Robinson avait assez assuré sa subsistance et presque pris
ses aises dans son île.
Il s'était bâti un bon toit. il s'était fait des habits de
palmes et de plumes, des bottes souples, un chapeau immense et
léger. Il avait amené l'eau pure tout auprès de lui
dans l'ombre de sa hutte.
quand il voulait. Une multitude de poissons séchés et fumés
pendaient aux membres de bois de la case ; et de grandes cor
beilles qu'il avait tressées étaient pleines de galettes
grossières, si dures qu'elles pouvaient se garder éternelle
ment.
Robinson commençait
qu'il allait tout nu et qu'il devait tout le jour courir
après son dîner déjà pâle et historique.
Même il s'émerveillait à présent des
se sentait plutôt l'héritier d'une lignée de Robinsons infortunés que l'ouvrier
peine à se sentir l’auteur
mais qui ne laissait pas de le dominer
au
Une demeure bien assise, des conserves surabondantes, toutes
les sûretés essentielles retrouvées, ont le loisir pour con
séquence. Robinson au milieu de ses biens se sentait confusément
redevenir un homme, c'est-à-dire un être indécis
pirait distraitement, il ne savait quels fantômes poursuivre.
Il était menacé de songes et d'ennui. Le soleil lui semblait
Mais il y a d’autres genres
de suicides –
longuement médités étudiés avec soin
suicides brusques / impulsions
Il y a des suicides par vertige, par imitation irrésistible
vertige
de curiosité
par
dans tous ces cas le tout est placé
à la merci
d’une partie
beau et le rendait triste.
Contempler des monceaux de nourriture durable, n'est-ce
point voir du temps de reste et des actes épargnés ? Une cais
se de biscuit s, c'est tout un mois de paresse et de vie. Des
pots de viande confite, et des couffes de fibre bourrées de
graines et de noix sont un trésor de quiétude ; tout un
hiver tranquille est en promesse dans leur parfum.
Robinson humait
caissons et des coffres de sa cambuse. Son Un trésor de labeur
de l'oisiveté. Il en émanait de la durée, comme il émane
certains métaux une sorte de chaleur absolue.
Il ressentait confusément que son triomphe était celui de
la vie était un agent de la vie et qu'il avait accom la tâche essentielle de la vie qui est de transporter
pli
jusqu'au lendemain les effets et les fruits du labeur de la
veille. L'humanité ne s'est lentement élevée que sur le tas
de ce qui dure. Prévisions, provisions, peu à peu nous ont dé
tachés de la rigueur de nos nécessités animales et du mot à
mot de nos besoins. La nature le suggérait : nous portons avec
nous de quoi résister quelque peu à l'inconstance des évé
nements
se tient toute prête dans l'épaisseur de nos âmes
des modèles de ressources que notre industrie a imités.
Il y avait chez Robinson,
vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui servait
à maint usage domestique.
Ses pages toutes dévorées de chiffres menus et qu'on eût
juré couvertes de fourmis rangées en batailles, disaient dans
leur naïf langage décimal que notre mm espèce laborieuse des économies de vérités. Des écritures
s'était constitué
ingénieuses propagent les longues peines de quelques-uns
jusqu'à l'impatience de tout le monde …
Oisiveté, se disait Robinson, Oisiveté, fille du sel, de la
cuisson, et de tous les apprêts qui suspendent, en quelque
sorte, le destin des aliments périssables, filles des empyreu
mes, des fumées conservatrices, des aromates, des épices, et
même des logarithmes, – que ferai-je de toi ?
appétits ne dessinent ni ne colorent plus mes journées.
Je suis libre ; n'est-ce pas être informe ? Quand nous croyons
de nous appartenir, nous ne sommes qu'à la disposition des
incidents les plus petits de notre regard. La variété, l'in
finité des objets insignifiants nous abusent sur nos pouvoirs.
Je n'ai plus de loi que mon indifférence. Ma mobilité me
paralyse. Ma légèreté me pèse. Ma sécurité n'est pas sans m'in
quiéter. Que vais-je faire de cet immense temps que je me
suis mis de côté ?
peur
graînes et de noix sont un trésor de quiétude ; tout un
hiver tranquille est en promesse dans leur parfum et l’ave
nir est amassé dans les caissons de la cambuse. C’est le
plus grand triomphe des hommes et la condition essentielle
de tous les autres, que d’avoir su transporter jusqu’au
lendemain les effets et les fruits du labeur de la veille.
L’humanité ne s’est lentement élevée que sur le tas de ce
qui dure. Provisions, prévisions peu à peu nous ont détachés
de l’exactitude de nos nécessités animales et du mot à mot de nos besoins. La nature le suggérait : nous portons
Il y avait chez Robinson, traînant non loin de l’âtre, une
vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui
servait à maint usage domestique. Quand elle s’ouvrait, on
eût dit que ses pages fussent couvertes de fourmis en
rangs serrés. Ces feuillets tout dévorés de chiffres menus
disaient dans leur naïf langage décimal, que notre espèce
laborieuse s’était constitué des économies de vérités, et
que des écritures convenables offrent les longues peines
de quelqu’un à l’utilité de tout le monde…