Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de John-Antoine Nau à Félix et Fanny Fénéon, 07 mai 1916 Nau, John-Antoine<br /> 1916-05-07 chargé d'édition/chercheur Blanc-Serra, Angélique (édition numérique) Laboratoire LISA ; EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1916-05-07 Texte de Nau : collection privée
Par son courrier, Nau s'interroge - avec son épouse - de l'absence de nouvelles de leurs amis (destinataires de la lettre). Il souhaite que ce silence ne soit pas dû à un problème de santé. Il évoque ensuite des amis communs dont il n'a pas la nouvelle adresse, Monsieur et Madame Duquesne.<br /> La lettre se poursuit avec des nouvelles de leur propre santé et surtout de leur quotidien: installation d'un hôpital anglais pour Serbes au bout de leur jardin avec les conséquences que cela engendre (installation chapelle schismatique, messe, impact sur le potager). Français Par son courrier, Nau s'interroge - avec son épouse - de l'absence de nouvelles de leurs amis (destinataires de la lettre). Il souhaite que ce silence ne soit pas dû à un problème de santé. Il évoque ensuite des amis communs dont il n'a pas la nouvelle adresse, Monsieur et Madame Duquesne.<br /> La lettre se poursuit avec des nouvelles de leur propre santé et surtout de leur quotidien: installation d'un hôpital anglais pour Serbes au bout de leur jardin avec les conséquences que cela engendre (installation chapelle schismatique, messe, impact sur le potager).

Ajaccio (Corse) Cahute Miot Banc de vase  Miot  } 7 Mai 1916

Chers et bons amis,

Voilà bien longtemps que je n'ai lu une ligne de vous! Comme Yéyette, j'espère bien que ce silence n'est pas dû à un mauvais état de vos santés au ou des santés des vôtres.
Peut-être, êtes-vous, tout simplement, comme nous, - (qui n'écrivons plus guère à personne,) - horriblement agacés et assombris par cette hor atroce et longue reprise des moeurs de l'Âge de Pierre... (en plein âge d'Acier - ce qui est pire aggrave l'affaire!!)

Je ne suis, du reste, qu'un lâche et sombre veau. Je n'ai jamais, depuis les tout premier temps de la guerre, écrit à Mr. Duquesne: Donnez-moi son adresse exacte à Concarneau: Vous serez bien gentils.

Dites-nous aussi un peu comment vous allez. Nous désirons bien apprendre que Madame Duquesne est un peu plus solide et que vous n'êtes plus inquiets pour elle.

Mais, ô brillant Félix, et suave Fanny, si vous conservez tous deux le velouté floral de la jeunesse, - (car, de cela je ne doute pas,) - vos petits amis d'Ajaccio ressemblent, maintenant à de bien vieux et tremblotants et minuscules roquets de manchon. Minuscules? pas moi! Je suis trop gras mais et ne suis minuscule que pour ma propre compassion, - comme petit être mal foutu et sénile. Mais Puss-Puss qui s'est donné trop de mal, ces dernières années, ressemble vraiment à un gracile bichon à longs poils, - (elle en a, des tiffes!!) - à un chienchien à pattes diaphanes qui a perdu sa petite caisse garnie d'ouate.

Ah! nous les connaissons, les prodrômes de la Vieillesse! Yeyette ne marche se soutient plus que par les nerfs et votre vieux camarade John-Antoine est sourd comme un pot, ahuri et pusillanime comme un gosse. Heureusement, comme les choses vont un peu mieux et que comme v'là enfin l'Printemps, nous commençons à espérer une troisième jeunesse.

Ceux qui désespèrent sont des... huîtres, comme disait Henri Brisson après sa quatorzième (?) veste comme candidat à la Présidence de la R. F.

Enfin, je vous raconte toutes les bêtises possibles... Mais nous voudrions bien avoir de vos nouvelles.

Vous ai-je dit que nous avions un hôpital anglais pour Serbes, à moins de deux cents mètres de nous, dans le même terrain et en pleine vue? Les doctoresses et infirmières anglaises "sortent" leurs blessés - et leurs lits, - dès qu'il/y a le plus petit rayon de soleil. Le jardin où on les met n'est pas brillant par lui-même, mais comme blessés et malades slaves sont parés de chemises de flanelle de tous les bleus, de tous les roses, de tous les mauves, on prend à distance, les lits de fer pour des "protège-plates-bandes" et les oegrotants pour des fleurs charmantes.

Je n'ai pas dû vous dire davantage que, dans notre propre bout de jardin (?) - il y a une vieille grange que les propres serbes ont choisie pour y installer une chapelle schismatique? A moins de dix mètres de la fenêtre de notre chambre, on célèbre des offices diurnes et nocturnes pendant lesquels les chantres ... goualent comme de vieilles grilles de jardins de province.

La Semaine Sainte, qui, par hasard, coïncidait avec la nôtre, (cela arrive, je le crois, tous les treize ans,) - a, surtout, été épique. Jusqu'à près de Minuit, les chantres ont fait le plus extraordinaire pétard, - et ils ont repris leur musique à cinq heures du matin. Ils n'ont "fermé cela" que du vendredi au dimanche. En tout cas, la nuit, le bout de jardin n'était pas banal à regarder dans le la vague lumière éclairage qui venait de la porte de la grange: Comme la chapelle était trop petite pour les fidèles, un bon tiers des braves Serbes demeuraient dehors. Dans la lumière faible, on devinait que ces suppôts de la Superstition, hommes et femmes, se poussaient, rigolaient, bouffaient, buvaient, - ou, - pour se distraire, - faisaient pipi sur les choux et les radis. Les cigarettes des hommes faisaient une longue constellation rougeâtre qui s'abaissait et remontait assez régulièrement. Cétait bizarre... D'ailleurs, ces Serbes paraissent de bons enfants....

Mais voilà bien du topo: Vous serez bien gentils de nous écrire un mot, nous disant comment vous deux, Madame Duquesne, Monsieur Duquesne et le copain Gustave, vous portez et se portent. Amitiés très affectueuses à tous; et nous vous embrassons de tout coeur, comme nous vous aimons,

Votre antique copain,
E A J Nau-Torquet