Transcription Transcription des fichiers de la notice - Cinquième état dactylographié, frappe matrice Valéry, Paul 1924 [circa] chargé d'édition/chercheur Johansson, Franz (édition scientifique) Franz Johansson, équipe Paul Valéry, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1924 [circa] Texte de Valéry publié avec l'aimable autorisation des ayants droit de Paul Valéry
BnF. f. 35-38<br />Cote Rousseau : <br />ff. 35, 36 et 37: cote unique 383 12/133.<br />f. 38: cote 383 41/133.
<p>Même si le f° 38 porte la numérotation 4 en haut au centre, il n’est pas tout à fait certain qu’il soit à mettre sur le même plan que les trois précédents et qu’il soit à considérer comme la quatrième page de la série. Il s’agit d’un morceau découpé (10x 21mm) du même vélin que les feuillets précédents. La cote de l’inventaire Rousseau attribue une cote unique aux feuillets les f. 35-36-37 (383 42/133), tandis qu’il attribue au feuillet 38 une cote différente (383 42/133).</p> <p>Tous les versos de la série sont vierges.</p> Français <p>Même si le f° 38 porte la numérotation 4 en haut au centre, il n’est pas tout à fait certain qu’il soit à mettre sur le même plan que les trois précédents et qu’il soit à considérer comme la quatrième page de la série. Il s’agit d’un morceau découpé (10x 21mm) du même vélin que les feuillets précédents. La cote de l’inventaire Rousseau attribue une cote unique aux feuillets les f. 35-36-37 (383 42/133), tandis qu’il attribue au feuillet 38 une cote différente (383 42/133).</p> <p>Tous les versos de la série sont vierges.</p>
Robinson.

Robinson avait assez assuré sa subsistance et presque pris ses aises dans son île.

Il s'était bâti un bon toit. il s'était fait des habits de palmes et de plumes, des bottes souples, un chapeau immense et léger. Il avait amené l'eau pure tout auprès de lui à jaser, jusque dans l'ombre de sa hutte. Le feu lui obéissait ; il l'éveillait quand il voulait. Une multitude de poissons séchés et fumés pendaient aux membres de bois de la case ; et de grandes cor beilles qu'il avait tressées étaient pleines de galettes grossières, si dures qu'elles pouvaient se garder éternelle ment.

Robinson commençait d'oublier ses commencements. Le temps qu'il allait tout nu et qu'il devait tout le jour courir après son dîner lui semblait déjà pâle et historique.

  Faux exagéré Intervention allographe. De la main de Catherine Pozzi ? Même il s'émerveillait à présent des œuvres de ses mains. Ses travaux assemblés étonnaient quelquefois ses regards. Il avait grand peine à se sentir l’auteur de cet ensemble de qui le contentait mais qui ne laissait pas de le dominer. Quoi de plus étranger au  à tout créateur que le total de son ouvrage ?

Une demeure bien assise, des conserves surabondantes, toutes les sûretés essentielles retrouvées, ont le loisir pour con séquence. C’est le fruit de fruits que le calme et la certitude Robinson au milieu de ses biens se sentait confusé ment redevenir un homme, c'est-à-dire un être indécis. Il res pirait distraitement, il ne savait quels fantômes poursuivre. Il était menacé de songes et d'ennui. Le soleil lui semblait 

2

beau et le rendait triste.

Contempler des monceaux de nourriture durable, n'est-ce point voir du temps de reste et des actes épargnés ? Une cais se de biscuits, c'est tout un mois de paresse et de vie. Des pots de viande confite, et des couffes de fibre bourrées de graines et dan de noix sont un trésor de quiétude ; tout un hiver tranquille est en promesse puissance dans leur parfum.

Robinson humait la présence de l'avenir dans la senteur des caissons et des coffres de sa cambuse. Son trésor dégageait de l'oisiveté. Il en émanait de la durée, comme il émane de certains métaux une sorte de chaleur absolue.

Il ressentait confusément que son triomphe était celui de la vie, qu'il était un agent de la vie et qu'il avait accom pli la tâche essentielle de la vie Entourer le mot « vie » était sans doute le signe d’une répétition à supprimer. qui est de transporter jusqu'au lendemain les effets et les fruits du labeur de la veille. L'humanité ne s'est lentement élevée que sur le tas de ce qui dure. Prévisions, provisions, peu à peu nous ont dé tachés de la rigueur de nos nécessités animales et du mot à mot de nos besoins. La nature le suggérait : elle a fait que nous portions nous portons avec nous de quoi résister quelque peu à l'inconstance des évé nements ; la graisse qui est sur nos membres, la mémoire qui se tient toute prête dans l'épaisseur de nos âmes, ce sont des modèles de ressources réserves que notre industrie a imités.

Il y avait chez Robinson, traînant non loin de l'âtre, une vieille table de logarithmes sauvée des eaux, qui lui servait à maint usage domestique. 

3

Ses pages toutes dévorées de chiffres menus et qu'on eût juré couvertes de fourmis rangées en bataille, disaient dans leur naïf langage décimal que notre  espèce laborieuse s'était constitué des économies de vérités. Des écritures ingénieuses propagent transportent transfèrent les longues peines de quelques-uns jusqu'à au service de l'impatience de tout le monde …

– Oisiveté, se disait Robinson, Oisiveté fille du sel, de la cuisson, et de tous les apprêts qui suspendent, en quelque sorte, le destin des aliments périssables, filles des empyreu mes, des fumées conservatrices, des aromates, des épices, et même des logarithmes, – que ferai-je de toi ? Que feras-tu de moi ?  Voici que mes puissants appétits ne dessinent ni ne colorent plus mes journées. Je n’imagine plus des actes ; je ne vois plus des fantômes de proies rôties et

Je suis libre ; n'est-ce pas être informe ? Quand nous croyons de nous appartenir, nous ne sommes qu'à la disposition des incidents les plus petits de notre regard. La variété, l'in finité des objets insignifiants nous abusent sur nos pouvoirs. Je n'ai plus de loi que mon indifférence. Ma mobilité me paralyse. Ma légèreté me pèse. Ma sécurité n'est pas sans amertume m'in quiéter. Que vais-je faire de cet immense temps que je me suis mis de côté ?

4

Robinson, dans son île inconnue et déserte, que fut-il de venu, si le vaisseau jeté à la côte ne lui eût offert tout un trésor de moyens et d’engins, c’est-à-dire de solutions toutes prêtes du problème d’agir pour subsister ? N’étant de contrée plus inexplorée, de plus vierge ni de plus dépourvue que l’avenir, il est naturel que l’on explore toutes les profondeurs du passé pour sub venir aux besoins