi donner à l’autre le nom d’Amphion, comme qui diroit, Né du-long du chemin. Les autres le content autrement, diſans que Nyctee voyant ſa fille enceinte luy fit de ſi rudes menaces qu’elle les apprehendant ſe ſauua en Sicyone vers Epopee, chez lequel deliuree deſdits gemeaux, elle les fit nourrir par vn bouuier en la montagne de Cytheron. Nyctee faſchee que ſa fille luy fuſt eſchappee, comme il ſe preparoit pour en auoir ſa raiſon, mourut aprés en auoir fort recommandé la vengeance à ſon frere Lyque, lequel ſe mettant aux champs auec vne bonne trouppe de gens-d’armes, ſurprit la ville de Sicyone, tua Epopee, remmena Antiope priſonniere : & la donna en garde à ſa femme Dirce. Quoy qu’il en ſoit, tous s’accordent en ce poinct, que les Gemeaux venus en aage, auertis par leur pere nourricier de leur qualité, & des indignitez faictes à leur mere, aſſemblerent le plus d’hommes champeſtres & autres amis qu’ils peurent, empoignerent d’emblee leur oncle Lyque, & ſa femme Dirce, laquelle ils attacherent à la queuë d’vn taureau furieux, qu’ils allerent touchans par les plus rudes & aſpres endroits du pays ; ainſi la firent-ils mourir : & peut-eſtre n’euſſent-ils pas moins cruellement traitté leur oncle, mais Mercure leur veint faire commandement de le laiſſer regner, ſuiuant le teſmoignage de Nicocrate en l’hiſtoire de Cypre. Quelques-vns deſguiſans en menſonge ce qui a apparence de verité, diſent que Bacchus ayant pitié & compaſſion des tourmens qu’enduroit Dirce ainſi trainee, la conuertit en vne fontaine de meſme nom. Il eſt bien certain qu’auprés de Thebes y auoit vne fontaine nommee Dirce. Duquel nom eſt auſſi ſouuent tiltree par les Poëtes la ville de Thebes. Apollon au premier liure dit qu’Antiope, mere d’Amphion, fut fille d’Aſope. Diophane au premier liu. de l’hiſtoire Pontique eſcrit que ces Gemeaux furent fils de Theoboon, non pas de Iupiter : ce qu’auſſi teſmoigne Zezés en la treizieſme hiſtoire de la premiere Chiliade. Epimenide de Corfou dit que Amphion apprit de Mercure à iouër du luth & autres inſtrumens ; & qu’il y profita tant, que les beſtes & pierres ne ſuiuoient pas moins la douceur de ſon chant qu’elles faiſoient Orphee, fils de Calliope. Antimenide au premier liure de ſes hiſtoires, & Pherecyde au dixieſme eſcriuent que les Muſes luy firent preſent du luth dont il ioüoit auec tant de perfection. Dioſcoride de Sicyone dit qu’Apollon le luy donna : d’autres diſent Mercure. Or Amphion acquit vne ſi grande reputation en l’art de Muſique, pource qu’à cauſe de l’alliance qu’il auoit auec Tantale, comme ayant eſpouſé Niobé fille d’iceluy, les Lydiens luy apprirent leurs accords & melodie ; puis il adiouſta au luth trois chordes, qui n’en auoit encore que quatre, comme dit Ariſtocle au premier liure de la Muſique. Strabon au neufieſme liure dit que Zete & Amphion deuant que la ville de Thebes en Bœoce fuſt baſtie, demeuroient en vn petit hameau du reſſort des Theſpiens, nommé Etreſis. Mais pource qu’ils craignoient de receuoir quelque ſupercherie & outrage des Phlegyens, peuples de Theſſalie, leurs ennemis, ils ſe mirent à clorre Thebes de murailles, & la fortifier de bonnes tours, pour ſe garantir des courſes de leurs ennemis ; car ils n’oſoient ſe tenir en lieu qui ne fuſt clos de murailles & de tours, comme le teſmoigne Homere en l’onzieſme de l’Odyſſee :

Aprés elle ie vis cette belle Antiope, Qui ſe vante d’auoir, fille qu’elle eſt d’Aſope, Receu de Jupiter vn doux embraſſement,Et d’auoir engendré d’vn meſme enfantement Zetus & Amphion, qui Thebes à ſept portes Garnirent les premiers de murs & de tours fortes, Ne voulans habiter vne ville ſans tours, Quoy qu’ils ſceuſſent de Mars la ruſe & les deſtours.

Et comme ils eſtoient bien empeſchez à vne ſi belle entrepriſe, la Fable dit que quand Amphion ſe promenoit à iouër de ſon luth, l’harmonie en eſtoit ſi eſmerueillable qu’elle touchoit auſſi les pierres, & les faiſoit d’elles meſmes ſaulter & proprement agencer en leur place ; & qu’ainſi cette muraille fut faite au ſon du luth d’Amphion. C’eſt ce que dit Horace en ſon art Poëtique :

Tout de meſme Amphion, qui par ſa diligence Baſtit les murs de Thebe, on dit par le ſon doux De ſon luth melodic auoir meu les cailloux, Et conduit à ſon gré par ſa douce eloquence.

Le ſuject de cette Fable procede de ce que deux freres requis de ioüer des inſtrumens eſtoient contens de ce faire au gré de ceux qui les en requeroient, à condition qu’ils leur ayderoient à la conſtruction des murs de leur ville. Ainſi le deſir d’oüyr leur douce melodie faiſoit que beaucoup de gens mettoient la main à ſi loüable edifice. Dont aduint qu’auec quelque apparence de raiſon on a dict que par le benefice de leur lyre, les murs de Thebes furent baſtis en grande magnificence. Cette ville auoit ſept portes, nommees Electris, Proëtis, Neitis, Crenæe, Hypſiſte, Ogygie, Homoloïs ; & fut dicte Thebes du nom de ſon fondateur, ou pluſtoſt de la Nymphe Thebe, fille de Promethee, leur allié, ſuiuant le dire de Pauſanias és Bœotiques. Or la ville de Thebes aprés pluſieurs defaites & batailles perduës, fut en fin raſee à fleur de terre par Alexandre le Grand, lors que les Thebains luy firent à leur tres-grand dommage la guerre ainſi qu’il faiſoit ſes preparatifs pour guerroyer les Perſes. Et d’autant que cette ville-là baſtie au ſon du luth ne ſe pouuoit auſſi ruyner qu’au ſon de quelque inſtrument, on fit venir vn certain Iſmenias ioüeur de fifre qui ioüoit de piteuſes chanſons tandis qu’on la demoliſſoit : toutefois ledit Alexandre, par le commandement duquel elle auoit eſté raſee, la fit rebaſtir en faueur d’vn braue lutteur qu’il auoit par trois fois couronné vainqueur à cette iouſte-là. Pour retourner à Amphion, l’on dit que ce fut luy le premier de tout le monde qui dédia vn autel à Mercure, en recompenſe du luth qu’il luy auoit donné. Mais parce qu’il n’eſt pas moins difficile à l’homme de ſe porter modeſtement en ſa proſperité qu’impatiemment en ſon aduerſité ; Amphion deuint ſi preſomptueux de la perfection qu’il auoit acquiſe en ſon art, qu’il oſa bien s’attaquer à Latone & à ſes enfans, & leur chanter pouïlles & iniures, diſant que ceſte Deeſſe n’auoit rien de plus excellent que les hommes ; & que ſi ſes enfans vouloient entrer en conference auec luy à qui chanteroit le mieux, tant de la voix que des inſtrumens, on les trouueroit bien groſſiers & ignorans au prix de luy qui en ſçauoit beaucoup plus qu’Apollon. Là deſſus Latone & ſes enfans irritez tuerent à coups de fleches toute ſa lignee, & enuoyerent vne peſtilence chez luy, par laquelle mourut toute ſa famille, & luy ſe tranſperça le corps d’vne eſpee : ou bien (comme eſcriuent quelques-vns) voulant en vengeance de ce ſaccager le temple d’Apollon, fut auſſi par luy mis à mort : & pour raiſon de cela, priué encore és Enfers apres ſon treſpas, & de la veuë & de ſa lyre, ne plus ne moins que Thamyris. Quant à Zete, il aduint que ſa mere propre luy tua vn petit garçon qu’il auoit, dont il receut tant d’ennuy qu’il en mourut.

¶Amphion a eſté nommé fils de Iupiter ſuiuant ce que nous auons dict ailleurs, que les plus braues hommes en leur profeſſion eſtoient qualifiez de ce tiltre là. Pauſanias au 2. des Eliaques recite qu’vn Ægyptien luy dit vn iour qu’Amphion & Orphee eſtoient magiciens, & auoient eu la reputation l’vn de trainer les beſtes & arbres, l’autre les pierres & rochers où bon leur ſembloit, vſans de quelques paroles & chanſons. Mais ie croy que le vray motif de cecy prouient de ce que par ſon bien-dire & pour auoir eu la langue fort bien diſerte il appriuoiſa les hommes de ſon temps, encores groſſiers & ſauuages, viuans à l’eſcart, & les perſuada de s’aſſembler en corps de villes, de viure auec ciuilité & courtoiſie, & pour leur ſeureté clorre leurs villes de murailles. Mais celuy meſme qui les auoit induits à mener vne vie plus gracieuſe & plus humaine qu’ils n’auoient accouſtumé, voyant que tout luy venoit à ſouhait, deuint ſi glorieux & ſi inſolent, qu’il commenca à meſpriſer les Dieux de ſon temps : & pourtant il mourut par iuſte vengeance. Or diſons des Halcyons.