De Lycaon.
CHAPITRE X.
Lycaon auſſi pour ſalaire de ſa cruauté eut vne piteuſe iſſuë de ſa vie, ſelon laquelle il fut de forme humaine par punition & vengeance diuine tranſmué en l’vne des plus cruelles beſtes du monde. Lycaon fut fils de ce Pelage qui fut fils de Iupiter & de Niobé ; & regna en Arcadie, lequel dés ſon auenement à la couronne apprit à ſes ſubiects, encores groſſiers, à baſtir de petites loges & cahuettes pour ſe garentir de l’iniure du froid, du chaud, des pluyes & des vents, & ſe faire des tuniques ou hocquetons de peaux de porc. En-aprés il les diuertit de mãger beaucoup de ſortes de fueilles d’herbes deſquelles ils vſoient inconſiderément, & bien ſouuent aux deſpens de leur ſanté ou vie, les accouſtumant à de plus ſaines viandes ſelon le temps, à ſçauoir au gland, & principalement à la faine. Et pourtant l’Oracle parlant vn iour des Arcadiens, dit :
Pluſieurs Arcadiens ne viuent que de faine.
La mere de Lycaon fut Melibœe fille de l’Ocean, ſelon l’auis d’Heſiode ; ou bien la Nymphe Cyllene, teſmoin Apollodore au 3. liure. L’on tient que Lycaon regnoit en Arcadie lors que Cecrops eſtoit Roy d’Athenes, & fut auec vne partie de ſes enfans par Iupiter transformé en loup, pource qu’ayant vne fois eſgorgé vn enfant ſur l’Autel de Iupiter Lyceen, luy-meſme fit la libation & eſſay du ſang, & en gouſta le premier. Parquoy deuant que le Sacrifice fuſt paracheué, il fut metamorphoſé en loup, comme dit Pauſanias en l’Eſtat d’Arcadie. Il edifia la ville de Lycoſure ſur la montagne de Lycee, auec vn Temple dedié à Iupiter ſurnommé Lyceen, inſtituant des ieux en l’honneur d’iceluy, leſquels il nomma Lupercales. Tous leſdits noms deſcendent du Grec Lycos, c’eſt à dire loup. Or depuis la transforma- mation, de Lycaon pluſieurs autres és annees ſuiuantes pour auoir aſſiſté au ſacrifice ſuſdit, encoururent vn pareil chãgemẽt , non toutefois pour iamais cõme luy, mais aprés dix ans expirez pourueu que durãt iceux ils n’euſſent point mangé de chair humaine, ils recouuroient leur premiere forme. Au reſte il ne faut trouuer eſtrange ſi les Anciens inſerent tels contes en leurs memoires, veu que les bonnes gens de ce temps-là, religieux, equitables & conſciencieux au poſſible, receuoient bien ſouuent cet honneur (pour le moins par reputation) de boire & manger auec les Dieux, & pourtant ils propoſoient aux gens de bien des recompenſes indubitables : aux meſchans, l’ire de Dieu qui les talonnoit de prés. Mais deuant ſa transfiguration en loup, Lycaon de ſa femme l’vne des filles d’Atlas, & de quelques autres, eut vne grande quantité d’enfans, que les autheurs nomment ſi diuerſement qu’il eſt malaiſé d’en pouuoir recueillir certain nombre. Hecatee Mileſien au 2. liure des Genealogies allegue vn autre ſuject de la metamorphoſe de Lycaon & de ſes enfans en loups, laquelle Ouide a depuis expliquee. Autre ſuiect de cette trãsformatiõ .Car il dit que Lycaon regnant en Arcadie fut tres-meſchant homme & de mauuaiſe conſcience, & qu’il engendra pluſieurs enfans de diuerſes femmes de meſme vie que leur pere : entre leſquels fut Menale, Theſprote, Nyctim, Caucon, Lyque, Menie, Macaree fondateur de la ville de Macaree en Arcadie ; Menale auſſi fondateur d’vne ville de meſme nom audit pays : Melenee, fondateur de Melenes prés de Megalopolis : Aconce, qui donna ſon nom à vne ville auſſi d’Arcadie : Chariſe duquel iſſirent les Chariſiens ; Cynethe fondateur d’vne ville de meſme nom : Pſophis, Phthine, Teleboas, Æmon, Mantin, Stymphele, Cletor, Orchomene, & autres, tous mauuais garnemens & diſſolus. Et de faict Iupiter s’eſtant vn iour deſguiſé en pauure manouurier, ils l’inuiterent bien à prendre logis chez eux, mais ils eſgorgerent vn pauure enfant du pays, & en ſeruirent deuant leur hoſte la freſſure, meſlee parmy d’autres viandes. Iupiter abominant cette meſchanceté, renuerſa la table & depuis ce lieu là fut nommé Trapezeùs, comme qui diroit Tablier, & là meſme fut baſtie vne ville dicte Trapezus, pource que trápeza, ſignifie vne table. Et d’autant que Lycaon & ſes enfans auoient commis telle impieté enuers leur hoſte, il en transfigura, les vns en loups, & foudroya les autres. Pareillement Calyſto fille de Lycaon fut muee en ourſe, pource que Iupiter rodant par l’Arcadie, la deſcouurit vn iour comme elle ſe rafraiſchiſſoit ſur l’herbe verde laſſee du trauail de la chaſſe, & la trouua tant à ſon gré, que pour l’abuſer il ſe transfigura ſur le chãp en la forme de Diane, que cette Damoiſelle auoit accouſtumé de ſuiure : puis ſous ombre de s’enquerir d’elle du ſuccés de ſa chaſſe, & quels bois ou montagnes elle auoit couru, vint acoſter la Nymphe auec amiables & gracieuſes paroles. Elle qui penſoit voir reellement ſa Dame, ſe leua ſoudain pour luy baiſer les mains, diſant :
Ie te ſaluë, excellente Deeſſe, T’eſtimant plus en valeur et hauteſſe Que ie ne fay le puiſſant Iupiter, Deuſt-il m’ouir ce propos reciter.
Luy, faiſant bonne mine s’auanca plus prés, & la prenant par le fau du corps l’embraſſa ſi ſerré, que quelque reſiſtance qu’elle fiſt, elle ne put s’empeſcher de receuoir la ſemence de laquelle au bout du terme naſquit Arcas. Durant ſa groſſeſſe elle cela tant qu’elle put la tumeur de ſon ventre, iuſques au neufieſme mois, auquel Diane reuenant vn iour de la chaſſe, & ſe ſentant peſante & haraſſee à cauſe de la chaleur, rencontra vn clair ruiſſeau doux-grommelant, duquel elle trouua l’eau ſi agreable qu’il luy prit enuie de s’y baigner ; & fit par meſme moyen deſpoüiller ſes Nymphes pour auoir leur part de leur rafraichiſſement. Calyſto bien eſtonnée fit refus de ſe deueſtir, & comme le viſage deſcouure aiſément ce qu’on a dans le cœur ; auſſi la vergongne qui reluiſoit ſur les iouës honteuſes & vermeilles de la Nymphe, rendit ſa Dame d’autant plus curieuſe de ſçauoir le ſujet de ce refus. Si la fit deſpoüiller par ſes compagnes ; & ne ſceut ſi bien cacher ſon ventre auec ſes mains, que le faict ne fuſt manifeſte. Alors Diane auec poüilles & reproches la chaſſa de ſa compagnie. Mais Iunon qui dés long temps ſe doutoit de l’encloüeure, prit alors ſujet de ſe vanger de l’iniure à elle faite par Iupiter, & tranſmua ſa mignogne en vne Ourſe. Arcas fils de Calyſto aagé d’enuiron quinze ans, ayant le cœur entierement addonné à la chaſſe, rencontra vn iour ſa mere transformee comme deſſus, contre laquelle comme il voulut decocher vn traict, Iupiter craignant le coup, transforma la mere & le fils en deux eſtoilles proches l’vne de l’autre. Les autres diſent qu’Arcas eſtãt né fut mis en la garde, de Neptun & que la mere pour en eterniſer la memoire fut en depit de Iunon conuertie au ſigne de la grãde Ourſe brillant entre les aſtres. Tout ce que Iunon pult faire pour luy nuire, ce fut d’obtenir de ſon frere Neptun qu’elle ne peuſt iamais deualer dedans ſes eaux. Quelques-vns diſent que l’enfant ſeruy par Lycaon deuant Iupin fut cet Arcas detranché en quartiers, lequel il r’aſſembla membre à membre, & le reſſuſcita, tranſmuant le pere en Loup apres auoir mis le feu en ſa maiſon : & que comme il fut en aage, Iunon de lui & de ſa mere en fit vne Ourſe que Iupiter logea entre les eſtoilles, faiſant de la mere la grande Ourſe, & du fils la petite. Dont Iunon mal contente, obtint de Thetis à force de prieres, que ny l’vn ny l’autre ne ſe peuſſent iamais baigner dedans l’Ocean comme font d’autres aſtres. Toutefois il y en a qui tiennent qu’Arcas fut mué au ſigne de Bootés. Quant à Calyſto, l’on tient pour veritable qu’elle ait eſté fille de non moindre beauté que de ſingulier eſprit, qui selon l’vſage de ſon temps s’adonnoit fort à l’exercice de la venerie. Dont auint qu’errant par les montagnes elle s’eſprouua contre vne Ourſe, par laquelle elle fut deuoree. Ses compagnes attendans ſon retour, ne la voyans point iſſir du giſte de l’Ourſe, mais ſeulement la beſte, creurent & ſemerent le bruit qu’elle auoit eſté transformee en Ourſe. On dit auſſi qu’Arcas venu en aage receut du bled de Triptolome qu’il diſtribua à ſes ſujets, leur apprenant à boulanger & cuire du pain, à faire des draps & laines, auec tout ce qui en depend : ainſi que Pelaſge regnant auoit appris à ceux de ſon tẽps à baſtir des logettes à l’encõtre des iniures de l’air, & autres choſes cy-deſſus ſpecifiees. Les Arcadiens ſortirent d’Arcas ; & les Pelaſgiens de Pelaſge. Au reſte Pauſanias en l’eſtat d’Arcadie dit qu’on porta tant de reuerence à cet Arcas, que ſes os enſeuelys en la montagne de Menale, furent par le commandement de l’Oracle d’Apollon Delphique tranſportez en Arcadie ; mais ie m’eſtonne de ce qu’il dit que Lycaon entre tant de fils n’eut qu’vne ſeule fille, & icelle miſe à mort à coups de fleches pour accoiſer la haine & mal-veillance de Iunon enuers cette famille, veu que Dia, mere de Dryops fut fille d’iceluy, cõme dit Hecatæe.
¶Mythologie morale Lycaon.Mais à quelle intention ont voulu les Anciens que leurs deſcendans euſſent connoiſſance de telles fictiõs ? Pource que par tels & ſemblables contes attribuez aux hommes, ils nous ont voulu apprendre cõme il falloit refrener les mouuemens de l’eſprit, & nous exhorter à humanité, beneficẽce & crainte de Dieu : en ſomme ils ont taſché de complexionner de bonnes mœurs la vie humaine, luy propoſant des Fables controuuees ſur les perſonnes de quelques Anciens. Ainſi doncques par la Fable de Lycaon, diſans que les Dieux meſmes viſitoient quelquefois les hommes, & logeoient chez eux déguiſez en pauures paſſans, ils nous ont appris que nous deuons vſer d’humanité & courtoiſie enuers tous eſtrangers : ſi quelqu’vn tenoit peu de conte de la preſence des Dieux, & ne leur rendoit point le reſpect qu’il deuoit, ils l’exhortoient à vne bonne & ſainte vie, luy propoſans beaucoup de recompenſes & ſalaires, veu que leurs Dieux payoient leur eſcot en faiſant de grands biens & hõneurs à ceux qui les auoient receux humainement & benignement, tel fut entre autres le bienfaict de Triptoleme. Au contraire il ſe trouue pluſieurs exemples qui detournoient les hommes loin de cruauté & perfidie enuers les paſſans : comme ce qui aduint au banquet de Pelops, & à ceux qui pour leur cruauté furent rudemẽt traittez par Hercule & autres fils des Dieux. & qui eſt celuy qui voyant d’vn coſté que Dieu punit rigoureuſemet les coulpables, & de l’autre que les gens de bien ne rẽportent de leurs actions que loüanges, & recompenſes honorables, choiſira pluſtoſt les ſupplices, & neantmoins oſera bien ſe vanter d’auoir la ceruelle bien faite ? C’eſt aſſez tenu Lycaon : quittõs le pour prendre Pandion.