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Transcription Transcription des fichiers de la notice - Charles-Benoît Hase. Cours de grammaire comparée donné à la Faculté des Lettres. - [Paris] <a href="https://www.idref.fr/026915715"></a> 1853-01-20/1853-07-07 chargé d'édition/chercheur Beauvallet, Achille (1850 L - prise de notes)<br />Bellin, Eugène (1850 L - prise de notes)<br />Bertrand, Edouard (1829-1911) (1850 L - prise de notes) <a href="https://www.idref.fr/115696741">[IdRef] </a><br />Bertrand, Diogène (1830-1898) (1850 L - prise de notes) [<a href="https://www.idref.fr/123360560">IdRef</a>] <br />Blanchet, Alexandre Edouard (18.. - 18..) (1850 L - prise de notes) [<a href="https://www.idref.fr/118931261">IdRef</a>] <br />Crouslé, Léon (1830 - 1903) (1850 L - prise de notes) [<a href="https://www.idref.fr/030724872">IdRef</a>] <br />Cucheval-Clarigny, Victor (1830-1912 - prise de notes) (1850 L) [<a href="https://www.idref.fr/073725358">IdRef</a>] <br />Fustel de Coulanges, Numa (1830-1889 - prise de notes) (1850 L) [<a href="https://www.idref.fr/031857302">IdRef</a>] <br />Guibout, Julien Joseph (1850 L - prise de notes)<br />Horion, Désiré (1850 L - prise de notes) <br />Monin, Alexandre (1850 L - prise de notes)<br />Périgot, Charles-Auguste (1828-1885) (1850 L - prise de notes) [<a href="https://www.idref.fr/067046592">IdRef</a>] <br />Tournier, Édouard (1831-1899) (1850 L - prise de notes) [<a href="https://www.idref.fr/058708480">IdRef</a>] PARIS
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1853-01-20/1853-07-07 Numérisation : bibliothèque Ulm-Lettres de l’École normale supérieure, Public Domain Mark
Ms 69 - bibliothèque Ulm-Lettres de l'École normale supérieure
Les notes de cours ont été compilées par les élèves de troisième année puis lues et corrigées par Charles-Benoît Hase. Le volume ainsi constitué a été transmis à un copiste (anonyme), qui a copié le présent ouvrage. Français Les notes de cours ont été compilées par les élèves de troisième année puis lues et corrigées par Charles-Benoît Hase. Le volume ainsi constitué a été transmis à un copiste (anonyme), qui a copié le présent ouvrage.

L.P.c.o.g 4° ancienne cotation

Ms 69 cotation de la main du bibliothécaire

L.P. c.o. 13 a

Cours de grammaire comparée M. Hase professeur. année 1853.

ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE [Tampon de la bibliothèque]

ont redige le cours :

M. M.

Beauvallet Bellin Bertrand (Edouard) Bertrand (Diogène) Blanchet Crouslé Cucheval Fustel Guibout Horion Monin Perigot Tournier

Elèves de troisième année.

Les rédactions ont été vues et corigées par le Professeur.

Les corrections, dont le plus grand nombre portait sur l'orthographe des mots anciens ou étrangers, ont passé dans la copie.

Ms 69 Cotation de la main du bibliothécaire

2.

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Extrait du Journal général de l'Instruction publique du 5 Février 1853. (1)

Au début de sa leçon, le professeur s'est attaché à démontrer l'influence du langage sur les opéra¬ tions de l'esprit, et il a fait remarquer que, pendant longtemps, les grammairiens et les rhéteurs n'ont vu dans la parole qu'un moyen propre à exciter certaines impressions chez les autres hommes, sans y voir un moyen de perfectionnement pour notre propre esprit, tandis que les fondateurs de la science qu'on appelle la logique, traitaient de cette science d'une manière tout abstraite, et étudiaient la nature des idées, sans s'occuper des signes qui les représentent. Ainsi, la chaîne était rompue, et les deux phénomènes du langage et de la pensée, si étroitement unis, si dépendants l'un de l'autre, demeuraient isolés et privés de la lumière qui les éclaire mutuellement. C'est effectivement le langage qui lie la pensée intime de l'homme et les formules de la logique. C'est par lui que nous connaissons le mécanisme du raisonnement;

(1) Les élèves n'ont pu assister à cette première leçon.

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c'est lui qui décompose la pensée, et qui devient une méthode analytique pour chaque idiome.

L'Etude des langues, leur histoire, les compa¬ raisons que l'on peut faire entre elles, sont donc aussi l'histoire de notre espèce depuis l'apparition de l'homme jusqu'aux époques les plus récentes, et c'est à l'aide de cette étude que nous pouvons, au milieu des ténèbres des premiers âges du monde, reconnaître, sinon avec certitude, du moins avec probabilité, les analogies et les différences exis- tantes dans la famille humaine et celles qui caractérisent chaque génération successive.

Après ces considérations, le professeur expose le ttableau de la famille des langues indo-germa- niques, ou, plus proprement, indo-européennes, à laquelle appartiennent le sanscrit et ses dérivés, le zend, le grec, le latin, et les idiomes modernes auxquels il a donné naissance (comme le fran- çais, l'italien et l'espagnol) enfin, les langues germaniques, les lanques slaves et, jusqu'à un certain point, les lanques celtiques. Toutes ces langues, fort différentes au premier aspect, ont, néanmoins, une parenté incontesttable; car, outre un certain nombre de radicaux qui leur sont communs, chacune d'elles a, dans sa grammaire,

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des analogies évidentes avec les grammaires de toutes les autres.

Ici le professeur explique les diverses manières dont se sont opérés les changements qui constituent la différence apparente de ces idiomes, et il établit une nottable distinction dans le mode de ces change- ments entre les langues écrites et les langues sans écriture. Dans les langues sans écriture, en effet, les changements sont produits par l' agglutination des mots, tandis que dans les langues écrites, ils sont amenés par la simplification des formes des- tinées à marquer les rapports des mots, par l'élimi- nation des synonymes inutiles et les altérations euphoni- ques.

De cet exposé, et après avoir constaté l'utilité de l'étude du vocabulaire des nations pour mieux connaître l'origine de leurs langues et comparer les rapports et les différences des peuples qui les parlent, le professeur passe à l'examen de la science si délicate des étymologies, qui, malgré de nombreux et savants travaux, est encore une science nouvelle et peut-être même une science à faire dans quelques- unes de ses parties.

Ne voyant dans la recherche d'une langue primitive qu'un sujet de pures hypothèses, puisque

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cette langue a disparu pour la science, il s'occupe ra exclusivement de l'étude des idiomes qu'il nous est donné de connaître, et il s'attachera sur tout à celles des langues indo-européennes qui ont une littérature dont on peut tirer des notions exactes sur la grammaire, le génie et le caractère des peuples qui les parlent.

Au premier rang de ces langues, il place le sanscrit qui renferme les éléments de la plupart des langues européennes et les résume toutes.

Viennent ensuite les deux langues dérivées, du moins en partie, du sanscrit, les langues grecque et latine. La langue grecque est à la fois la plus ancienne et celle qui approche le plus de l'antique idiome de l'Inde. Cette langue qui avait déjà produit des chefs-d’œuvre avant d'être entièrement figée, et semble être une des plus parfaites qui jamais aient servi à l'expression de la pensée humaine, a eu, au moins pendant une longue durée, l'inappréciable avantage de ne point s'altérer par la succession des siècles, de n'être point infectée par la contagion d'idiomes moins parfaits. On a pu croire qu'elle avait le privilège de ces fontaines qui traversent la mer, au dire des poëtes, sans y perdre la douceur de leurs eaux, qui roulent

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Au sein furieux d'Amphitrite étonnée Un cristal toujours pur et des flots toujours clairs, Que jamais ne corrompt l'amertume des mers.

Cette belle langue, en effet, dut à un heureux concours de circonstances et principalement à l'établissement du siège de l'empire à Byzance, de se maintenir pendant tout le moyen âge, sinon avec la pureté antique du moins sans altération remarquable, jusqu'à l'époque où les Ottomans achevèrent d'abattre l'empire, et dispersèrent en Occident les derniers dépositaires des sciences et des lumières de la Grèce. Et on peut ajouter que si l'an- cienne langue hellénique a fait place en Grèce à un idiome vulgaire, celui-ce ne constitue pas, au fond, une langue différente, mais plutôt un âge différent de celle qui l'a précédée.

La seconde des langues dérivées du sanscrit et qui seront l'objet spécial de nos études est la langue latine. Par une sorte de hasard, ce dialecte parlé par une peuplade obscure, devint la langue d'un peuple conquérant, et fut dans la suite porté par lui, avec le droit de cité, depuis la péninsule ibérique jusqu'aux rivages du Pont- Euxin. Aussi, l'empire romain a-t-il présenté, sous le règne des Antonins, la plus belle unité

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de peuples qui fut jamais et un poëte poète a pu dire, sans manquer à la vérité, en célébrant la politique à la fois si habile et si humaine de Rome :

Haec est, in gremium uictos quae sola recepit, Humanumque genus communi nomine fovit, Matris, non dominae ritu;

et s'il pouvait ajouter:

Hujus pacificis debemus moribus omnes Qui bibimus passsim Rhodanum, potamus Orontem Quod cuncti gens una sumus.

La langue latine a eu plusieurs âges; l'âge italien ou national, qui finit avec Ennius et Plaute, l'âge grec, qui commence sous l'influence des Scipions et finit avec Sénèque; enfin, l'âge de la décadence marqué en littérature par la prose d' Apulée et de Cassiodore, et, à partir du 4 e siècle, par les altérations que le latin commence à éprouver dans les monuments épigraphiques.

De ces deux filles aînées du sanscrit, le professeur passe aux langues néo-latines ou romanes, qui durent leur naissance à l'irruption des Barbares dans l'Occident et le Midi de l'Europe. Les conquérants ne comprenant pas la structure du latin, en brisèrent le mécanisme, et leur ignorance des déclinaisons et des conjugaisons

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les força de recourir à l'usage des articles et des verbes auxiliaires. Dès lors, les idiomes nouveaux se formèrent peu à peu. Ces idiomes reçurent des termes teutoniques nécessaires pour désigner un certain nombre d'objets, mais le fond du vocabulaire resta latin, quoique dans une mesure différente chez chacun des peuples conquis, et, sans doute, dans la proportion du nombre des individus de chaque race au moment de la conquête et de la fusion.

Le professeur trace ici un ttableau rapide de l’histoire de la langue française depuis le IX e siècle jusqu'à nos jours, et termine par l'indica- tion [--- --------] de l'objet et du plan de son cours.

Ce Cours embrassera trois idiomes, le grec, le latin et la langue nationale; l'illustre et savant professeur annonce qu'il comparera les mots et les procédés que chacun d'eux applique à l'expres- sion de la pensée. Il donnera la définition des termes, montrera leur origine, quand cela lui paraîtra possible, et examinera les formes gram- maticales communes aux trois langues qu'il vient de nommer, ou particulières à chacune d'elles.

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2 e Leçon 27 janvier 1853.

1° Ce qu'il faut entendre par les mots de grammaire générale, grammaire comparée ou linguistique et philologie comparée.

2° Classification des langues Indo-Européennes. Les langues Ibériennes n'en font pas partie

3° Langues indiennes en particulier —­­ Sanskrit et langues dérivées.

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1° Ce qu'il faut entendre par les mots de grammaire générale, grammaire comparée, linguistique et philologie comparée.

Grammaire générale. On entend par grammaire générale la science rai- sonnée des principes immuables et généraux de la parole prononcée ou écrite dans toutes les langues: C'est encore : l'examen philosophique des procédés des langues, à nous connues, sous le rapport de l'expression de la pensée. (Définition de M. Eugène Burnouf.) En effet, si l'on compare ensemble les grammaires parti- culières de plusieurs langues on s'aperçoit qu'elles présentent un certain nombre de procédés communs. Par exemple elles ont toutes des mots qu'on appelle Verbes et qui marquent l'action faite par un sujet, ou l'état de ce sujet : des mots qu'on appelle noms et qui expri- ment l'idée du sujet. presque toutes ont des particules dont la fonction est d'unir des phrases entre elles et qu'on appelle Conjonctions. Ces particules sont ordinai- rement d'une ou deux syllabes excepté quand elles sont formées par l'aggrégation de plusieurs mots, ainsi : Verum enim vero cependant néanmoins qui sont de vérittables mots composés.

Rechercher ces procédés communs, et en déduire des lois, c'est faire de la grammaire générale.

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Grammaire comparée ou linguistique Mais plus on pénètre dans la connaissance des langues, plus on voit diminuer le nombre des procédés qui leur sont communs à toutes. Examiner ces diffé- rences c'est faire de la grammaire comparée ou de la linguistique.

On ne trouve en latin que Scripsi pour répondre à la double forme grecque γέγραφα et ἔγραφα,et à la double forme française J' ai écrit ou j' écrivis. L'examen de ces différences appartient à la grammaire comparée. On fait encore de la grammaire comparée en observant que si en latin et en grec, les mots ont des flexions, ils en ont aussi dans beaucoup de langues germaniques et dans la plupart des langues celtiques.

Philologie comparée. Mais quand on passe à l'étude des mots en usage dans plusieurs langues, on ne fait plus de la gram- maire comparée, on fait de la philologie comparée Les mots sont les pierres de l'édifice, la grammaire est la structure qui les réunit.

Pour faire ressortir la différence de la grammaire comparée, et de la philologie comparée, nous allons citer plusieurs exemples de philologie comparée. Ainsi le mot grec ὕλη répond au latin Sylua. Le mot français Epée vient du grec Σπάθη par l ’intermédiaire du latin Spatha, qui se trouve pour la première fois

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dans les Annales de Tacite, puis dans Végèce de re militari Végèce remplace les mots Ensis, gladius par le mot spatha. Au lieu de Pugio il dit Semi Spatha.

Le mot aujourd'hui vient de cinq mots latins : ad illud diurnum de hodie. Des mots latins commençant par un o s'écrivent en français avec un h : Oleum huile, octo huit, ostium huis.

Toutes ces observations ne sont pas de la grammaire à proprement parler, ce sont des remarques qui se rattachent plutôt à la lexicologie et au vocabulaire, ce sont des comparaisons qui ne portent que sur la constitution maté- rielle des mots, c'est de la philologie.

Le nom de philologie comparée ou celui de linguistique conviendrait donc mieux à l'objet de ce cours, comme plus exact et plus précis. Nous emploierons cependant celui de grammaire comparée comme étant plus généra- lement admis et plus vulgaire.

Union de la Philologie et de la grammaire comparée. Il est évident que ces deux sortes d'études se tiennent d'une manière intime et ne peuvent pas être séparées. L’une, la grammaire comparée est plus métaphysique ; elle se rattache à des considérations qui ont pour objet l'enten- dement humain. L'autre la Philologie s'occupe davantage de la formation des mots et de leur filiation. Elle suit les diverses formes qu'un mot

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revêt en passant d'une langue dans une autre et les transformations qu'il subit. Mais ces deux études s'aident l'une l'autre de la façon la plus complète. Car comment peut-on faire de la gram- maire comparée, si la philologie n'a pas réuni les matériaux que la grammaire doit mettre en œuvre ? Ce n'est que par l'observation des faits, que l'on peut s'élever à la constatation des lois ; ce n'est donc que par l'étude des mots, que l'on peut légitimement arriver à l'étude des procédés communs que les langues appliquent à l'expression de la pensée.

2° Classification des langues Indo-Européennes.

Avant d'entrer dans les études de grammaire comparée qui sont l'objet de ce cours, il faut dire quelques mots des langues dont nous aurons plus tard occasion de rappeler les noms. Nous parlerons surtout des cinq familles principales de langues que l'on comprend sous le nom de langues Indo-Européennes.

Cinq familles de langues Indo-Européennes. Les langues Indo-Européennes se divisent en cinq familles principales qui se rattachent toutes entre elles, quoiqu'avec plus ou moins d'affinité. Ce sont les :

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1° Langues Indiennes et Persanes 2°. Langues Celtiques 3° Langues Pélasgiques (grec, latin) 4° Langues germaniques 5° Langues Slaves.

Nous substituons le nom de lanques Pélasgiques au nom de langues romanes que quelques auteurs emploient. Le nom de langues pélasgiques convient mieux ; il a le double avantage d'être plus genéral et d'éviter toute amphibologie. Car le nom de langues romanes est plutôt réservé aux langues néo-latines, qu'aux idiomes primitifs des nations grecque et romaine.

Les langues Ibériennes n'en font pas partie. Dans les cinq familles de langues que nous avons établies, nous n'avons pas compté les langues Ibériennes qui nous paraissent complètement étrangères aux langues Indiennes. Les peuples qui parlaient ces langues ne sont pas de la même race, et ne sont pas venues des mêmes pays.

À des époques que l'histoire ne peut pas déterminer, il s'est opéré de grandes révolutions dans le plateau central de l'Asie. Les peuples qui l'occupaient, l'aban- donnèrent par une émigration semblable à celle qui les jeta sur l'Occident au IV et V e siècle de notre ère. Ils descendirent de ces contrées, antique berceau du monde, et pénétrèrent en Occident en suivant le littoral

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du Pont-Euxin et remontant le cours du Danube. Au contraire les peuples qui parlaient la langue Ibérienne, semblent être venus par le littoral de l'Afrique. Ils occupaient primitivement la péninsule Ibérique, la Sardaigne, la Corse et la Sicile. Les Cantabres parlaient cette langue et les mots que nous ont conservés les auteurs grecs et surtout les latins prouvent que cette langue était différente des cinq autres. La race Ibérique avait aussi passé les Pyrénées, et s'était établie dans le bassin de la Garonne. Le premier témoignage historique que nous ayons sur l'ethnographie des Gaules, les commentaires de César, nous montrent ce peuple établi dans le bassin de la Garonne.

Commentaires Jules César. Ch : I. Gallia est omnis (1) divisa in partes tres quarum unam Belgae, aliam aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae nostra Galli "La Gaule en général (1) se divise en trois parties occupées l'une par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui dans leur langues s'appellent Celtes

Note (1) — Omnis a un sens particulier sur lequel il faut insister. Omnis a un sens plus fort que totus. Ce mot signifie en général. Totus signifie tout entier. Cicéron (lettres à Atticus, livre XII, lettre 14) dit que pour se distraire de la mort de sa fille, il écrit des jours entiers Totos dies scribo Dans Térence on trouve totos sex menses totum triduum trois jours entiers. Le vers suivant d'Horace fait bien sentir la force de totus. Epist. liv. I. Ep. VII

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appellantur.(2) lbi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt. et dans la nôtre, Gaulois (2). La langue, les institutions,

Quinque dies tibi sollicitur me rure futurum Sextilem totum mendax desideror Cunctus diffère de Totus et de Omnis. Il signifie tous ensem- ble, d'un accord umanime, et ne s'emploie le plus souvent qu'au pluriel. Cuncta Aegyptus l'Egypte et tous ses habitants (Tite Live) Cuncta Italia dit Cicéron à son retour Virgile dit : Cuncti simul ore fremebant Horace : Et cuncta terrarum subacta praeter atrocem animum Catonis

Note 2 — Nous prononçons celtae en adoucissant le c : les latins n'adoucissaient pas cette lettre. Elle avait pour eux le son du K ou du Q : Keltae. Quintilien (liv. 1. ch. IV par. 10) trouve le k, le q superflus, et parfaitement remplacés par le c.

Dans les districts les plus anciens de la Haute-Ecosse et dans quelques régions de l'Irlande, dans le comté de Cornouailles les peuples qui parlent l'ancienne langue du pays s'appellent Gaêls, et la langue s'appelle Gaelic. On comprend alors comment les Romains abusés par le nom ont pu appeler ces peuples galli Gaulois

César établit une distinction d'abord entre les

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Gallos ab aquitanis Garumna flumen, a Belgis matrona et Sequana dividet. Aquitania a Garumna flumine ad Pyrenaeos montes, et eam partem Oceani quae est ad Hispaniam pertinet, spectat inter Ocursum Solis et Septentriones. les lois de ces peuples diffèrent. Les Gaulois sont au centre, séparés des Aquitains par la Garonne et des Belges par la Marne et par la Seine. L'Aquitaine s'étend entre la Garonne et les Pyrénées à l'Ouest, du côté de la mer. X a,,

Ces Aquitains ne sont autres que des Ibères qui ont passé les Pyrenées pour s'établir dans le bassin de la Garonne. Il ne reste de ces peuples et de leurs langues, que le peuple et la langue basques, nation tout-à-fait à part, comme le prouvent sa physiono- mie et surtout sa langue qui ne ressemble à aucune des langues connues.

(ouvrage de M. Ampère.) M. Guillaume de Humboldt a tiré pour l'his- toire des Ibères un parti singulièrement heureux de

nations qui habitent la Gaule, puis entre les idiomes que parlent ces trois nations. Il fallait donc que ces différences fussent bien grandes pour que le général romain les remarquât, lui qui devait s'occuper davantage des querelles du Sénat, que des moeurs des peuples dont il faisait la conquête Nous admettons donc comme certaine l'existence d'une population Ibérienne dans le bassin de la Garonne, et l'existence d'une langue parlée par ce peuple, différente des autres langues.

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l'idiome basque et rien ne prouve mieux, combien l'étude des langues peut aider à la solution de certains problèmes ethnographiques. Au moyen du basque, M. de Humboldt a fixé des points nombreux de la péninsule espagnole et quelques points de la Gaule méridionale qui ont été occupés par les Ibères et dénommés par eux. Il fait plus : traçant une ligne oblique de Bilbao jusqu'à l'embouchure du Guadalquivir, il a reconnu que ce qui est en deçà de cette ligne ne présente dans-la composition des noms de lieu, aucune trace des langues celtiques. Tout est basque, c'est-à- dire, Ibère, Ibère pur. A l'ouest et au nord de la même ligne, les mots et les terminaisons celtiques, se pré- sentent en grande abondance ; mais répartis inégale- ment. M. de Humboldt précisant de plus en plus les résultats de sa découverte est parvenu à reconnaitre dans quelle proportion étaient en Espagne les popu- lations celtiques et Ibériennes à une époque sur laquelle l'histoire se tait.

De ce côté des Pyrenées M. de Humboldt s’est borné à indiquer quelques lieux de l'Aquitaine, du Languedoc et de la Provence qui portent ou ont porté des noms basques.

Telle est la ville de Calagorris en Aquitaine. Telle est encore Bigorre, et Bazas. M. Fauriel a porté

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à 19 les noms de localité qui sont d'origine basque et se retrouvent les mêmes en France qu'en Espagne. + Il restait à examiner jusqu'où le rameau Ibérien s'est étendu vers le Nord de ce côté des Pyrénées. Il faudrait prendre un à un les noms de lieu de la France méridionale et déterminer le point qu'attei- gnent les racines basques. Sans que cette étude ait été faite, on peut croire qu'on les suivrait jusqu'à la Loire. Polybe parle d'un port de Corbile situé près de l'embouchure de ce fleuve. Ce mot est composé de radicaux basques qui se retrouvent dans divers noms de lieux en Espagne.

La langue basque a une incroyable variété de formes, et exprime une infinité de nuances. C'est surtout dans les verbes que la langue basque déploie une surprenante richesse de formes grammaticales. Il y a une forme active, et passive, et même des formes affirmative, négative, éventuelle, courtoise, familière, + masculine, féminine. Asterloa dans son apologie de la langue basque prétend que chaque verbe a 206 présents. Cela me parait une exagération ridicule et je n'y crois pas. Tout ce que je veux conclure de ces caractères de la langue basque ou Ibérienne, c'est qu'elle n'a aucun rapport avec les langues Indo-Européennes et que nous devons la laisser de côté dans notre

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classification.

3° Langues Indiennes.—leurs divisions

Langues indiennes— Sanscrit. En tête de la famille indienne vient se placer le sanscrit, l'idiome sacré des Brahmes, la source com- mune de toutes les langues de l'Inde. Son nom qui signifie concret, perfectionné montre assez les phases qu'il a du subir avant d'être fixé par l'usage, et cependant ses monuments littéraires les plus positifs le font remonter sous sa forme actuelle à plus de 15 siècles avant notre ère. Tracés sur des feuilles fragiles de Palmier que la religion a cachées dans les temples ou transmises d'âge en âge chez les fidèles Indous, ces monuments nous ont revélé une littérature d'une richesse merveilleuse; en poésie et en philosophie surtout, car l'histoire n'a pas atteint chez ce peuple le même développement que ces deux autres branches des Belles-Lettres.

On a prétendu que le sanscrit n'avait jamais été parlé, et avait toujours été une langue de conven- tion pour les savants. Cette hypothèse est inadmis- sible; mais sans la discuter ici, nous pouvons affirmer que cette langue a eu une grammaire certaine et rigoureuse, et qu'aujourd'hui encore elle est étudiée par les prêtres indiens, comme le latin est étudié

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par nous. Comment aussi, une langue non parlée aurait-elle par donner naissance à tant d'idiomes divers qui se rattachent à elle d'une manière certaine Idiomes principaux 1° le Pracrit Idiomes principaux Le Pracrit qui signifie naturel, spontané, était l'idiome vulgaire, parlé par le peuple et les femmes et contemporain du sanscrit qui était l'idiome des classes privilégiees. Ainsi à Rome, à côté de la langue de Cicéron et de l'aristocratie lettrée, se trouvait la langue romano-rustique, la langue des classes inférieures, et des provinces latinisées.

2° Le Pali 2° Le Pali langue plus cultivée, répandue autrefois dans le midi de l'Inde, fut adopté par la secte des boudhistes, qui expulsés de leur patrie par les Brahmes, portèrent au delà du Gange, au Tibet et en Chine, leurs dogmes, leurs traditions et leur littér- rature qui s'est conservée dans les livres religieux.

L'Hindoustani L'Hindoustani - L’Inde traversée par une foule de peuples, et envahie à plusieurs reprises par les Arabes, vit sa langue se mêler et se confondre avec celle de ses vainqueurs, et former ainsi un grand nombre d'idiomes qui se partagent actuellement ses différents états. Le plus répandu est l'Hindoustani, qui né sur les bords de l'Indus de la fusion du sanscrit et de l'arabe, a fini par régner dans

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tout l'empire Mogol et dans toute l'Inde mahométane.

Le Bengali. 4° Le Bengali, particulier aux rives du Gange et aux adorateurs de Brahma, s'est le moins écarté de la langue primitive.

5 autres dialectes. Tels sont les noms des quatre principaux idiomes nés du sanscrit. On peut encore citer comme langages tirés du sanscrit, le Cachemire, le Seikh, le Mahratte nés au nord de la péninsule, ainsi que le Zingane ou dialecte des Zigennes ou bohémiens réfugiés en Europe. Le Malabar, le Tamoul, le Telinga, sont en usage sur les côtes du midi; le Cingalais et le Maldivien dans les Iles; sans parler de beaucoup de dialectes intermédiaires plus ou moins rapprochés du Sanscrit.

Langues persanes. Quelques savants font une classe séparée des langues persanes, et au lieu de cinq familles de langues Indo-Européennes, comptent 6 familles. Ces différences d'opinion sont insignifiantes. C'est pour ne pas multiplier les divisions et subdivisions que nous avons joint les langues persanes, aux langues indiennes, qui de l'avis de tous les savants leur ont donné naissance. Trois dynasties principales se sont succédé chez les Perses, trois langues principales ont été parlées successi- vement, et ont disparu tour à tour, excepté la dernière qui a formé la langue parlée aujourd'hui par les Perses.

1° Dynastie des Achéménides — Le Zend Le Zend, l'idiome sacré des Mages, la

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+ langue de Zoroastre qui issue de la même souche que le sanscrit s'est répandue à l'Ouest de l'Asie parmi les adorateurs du Soleil, domina en Perse avec la dynastie des Achéménides qui succomba sous les coups d' Alexandre le Grand. C'est dans cette langue que sont écrits tous les fragments qui nous restent des livres précieux de Zoroastre, du Zend-Avesta, fragments apportés en Europe par un savant français, Anquetil Duperron.

C'est en Zend et dans des dialectes peu différents du Zend ou analogues que sont tracées ces inscrip- tions cunéiformes, qui depuis le commencement de ce siècle-ci, ont eu le privilège, d'exciter si vivement la curiosité des savants européens.

M. Eugène Burnouf, si malheureusement enlevé à la science, dans la force de l'âge, et la maturité du talent, a fait sur le Zend des travaux remar- quables, qui, continués par un homme aussi habile et aussi instruit, nous permettraient de lire ces inscriptions mystérieuses. Une telle découverte nous révélerait l'histoire des peuples qui ont occupé l'Assyrie, la Babylonie, la Médie et la Perse, tandis que cette histoire peut à peine être entrevue par nous à travers les récits fabuleux de Diodore de Sicile et des autres historiens.

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De nos jours, l'arabe, le Turc, le Persan, quoique étant trois langues différentes, ont le même alphabet et se servent des mêmes caractères. Il en était de même du Zend et des dialectes analogues qui s'écrivaient avec les caractères cunéiformes. Ce qu'il y a de certain c'est que la langue, ou les langues dans lesquelles sont tracées ces inscriptions avaient 30 lettres ; qu'elles s'écrivaient de gauche à droite, que les voyelles sont écrites, qu'on y distinguait les brèves et les longues, comme en grec on distingue l' o bref de l' o long : ο, ω

Si jamais on peut lire les inscriptions cunéifor- mes, c'est par le Zend qu'on y arrivera.

2° Dynastie des Medes et des Parthes - Le Pehlvi 2° Le Pehlvi ancien idiome chaldéen fut + parlé par les Mèdes et par les Parthes qui vainqui- rent Crassus. Cette langue enrichie de mots zends, est formée par le mélange des Idiomes Sémitiques tels que 1° le Chaldéen ; 2° l' Hébreu ; 3° le Phénicien ; 4°, et par conséquent, le Punique ; 5° enfin l’ Arabe.

3° Dynastie des Sassanides. Le Parsi. 3° Le Parsi dialecte de la même famille que le Zend et le Pehlvi et restreint longtemps à la Perse, où il se perfectionna de plus en plus, finit par devenir sous la domination des Sassanides, l'idiome dominant de tout l'empire. Il s'y conserva intact jusqu'à l'invasion mahométane qui joignant l'arabe aux Le Persan éléments nationaux donna naissance au Persan, (actuel +

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Cette langue malgré sa double origine, qui la met à l'égard du Zend dans les mêmes conditions que l'anglais par rapport à l'allemand, est cependant pleine de concision et de force, pleine de grâce et de poésie. Les monuments de ses grands écrivains tels que le Schahnameh de Firdansi et le gulistan de Saadi lui donnent une haute importance littéraire et attestent ce qu'elle peut produire encore. Enrichie à la fois des racines arabes et indiennes dont elle abrège les terminaisons, simple et claire dans sa syntaxe, expressive dans ses compositions, élégante jusque dans son écriture, perfectionnée de l'alphabet arabe, elle est considérée avec raison comme la langue la plus polie de l'Asie moderne.

Autour d'elle viennent de grouper, à des distances plus ou moins éloignées, quelques idiomes âpres et sauvages, tels que l' afghan parlé dans le royaume de Caboul, le Beloutche sur les confins de l'Inde le Koorde chez les montagnards de la Perse, et enfin l' Ossete qui s'est perpétué dans une tribu du Caucase, antique reste de la grande émigration des peuple indiens ou en Europe.

Telles sont les observations que suggèrent la comparaison des langues indiennes et le ttableau de leurs subdivisions.

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La leçon suivante aura pour but d'examiner les langues celtiques, et de rechercher ce qu'était cette langue des celtes avant la conquête de César. Nous en retrouverons de nombreux débris dans l'Irlande, la Haute Ecosse, le pays de Galles, la Basse Bretagne. Nous traiterons de ces langues et des traces qu'elles ont pu laisser dans la nôtre.

Victor Cucheval.

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3 e Leçon 3 Février 1853. Langues Celtiques.

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On peut rapporter aux langues indiennes les trois langues persanes dont quelques linguites veulent faire une famille séparée : Le Zend, le Pehlvi, le Parsi.

Le Zend fut l'idiõme sacré des mages de l'anciennes Perse. En zend sont écrits les livres de Zoroastre, le Zendavesta; l'écriture des inscriptions cunéiformes qu'on trouve dans les ruines de Babylone, sur les affluents du Tigre et de l'Euphrate, à Persépolis, à Hamadan, est la même que le Zend. Ce fut la langue des Achéménides.

Le Pehlvi parlé par les Mèdes et les Parthes qui succédèrent aux Achéménides, est mêlé aux langues Sémitiques, c.a.d le Chaldéen, l'Hébreu, le Phénicien le Punique. Le Zend et le Pehlvi ont disparu depuis longtemps.

Le Parsi devint l'idiôme dominant sous les Sassanides, il a donné naissance au Persan moderne.

Seconde Leçon.

La seconde famille des langues originaires de l'Asie, et venues de l'Est à l'Ouest, est la famille des langues Celtiques.

Elle semble s'être séparée avant les autres, de l'Asie;

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Nous avons établi cinq grandes familles de langues qui, venues de l'Asie par un mouvement de l'Est vers l'Ouest, ont entre elles un rapport d'origine, et des ressemblances.

1° La famille des langues Indiennes. 2° La famille des langues Celtiques. 3° La famille des langues Pélasgiques ou Romanes, (mais nous réservons le nom de romanes aux langues Néo-Latines). 4° La famille des langues Germaniques, 5° La famille des langues Slaves.

Résumé de la 1 e Leçon. Nous avons examiné dans la première leçon la famille des langues indiennes : le Sanskrit qui donne naissance au Pracrit et au Pali ; L' Indoustani et le Bengali. Le Sanskrit n'existe plus comme idiôme vivant. Les Brahmes de l'Inde l'étudient, comme nous le latin ; il a fourni une littérature immense dans presque tous les genres, excepté dans le genre historique. Selon quelques Indianistes le Pracrit était contemporain du Sanskrit même. Le Pali devint la langue Sacrée des Bouddhistes. L' Indoustani, mêlé de Sanskrit et d'Arabe ; le Bengali sont deux langues modernes parlées sur les bords du Gange.

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Ce qui nous autorise à dire que, des cinq grandes familles que nous avons indiquées, les langues celtiques sont les plus éloignées de leur origine asiatique, quoiqu'elles en conservent encore des traces. Les Celtes partis de l'Est, suivant leur marche en remontant le Danube au Sud, sont arrivés dans l'Europe occidentale. Pythéas astronome et voyageur de Marseille, vivant au com- mencement du IV e Siècle avant J.C. nous en a donné les premières notions sur ces peuples de l'Occident. Il nous montre, à l'époque où les Grecs avaient déjà établi leurs colonies en Ligurie, et dans le midi de la Gaule, la Les Celtes au Sud du Danube. race Celtique occupant la partie de l'Allemagne qui est située au Sud du Danube ; du reste ce fait est prouvé d'une manière évidente par les noms des localités anciennes.

au Nord de l'Italie. Ils occupèrent aussi toute la partie septentrionale de l'Italie jusqu'à l'Apennin. Il y laissèrent les Lygures (Ligurie) les Isombra (issubriens) et les Ombra (Ombriens)

En Gaule. Mais les Celtes se répandirent surtout en Gaule, dans les larges bassins de la Loire, de la Seine, et du Rhône ; ils s'étendirent au Sud jusqu'à la mer, et s'établirent dans les endroits qui n'étaient pas encore occupés par les colonies grecques, tels que Marseille.

dans les îles britanniques. Enfin ils se fixèrent dans les îles brittaniques,

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C'est à dire en Angleterre, en Ecosse, et en Irlande. C'était une des familles de peuples les plus repan- dues au III e siècle avant notre ère. Les choses ont bien changé depuis. Tous les Celtes établis sur le continent furent soumis par les Romains, et subirent les conséquences de la conquête, c.à dire la triple influence des armes, de la littérature et des mœurs ; quelque-uns de ceux qui habitaient les îles Britanniques eurent le même sort ; plus tard ils furent entièrement remplacés par les Anglo-Saxons.

On peut diviser les idiômes qui dérivent de la langue Celtique en deux grandes classes :

1° le rameau Gaélique, qui se divise lui-même en 1° le Gaélique. L'Irlandais. le calédonien. deux dialectes : l' Irlandais et le Calédonien.

L' Irlandais ou Erse a été peu à peu chassé par l'anglais qui a dominé dans les villes. Mais jadis cette langue était beaucoup cultivée.

Les anciens eux-mêmes et les écrivains du moyen- âge nous disent que l'Irlande s'appelait autrefois Erin, c'est à dire en Irlandais : île occidentale ( er, ouest, in, île). C'est le mot les Romains, maîtres de l'Angleterre, entendirent prononcer, et qu'ils écrivaient Iuerne. Or les Romains, qui avaient deux sons pour l' u et le v, comme pour l' i et le j, n'avaient cependant qu'un caractère pour l' u et le v

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comme pour l' i et le j, de sorte qu'on lisait tantôt u, tantôt v, c'est ce qui arrive pour Iverne. Ainsi Pomponius Méla appelle l'Irlande Juverna " Supra Britanniam Juverna est, luxuriosa herbis." ( L. m. ch. C.) Déjà, comme on le voit, l'Irlande, à cause de ses gras paturages, méritait le surnom de la verte Erin que les Irlandais lui donne aujour- d'hui. On dirait aussi que Jerne qui se trouve dans Apulée, et dans Olaudien, ( de quarto consulatu Honorii.)

Scotorum cumulos flevit glacialis Ierne (34) - Remarquons ici que les habitants de la Haute Ecosse et ceux de l'Irlande sont appelés Scoti par les anciens, à cause de la conformité de leur dialecte, ce qui a donné lieu à beaucoup d'erreurs ; bien souvent on a traduit Scoti par Ecossais dans les cas où il signifiait Irlandais. Enfin le troisième nom qui a prévalu c'est Hibernia. Il est né de l'habitude qu'a le peuple - d'assimiler un mot, qui par lui-même n'a aucun sens et ne représente rien aux esprits, à un mot connu et usité dans la langue populaire : Ivern a fait penser + à Hibernus ; de là : Hibernia.

La lang ue Irlandaise ou Erse a eu sa période florissante. au VI et au VII e siècle, quand la Gaule et l'Espagne furent près de périr, ce qui restait de la

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civilisation Romaine en Grande-Bretagne fut anéanti par les Anglo-Saxons ; Mais la langue Erse jouis- sait alors d'une grande influence. Les Irlandais avaient été convertis au christianisme, et dans les monastères Irlandais on voyait une civilisation su- périeure à la plupart des civilisations du reste du continent. Au grand nombre des tribus de la Germanie païenne fut converti au christianisme par des Irlandais qu'on appelait toujours Scoti. Saint Colomban (540-613) qui fonda en France le monastère de Luxeuil (h. Saône) d'où sortirent tout d'hommes célèbres par leur Sainteté, et en - Lombardie le couvent de Babbio où il mourut, était un moine Irlandais. Saint Gall, disciple de Saint Colomban , qu'il accompagna en France, l'an 585, et qui se retira plus tard en Suisse, y fonda à huit kilomètres du lac de Constance le célèbre monas- tère de Saint-Gall qui a donné son nom à un canton Suisse. Le moine Saint Gall était aussi Irlandais. Quand l'Irlande fut soumise par l'Angleterre, on vit plusieurs Irlandais aller, comme missionnaires, fonder des monastères dans l'Europe centrale, en Germanie. Ces monastères restèrent en relation avec l'Irlande. Aujourd'hui, au monastère de Saint-Gall, on trouve les manuscrits les plus anciens

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de la langue Gaélique.

Le Calédonien ou Ecossais ressemble à la langue Erse ou Irlandais. Voila pourquoi, avons nous dit, les Irlandais et les Ecossais ont été également nommés Scoti. Le Calédonien a été peu connu au moyen-âge. Mais en 1760 un poète écossais + Jacques Macpherson (1738-1796) prétendit avoir découvert dans les chants des bardes Calédoniens des hymnes guerriers, remontant à la fin du deuxième, et au commencement du troisième siècle de notre ère, com- posés par Ossian, ancien barde écossais. Macpherson en donne une traduction en prose poétique. Vingt ans après Smith publia à Edimbourg (1780) un recueil plus complet de ces poèmes. Cette décou- verte fit une grande sensation ; car les chants, tels que les ont présentés les éditeurs, offrent de vraies beautés, de la grandeur, de la hardiesse ; les uns doutèrent de leur authenticité, les autres les accueilli- rent avec enthousiasme, précisement à cause de leur caractère sauvage et poétique.

2 e Le Cymrique. Le second rameau de la grande famille des langues celtiques est l'idiôme appelé par les Le Gallois. Le bas Breton. linguistes Le Cymrique. Le Cymrique se divise lui-même en deux

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dialectes, comme le Gaëlique ; ce sont le dialecte Gallois et le dialecte Bas-Breton ; autant les deux dialectes de la branche Gaélique, l'Erse et le Calédonien, se ressemblent, autant ceux de la branche Cymrique, le Gallois et le bas-Breton diffèrent.

- Le Gallois est encore parlé dans la principauté de Galles par les habitants des montagnes, et dans la péninsule de Cornouailles.

Le Bas-Breton se parle aujourd'hui dans l'ancienne Armorique. Le bas-breton a été l'objet de grandes controverses. On lui a attribué une influence extrême ; on a voulu en faire dériver toutes les langues. Sans doute il y a dans le bas-breton un certain nombre de radicaux qui se retrouvent dans les autres dialectes, mais cela ne vient pas de l'antériorité du Bas-Breton sur ces dialectes, cela prouve simplement leur affinité avec le bas-Breton.

- Un écrivain distingué, Court de Gébelin a voulu faire dériver du bas-Breton un quart des mots français. La plupart de ces mots sont latins ou viennent d'une langue antérieure au latin, de l'Osque. Ainsi, on a cru que le mot auser (oie) est bas-breton. Déjà on trouve AVCA dans la

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langue Osque, on a prononcé AUCA en confon- dant le V et U, de là dans le moyen-âge, AUCCA, AMCA, AMVICELLA, et même AVIS

- AC rivière, en Cymrique, a formé Bedriacum. Cette terminaison iacum dans le Nord et l'Est de la France s'est contractée en y, clippiacum (qui était une villa Regia) est devenue Clichy ; Apolloniacum, Poligny au Nord et Polignac au midi.

Leuca (lieue) est d'origine celtique.

Dune vient du mot celtique douk qui signifie montagne, c'est pour cela que tant de villes de la Gaule formées sous les Romains se terminent en dunum : Lugdunum, augustodunum, Verodunum.

Rusk en celtique veut dire écorce. C'est de là que vient le mot ruche. Dans l'antiquité les ruches d'abeilles étaient formées d'écorces d'arbres et surtout de liège. Il en est question dans les Géorgiques :

...... sen corticibus tibi suta Cavatis sen lento fuerint alvearia vimine texta (Georg. IV 33)

Horion.

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4 e Leçon 10 Février 1853. Sur les langues Pélasgiques.

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Langues Pélasgiques

Nous arrivons aujourd'hui aux langues qu'on appelle quelque fois Romanes ; ce titre cependant nous paraissant mieux convenir aux idiomes néo-latins, nous les appellerons Pélasgiques, du nom de la principale d'entre-elles. On les peut diviser en 4 classes.

1° Les langues Thraces parlées au nord de la Grèce et même au Nord Est. 2° La langue grecque ou langue Pélasgique. 3° La langue étrusque. 4° Les langues Italiques, ou langues de l'Italie centrale d'où est sortie la langue latine, et de là plus tard les langues Romanes.

Les langues Thraces nous offrent quatres dialectes ou plutôt quatre idiomes ayant entre eux des affinités et des ressemblances, mais au fond différents l'un de l'autre.

1° Le Phrygien doit nous occuper d'abord ; il en reste il est vrai peu de vestiges ; mais depuis que l'inté- rieur de l'Asie Mineure est exploré en détail, on trouve des monuments d'art Phrygien remontant à une époque presque antérieure à notre histoire. On a même découvert Nacolea ( Doganlou) non loin

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du Sangarins (Sakaria) entre Dorylæum (Eski-Chehr) et Cotyæum (Kutaieli) une inscrip- tion peut-être sépulcrale écrite en lettres grecques, mais dans une langue inconnue qu'on croit être la langue Phrygienne. Cette inscription a été gravée dans le Voyage du colonel Feake en Asie Mineure (1 Vol. in 8°.) On y lit le nom des anciens rois de Phrygie Midas MIΔAI ; le dernier iota est sans doute l'iota que nous appelons souscrit ( ύπογεγραμμένον) et que les grammairiens anciens appellent aussi ascrit ( παραγεγραμμένον); ce nom est suivi de quelques points que nous figurons ici, et il faut lire de gauche à droite comme dans les écritures de l'Occident, et non pas de droite à gauche, comme en hébreu par exemple et dans la plupart des langues orientales. Il existe encore dautres inscriptions Phrygiennes toutes en lettres grecques archaiques, mais on n'est pas assez sûr de les bien lire pour avoir du Phrygien une connaissance certaine. Du reste, les auteurs anciens nous ont conservé eux-mêmes quelques mots de cette vieille langue demeurée presque inconnue pour nous. "Les Egyptiens, avant le règne de Psammitichus, nous raconte Hérodote liv. II Ch: 2. se regardaient comme le premier de tous les peuples par l'anti-

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réitérant ses visites et ses observations, il remarqua que les enfants répétaient toujours le même mot, et en instruisit le roi, qui ordonna de les amener en sa présence. x ακόνσας δέ καί αύτός ό Ψαμμέτι Χος έπυνθάνετο, όιτινεϛάνθρώπων ϐεκόϛ τι καλέυνσι , πυνθανόμενοϛ δέ εύρισκε Φρύγαϛ καλέοντας τονάρτον. x Cette marque renvoit à la note marginale Psammitichus ayant oui de leur bouche le mot Becos, fit rechercher s'il avait un sens dans la langue de quelque peuple, et appris que les Phrygiens s'en servaient pour dire du pain. Les Egyptiens après avoir pesé les consequen- ces de cette expérience, consentirent depuis à regarder les Phrygiens comme issus d'une race plus ancienne que la leur. " Nous pouvons trouver que la conclusion n'est pas très rigoureuse, mais ce récit n'en est pas moins instructif et curieux ; n'est-ce pas en effet une chose assez extraordinaire que de voir un roi de l'antiquité, un roi de la vieille Egypte, se préoc- cuper de savoir quelle est la langue primitive du monde.?

Le second idiome Thrace est la langue Lydienne parlée dans ce riche empire dont Sardes était la capitale et dont Crésus fut le dernier roi. De cette langue autrefois si répandue il ne nous reste pas même une inscription, tout ce que nous en savons se réduit à des mots conservés par Strabon, par les lexicographes grecs Herychius, Suidas et d'autres, et aussi dans l' etymologicum magnum et dans cet espéce de diction-

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naire géographiquement par Etienne de Byzance.

A l'Ouest, de l'autre côté de l'Hellespont, nous trouvons la langue des Thraces, le Thrace propre- ment dit ; mais il ne nous en reste guère que les noms des rois de ces pays, comme par exemple Cotys, et d'autres que nous ont conservés les historiens d'Athènes et de Rome.

Enfin vient l'idiome Macédonien au nord de la Grèce proprement dite, depuis l'Hémur jusqu'au mont Olympe qui sépare la Thessalie de la Macédoine ; là était en effet une langue différente du grec, qui s'étendait ensuite plus à l'O. dans l'Epire jusqu'au littoral de l'Adriatique. Plus tard même, à l'époque où les rois de Macédoine recevaient une éducation tout à fait hellénique, tandis qu'eux et leur cour se servaient du grec comme d'une langue élégante et savante, le peuple conservait encore une langue différente qui était la langue nationale. On sait par le témoignage de Diodore de Sicile qu'au temps de ces expéditions glorieuses qu' Alexandre poussa jusqu'aux affluents de l'Indus, une grande partie des soldats de ses armées n'entendait pas le grec et ne connaissait que la langue du pays ; le peuple tenait à ce langage indigène, nous en avons plusieurs preuves. Dans le récit si dramatique

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que fait Quinte-Curce d'une conspiration contre Alexandre Le Grand, découverte quand il était déjà du côté oriental de la Perse, nous voyons qu'un chef militaire fort distingué, jeune encore, Philotas, fut accusé comme complice ; traduit devant une espèce de conseil de guerre, auquel Alexandre avait voulu assister lui même, il recut l'ordre de parler. "Soit remords, soit accablement causé par la grandeur du danger, il n'osait lever les yeux ni ouvrir la bouche. Bientôt ses larmes coulèrent, ses forces défaillirent, et il se laissa tomber sur celui qui le tenait. On lui essuya les yeux avec son manteau, et reprenant alors par degrés, le sentiment et la voix, il semblait prêt à commencer. Alexandre le regardant lui dit: ce sont les Macédoniens qui vont te juger ; je te demande si c'est dans la langue du pays que tu leur parleras ? Philotas répondit : outre les Macédoniens je vois ici en plus grand nombre d'autres assistants qui, je crois, entendront mieux ce que je dirai, si je m'ex- prime dans la même langue où tu as parlé toi-même, sans autre motif, il me semble, que d'être compris de tout le monde. Vous le voyer s'écria le roi, il a en horreur jusqu'à la langue de sa patrie ; seul il dédaigne de la parler. Mais qu'il choississe celle qui lui plaira le mieux, pourvu que vous vous

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souveniez qu'il a également en haine et nos coutumes et notre langage" et aussitôt il quitta l'assemblée. Tum rex : Ec quid vid etis adeo etiam sermonis patrii Philotam tadere ? Jolus quippe fastidis eum dicere. Sed dicat sané uteumque cordi est, dum memineritis, æque illum a nostro more atque sermone abhorrere" atque ita concione excessit ( Quinte-Curce liv. IV. ch:9)

Le Macédonien, cette langue de la patrie, dont il est question dans ce paysage, survécut à Alexandre et se maintint plusieurs siècles encore après lui ; il ne faudrait pas le confondre avec le dialecte Macédonien Ce dialecte sur lequel un savant allemand Hurtz x Hurtz : de Dialecto macedonicâ a écrit un volume plein de recherches x Cette marque renvoie à la note marginale se composait, il est vrai, de quelques mots empruntés à la langue macédonienne, mais surtout d'idiotismes du grec de la Macédoine ; ce n'était plus le grec attique, mais c'était enore le grec avec des altérations légères, on y changeait par exemple le y en b et au lieu de Φερενίκη on écrivait Bερενίκη (qui porte la Victoire) d'où est venu notre mot Bérénice, emprunté comme on le voit à la forme grecque macédonienne.

Nous arrivons maintenant à la langue grecque des Pélasges, et d'abord au pélasge proprement dit. Dans ce grand mouvement de peuples de l'Est à l'Ouest, antérieur à nos notions historiques, et qui a donné

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des habitants à notre Occident on peut croire, bien que ce ne soit qu'une hypothèse, que les Celtes se sont avancés toujours de l'Est à l'Ouest au sud du Danube et de là jusque dans la Gaule et dans les iles Britanniques. Ils avaient les peuples Germains à leur droite depuis le Danube jusqu'aux mers du Nord, et à leur gauche les Pelasges qui ont certainement à une époque reculée, limite de la fable et de l'histoire, occupé la presqu'ile de la Grèce et une partie de l'Italie. Or les grecs descendent de ces Pélasges ; eux-mêmes les reconnaissent hautement pour leurs ancêtres, si bien que Πελασγοί est devenu synonyme d'Hellènes. x έγΧεσιμώρων est un mot d'origine inconnue: les gramairiens anciens l'ont fait venir de έγxοϛ lance et de μωρόϛ fou c.a.d c'est-à-dire qui est fou de la lance; il tient plutôt à une langue antérieure et ne vient pas même d'un mot grec. Mais les grammairiens grecs eurent le tort de ne jamais chercher à remonteren étymologie au delà de leur propre langue. Les latins auraient pu le faire peut-être plus facilement, mais ils suivent rarement une méthode logique. De là tant d'étymologies fausses qui nous paraissent aujour- d'hui ridicules ; comme Minerva qui a Hudium minuit nervos, parce que l'étude affaiblit ceux qui s'y livrent ! ce mot, on l'a reconnu depuis, est d'origine étrusque, comme le prouvent plusieurs miroirs magiques de l'Etrurie. On lit au deuxième chant de l'Illiade Πελασγϖν οεγ Χεσιμώρων x Cette marque renvoie à la note marginale Ίππότοοϛ δ’ά’γε ϕ͠υλα πελασγϖν έγΧεσιμώραν (vers 840) Hippothous conduisait les bandes des Pelasges qui combattent à coups de piques ; il s'agit du dénom- brement de l'armée d' Agamemnon, et il est évidemment question de Grecs désignés sous le nom de Pélasges. Hérodote dans son second livre (Euterpe) ch. 56 dit positivement : δοκέει έμοί ή γυνή αύτη τ͠ης ν͠ον Ελλάδος πρότερον δ͑ε πελασγίης καλενμένης τ͠ης α͗υι͠ης ταύ͂ιης πρηβ͠ηναι έϛ ϴεσπρωτόυς ....... Cette femme me parait avoir été vendue dans la patrie de la Grèce, qui jadis était connue sous le nom de Pelasgie, et qui est

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actuellement habitée par les Thesprotes.,, Ennius, un c.s. absurda de ces vieux poètes de Rome qui représente pour nous dans toute sa force et dans toute sa pureté la poésie notionale de cette vigoureuse race Romaine, alors victorieuse partout, a raconté au premier livre de ses annales l'arrivée d'Enée en Italie. Soit qu'il considère ce fait comme historique et réel, soit qu'il en fasse simplement une sorte de personnification, pour ainsi dire mythologique (comme on a inventé la légende de Dédale) il le place à l'époque où tombait l'empire du vieux Priam sous les coups de Grecs: quum veter occubuit Priamus sub Marte Pelasgo. Il est par là bien démontré qu'aux yeux des Romains, comme du reste à leurs propres yeux, les Grecs descendaient des Pélasges.

La langue grecque eut d'abord deux dialectes primitifs, l'Eolien et l'Ionien, d'où sortent plus tard, le Dorien de l'Eolien, et l'attique de l'Ionien. Ces dialectes ont formé une langue d'une richesse incompa- rable qui a produit une des plus belles et une des plus grandes littératures du monde. Nous n'avons pas à nous en occuper ici ; remarquons seulement en passant que nous devons encore aux Grecs deux choses très importantes 1° l'introduction des voyelles dans l'écriture; l'usage de la monnaie.

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L'écriture orientale d'où est sortie l'écriture grecque, malgré son élégance et sa grâce, n'est / guère qu'une espèce de tachygraphie ou de sténo- graphie. La plupart de voyelles ne s'écrivant pas, celles-ci s'échangent souvent l'une pour l'autre ; les noms ne conservent donc pas de prononciation fixe, ils perdent même leur physionomie propre; ainsi Abraham devient Ibrahim, Salomon se / métamorphose en Soliman ; les Grecs ont les premiers donné à l'écriture des voyelles certaines et dinstinctes, et nous avons en cela suivi leur exemple.

La monnaie d'un usage si nécessaire tant pour les transactions commerciales que pour les tranactions les plus simples de la vie de chaque jour, que sans elle nous ne pouvons pas comprendre comment substituait la civilisation telle que nous la connaissons, du moins dans nos sociétés de l'Occident. C'est encore aux Grecs que nous sommes redevables de ce merveilleux secours; car les monnaies de l'île / d'Egine sont les plus anciennes que l'on connaisse.

Enfin n'oublions pas cette persistance sans exemple de la langue grecque qui depuis Homère jusqu'à nos jours, c'est à dire pendant près de trois mille ans, a résisté aux effets du temps et à l'influence des hommes. De la langue

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attique modifiée est sortie de la langue ordinaire ou vulgaire que les grammairiens anciens appellent ή Κοινή γλϖσσα ; cette langue, dans laquelle a écrit Polybe a duré pendant tout le moyen âge ; elle existe encore, tant est grande la force vitale qui l'anime ! la nation grecque asservie si longtemps aux Eures, a su la conserver intacte, quoique dépouillée de quelques mots et altérés dans quelques formes, et depuis \ qu'elle a reconquis sa liberté, elle fait les plus louables efforts pour se rappro- cher, en écrivant comme en parlant, de ce noble héritage que lui ont laissé ses ancêtres.

Ceci nous amène a dire quelques mots de la manière de prononcer cette langue ancienne ainsi presque arrivée vivante encore jusqu'à nous. Il y a comme on sait deux méthodes différentes, l'une qui est celle des Grecs modernes, l'autre qui vers le milieu du XVI siècle a été introduite dans nos écoles de l'Occident par Erasme. Erasme homme d'esprit plutôt encore que savant, bien qu'il en eut assurément une érudition très riche et très variée voulait qu'on lui fit sentir dans la prononciation toutes les lettres et toutes les diphtongues ; ses partisans répè- tent encore aujourd'hui qu'il y a en effet dans la pronon- ciation grecque moderne ce grand défaut que beaucoup de mots différents par l'orthographe et même par le sens ont le même son pour l'oreille. Mais quoi, la

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même chose n'arrive-t-elle pas souvent même en français, quand vous dites par exemple Saint faut- il entendre Saint, Sain, Sein, Ceint, Seing [signe] a la langue française n'en est pas moins cependant la langue la plus claire et la plus facilement entendue, et à cause de cela même la langue de la science et de la diplomatie. Les Erasmiens veulent qu'on prononcent toutes les voyelles et toutes les diphtongues, mais l'on remarque bien, cela n'a lieu dans aucune langue, si vous pro- noncez seulement je veux, en détachant et en faisant entendre séparément toutes les voyelles ne serez vous pas arrivé à faire une phrase parfaitement inintel- ligible et barbare. La prononciation des Grecs eux- mêmes, dit-on, a beaucoup trop varié depuis tant de temps pour qu'on en puisse suivre les traces ? Sans doute, le grec a varié comme le français, au siècle dernier Voltaire pouvait encore dans la Henriade faire rimer Eure et nature, français et bourgeois, rimes déjà anciennes qui n'en sont plus pour nous ; cependant malgré ces altérations de détail, la prononciation française est au fond la même; n'est-il pas aussi naturel de croire qu'il doit y avoir dans la manière de prononcer des Grecs modernes une certaine tradition noninterrompue ? Si le latin était encore aujour- d'hui une langue parlée dans les transactions

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diplomatiques, comme il l'était pendant le moyen- âge, ne devrions nous pas penser que les Italiens seraient plus près de la prononciation romaine que tout autre peuple, et par conséquent former notre prononciation sur la leur? IL en est de même du Grec, et l'espèce d'avantage, très contesttable d'ailleurs, qu'on peut trouver pour l'orthographe à prononcer toutes les voyelles et toutes les diphtongues comme elles doivent s'écrire, nous parait beaucoup moins grand que l'in- convénient immense de rompre par une prononcia- tion factice et toute notre invention avec ce qui nous reste de l'antique et noble race grecque.

J. Guibout.

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5 e Leçon 17 Février 1853. Langue étrusque-Langue osque

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Langue étrusque - Langue osque.

Dans nos études sur les langues Pélasgiques, nous nous sommes occupés d'abord des langues Thraces et du Grec ; il nous reste maintenant pour achever notre vue d'ensemble sur cette famille de langues, à parler de l'Etrusque et du Latin. +

Tout le monde sait que les Etrusques ont exercé une grande influence sur Rome naissante. Entre autres emprunts faits par Rome à ses voisins, les cérémonies du culte viennent en grande partie des Etrusques ; mais comme ici, il ne s'agit pas pour nous que des langues, nous laisserons de côté, après l'avoir rappelée en passant cette influence morale et politique que l'Etrurie, nation aristocratique, exerça surtout sur le patriarcat romain.

Il parait que le vérittable nom des Etrusques, celui qu'ils se donnaient a eux-mêmes, était Rasani, ou - comme on voit dans d'autres passages, Rhasani. Depuis le commencement de ce siècle, l'Italie centrale et méridio- nale a fourni de nombreux précieux renseignements sur l'état primitif de l'Italie avant la domination romaine. Déjà, au XVIII e siècle, Micali avait composé sur ce sujet deux ouvrages, 1° L'Italie avant la domi- nation des Romains, 2° Histoire des anciens peuples

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de l'Italie. Niebuhr qui au hasard de ses hypothè -ses souvent aventureuses, unit beaucoup de science et une pénétrante sagacité, Ottfried Muller dans " les Etrusques", se sont occupés surtout de - l'influence de l'Etrurie sur les institutions romaines, mais peu ou point de la langue. Leurs estimables travaux sont donc d'un médiocre secours pour l'objet spécial de nos études.

Le nom grecs des Etrusques est Tyrrhéniens. Hérodote raconte au livre 1 er de son histoire, ch. 94 qu'ils avaient été conduits en Italie par un chef nommé Τυρσηνός qui leur donna son nom. C'était l'habitude des Grecs dans ces obcures questions de l'histoire primi- tive, de tout individualiser, s'il nous est permis de parler, ainsi comme dans leur mythologie ; le procédé était simple et convenait aux habitudes d'esprit d'un peuple plus vif à imaginer que parient à rechercher plus artiste qu'érudit. C'est un héros qu'ils placent ainsi à l'origine de toutes les sociétés ; ici le héros s'appelle Τυρσηνός, fils d'Atys, roi de Lydie, et vient en effet de l'Asie-Mineure ; de la Lydie. Δέγουσ Τυρσηνίαν ̊αποιπίσαι. N'oublions pas qu' Hérodote écrit en Jonien ; Thucydide eût dit Τυ͗͑ρρηνίαν, et remarquons qu' Hérodote emploie ici le verbe ͗ απυιπίζειν et non έποιπίζειν. Ce dernier s'emploie

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en effet, quand une nouvelle population vient se joindre à d'anciens habitants ; ͗αϖοιπίζειν signifierait que la contrée est encore inhabitée et qu'on la peuple, ou bien qu'on la remplace entièrement la population primitive. Ce n'est pas ici le cas ; un peu plus loin, toujours au chapitre 94 du 1 er livre, Hérodote dit: ͗ες οʿ ͗εθνεα πολλά παραμει ψαμένουϛ ͗απιxέοθαι ͗ες ͗ομϐριxο’υϛ.

On trouve plus d'une trace dans la littérature latine de cette colonisation Lydienne de l'Etrurie; le \ Tibre, qui vient d'Etrurie, est plus d'une fois appelé Lydius Ausius. Au second livre de l'Enéide (vers 781) l'ombre de Créuse apparaît à Enée et lui dit :

..... Hesperiam venies ubi Lydius, arva Inter opima virûm, leui fuit agmine, Thybris. Un autre poète, le dévot admirateur "de la divine Enéide", Hace, appelle la rive droite du Tibre qui regarde l'Etrurie, Lydia ripa.

Depuis le commencement de ce siècle, on a retrouvé à Vulsinie, à Clusium ( auj. aujourd'hui Chiusi), l'ancienne résidence de Poisenna, un grand nombre de vases dans les nécropoles. La construction de ces vases rapelle bien, en effet, l'origine asiatique des habi- tants ; malheureusement ils ne paraissent par

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avoir connu cette sorte de publicité des Hellènes, qui à chaque fait religieux, politique, administratif, attachait une inscription, même dans la moindre des bourgades. Les vases étrusques ont bien quelques inscrptions ; leurs sarcophages offrent des épitaphes mais elles ont peu détendue. Il n'y en a pas qui ait plus de trois ou quatre lignes. Aussi malgré les efforts des savants, entre autres de Lanzi ( essai sur la langue Etrusque 3 vol. volume 1789) on connait peu cette langue qu'on lit néanmoins parfaitement. Les lettres comme chez tous les peuples de l'Italie, sous une imitation de celles de l'alphabet grec ancien, tel qu'il était avant l'archontat d' Euclide, 403 avant J.C. Jésus Christ on reconnait les noms propres et quelques radicaux, mais on ne saurait reconstruire la grammaire. On sait seulement que cette langue n'avait pas les terminaisons en us comme le latin ; quelques philologues prétendent même, qu'elle n'avait presque pas de déclinaison, ce qui est rare dans les langues anciennes. Ce qui est certain, c'est que les noms grecs qui y sont transportés perdent leur terminaison; et d'autres qui ont passé de l'Etrusque au latin, ont reçu une terminai- son en latin, mais n'en avaient pas en Etrusque. Ainsi sur un miroir magique on lit : ƎꝉYꝉ ETUT, ce qui en lisant de droite à gauche, forme TUTE. Le grec Τυδέυς,

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Tydée, père de Diomède, un des sept devant Thèbes, fonda des colonies au N. Nord de l'Adriatique, et il était, nous le savons, un des héros de la religion Etrusque.

Un nom étrusque devenu romain est ƎNIԛĦ ENIREH, Hériné, qui devient en latin Herennius, le fameux vainqueur des Fourches- Caudines.

On le voit, nous savons bien peu de chose de la langue des Etrusques, ce grand peuple aristocratique et religieux, qui disputa à Carthage la domination de la mer Méditerranée et à Rome celle de l'Italie. Nous allons maintenant nous occuper du latin, la langue du peuple-roi, que la conquête imposa au monde, et à qui l'admiration du monde emancipé garde la place que la victoire lui avait faite.

Latin.

La langue latine fut d'abord étroitement resserrée entre deux langues bien plus répanduées qu'elle, l'une essentiel- lement différente, l'Etrusque, l'autre, ayant au contraire de nombreux traits de ressemblance, avec elle, l'osque. Avec le temps le latin non seulement a absorbé ces deux langues, mais encore s'est étendu jusqu'à l'embouchure du Tage, jusqu'au mur de Septime-Sévère, à peu de distance d'Edimbourg, et sur tout le littoral de l'Afrique. D'abord il n'était parlé que dans la Vallée inférieure du Tibre. Du N. Nord et à l' O. Ouest on rencontrait l'Etrurie. De l'autre

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côté, à demi-journée de Rome, à Velitræ, (Velletri), commençait la langue Osque. Elle résista longtemps à l'action de sa puissante voisine, la langue de Rome. Déjà on parlait latin en Andalou- sie, qu'aux portes même de la ville, subsistait encore une langue indépendante et assez différente. C'est ainsi que dans cents, cent cinquante ans peut-être on parlera français sur une grande étendue de la côte africaine, et que dans notre Bretagne on parlera encore le vieux gallique, la langue de Haël et de Noménoé. Ainsi en fut-il de l'Osque et du Latin. Festus cite un fragment d'un comique, contemporain de Plaute, Vettius Titinius qui, en parlant de Terracine, dit qu'il y a aux environs de cette ville des gens qui : osce et volsce fabulantur, nam latine nesciunt. Remarquons en passant que fabulari est le vrai mot de la langue familière et non loqui. De fabulari s'est formé l'Espagnol hablar, parler, par une dérivation qui témoigne ou de la jactance castillane ou de l'esprit moqueur des étrangers, notre terme habler, hableur. L'f ordinairement se remplace ainsi par h. fabulari, hablar, fumo, humo.

Revenons à la langue Osque. Elle était à l'époque qui précéda immédiatement les grandes guerres Sammites bien plus répandue que la langue latine. nous

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l'appelons Osque, il serait plus exact de l'appeler Samnite, car elle était parlée par toute la race Sabellienne ou Samnite, comprenant les Sammites proprement dits, les Campaniens, et les Sabins. Les Sabins en effet n'étaient autre chose que des Samnites ; les deux noms ont la même racine, et les grammairiens latins disent avec raison que Samnium n'est que la contraction de Sabinium. Ce peuple qui s'étendait presque des bords du Tibre au S. Sud de l'Italie, et depuis la mer Tyrrhénienne, dans toute sa largeur, jusqu'à la mer Adriatique, parait être parvenu à un degré de civilisation très supérieure à celle de Rome, au moment de la lutte, qui s'engagea entre eux. La poésie dramatique des Atellanes passa du Samnium à Rome, et Cicéron dans son traité de Senectute, au ch. 12., parlant du Samnite C. Pontius, le père du vainqueur des Fourches-Caudines, rapporte un entretien que Pontius eut à Tarente avec Archytas et Platon revenant de Sicile, entretien plein d'une morale déliée et abstraite que n'auraient assuré- ment pas compris les Romains de cette époque.

Il nous reste beaucoup de monuments de la langue osque ; on les lit parfaitement ; c'est l'alphabet archaïque grec, mais modifié, sans ressembler cependant à l'alphabet étrusque. C'est là le vrai berceau de la langue latine: ou du moins celle-ci a avec l'osque une grande affinité.

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On en peut juger sur la Tabula Bantina, décret en Osque et en latin, ou sus un autre monument de l'époque de l'indépendance des Samnites, un traité entre Noda et Abella, gravé sur les deux côtés d'un stèle, et connu sous le nom du Cippus Abellanus, on le lit de droite à gauche. En voici une ligne.

TZͰ.ЯY>ꞱΠΠꓘ NZЯYͰƎ.ΠẎ.ꟼYΠ tsi. dul. kazakas duis ie pu dup ce qui veut dire en latin, quod apud istud sacellum est, sous cette forme osque pud up eisiud sakaraklud ist. Pud est pour quod. Qu et P avaient une tendance à se confondre. Epus était la forme ancienne de equus, et Dea Epona était la protectrice des chevaux. La forme ancienne du neutre était ud en latin; elle est restée dans illud, istud, quod. up est pour apud.

Eisind est istud. Le E latin est là pour donner de la consistance, comme en français dans Pampre, venant de Pampinus. Sakaraklud dérive du radical de sacer, sacrum ; ud est la forme du neutre. Le mot est sacellum chapelle, et non sacrarium qui signifiera l'armoire ou sont les vases sacrés.

Dans ist on reconnait facilement est. La phrase commençant par le pronom relatif, le verbe est à la fin, comme cela arrive toujours en allemand, le plus souvent en latin. Ansi il y a non seulement

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ressemblances de mots, dans le passage que nous venons d'analyser, mais encore analogie de construc- tion grammaticale.

A Monin.

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e Leçon 24 Février 1853. De l'origine, du développement et de la dissolution de la langue latine

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De l'origine, du développement et de la dissolution de la langue latine.

Ce n'est qu'à partir de la guerre sociale qu'a été défini- tivement réalisée l'unité de l'Italie et que la domination - romaine a été solidement assise dans le Péninsule. Jusqu'à cette époque l'Italie nous présente le spectacle d'un pays soumis extérieurement à une domination unique, mais divisé en une foule de petits états ayant presque tous leurs lois et leurs magistrats particuliers. Mais, à dater de ce moment, Rome impose partout des lois et remplace les chefs des villes ombriennes et samnites, appelés Meddix, par des magistrats romains, des diumvirs des quatuorvirs, ou autres. C'est aussi à cette époque que commence le plus grand développement de la langue latine, qu'elle s'étend dans toute l'Italie et prend le pas sur les idiômes particuliers.

Cependant elle était déjà bien loin de ses origines et, même dès le temps de la troisème guerre punique, les Romains les plus distingués par leur connaissances et leur éducation ne comprenaient plus, ou ne comprenaient qu'à peine les monuments de la langue parlées sous les rois. Un fait, rapporté par Polybe, le prouve d'une manière évidente. Cet historien nous dit qu'il avait vu dans le temple de Jupiter Capitolin des ttables du bronze

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dans lesquelles était gravé un traité de commerce entre Rome et Carthage (a) remontant aux premiers temps de la République, et il ajoute qu'il l'a traduit comme il l'a pu, car la différence du langage est telle que certains paysages ne peuvent être compris par les plus habiles d'entre les romains qu'avec les plus grands efforts:

" Τηλίxαύτη ʿη διαϒορʿα γέγονε τῆς διαλέxτου, xαί Παρά Ρωμαίσιϛ, τῆϛ νῦν πρὸϛ τὴν ʾαρ Χαίαν, ώστε τοὺϛ συνε- τωτάτουϛ μόλιϛ ʾεξ ʾεπιστάσεωϛ ʾΈνια διευxρινε͠ιν. (b)" Il est permis de croire que la langue latine, dans les premiers temps de la République, ressemblait au moins autant à la langue osque, dont nous avons cité quelques exemples, qu'à la langue du siècle d' Auguste, au latin de Cicéron et de Tite-Live.

Depuis la renaissance des lettres en Europe, on a beaucoup discuté sur l'origine de la langue latine. Comme on a vu, depuis qu'on s'est mis à étudier les idiômes des familles celtique, Pelasgique et Germanique, qu'un grand nombre de radicaux sont communs à ces langues et au latin, on a fait à ce sujet les hypothèses les plus

(a) Ce traité cité par Polybe nous montre, chose curieuse, Rome comme une nation déjà commerçante et maritime et traitant d'égal à égal avec Carthage.

(b) III, 22.

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étranges. Certains savants ont voulu dériver le latin directement du Celtique, d'autres des idiômes germaniques, ou même des idiômes slaves. Ce sont là autant d'erreurs: la langue latine ne vient pas plus de ces langues que ces langues ne viennent du latin. Mais le latin et ces divers idiômes sont des langues sœurs, si l'on peut ainsi parler, n'y d'une même langue, que nous n'osons pas appeler primitive, et qui devait ressembler beaucoup aux anciennes langues de l'Inde et surtout à la langue sacrée des Brahmes. C'est là un fait aujourd'hui acquis à la science, mais dont la découverte est très récente. Des savants estimables d'ailleurs, comme Cellarius, auteur d'un traité de fatis linguae latinae, qui est de la fin du 17 e siècle; comme Cluvier, comme Funccius (a) (a) Jo. Nic. Johann Nicolaus Funccius, savant du dix septième siècle, est l'auteur d'une série de traités sur la langue latine; intitulés : De origine linguæ latinæ tractatur, De pueritia linguæ latinæ, De Virili ætate linguæ latinæ, De imminente linguæ latinæ senectute, De vegeta linguæ latinæ senectute, De inertiæ decrepita linguæ latinæ senectute commentarius. l'ont entièrement ignoré, et c'est pour cela que leurs ouvrages, où ils ont cependant déployé une grande érudition, ont aujourd'hui beaucoup perdu de

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leur prix. Funccius, qui écrivait au XVII e siècle, disait, dans son traité de Origine linguæ latinæ que l'aïeule de la langue latine était inconnue, sa mère Celtique, et sa maîtresse, (c'est à dire la langue qui servit à la former), grecque: " Ego sic statuo, aviam linguae latinae esse ignotam, matrem celticam, magis- tram graecam." De ces trois assertions, la dernière seule est vraie ; mais il n'y a pas longtemps qu'on s'en est aperçu. C'est seulement vers le commencement de ce siècle, qu'un missionaire, le P. Paulin de San- Bartholomeo, ayant longtemps vécu dans l'Inde et frappé de la ressemblance des flexions du sanscrit avec celles du latin et de l'identité d'un grand nombre de radicaux de ces deux langues, eut le premier l'idée d'assigner à la langue latine une origine orientale. Son ouvrage, qui parut à Rome en 1802, sous le titre de latini sermonis origine et cum orientalibus linguis connexione, fut tout d'abord très remarqué par les savants de l'Europe et attira leur attention sur cette étude comparative des langues de l'Occident et des idiômes Indiens, qui a pris depuis lors un si grand développement.

Il est aujourd'hui hors de doute que le latin est venu du sanscrit par des intermédiaires qui ne nous sont pas connus, mais qui n'ont pas dû être très nombreux.

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Peut-être est-ce cette langue Osque, dont nous nous sommes occupés, qui a servi de transition entre les langues de l'Orient et le latin. On ne saurait prétendre en tout cas que ce soit le Grec, car certains radicaux sancrits qui ont passé dans le latin ne se retrouvent pas en grec. Ετυραγρία ? Tels sont par exemple les mots Bhrater, aghin, allava, mrta, dur, doù sont certainement dérivés les mots latins Frater, ignis, lavare, mortuus, durus, et qui n'ont pas d'analogues en Grec. On peut dire presque avec certi- tude que la moitié des mots particuliers à la langue latine et qui ne se trouvent pas en grec, viennent du sanscrit par des intermédiaires que nous ne connais- sons pas. Cela suffit pour démontrer l'origine orientale du latin.

La langue latine prit, grâce aux conquêtes des Romains un tel développement qu'elle finit par être parlée dans la plus grande partie du monde connu des anciens. Elle s'étendait, en Espagne, jusqu'à l'embouchure du Tage; dans les îles Britanniques, jusqu'auprès d'Edimbourg ; dans l'Europe centrale jusqu'au Rhin et au Danube ; et même en Afrique, jusque vers le Désert. Au II e siècle de notre Ere, à l'époque des Antonins, elle était parlée dans toutes les villes de l'Occident, dans les cités et les municipes. Toutefois la langue latine ne put jamais pénétrer dans les pays où le grec avait pris

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78 pied avant elle. C'est ainsi que plusieurs fois des colonies romaines furent envoyées à Corinthe, sans que le latin ait pu en expulser le grec: sur les médailles de ces colonies nous lisons d'abord l'exergue latine : Colonia augusta Corinthus ; mais bientôt le grec a repris le dessus et le mot de Colonia est remplacé par celui d'͗αποιxία. Le latin ne peut pas s'établir non plus en Macédoine. Mais dans les pays compris entre l'Haemus et le Danube, et qu'on appelait les deux mésies, tout parlait latin. Dans tout pays, il y a nécessairement deux sortes de langages, ce qu'on pourrait appeler la langue des classes supé-rieures, cest la langue élégante et polie, Lingua nobilis (le terme est déjà dans Plaute), lingua urbana, classica (a) (a) Aulu-Gelle dit que, par le mot de Classicus, il ne faut pas entendre les hommes de toute classe, sed primae tautum classis homines, ceux qu'il appelle aussi assiduos. Ce mot assiduus a deux significations bien distinctes, ou pltôt, sous une seule forme ce sont deux mots différents, l'un venant de assun dare, l'autre de ad sedere. - C'est ainsi qu'en Français carrière a deux sens divers, parcequ'il a une double origine quadraria, mot de basse latinité, (lien d'où l'on extrait des pierres) et carraria (lieu où l'on fait courir les chars.) ; et

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celle des classes inférieures, la langue du peuple, Lingua plebeia vulgaris, rustica. La langue latine ne peut pas échapper à cette loi. Il est vrai que les autorités romaines mettaient le plus grand soin à n'introduire dans les provinces que le langage élégant, le latin des classes élevées, et les empereurs, de leur côté, faisaient tout pour le propager. On ne pouvait arriver aux charges publiques, si l'on n'écrivait correctement le latin, et Suétone nous rapporte (vie d'Auguste, ch: 88) qu' Auguste, ayant trouvé dans un mémoire d'un magistrat assez elevé en dignité (il était légat consulaire - Legatus consularis), ixi, qui était une forme du langage populaire pour ipsi, il le destitua sur le champs : " Legato consulari successorem de dit, ent rudi et indocto, cujus manu ixi, pro ipsi scriptum animadverterat." Mais, malgré tous ces efforts pour propager la langue élégante, la langue populaire se maintint dans les couches inférieures de la société, et comme un fleuve qui, à un certain endroit de son cours se perd sous la terre pour ressortir un peu plus loin, cette langue après être restée long-temps comme inconnue et ignorée, reparut tout à coup lorsque les barbares vinrent en foule envahir l'empire Romain. Chose remarquable ! La langue latine, dans ces temps de décadence et de dissolution, se rapprocha en beaucoup de points de

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la langue des premiers siècles de Rome, c'est qu'en général c'est le propre de la languepopulaire de rester bien plus fidèle aux formes archaïques que la langue des classes polies. C'est ainsi que des manières de parler usitées dans la langue latine, puis abandonnées et dédaignées comme archaïques par les écrivains du siècle de César et d' Auguste, le conservèrent dans la langue populaire, et reparaissent au IV e ou au V e siècles de notre ère, servirent à former les langues néo-latines. Nous n'en citerons qu'un seul exemple. On sait que ce qui a disparu le plus vite, dans la langue latine; après l'arrivée des barbares, ce sont les terminaisons en us, qui ont été remplacés par O en Italien et en Espagnol. Or il est aisé de voir que, déjà dans l'an- cienne langue latine, il n'y avait rien de plus commun que la suppression de la lettre S à la fin des mots. Le grammairien Maximus Victorinus nous a conservé un vers d' Ennius où ce poète représentait un guerrier blessé:

" Tum laterali' solor certissimu ' nuntiu' mortis." Voilà un hexamètre dans lequel l' S final est retranché trois fois et qui nous met sur la voie de l'Italien. Cicéron lui-même, dans sa jeunesse, se permettait de ces sup- pressions de lettres, et dans la traduction en vers des phénomènes d' Aratus, on trouve Magni Leo

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torvu' draeo. Ces liances disparassent dans Virgile et dans Horace, mais reparaissent dans la langue Romano- rustique, d'où sont formées les langues néo-latines. (a)

De la dissolution de la langue latine sont nées cinq langues: 1° Le Français 2° l'Italien ; 3° l'Espagnol et le Portugais que nous réunis- sons pour ne pas trop multiplier les subdivisions ; 4° La langue qui se parle à l' E. Est de la Suisse et qu'on pourrait appeler le Rhétique. 5° Le Valaque, qui se parle en Moldavie et en Valachie, mélange curieux du Latin et du slave.

(a) C'est ainsi que certains mots du grec moderne, qui ne se trouvent pas dans les auteurs anciens, appartenaient probablement au grec populaire. Le mot, par exemple, qui aujourd'hui veut dire eau, est γερόν, qui ne se trouve dans aucun auteur ancien. Mais le nom des divinités de la mer, les Néréides, nous atteste que ce mot avait été certainement usité autrefois et l'était peut-être encore, au siècle de Périclès, dans la langue du peuple. Il est évidemment dérivé du mot sanscrit Nara, qui signifie Fluide.

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Nous aurons à considérer successivement ces cinq langues dans les prochaines leçons.

Diogène Bertrand

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7,, e Leçon 3 Mars 1853. Formation et caractères généraux des langues néo-latines

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Formation et Caractères généraux des langues néolatines

Parmi les langues Indo Européennes nous avons déjà passé en revu les langues Indiennes, Celtiques et Pelasgiques. Ces dernières comprennent, nous l'avons vu,

La langue Thrace, Le Grec, L'Etrusque, Le Latin.

Nous devons maintenant nous occuper des idiômes nés du latin ou langues Néo Latines. Elles sont au nombre de cinq.

1° La langue française 2° La langue italienne 3° Espagnole et portugaise 4° Rhétique 5° Valaque.

Ces langues ont entre elles de nombreuses analogies. Toutes ont des articles, et par là elles se rapprochent plus du grec que du latin.

Toutes remplacent, dans la déclinaison du sustan- tif et de l'adjectif, les flexions qui en latin désignent les différents cas, par des prépositions, de à, etc (en

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latin, de, ad.)

Toutes ou presque toutes suppléent aux terminai- sons des verbes, peu sensibles et peu distinctes les unes des autres dans la langue parlée, par des pronoms. En grec et en latin, les diverses terminaisons du verbe, ( λέγω, λέγεις, λέγες - dies, dieis, dieit) sont trop facilement appréciables pourqu'il soit encore nécessaire de marquer la personne et le nombre par un mot spécial; cela devient nécessaire dans les langues néo-latines.

Enfin elles forment beaucoup de temps, non seule- ment avec le verbe auxiliaire être, qui se trouve employé d'une manière analogue en latin, mais encore avec le verbe auxiliaire avoir. Ce genre de formation n'est pas en usage dans les deux langues Classiques on n'en peut citer que des exemples très rares.

D'abord pour le Grec.

Voici deux textes où l'emploi du verbe ʾέχω comme auxiliaire peut être contesté Ούϗ ʾέραμοα μέγαν πλον͂τον ϗαταxρύψαϛ ʾέχειν

( Pindare, nem. I. V. 45)

Ζούς δὲ ʾο’cλλονς πάντας ν͑π’ (1) ε͑ωϋτϖ ε͠ιχε ϗαταστρε ψαμένοϛ ο͑ Κρο͠ισζ

( Hérodote I 28.)

(1) Il faut remarquer qu'en Jonien, l'esprit rude ne change pas en y le π qui le précède.

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En voici d'autres où la contestation n'ont pas possi- ble. Dans Platon on trouve souvent des phrases comme ϑαυμάσαϛ ͗έχω, ou réellement ͗ έχω est un verbe auxiliaire, et, joint à un participe, équivaut à un parfait, τεϑαύμαϗα.

Voici enfin un exemple qui ne laissera pas de doute.

..... τούς δὲ πρόσϑεν ευ͗σεβαλο͠υς ͗έχεις ϗα͗ξ εύσεβϖν βλάστοντας ε͗ϗβαλο͠υς έ͗χεις ( Sophocle, El. v. 589 Ed. Tanchnitz.)

En latin les exemples sont nombreux. Nous ne parlons pas des locutions vulgaires, habeo cognitum, persuasum habeo, où l'on peut dire qu' habeo signifie je possède.

On trouve dans Cicéron: Jussit ut ante Calendas sextiles (Août) omnes decumas ad aquam deportatas haberent. (in Verr. III)

Quae cumita sint, satis hoc tempore dictum (de Caesare) habeo (Philippo. V. 18)

On pourrait multiplier les citations, si celles-ci n'étaient pas concluantes.

Il y avait donc déjà dans le latin quelques germes des transformations que cette langue devait subir pour donner naissance aux langues néo latines. Cette transformation commence au V e siècle, avec

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l'invasion des barbares. Ils brisent partout les constructions savantes du latin, et remplacent les flexions des verbes par des particules et des verbes auxiliaires. Le latin redevient aussi barbare qu'à l'époque de sa naissance, et l'on peut lui appliquer ce proverbe grec: δὶς πα͠ιδες οι͑ γέρονιες. Il y a toutefois cette différence qu'aux VI e, VII e et VIII e siècles, l'écriture était beaucoup plus répandue qu'aux premiers temps de la République romaine. De plus, à côté de cette langue barbaro latine, de ce langage Romano-rustique, le latin correct était conservé par la religion, et empêchait l'autre de se dégrader tout à fait.

Les mouvements de cette époque, assez rares pour la langue française, le sont moins en Italie où l'on écrivait davantage pour le peuple; les monuments épars de la langue italienne du moyen- âge ont été recueillis par Muratori, dans des antiquita- tes Italicae medii aeri. Le Tome II de cet ouvrage contient une longue dissertation De origine linguae latinae. C'est la source la plus précieuse de docu- ments pour cette partie de l'histoire des langues.

A Rome, le service religieux se faisait en latin. Mais vers l'an 680, on compasa pour le peuple des prières dans un dialecte qui tient le milieu entre le

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latin et l'italien. Ainsi un de ces prières, qui est pour le pape, commence par ces mots :

Redemptor mundi, tu lo adjuva. Lo est une corruption de illum et répond à le en français.

Dans la formation des langues néo latines, lorsque les cas ont été remplacés par des prépositions, c'est le génitif qui a résisté le plus longtemps. Jusqu'au XIV e siècle on ne mit pas de préposition entre le nom et le génitif; on disait la maison-roi, pour signifier la maison du Roi. Encore de nos jours on dit la fête-Dieu, l'Hôtel Dieu ( hospitale Dei.)

C'est ainsi que dans le grec vulgaire, tandis que le datif disparaissait et qu'on dirait ει͗ς τὸν ͗άνϑρωπον, comme les latins ont dit ad illum hominem (d'où est venu à l'homme), le génitif était conservé.

Un autre caractère distingue encore les langues néo- latines de celle qui les a formées. Elles ont moins d'inver- sions. Les latins avaient l'avantage, en plaçant à la tête de la phrase le mot important, d'attirer l'attention sur ce mot et de produire l'effet qu'ils voulaient. Le mot qui est placé le premier, celui qu'ils appellent Vocem pragnantem, est signalé par sa place même et fait pressentir tout de suite l'intention de la phrase. C'est ce que les grammairiens latins font bien remar- quer, lorsqu'ils analysent ce mot de Mucins Scévola

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rapporté par Tite-Live.

Civis sum romanus.

Les mots ainsi placés appellent l'attention sur la qualité du citoyen. S'il y avait Romanus sum civis, c'est la nationalité de celui qui parle qui serait en relief. Enfin s'il y avait sum civis, il semble que ce serait insister sur la personnalité; c'est moi qui suis, [signe]

Les langues néo latines ou romanes ont donc perdu de ce côté. Elles ont gagné sous un autre rapport. En général elles sont plus claires (et ceci doit être dit surtout du français) que leur langue-mère.

En second lieu, comme elles ont toujours été employées concurremment avec le latin, comme elles en ont continuellement subi le contact, elles se sont enrichies des emprunts qu'elles lui ont pu faire. Le Français, par exemple, entre les mots nombreux qu'il a pris au latin à l'époque de sa formation, et à l'aide desquels il s'est constitué, a puisé de nouveau à la même source, dans un temps postérieur. Delà vient qu'il y a une foule de mots latins, surtout d'adjectifs, qu'on retrouve en français sous deux formes différentes. A l'origine, ils sont entrés dans la langue par importation populaire, et par trans- mission orale. Plus tard, particulièrement au XV e

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et XVI e siècle, on a senti le besoin de former des mots nouveaux et l'on a repris directement au latin le radical qu'on possédait déjà sous une forme altérée. Les mots empruntés les premiers et aussi anciens que la langue sont plus défigurés; les mots d'importation relativement récente sont formés d'une façon plus scientifique, ils ressemblent plus aux mots dont ils sont sortis ; ils ont aussi généralement une significa- tion plus particulièrement morale et abstraite.

Voici quelques exemples :

Fragilis est devenu frêle dans le premier âge de la langue française; il a formé fragile à une époque postérieure. Aussi voyons nous que fragile s'emploie plus souvent au moral que frêle, une vertu fragile, un système fragile, etc.

Rigidus a produit raide qui se dit souvent des objets matériels, et rigide qu'on applique plutôt aux choses abstraites, une vertu rigide, etc.

Strictus a fait d'abord étroit , (estroict) (1), puis strict e; on dira un canal étroit, une obligation stricte. Status

(1) Quand un mot latin commençait par S suivi d'une consonne on plaçait presque toujours un e devant cette lettre double, par une erreur facile de prononciation. Ainsi Status a formé Etat ; spiritus, esprit : species , espèce ; [signe] etcetera

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a donné naissance à Etat (estat), et depuis à statistique.

On pourrait multiplier ces exemples, et en prendre d'analogues dans les quatre autres langues de la même famille; car les observations que nous venons de faire s'appliquent aux cinq langues néo latines.

On conçoit que, celle facuilté de créer ainsi des mots soit pour elles une grande richesse. C'est un moyen - dont elles se sont fréquemment servies pour augmenter leur vocabulaire. C'est un avantage qu'il faut bien. ( considérer quand on les compare à la langue qui leur a donné naissance.

A. Blanchet

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8 e Leçon 10 Mars 1853. De la langue française formation du verbe aller

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De la langue Française. Formation du verbe Aller.

Après avoir parlé de la langue latine nous avons dû nous occuper des langues qui sont sorties de la décomposition et qu'on a appelées néo-latines.

Nous avons indiqué les caractères communs de tous ces idiômes dans la leçon précédente. Nous allons maintenant exposer les origines de la langue française. Nous passerons ensuite à l'Espagnol, à l'Italien, au Rhétique et au Valaque.

On peut dire que la langue française existait au IX e siècle, au moins quant à ce qui concerne les éléments de sa syntaxe. Son vocabulaire, il est vrai, était incomplet ; mais dans les langues, la syntaxe est la partie la plus importante ; les mots ne sont en quelque sorte que les matériaux du langage.

C'est une étude intéressante que celle des origines d'une langue ; mais c'est aussi une étude diffi- cile. Car les idiômes qui ont formé celui qu'on étudie sont souvent inconnus. Par exemple nous ne connai- ssons qu'imparfaitement l'Osque qui a fourni un grand nombre de mots à la langue d'où le grec est sorti.

Le Français a sous ce rapport un très grand avantage sur le grec et sur le latin. Car nous

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connaissons les langues d'où il dérive. Nous connaissons le latin auquel il doit la plus grande partie de ses mots. Nous connaissons aussi quoique d'une manière bien inférieure la langue des Francs. Il nous reste des monuments de la langue gothique qui avait beaucoup d'affinité avec l'idiôme des francs. Le Celtique enfin qui a contribué à sa forma- tion, sans lui avoir cependant fourni autant d'élément, que quelques uns le prétendent, est aussi connu.

Mais ce qui jette surtout beaucoup de lumière sur les origines de notre langue, c'est la comparaison que nous pouvons établir avec le grec et le latin. Les verbes irréguliers grecs nous éclairent sur la formation des verbes irréguliers latins, et les uns et les autres sur celle des verbes irréguliers français.

Quand on étudie les langues, on voit qu'elles se forment toutes de la même manière. Les mêmes circonstances étant données, les mêmes phénomenes reparaissent. Mais parmi les procédées qu'on rencontre, il n'y en a pas de plus général ni de plus uniforme que celui qu'on peut appeler, élimination.

Lorsque les langues se trouvent dans un état complet de désorganisation, qu'il n'y a plus ni écrivains consacrés, ni sociétés littéraires pour

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veiller au maintien du langage, alors l'imagination et le caprice des peuples créent des mots nouveaux. Il arrive souvent que deux mots de signification analogue coexistent pendant un certain temps dans la langue. Si ces deux mots ont ou peuvent recevoir des nuances différentes, ils restent : Ainsi danger et péril sub- sistent ensemble. Quoiqu'ils se rapprochent beau- coup l'un de l'autre pour le sens, il y a cependant entre eux cette différence que péril appartient à la langue poétique et danger à la langue de tous les jours. Lorsque ces deux mots sont identiques, la langue, dès qu'elle commence à se fixer, en expulse un.

Mais les mots qui sont exclus d'une langue s'en vont rarement tout entiers : ils laissent quelques traces.

Il existait dans la langue grecque avant qu'elle fut écrite trois verbes qui paraissent synonymes : C'était :

φέρω Ὀίω Ένέγxω

φέρω est resté comme présent : Ὀίω et ένέγxω ont été expulsés. Mais ο̕ίω a laissé une trace de son existence, le futur ο̕ίσω.

La veille Euryclée dans le 20 e livre de

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L'Odyssée dit :

ο͗ίσετε Θ͠ασσον ̓ισΰσαι. Ένέγxω alaissé une forme d'aoriste ͗ήνεγxον Ainsi le verbe φέφω en grec est formé des débris de deux autres verbes.

Prenons un autre exemple. Έλέυθω et selon quelques grammairiens ͗έλθω ont existé conjointement avec ͗έρχομαι. Έλέυθω a disparu, mais il a laissé le futur έλεύσομω ; ͗έλθω aussi n'existe plus dans la langue écrite, mais on le retrouve dans l'aoriste ͗͠ηλθον.

Le latin nous présente les mêmes faits. Au temps de la guerre des Samnites, lorsqu'on a commencé à écrire, il y avait dans la langue 3 verbes synonymes par leur sens. Un synonyme parfait est un mot super- flu et un mot superflu ne tarde pas à tomber en désuétude.

Les trois verbes en question étaient Fero Tulo Tlao

Fero est resté ; tulo qui vient du même radical tollo est expulsé, mais il a laissé son parfait tetuli dont la première syllabe est tombée avec le temps.

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tetuli est le parfait régulier. Il est employé par Plaute chez le quel on ne trouve tuli que dans les composés. On le trouve aussi chez Térence dans l' Andrienne, IV, 5, 13 ;

Si huc scissem, nunquam huc tetulis sunpedem. à partir de Térence cette forme disparait : la seule forme usitée est tuli.

Reste tlao qui ne se trouve nulle part, pas même dans les vieux poètes latins.

Mais le verbe correspondant existe en grec. Il est vrai que τλάω a un sens moral plutôt que physique et qu'il signifie supporter et non porter : τλάτω Θνάσxειν mais τλάω du signifier primitivement, je porte.

Il est probable que ce verbe a existé en latin. On a dit : tlao, tlare, tlatum. le t s'est perdu comme cela est arrivé à beaucoup d'autres mots : litis s'écrivait d'abord slitis. Il n'est resté que latum qui est devenu le participe de fero.

Faisons l'application de ceci à quelques verbes français qui se sont aussi formés par ce procédé d'élimination. La langue latine a cinq verbes pour dire marcher. Eo, ire terme général

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Vado qui signifie marcher courageusement. Cicéron ( Tux. liv. 1 ch.97) raconte que celui qui avait précédé Socrate dans la prison où on le mit avait été condamné à mort. Mais, ajoute-t-il, ce triste présage n'émut pas Socrate : il s'avance courageusement vers la même prison et vers la même coupe.

Vadit in eumdem carcerem atque in eumdem scyphum Socrates.

Tite-Live racontant le Siège de Rome par Porsenna rapporte un trait qui reste dans toutes les mémoires. Les Etrusques avaient poussé jusqu'aux portes de la ville. Horatius Coclès pour favoriser la retraite des Romains s'était jeté au devant d'un pont où il soutint seul pendant quelque temps l'effort des ennemis. Tite-Live dit en parlant de cet acte de courage: Vadit im primum aditum pontis.

Ambulare qui à la signification d'aller et venir. S'il fallait lui trouver un synonyme ce serait le verbe commeare

Dans Plaute, quand quelqu'un prend congé, on lui dit: bene ambula.

Dans l'ouvrage de Caton intitulé de re rustica Caton dit qu'il est bon que la maison de campagne

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soit près d'une grande route pour faciliter le trans- port des produits, et près d'une rivière sur laquelle, dit-il, les barques montent ou descendent : amnis qua naves ambulant.

Dans le Digeste, Ulpien dit en définissant la voie publique. Le voie publique, c'est le droit d'aller et de venir et de circuler. Via est jus eundi et ambulandi.

Gradior complète le verbe vado Peut-être le mot vado n'était-il pas assez sonore. En tous cas on le trouve rarement empoyé à certains temps. Ainsi le futur Vadam et le participe Vadens ne se recontrent pas dans les auteurs de la bonne latinité. On les remplace par gradiar et gradiens.

Dans les Tusculames (liv. 1 ch. 110) Cicéron dit: quand on a devant les yeux l'exemple de nos vaillants ancêtres, on marche courageusement à la mort.

- Fidenti animo, si ita res feret, gradietur ad mortem. Vaded n'est guère employé par les auteurs au siècle d' Auguste.

Incedo veut dire marcher avec une dignité ou vraie, unaffectée.

Immédiatement après la chute des Tarquins, aruns, un des fils de Tarquin, et Brutus, l'un et l'autre

Ecole normale supérieure Estampille de la bibiothèque

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à la tête d'un corps de cavalerie se rencontrèrent sur le champ de bataille. A la vue de son ennemi, Aruns dans Tite-Live s'écrie: le voilà celui qui, superbe et fier, s'avance revêtu de nos insignes.

Enille qui nostris decoratus insignibus magnifice incedit.

Dans le livre intitulé quætiones naturales (liv. 7. ch. 8) Sénèque se plaint de la marche effeminée des Romains de son temps. Il dit :

non ambulamus, sed incedinus.

C'est surtout dans ces antithèses et ces oppositions de mots qu'on s'aperçoit que des termes qu'on aurait cru synonymes, ont des nuances différentes.

Par exemple σιγα̃ν et σιωπα̃ν ne sont pas syno- nymes comme on le pense généralement.

( σιωπα̃ν veut dire cesser de parler σιγα̃ν, continuer de garder le silence. Sileo répond à σιγάω, taceo à σιωπάω.

Dans le prologue du Fenulus au 3 e vers Plaute dit aux spectateurs : Silete et tacete atque animum advortite aux jeux olympiques le héraut criait σίγα σιώπα Revenons à eo, vado, ambulo. Nous laissons de coté gradior et incedo dont nous n'avons parlé que pour compléter la liste des verbes qui signifient marche

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en latin.

Ces trois verbes sont donc restés dans la langue latine parce qu'ils ne sont pas synonymes. C'est par la même raison que marcher et aller existent simultanément en français.

Au VI e siècle de notre ère la langue était barbabre et ceux qui écrivaient confondaient toutes les nuances des mots. Ces trois verbes étaient devenus synonymes: on les employait indifféremment l'un pour l'autre. Lorsque la langue française se forma, le même systè- me d'élimination eut lieu à l'égard de ces trois verbes.

Le verbe aller est formé des débris de plusieurs verbes.

Dans je vais, tu vas, il va nous reconnaissons le radical du verbe vadere, dans nous allons, allez le radical de ambulo. Cependant les opinions sont partégées ici. Quelques linguistes trouvant dans les langues germaniques les verbes wantar, wallar qui signifient aller ont pré- tendu que ce dernier verbe était dérivé. Ils suppo- sent que le w qui avait peut-être un son analogue au w anglais est tombé avec le temps.

Mais il est plus probable que aller vient de ambulo. Par la supression de l' u on aura d'abord dit ambler, puis le b s'étant peu à peu effacé dans la prononciation, l'm se sera transformés en l à cause

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du voisinage de l'autre l.

C'est ainsi que andare en Italien vient aussi de ambulare. Le même verbe a subi des modifications diffé- rentes.

Ce qui donne quelque poids à ces conjectures, c'est l'usage fréquent dans les écrits du moyen-âge du verbe ambulare dans le sens d'aller.

Dans la vie de St Césaire on le trouve avec cette signification. On y lit cette phrase : il obtint que cet homme de bien allât à la ville.

Effecit ut homo dei ad civitatem ambularet. avec la 3 e personne du pluriel, vont, on voit reparaître le verbe vado : vadunt.

Notre verbe est plus irrégulier que les verbes grecs. Le grec se contente d'entreméler les temps de divers verbes ; le français entremêle les personnes : de de ambulatis il passe à vadunt.

Au futur apparait le verbe ire dans j' irai. Le verbe français aller est donc composé de trois verbes latins, absolument comme le verbe qui signifie porter en grec composé de 3 verbes grecs.

Sous ce rapport la comparaison des 3 langues est très utile. Elle sert à expliquer leurs origines et à rendre raison de phénomènes dont, sans ce secours, on aurait de la peine à dire la cause.

Edouard Bertrand.

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9 e= Leçon 17 Mars 1853 Du verbe substantif en grec et en latin

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Du verbe substantif en grec et en latin.

Nous avons vu que certains verbes irréguliers se forment des débris de plusieurs verbes qui avaient jadis tous leurs temps et qui en ont perdu depuis une partie. Mais il en est d'autres qui empruntent les temps qui leur manquent, sans que les verbes aux quels ils font ces emprunts aient pour cela disparu de la langue.

Le verbe qui dans chaque langue répond à l'idée d' Etre est presque toujours irrégulier. Cette irrégularité vient probablement de la confusion qui régnait à l'origine des verbes. Le langage n'était alors soumis à aucune règle, si ce n'est à celles d'une logique en quelque sorte instinctive. On avait recours pour exprimer sa pensée à toutes les formes qui se présentaient. Or de tous les verbes, il n'en est pas de plus indispensable que le verbe être. Pour exprimer cette pensée, le vulgaire dut donc employer des formes hétérogènes et en grand nombre. De là les irrégularités qui ont subsisté dans la conjugaison de ce verbe, même après que la gram- maire eût définitivement fixé la langue.

Cet emploi fréquent du verbe être a été cause que les grammairiens grecs l'ont considéré comme formant la transition entre le verbe et le substantif. Ils l'appelaient ν͑παρxτxόν ρ͑η̃μα, dénomination que les

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latins ont traduite assez exactement cette fois (1) par substantivum verbum et nons par verbe substantif.

Le verbe substantif est composé d'une manière très singulière dans les trois langues. Le verbe Εʾιμί par une exception presque unique dans le système de la conjugaison grecque, manque d'aoriste, et n'a pas d'autres temps que le présent, l'imparfait et le futur. Les Grecs suppléent à cette absence d'aoriste, gênan dans le verbe substantif, de plusieurs manières, entre autres par l'aoriste de γίνομαι, έγενόμην.. Par exemple on lit dans la Cyropédie de Xénophon, Liv 1. ch. 6. ̕ Επειδή δεˋ̛έξω Ιης ο͗ιxίας Έγένοντο, λέγονται ʾαστρα παὶ xαὶ Βρονταὶ αʾντϖ αʾὶσιοι (2) γενέσθαι. Dans cette phrase les mots Έγένοντο et γενέσθαι remplacent l'indicatif aoriste et le participa aoriste qui manquent

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(1) Ils ne sont pas toujours exacts; par exemple c'est à tort qu'ils ont traduit αʾιτιατιxὴ πτϖσις par casusaccusativus. Il aurait fallu dire causativus casus.

(2) Remarquons que les écrivains attiques préfèrent souvent au féminin des adjectifs la terminaison en os à la terminaison en a. La désinence os est même la seule pour les adjectifs commençant par a privatif, sauf de rares exceptions, comme ʾαθάνατος. A la longue la désinence a s'est substitué dans beaucoup d'adjectifs qui d'abord avaient le féminin en os. Polybe aurait pu dire αίσία.

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au verbe substantif.

Le verbe sum en latin offre de nombreuses bizarreries; mais ces bizarreries sont plus apparentes que réelles. - Varron nous apprend qu'on disait ancienne- ment Esum à la première personne ( de lingua latina Liv. IX, C 100, Ed. Egger) olim dicebatur Esum es in omnibus personis constabat) On disait sans doute aussi esumus et esunt, et alors, comme Varron le fait remarquer, tout le présent était presque régulier. De plus, et c'est encore Varron qui le fait remarquer, le présent était en analogie avec l'imparfait esam, au lieu d' eram et avec le futur.

En effet, dans beaucoup de mots où l' r s'est plus tard introduite, l'ancienne langue latine avait un s. Jusque vers le temps de la 1e guerre punique on disait Asa, Lases, Valesins, au lieu de Ara, Lares, Valerins. Il parait que le Consul Papirius Cursor fut le premier qui remplaca l' s par l' r, sinon dans l'écriture, au moins dans la prononciation. - L' s ancienne s'est même maintenue dans quelques mots à côté de la forme moderne, par exemple dans arbos, bonos, quaeso (qui malgré la différence de sens se confondait certainement dans l'origine avec quaero).. On disait donc primitivement esam au lieu de eram. Le futur ero nous fait remonter par

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la même voie à la forme primitive eso qui rap- pelle le futur grec ͗έσομαι, esum rappelle έσμί, forme primitive d' έμμί, employé par Théocrite, et à laquelle se rattache la première personne au pluriel έσμέν. (1)

Le parfait fui parait dériver d'une origine différente. Il vient probablement du radical d'où est sorti le verbe grec ϕύω, ͗έϕυν.

Le verbe substantif latin est donc plus riche que le verbe grec correspondant, puisque outre un présent, un imparfait et un futur, il a encore un parfait. Mais il n'a pas plus que le verbe έμμί, un participe passé. Les latins ont senti comme les Grecs la nécessité de combler cette lacune. Ils ont employé quelque fois pour cet usage le participe passé du verbe nasci, natus ou gnatus. Dans Tite-Live par exemple (Liv. IX, C. 2) on lit Itanatus locus est dans le sens de

(1) Cette substitution de l' r à l' s montre combien il est difficile de se faire à distance une idée de la valeur des sous et des analo- gies qu'ils ont entre eux : ce qui est d'ailleurs est prouvé par un grand nombre d'exemples. Quel rapport y a t-il pour nous entre le p. et le ch? Cependant Clippiacum est devenu Clichy, arripio ( arrapio) a fourni arracher.

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Is fuit locus. Peut être même le fameux vers qu'on a tant reproché à Cicéron.

O fortunatam natam me consule Romam ! est il moins ridicule qu'il ne le semble au premier abord. (1) On peut croire, il est vrai, que ce mot natam fait allusion au titre de Père de la patrie qu'avait reçu Cicéron - Mais on peut le considérer aussi comme employé dans le sens grec γεϒομένην, comme partici- pe passé du verbe substantif. - Cette innovation ne

(1) D'abord il est injuste reprocher à Cicéron l'assonance Fortunatam natam. Quintilien la blame, il est vrai (TX, 41). Mais lui même cite tout à coté un passage en prose du même Ciceron: " Resmichi invisae visae sunt, Brute." Et il est certain que dans les usages de l'ancienne poésie romaine, les assonances de ce genre étaient presque recherchées comme des beautés. On connait le fameux vers

O Tite, tute, Tati, tibi tonta, tyranne, tulisti.

Cicéron recherchait particulièrement les archaïmes dans ses vers.... Dans sa prose même, indépendamment de l'exemple cité par Quintilien, on pourrait relever un grand nombre d'assonances, qui certainement ne lui avaient pas échappé; par exemple: Mendacem memorem esse aportet; Misi me meae memoriae sensus fallit.

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serait pas d'ailleurs la seule que Cicéron aurait voulu introduire dans la langue latine. S'il se conforme partout dans ses constructions, aux règles d'une syntaxe sévère, il ne craint pas de forger un mot à l'occasion ; tout en ayant soin d'en demander la permission au lecteur. C'est ainsi par exemple qu'il a hasardé le mot mundanus comme traduction latine du Grec ϰοσμοπολίτηϛ. Ce mot n'est pas resté dans la langue du moins dans ce sens. D'autres fois Cicéron a été plus heureux dans ses innovations. Quoiqu'il en soit, il est possible que dans le vers fameux tout reproché à sa vanité, le mot natam ait un sens plus modeste que celui qu'on y croit voir généralement, et ne fasse que tenir lieu d'un participe passé du verbe Sum. Alors Cicéron aurait simplement voulu dire: Rome ayant été heureuse.

Telle est en grec et en latin, la conjugaison du verbe substantif. Dans la prochaine leçon nous nous occuperons du verbe qui correspond en français au grec ει͗μί et au latin sum.

Tournier

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10 e Leçon 7 avril 1853. Formation du verbe être dans la langue française Les serments de Strasbourg, en 842

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Famille des langues Indo-Germaniques Langues Pélasgiques Suite des langues Néo-latines Suite de la formation de la langue française dans la transition du latin à la langue Romane

Formation du verbe être en français : Nous avons vu dans la dernière leçon comment s'est formé le verbe substantif en grec et en latin. Recherchons aujourd'hui la composition du verbe être en français.

Les temps du verbe être de formation en grande partie du verbe stare. Tel est l'infinitif qui s'écrivait il n'y a pas longtemps encore estre, et dans lequel l'E initial représente l'aspiration latine, comme dans Espée Escole pour Spatha et Schola. A l'imparfait du verbe être, la forme dérivée de esse et la forme venant de stare ont lutté pendant longtemps ; aussi jus- qu'au XIV e siècle on disait encore ; j'ers; tu ers, il ert; nous ermes; on reconnait les formes eram; eras; Erat; eramus; mais l'imparfait tiré de stabam et qui devait rester dans la langue, était aussi employé. Les chartes et les chroniques latines portent stabat dans le sens de

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erat. Telle est cette phrase : Stabat male cum illo : ayant tout à fait la valeur de l'expression française, il était mal avec lui. Enfin au XVIII e siècle on écrivait encore j' estais, contraction évidente de Stabam.

Ces deux verbes Stare, et esse présentent entre eux une sorte de connexion dont toutes les langues néo- latines nous offrent des exemples. Ainsi j' ai été où le mot été est le latin Status, se dit en italien sono stato. De même le grec moderne a suivi la tendance des langues néo-latines, Ει͗μαι n'a pas con- η͗͠ν est l'imparfait. servé l'aoriste ancien ε͗γευόμην. Il emprunte ses temps passés au verbe Ί͑σταμαι qui a le même sens que Stare. Ainsi j e fus ou j' ai été se dit ͑Εστάθην; ayant été σταθείϛ.

Formation de la langue française Le plus ancien monument qui existe de la langue française ou Romane est le serment de Strasbourg en Serments de Strasbourg. 842 842. Les deux fils de Louis le débonnaire, Charles le Chauve et Louis le Germanique, s'étaient réunis contre Lothaire, leur frère ainé. Ils se jurèrent alliance à Strasbourg en présence de leurs armées. Charles le Chauve parla en langue germanique pour être entendu des guerriers d'outre-Rhin ; Louis le Germanique employa la langue romane que parlaient les soldats de Charles le chauve. Ce double serment

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Nous a été conservé par Nithard, qui écrivit son histoire d'après l'ordre du roi de France :" Voici le serment prononcé par Louis le Germanique en langue romane.

Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, dist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvaroir 10 cist meon fradre Karlo, et in adjuda et in cadhuna cosa, si cum on per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi altrezi fazet ; et ab Lucher nul plaid mumquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karl, in damno sit ( nithard ap. scrip. rer. Franc. VII p. 27.)

Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre commun salut, de ce jour en avant, en tant que Dieu me donnera de savoir et de pouvoir, je soutiendrai mon frère Karle ici présent, par aide et toute chose, comme il est juste qu'on soutienne son frère, tant qu'il fera de même pour moi. Et jamais avec Lother je ne ferai aucun accord qui de ma volonté soit au détriment de mon frère.

Il n'est presque pas un mot dans ce serment dont la linguistique et la grammaire comparée puissent tirer de curieuses observations. Prenons pour exemple la première phrase :

Pro conserve encore la forme latine; mais il a déjà

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le sens de pour, et non plus celui de à la place de

Deo est au génitif ; la terminaison est la même pour les autres cas obliques. Le nominatif seul que l'on rencontre plus loin, est Deus. Cette distinction entre le nominatif et les autres cas se conserva long- temps. Ainsi l'on dirait plus tard au nominatif Diex le volt ou x remplaçait s de Deus ; et les autres cas étaient Dié. Aujourd'hui encore il est resté dans la langue quelques faibles traces de ce génitif formé sans de : comme Hôtel - Dieu ; fête-Dieu qui viennent de Hospitale Dei ; Festa Dei.

Quant à Amur, nous voyons que ce mot a entièrement perdu la flexion latine ; mais nous ne saurions dire d'une manière certaine si U dans Amur avait le son de U simple ou celui de OU. Il serait possible que cette lettre eût ce dernier son comme en latin, en Italien, en Espagnol et que plus tard, quand elle n'eut plus le son U simple, on eût ajouté o dans amour, pour faire le son que nous prononçons aujourd'hui.

Et s'est conservé sans altération Christian a perdu toute flexion, bien que le substantif au quel il se rapporte, poblo, soit au génitif. L'adjectif a déjà perdu ses cas. Dans la langue française perfectionnée, il ne prendra que

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le genre et le nombre du subtantif.

Poblo, comme Deo, est au génitif : il est régi par le subtantif salvament qui suit. de plus le B consonne douce a remplacé la forte P de Populus ; on y reconnait l'origine de l'Espagnol Pueblo commun - nous ferons pour ce mot les mêmes observations que pour Christian salvament. On reconnait déjà la formation de ces mots en ment, si nombreux dans le français moderne ; salvament a fait sauvement comme salvare a fait sauver ; mais sauvement n'est plus employé après le XIV siècle.

D' ist pour de ce - De est la préposition latine. On voit déja l'usage de l'apostrophe.

Ist est le pronom latin iste abrégé. Il existe en latin trois pronoms démonstratifs; hic, iste ; ille, chacun avec une nuance différente. Les grammairiens latins disent expressément que hic est le pronom démonstratif de la 1e personne ; iste de la seconde; ille de la troisième ; et cette distinction est observée par les bons auteurs. Plaute dit souvent hic homo comme synonyme de ego. On trouve dans Térence (adelphes V, 8.) au milieu des reproches que fait Demeu à Eschine : qui te plus amat quam hosce oculos : hosce pour dire meos : et bientôt après :

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vin' tu huic semi oscultare? où huic est synonyme de mihi. Enfin nous voyons dans Virgile Enée s'exprimer en ces termes :

Si Pergama dextra Defendi possent, etiam hac defensa fuissent.

Istel est proprement le pronom de la 2 e personne. Ainsi l'on trouve fréquemment o Isti pour o vos: Cicéron parlant aux juges de Roscius d'Amérie leur parle ainsi: homines sapientia atque ista auctoritate praeditos qua vos estis. Et dans une lettre à Atticus, lettre qu'il écrit Cilicie à son ami qui est à Rome, il nous fait parfaitement connaître la différence de hic et de istic : Intelligo te istic (là ou tu es, à Rome) mihi prodesse; hic (là ou je suis, à Tarse) nullo modo me levare posse.

Enfin ille est le pronom de la troisième personne. Mais dans les siècles de décadence de la langue latine cette distinction des pronoms s'effaça : Et en 842 iste seul était resté : hic avait entièrement disparu : Ille qui ne subsistait plus comme pronom, était devenu un article, que les langues néo-latines se partagèrent. il ou el passa dans l'Italien et l'Espagnol. le fut emprunté par la langue française.

Di vient de dies dont il est abréviation. Mais ce mot trop exigu fut remplacé par le mot

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jour, venant de diurnum ; giorno en italien ; jour journal, journalier en Français.

En avant. On ne saurait assurer que en soit la forme usitée en 842. Il n'existe de Nithard qu'un seul exemplaire manuscrit, appartenant à la Bibliothèque du Vatican et qui date du XI e ou XII e siècle ; et le mot en est écrit à cette place In ; le copiste français entraîné par l'habitude ou l'on était de son temps de prononcer en, aura écrit d'abord en. Puis s'apercevant de son erreur il aura fait lui même la correction In. Il est probable que l' on disait in avant en 842.

Le mot avant est déjà formé tel qu'il est aujour- d'hui. Avant est formé de deux mots latins ab ante Quand les langues se décomposent, le besoin d'être clair fait que l'on réunit plusieurs mots, adjectifs, prépositions, pour en former un seul. Tel est le mot français aujourd'hui, débris de cinq mots : ad illud diurnum de hodie. De même dans la basse latinité on a dit ab ante. Si on l'écrivait dès 842 par un V, avant, c'est qu'à partir du IV e siècle le B latin se pronon- cait V. On le voit par les inscriptions. Ainsi dès le III e siècle, les ouvriers qui se laissaient guider unique- ment par l'oreille mettaient souvent sur la pierre VASIS pour BASIS, DEVITUM SOLBIT pour

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DEBITUM SOLVIT. BIBUS SIVI FECIT pour VIVUS SIBI FECIT etc. Cette confusion du son de ces deux lettres était si générale que l'on avait senti le besoin de traités d'orthographe où il fût ensei- gné dans quelles occasions il fallait écrire V ou B. Ainsi Priscien citant le vers de Virgile : arma virum que cano dit qu'il faut écrire VIRUM par un V : et que la même règle s'applique à tous les mots commençant par VI " exceptis, dit-il, bitumine, bili (quando fel significat et iis quae ab adverbo BIS componuntur, velut BICEPS BIVIVM. Cassiodore, ministre de Théodoric au VI siècle dans son ouvrage de Orthographia nous a conservé le souvenir d'un traité élémentaire d' Adamanius Martyrius où l'on enseignait quand il fallait écrire B ou V: il dit entre autres remarques que VACCA s'écrit par un V quand il signifie le quadrupède à qui l'on a donné ce nom : BACCA, quand il est pris pour le nom d'un fruit.

Ces exemples prouvent qu'au VIe siècle, les deux sons B et V étaient identiques en latin; il n'est donc pas surprenant que les mots latins AB ANTE aient formé en français AVANT, en espagnol AVANTE et AVANTI en italien.

Périgot.

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11 e Leçon 14 avril 1853 De la langue italienne

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De la langue italienne de ses rapports avec le latin et avec le français.

Il est remarquable que la langue d'une seule ville, de Rome, imposée d'abord à la péninsule tout entière, se soit ensuite répandue et ait dominé depuis le Pont-Euxin jusqu'au détroit de Gadès, depuis le mur d' Antonin dans la grande Bretagne, jusqu'à la limite des déserts de l'Afrique. Jamais langue n'a eu un plus beau destin. Mais elle a dû suivre la fortune de l'empire romain, et lui a à peine survécu. Et il est remarquable qu'elle n'ait pas duré plus longtemps dans l'Italie que dans les plus lointaines provinces.

Qu'une langue s'éteigne et meure, nous ne devons pas nous en étonner. Le langage varie comme tout ce qui est de l'homme ; et rien au monde n'est moins constant. Il est de sa nature de n'être pour ; deux générations de suite, semblable à lui-même, et nous devons être convaincus que, toutes les fois que l'homme parvient à le fixer, c'est par des moyens artifiels et factices. Quand un grand peuple est parvenu à se faire une grande langue, s'il veut la conserver pure et belle, il lui faut d'abord qu'une forte centralisation donne l'unité au langage comme à la nation et contienne l'une comme l'autre dans des lois

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nécessaires ; il faut ensuite qu'un corps soit spécialement chargé de veiller sur la langue et de la défendre contre les altérations de toutes sortes ; il faut enfin que cette belle langue ne soit pas seulement la langue écrite ; celle des écrivains, mais qu'elle soit parlée, au moins par une société d'élite. C'est seulement à ces conditions, et au prix d'efforts in- cessants, d'une prudence toujours éveillé, de luttes toujours renaissantes contre les innovations que le temps apporte malgré tout, que l'on peut parve -nir à sauver l'intégralité et la pureté d'une langue.

Détruisez la civilisation, cet échafaudage si artificiel et si savant, mais si fragile aussi, et que le moindre coup de la fortune ou des hommes , peut ren- verser, la langue périt dans la rime générale. Vous la voyez alors, non pas s'éteindre tout à coup, chose impossible, mais se morceler, varier de province à pro- vince, puis de village à village, et enfin de famille à famille ; l'anarchie est générale, et la langue abandonnée à elle-même, sans unité, sans habilité, subit toutes les influences du sol, du climat, de l'état social, des travaux enfin de ceux qui la parlent. Alors des mots nouveaux s'introduisent, adoptés sans précaution et sans réserve ; des mots anciens s'effa- cent, parce qu'ils ne répondent plus aux faibles

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idées d'un peuple en décadence, ou, ce qui est pis encore, ils changent de signification, ils s'affaiblissent et se décolorent.

A ces causes générales auxquelles aucune langue ne peut échapper, il s'en joint de particulières à l'Italie. Sur cette terre l'unité et la fixité sont plus difficiles et plus passagères que partout ailleurs. Les mêmes obstacles qui s'opposent à l'unité politique, s'opposent aussi à l'unité et au maintien de la langue : c'est le peu de largeur de la péninsule relativement à sa longueur; c'est la chaine des Apenniens qui la coupe par le milieu et la difficulté des rapports entre les deux versants; c'est enfin l'impossibilité de toute centralisation. Songeons qu'il a fallu le génie romain pour faire l'unité de l'Italie, qu'il n'y a réussi qu'après 6 siècles d'efforts, et qu'après Rome nul n'a été capable de rétablir cette unité.

La décadence de la langue commença des le V e siècle de notre ère. Encore assez pure dans le peu d'oeuvres littéraires qui nous restent de cette époque, elle se montre de plus en plus altérée dans les inscriptions ; et remarquons que les inscriptions sont les témoins les plus fidèles de l'état d'une langue ; la littérature représente l'état de l'élite de la nation ; elle a toujours, mais surtout à ces époques de décadence, quelque chose de factice et de fardé.

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qui nous fait illusion ; mais la langue des inscriptions est celle du peuple entier et elle se montre dans toute sa vérité. Sur les monuments du V e siècle nous surprenons déjà la décadence de la langue ; nous lisons déjà par exemple la formule Espiritu Santo.

Ces changements nous étonneront moins si nous songeons qu'à côté de la langue littéraire et savante il y avait en Italie une langue vulgaire, qui existait depuis le temps de Plaute, qui avait toujours persisté en dépit des efforts de la classe éclairée, ce fut elle qui, au V e siècle essaya de reprendre le dessus et qui précipita la chute de la langue savante. Quintilien, Sénèque, Cicéron font déjà mention de cet idiôme vulgaire qu'ils appellent lingua plebeia vulgaris ou rustica.

Quelques philologues ont voulu faire ressortir l'origine de la langue italienne au V e siècle ; selon eux, ce n'était plus le latin, c'était déjà l'italien que l'on parlait à cette époque, l'italien avec ses éléments déjà constitués. On peut voir ce système soutenu par Ciampi, De linguiae italicae origine, saltam a soeculo quinto Pise 1718. Muratori a composé aussi un traité, de origine linguae italicae ; mais moins systématique que Ciampi, il établit seulement que du V e au XII e siècle

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s'étend une période de transition où se formèrent, non pas même la langue, mais les éléments de la langue. Cet état a duré pendant la longue époque de désordre qui a affligé l'Italie, c'est à dire jusqu'à vers l'époque de Dante, qui vécut de 1265 à 1321.

Beaucoup d'hommes admirent ce poète sans savoir qu'il a été aussi un philologue. Il a écrit un traité en latin, de Vulgari eloquio ; et cet ouvrage, outre qu'il est curieux pour l'histoire de la langue de cette époque, est remarquable aussi par l'influence qu'il a dû avoir sur la formation de la langue. Dante compte quatorze dialectes en Italie : tel était le morcellement de la langue, égal à celui de la société. La langue parlée, il ne l'appelle pas encore l'italien, il l'appelle la langue vulgaire; si l'italien existait déjà, il n'était donc pas encore reconnu comme langue. Dante appelle de tous ses voeux la formation d'un idiôme commun, et il démontre que cet idiôme commun doit naître du lan- gage vulgaire, que loin de condamner cette langue nais- sante, comme bâtarde et dégénérée, il faut donner droit de bourgeoisie aux fores et aux constructions que les derniers siècles ont apportées, et qu'enfin, en une seule chose, on doit revenir aux anciens, c'est dans le style et dans la période. L'oeuvre philologique de Dante fut continuée par Pétrarque et Boccace jusqu'en 1374 et 1375, époque

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de leur mort.

Dès ce moment, la langue italienne est fixée et son caractère propre se détermine. Fille de la langue latine, mais fille abâtardie, elle n'en a pas conservé l'accent si net et si ferme, elle en a perdu la vigueur, mais elle est aussi fine, aussi ex- pressive, aussi savante et peut-être plus gracieuse même que sa mère.

On peut remarquer que c'est une des langues néo- latines qui ont le moins contracté, et par conséquent le moins dénaturé, les mots de l'ancienne langue. Tandis que le Français, comme nous l'avons vu, resserre, contracte les syllabes, raccourcit les mots tout en allon- geant les formes, et comprime pour ainsi dire ces six mots : ad illud diurnum de hodie en un seul : aujourd'hui, l'italien a conservé dans un grand nombre de ses dialectes la simplicité et la pureté des formes primitives. Ces dialectes italiens ne ressemblent pas à nos patois populaires; ils ont une fixité, une stabilité et en même temps une élégan- ce que les patois français n'ont pas. Celui de la Sardaigne, en particulier, s'éloigne très peu du latin et l'on a même pu composer dans ce dialecte des vers qui sont à la fois latins et italiens : Tel est le commencement de l'hymne :

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In alto mari, in turbida procella Invocote benigna stella.

Tandis qu'en français nos contractions ont défiguré les mots à tel point que souvent nous n'en reconnais- sons plus les racines, l'italien qui les a moins défi- gurés peut souvent nous servir à connaître les mots mêmes de notre langue. Trouverions nous l'origine de notre mot émail, si nous ne voyons dans l'italien le mot smalto qui nous reporte visiblement au gothique smeltan (fondre un métal)? L'italien a servi d'inter- médiaire, de transition; ses formes mieux conservées sont à égale distance des mots racines et de nos dérivés défigurés. Notre mot fauteuil, par exemple, s'est bien éloigné de sa source; nos ancêtres écrivaient faudes teuil; le latin du moyen-âge disait fadistolium et de l'italien a conservé faldistorio. Nous pouvons recon- naître ici les deux mots Lombards falden (plier) et stul (chaise) ; faldistolium signifie donc sella plicatilis chaise pliante, ce que les grecs appelaient όxλαδίαϛ. C'est ainsi encore que dans l'italien giorno nous recon- naissons mieux le diurnum des latins que dans le français jour. On peut donc dire en thèse générale que dans les mots italiens les contractions sont beaucoup moins fortes que dans les mots correspondants de notre langue.

L'Italien nous a servi à détruire une erreur

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philologique longtemps accréditée parmi nous. Jusqu'au XVII e siècle on a cru que notre mot savoir vient de scire, et par conséquent on a écrit scavoir. Mais l'italien qui dit sapere pour savoir nous montre clairement la vérittable origine de notre mot savoir vient du latin sapio. Sapio en effet n'a signifié être sage qu'à partir du siècle d' Auguste, et même alors il conservait son sens savoir, le seul qu'il eût auparavant. On trouve dans Plaute : reste ego rem meam sapio, je sais ce que j'ai à faire. Et Cicéron définit ainsi le mot sapien Sapientissinum enim dicunt cui quid opus sit venit in mentem." Cic. pro Cluentio, 31. Sapio signifiait donc savoir ; sapiens, qui sait, qui est habile; le grec σοφόϛ avait le même sens, il signifiait proprement habile, qui sait ce qu'il faut faire. Οι͑ περὶ τᾶυῖα σοφοί, les habiles en une chose. Οι͑ ε͑πτὰ σοφοί, les sept habiles, les sept savants, que nous appelons improprement les sept sages. En français même, le mot sage a eu très longtemps le même sens, le sens du savant. Quand nos ancêtres ont dit : Charles le Sage, Alphonse le Sage, ce n'était pas la sagesse philosophique qu'ils louaient dans ces princes, c'était l'habileté et la science.

Quant à notre mot Sage, il ne vient pas de

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sapere, mais du latin sagus ou sagax qui signifie clairvoyant. On trouve dans Cicéron le verbe Sagire, être clairvoyant, d'où est venu le composé plus usité prœsagire.

Fustel de Coulanges

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12 e Leçon 21 avril 1853. Des origines et de la formation de la langue espagnole.

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IV. Langues italiques (suite) 3° Langues néo-latines (suite) Langue espagnole.

Langues Pélasgiques (suite).

I. La langue espagnole présente un caractère très différent de celui des autres langues néo-latines. - Le français et l'italien, par exemple, se sont formés du mélange des idiômes germaniques avec le latin corrompu du IV e et du V e siècles; en Espagne, un 3 è élément a concouru à la formation de la langue nationale: c'est l'arabe.

L'Espagne, sous les Romains, était parvenue à une civilisation très avancée. Elle avait encore, aux 3 e et 4 e siècles, les poètes plus brillants que ceux-mêmes de l'Italie.

La grande invasion du V e siècle détruisit cette civilisation. Il est vrai que les Alains et les Vandales ne firent que passer ; que les Suèves n'occupèrent qu'une faible partie de la péninsule. Mais les Wisigoths y fondèrent un empire qui dura 300 ans. Dès lors, l'idiôme germanique entre dans l'usage des popula- tions du midi ; et les nouveaux conquérants exercèrent sur la langue latine en Espagne la même influence que les Franks aivaient exercée sur elle dans la Gaule.

Les arabes furent le dernier peuple qui marqua son empreinte sur l'Espagne. En 711, Musa, lieutenant du Khalife Walid, débarque sur les rivages de la

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péninsule : la bataille de Xérès mit fin à la domination des Wisigoths ; le dernier roi Germain y périt, et, dans l'espace de 20 ans, l'Espagne tout entière fut soumise, à l'exeption des Asturies, où s'étaient réfugiés les restes de la nation vaincue. La conquête arabe, comme la conquête romaine, s'arrêta au pied de ces montagnes des Asturies ; et elles devin- rent le berceau du royaume de Léon, qui devait, à la longue, s'étendre sur toute la péninsule, et se substituer à la domination arabe.

La lutte commença de bonne heure entre les chrétiens des Asturies et les Maures. Bientôt l'em- pire des arabes se divisa : l'Espagne, sous le nom de Khalifat de Cordoue, se sépara du Khalifat de Bagdad, et le Khalifat de Cordoue lui- même ne tarda pas à se morceler en une foule de petits royaumes indépendants -Grenade-Murcie- Valence-etc a- Les rois chrétiens profitèrent habile- ment de ces divisions ; et, en quelques années, ils firent des progrès considérables dans le Nord de la péninsule.

C'est alors que commence le romancero espagnol, recueil de chants nationaux, analogues à ceux d' Ossian, mais beaucoup plus authentiques. Ils célèbrent le roi Pélage, comme le fondateur des royaumes chrétiens d'Espagne. Mais peut-être ne faut-il

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voir là qu'une légende nationale, semblable à celle qui fait remonter jusqu'au roi Pharamond les origines de la monarchie française: l'histoire positive du royaume de Léon ne commence qu'à Alphonse 1 er le Catholique, qui mourut en 759.

Il restait, dans les provinces soumises aux arabes, un très grand nombre de chrétiens, qui parlaient le latin corrompu par l'introduction des idiômes germaniques - Mais il arrive souvent que, dans les pays où dominent les musulmans, les chrétiens, tout en conservant leur religion, oublient leur langue, pour adopter celle des conquérants. C'est ce qui est arrivé en Asie-mineure où le Turc a remplacé le Grec : ce fut aussi ce qui eut lieu en Espagne, particulièrement dans les royaumes de Murcie et de Valence. Les chrétiens cessèrent de parler le romanço (langue romane), et adoptèrent la langue des arabes, avec q.q uns des rites musul- mans. - Les arabes appelèrent ces chrétiens Mosarabes (arabes adoptifs) ; et les chroniques latines les nomment arabes abscititii. -

En Afrique, où les Arabes dominèrent aussi, la langue et la population latines avaient presque complètement disparu à la fin du XII e siècle, dans les plaines et dans les villes ; il n'en subsista quelques

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restes que dans les montagnes de la Kabylie. - Il en serait probablement arrivé de même en Espagne, si, au delà des Pyrénées, les arabes n'avaient rencontré la belliqueuse nation des Franks. Les victoires de Charles Martel et de Charlemagne refoulèrent les flots de l'invasion musulmane, et la continrent dans les limites de la péninsule. A partir de cette époque, l'empire des Arabes déclina rapidement. Chaque jour, les chrétiens gagnaient du terrain sur leurs adversaires: les royaumes de Castille et d'Aragon se formèrent; les arabes, reculant peu à peu jusqu'aux dernières provinces du sud de l'Espagne, furent bientôt réduits à la possession de Grenade; et la prise de cette ville, en 1492, par Isabelle et Ferdinand le Catholique, mit fin à la domination des arabes en Espagne: elle avait duré près de 800 ans.

II

La langue espagnole a donc pour base le latin et pour éléments secondaires le Wisigoth et l'arabe. Du Romanço espagnol sont sortis, au mayen-âge 3 dialectes assez différents. Ce sont:

1° Le dialecte Catalan très analogue à la langue des troubadours français, et qui est resté dialecte

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de province;

2° Le dialecte Galicien, qui, s'étandant avec les conquêtes des Arabes, du N.O Nord-Ouest au S. O. Sud-Ouest, le long des rivages de l'Atlantique, jusqu'aux algarves, a donné naissance au Portugais; 3° Le dialecte Castillan, qui a formé la langue espagnole proprement dite, parlée non seulement en Espagne, mais encore dans le nouveau-monde.

III

Les traces de la langue des Wisigoths sont visibles dans l'espagnol - Ainsi le mot lastrar -changer- vient du Wisigoth last- en français, lester. (l'r de lastrar a été intercalé pour donner plus de fermeté au mot, connue dans diacre, qui vient de diaconus; dans pampre, qui vient de pampinus)- Le substantif ruica- quenouille- est également dérivé du Wisigoth. Mais c'est au moins dans les mots que dans la syntaxe que l'on retrouve l'influence de la langue des Wisigoths. - Ce sont évidemment les Wisigoths qui ont introduit en Espagne le verbe avoir employé comme auxiliaire. Yo habia temido - j'ai craint- et autres formes analogues.

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IV.

L'arabe a donné une foule de mots à l'Espagnol, sans cependant altérer beaucoup le fond primitif de la langue, c'est-à-dire le latin. Ce n'est pas introduisant dans une langue des mots étrangers, qu'on l'altère; c'est en donnant aux mots de cette langue même un sens contrai- re à son génie, et aux acceptations qu'ils ont dans les écrivains consacrés. " Rebus novis nova ponenda sunt nomina" a dit Cicéron. Et en effet, Xénophon a pu, sans rien perdre de cette propriété d'expression ( χυριολεξία) qui fait le principal mérite de son style, introduire dans l'Anabase des mots Persans, tels que παράδεισοϛ (parc)- παρασάγγηϛ (parasange mesure itinéraire). Mais voici un exemple de corruption des langues par l'altération du sens des mots. πλοῖον - navire- et γραμμή -ligne- étaient des mots excellents en grec anciens. Mais la réunion de ces deux mots, en grec moderne - πλοῖον τῆϛ γραμμῆϛ - vaisseau de ligne- est détesttable.

L'influence de l'arabe sur l'espagnol n'a pas été corruptrice, parce qu'elle ne s'est point exercée sur la syntaxe : elle s'est bornée à l'importation de mots arabes dans la langue nationale - tel est

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alcade (le Kadi des arabes) ... etc. Aussi la langue espagnole est elle, de toutes les langues néo latines, celle qui s'est le moins écartée du latin.

Cependant l'arabe a laissé à l'espagnol une aspiration gutturale, qui n'était point dans le génie de la langue latine, et qu'on ne trouve pas dans les autres langues néo latines. Cette aspiration peut se représenter par le χ des Grecs, ou par ch allemand. Pendant longtemps les Espagnols l'on écrite par un x : aujourd'hui, l'Academie de Madrid l'écrit par un j: ainsi majo se prononce macho, en espirant le ch, comme on aspirerait le ch allemand, ou le χ grec.

Cette aspiration gutturale, avons-nous dit, était étrangère à la langue latine. Encore au temps de Cicéron, le peuple, et Cicéron lui-même, au moins dans sa jeunesse, ne mettaient l'aspiration qu'apères une voyelle. C'est ce que prouve le pas- sage suivant de l' Orator, où Cicéron dit: " quin ego ipse, cùm scirem majores nostros, nonnisi cum vocali, aspiratione, esse usos, ita loquebar, ut puleros dicerem et triumpos." Et il ajoute que ce n'est que plus tard qu'il a laissé cette pronon- ciation au peuple. -" Aliquandò et serò usum

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populo concessi, mihi scienticum reservavi.

Ainsi on prononçait Pulcros sans aucune as- piration gutturale; et, lorsque cette aspiration passa dans l'usage, ce fut peut-être par affec- tation et par mode qu'on prononça Pulchros, en aspirant le ch à la façon du χ des Grecs.

Ennius n'écrivait pas Phryges, mais - Bruges- qu'il prononcait probablement Brouguès.-

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13 e Leçon 28 avril 1853 Langues néo-latines (suite) Langues espagnole et portugaise (fin) Langue Rhétique. Langue Valaque.

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Langues néo-latines. (suite) Langues espagnole et potugaise (fin) Langue Rhétique Langue Valaque. (commencement) Langue espagnole.

La langue latine, corrompue et mélangée avec différents idiômes, a donné naissance, comme il a été dit, à cinq langues modernes, qui forment la famille des langues néo-latines, savoir: le français, l'italien, l'espagnol et le portugais, la langue rhétique, et la langue Valaque.

Dans la dernière leçon nous avons abordé la troisième de ces langues, l'espagnol, auquel se rattache le portugais On a exposé brièvement les origines de ces deux dialectes d'une même langue, et analysé les éléments qui ont concouru à leur formation. On a indiqué ce qu'ils doivent à la langue des Wisigoths et à celle des arabes. Il reste à dire ce qu'ils ont conservé de la langue latine.

De toutes les langues issues du latin, l'espagnol et

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quité ; mais depuis ce roi qui voulut approfondir quelle était la race d'hommes la plus ancienne, les Phrygiens furent reconnus pour l'être, et les Egyptiens ne vinrent plus qu'après eux. Voici comment ce roi, peu satisfait des recherches qu'il avait faites sur cette question et qui ne lui avaient fourni rien de positif, parvint à la résoudre. Il fit remettre deux enfants nouveau nés, pris au hasard, entre les mains d"un berger chargé de les élever au milieu de ses troupeaux, avec l'injonction de ne jamais proférer devant eux une seule parole, et de les laisser constam- ment seuls dans une habitation séparée. Il devait les amener des chèvres à de certains intervalles, les faire téter, et ne plus s'en occuper ensuite. Psammitichus en prescrivant ces diverses précautions, se proposait de connaitre, lorsque le temps des sagissements du premier âge serait passé, dans quel langage ces enfants commenceraient à s'exprimer. Les choses s'étant exécutées comme il l'avait ordonné, il arriva qu'après deu années écoulées, au moment où le berger, qui s'était confirmé exactement aux instruc- tions qu'il avait recues, ouvrait la porte et se préparait * τά παιδίαμ Χότεραπροσ πίπτοντα βεκός έϕώνεον, όρέγοντα τάς Χειρας ... à entrer, les deux enfants tendant les mains vers lui, se mirent à crier ensemble. Becos *. Le berger n'y fit pas d'abord beaucoup d'attention; mais en

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a l' s en latin, cette consonne demeure toujours en espagnol. C'est ce que montrera la comparaison de quelques personnes du verbe amo en latin et en espagnol.

Latin. Espagnol. Présent de l'indicatif. amo amo amas amas amat ama amamus amamos amatis amais amant. aman Imparfait. amabam amaba amabas etca amabas. etc

On voit que les altérations consistent à supprimer le t final, qui affaiblit le son de l' a, à remplacer la voyelle u par la voyelle o dont le son est plus plein. Quant au b prononcé comme v, c'est une sub- stitution fréquente, et dont nous avons vu de nombreux exemples non seulement d'une langue à une autre, mais dans une même langue.

L'espagnol, comme toutes les langues néo-latines, a souvent raccourci les mots latins soit par contraction,

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le portugais sont celles qui se sont le moins écartées de cette souche commence. L'espagnol surtout est resté fidèle à ce caractère de grandeur qui est le propre de la langue du peuple romain. Il a retenu ces fortes intonations d'une langue tout oratoire, faite pour l'éloquence et pour l'empire. Si l'on compare l'harmonie de l'espagnol avec celle de l'italien, on remarquera qu'où l'une de ces langues s'approprie les sons les plus doux du latin, l'autre s'empare des plus âpres et des plus reten- tissants.

La langue italienne a, pour le pluriel de ses noms, adopté les terminaisons des nominatifs de la première et la seconde déclinaison latine: pour les noms masculins i ; pour les noms fémi- nins e, qui reproduit le son du latin æ: ce sont les terminaisons les plus douces à l'oreille de la langue latine. L'espagnol au contraire s'est arrêté à deux des plus fortes, celles de l'accusatif pluriel des mêmes déclinaisons as et os.

Dans les verbes espagnols, on remarque la même prédilection pour les sons forts. En général, la conju- gaison espagnole tend à donner à la dernière voyelle une prononciation plus pleine, par la suppression des consonnes; mais quand la désinence

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soit par la suppression des terminaisons. La comparai- son d'une même phrase de l'oraison dominicale rendue en latin et en espagnol donnera lieu à quelques remarques sur les altérations que la langue espagnole a fait subir à la langue latine.

Latin Sed libera nos à malo Espagnol Mas libra nos de mal

Examinons successivement les mots de cette phrase. Le mot latin Sed est remplacé en espagnol par mas ; qui vient de magis. Dans la langue romano- rustique, cet idiôme des campagnes, qui subsiste en présence même de la langue littéraire de Cicéron, le mot magis a joué un grand rôle. Il avait le sens de davantage, qu'il a conservé longtemps dans les langues romanes ; mais il y a joint un sens d'opposition qui a fini, dans les langues modernes, par absorber l'autre. Il est devenu en espagnol mas: en se contractant, il n'a point perdu cet s. final, qui plait tant aux oreilles espagnoles. En italien, par l'effet d'une contraction semblable, en vertu de la prédilection qu'a̽ cette langue par les sons doux, il s'est réduit au monosyllabe ma. Ce même mot est entré, grâce au long séjour des vénétiens en Grèce, dans

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le grec moderne, où les érudits cherchent aujourd'hui à lui substituer l'ancien mot ʿόμουϛ. Enfin, en français, l'adverbe magis a formé la conjonction mais ; où le mot est moins altéré que dans l'Italien ma ou dans l'espagnol mas, mais où les deux syllabes ma-gis se sont contrac- tées en une diphthongue diphtongue. Quant à l'ancien sens de davantage, il s'est prenque entièrement perdu. On n'en retrouve plus de traces que dans la vieille locution française, (1) Le malheureux lion se déchire lui-même Fait raisonner sa queue à l'entour de ses flancs, bat l'air, qui n'enpent mais..... (La Fontaine Le lion et le moucheron II, IX) " Il nen peut moins (1)" qui signifie, "ce n'est pas sa faute", par suite d'une forte ellipse, qu'on pourrait ainsi suppléer en latin : " non potest magis quam alius ad impediendam illam rem" Le mot mais a gardé une signification plus voisine de celle du mot latin dans certains composés tels que jamais et désormais. Jamais n'est autre chose qu'une contraction de Jammagis; et dans l'ancienne langue il avait un sens affirmatif, qu'il conserve encore dans certaines locutions où il est employé sans négation: " a-t-on jamais vu pareille chose?" Adieu à jamais. " Etc. Désormais est une contraction de ces quatre mots latins: De ista hora magis. Telles sont les diverses formes sous lesquelles nous retrouvons dans les langues modernes ce mot magis qui a formé l'espagnol mas.

Poursuivons l'analyse des mots de la phrase proposée.

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Libra n'est autre chose que le mot latin libera, qui a subi la supression d'une voyelle, comme il est arrivé à tant de mots latins en passant dans les langues néo-latines.

Nos est le pronom latin sans altération. L' s final y est demeuré en vertu du principe général dont nous avons parlé.

De mal, a remplacé a malo. Remarquons d'abord la suppression de la terminaison du mot latin malum : le radical est resté seul.

Observons ensuite la substitution de la prépo- sition de à la préposition a. En général l'emploi des prépositions a subi de grands changements dans les langues romanes: les rapports exprimés par les mêmes particules ne sont plus les mêmes qu'ils étaient en latin. Cette différence est très sensible ici. Le verbe liberare en latin se constuisait avec l'ablatif, soit simple, soit dans une periphrase avec la prépo- sition ab. On disait également bien liberare obsedione et liberare ab obsidione; mais on n'aurait jamais dit de obsidione. Dans la bonne latinité, la préposition de ne pouvait s'employer dans les périphrases ayant la valeur de l'ablatif. D'autre part, il forme souvent périphrase avec le sens du génitif, dans la meilleure latinité, et surtout dans le style

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familier, et dans la causerie.

Cicéron écrit à Atticus: "J e vous enverrai quel- qu'un de ma suite. " mittam aliquem de comitibus meis. - Ailleurs, il lui parle des chances diverses des candidats pour le consulat : De üs qui nune petunt, Cæsar certus putatur; (ad Att. I. 1.) C'est exactement la phrase française: "De tous ceux qui se mettent sur les rangs, césar est celui dont le succès ne parait pas douteux." Cet emploi de la préposition latine de tout à fait conforme à celui du Français de se rencontre rarement dans la langue oratoire. Cicéron qui en a donné de nombreux exemples, même dans ses discours, les a toujours placés dans des passages où le sujet lui permettait le ton familier. C'est ainsi que, dans le discours pour Milon (C. LXV), en parlant d'un de ces sacrificateurs d'un ordre inférieur qu'on appelait popœ, et qui vendaient dans des cabarets leur part des viandes sacrées, il dit : Popa Licinius nescio qui de circo maximo. "Je ne sais quel cabaretier du grand cirque, un Licinius....."; et un peu plus loin:... Dein de se gladio percussum esse ab uno de illis ne indicares...."... Ensuite pour qu'il ne déclarât point, qu'il avait été frappé à coups de poignard par l'un de ces hommes....." L'expres- sion uno deillis indique du mépris

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Cet emploi de la préposition de, qui, dans les auteurs latins, ressemble presque à un galli- cisme, rentre dans une série d'exemples fort intéressants, où certains préjugés des latinistes modernes sur la latinité de quelques constructions, sont confondus par l'autorité des meilleurs écrivains de Rome. Le savant Henri Estienne a publié sur ce sujet un traité qui a pour titre : De latinitate falso suspecta. L'auteur cite des exemples tel que celui-ci, de Lucrèce (II v 1027.)

Difficilis magis ad credendum; "plus difficile à croire." - Ce livre, fait à une époque où la linguistique était fort peu avancée, aurait besoin aujourd'hui d'être corrigé et complété; mais il est encore très instructif.

Nous nous bornerons, sur la langue espagnole, aux observations qui précèdent et nous passerons sur le champ à la langue portugaise.

Langue portugaise. Celle-ci offre les plus grandes analogies avec l'espagnol. Elle s'en distingue par des contructions plus fortes. Par exemple le mot populus, qui est devenu en espagnol pueblo a fait en portugais povo. L adverbe espagnol solamente (en français seulement) n'est plus en portugais que somente. Comme l'espagnol, le portugais aime les finales

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en S. Les pluriels des noms se terminent en os, en as et en es.

Le portugais a conservé du latin des mots qui se sont perdus dans toutes les autres langues néo-latines. Un savant portugais, assez illustre comme commentateur du Camoens, Manoel de Faria y Sousa, a publié à Lisbonne en 1680 un livre intitulé l'Europa portuguesa, où il s'attache à démontrer que la langue portugaise ne s'est pas beaucoup plus écartée de la langue latine que l'espagnol. Pour le prouver, il cite un poème religieux qui peut se lire à la fois en latin et en portugais. En voici un vers;

Canto tuas palmas, famosos canto triumfos.

L'illusion n'est possible qu'à condition de n'employer: dans la langue latine, que des nominatifs singuliers féminins et des accusatifs pluriels. Hors delà, les ressemblances s'évanouissent. L'auteur a été obligé, pour sourtenir cette sorte de gageure, d'user de certaines licences poétiques. Ainsi, dans les vers suivants, où il s'adresse aux saints :

Per vos felices annos, o candida turba, Per vos innumeros de Christo spero favores.

Spero est une licence pétique. Dans la prose, on doit dire espero.

Tels sont les caractères principaux par lesquels

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l'espagnol et le portugais se rattachent à la langue latine, et ceux par les quels ils s'en éloignent. Dans cette rapide revue, nous ne saurions insister davantage sur ces deux langues. Nous sommes obligés de passer à la quatrième langue néo-latine, que nous avons annoncée sous le nom de langue rhétique.

Langue Rhétique.

Parmi les langues modernes issues du latin, il faut tenir compte d'une langue peu connue, que nous avons appelée langue rhétique, de l'ancien nom du pays où elle prit naissance, la Rhétie des Romains ; nom par lequel on désigne encore la partie la plus septentrionale des Alpes. Dans ces hautes vallées, où le Rhin et l'Inn prennent leurs sources, et qui forment le pays des Grisons, à l'extrémité S. E. sud-est. de la Suisse, se trouvait une vieille abbaye des Bénédictins. Le lieu porte encore aujourd'hui le nom de Disentis : chez les Romains, et même au moyen âge, on l'appelait Discentium. Il est situé au sud de la ville de Coire ( Curia Rhœtorum.), sur le Rhin antérieur dans une vallée profonde.

Là s'est formée une langue fort singulière, qui est une sorte d'intermédiaire entre le français

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l'italien et l'espagnol. Les gens qui la parlent l'ap- pellent langue ladine. Ils sont peu nombreux : à peine forment-ils deux ou trois cent mille âmes.

Cette langue offre deux phénomènes remar- quables : une multiplicité singulière de sons vocaux; et la persistance d'un de ces idiomes romans, qui n'ont été partout ailleurs qu'une transition de l'ancienne langue latine à quelqu'une des langues modernes.

Il parait que l'organe vocal des Romains avait peu de souplesse : car leur langue n'a jamais eu que cinq voyelles a, e, i, o, u, (qui se prononçait ou) Les langues italienne et espagnole ont hérité des mêmes sons, et ne les ont ni altérés ni multipliés : les barbares n'ayant jamais été en grand nombre dans les deux péninsules, n'ont pu modifier la prononciation des cinq voyelles. Mais, dans les pays où les invasions ont été plus puissantes, et où deux idiômes entièrement hétérogènes se sont trouvés fortement en contact, il est né de leurs combinaisons plusieurs sous intermédiaires. La langue rhétique en offre un exemple. Là, il y a eu collision entre des idiômes très différents. Aussi est-elle plus riche en diphtongues que toutes les autres langues néo-latines.

Par exemple le mot latin Sanctus, qui a fait en italien Santo, est devenu dans la langue rhétique

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soinchi, aucun son nasal. Dans ce mot, les lettres ch se prononcent comme ch français, son inconnu à la langue latine. Quant aux conson- nes, la langue rhétique substitue l' r à l' n : ainsi, de anima, elle a fait arma, mot qui d'ailleurs se rencontre quelque fois au moyen âge dans les troubadours.

Le pays où se parle cette langue, protégé par ses hautes montagnes et par ses profondes vallées arrosées de plusieurs cours d'eaux, a été de tout temps peu visité. Il a dû à cet isolement le privilège de conserver sa langue primitive presque sans altération. Ou monument qui parait authentique fait foi. On conservait à l'abbaye de Disentis le testament d'un évêque de Coire, nommé Tello, mort en l'an 720. Cet acte, s'il n'est point apocryphe, et il ne semble point l'être, servit le plus ancien monument connu de la langue romane. Or, il est déjà écrit, à fort peu de choses près, dans la langue que l'on parle encore aujourd'hui dans ces vallées. Nous voici donc en présence d'un phénomène de linguis- tique étrange : une langue qui, dans le cours de plus de onze siècles, s'est à peine écartée de ses origines; et tandis que le roman n'a été en général qu'un état transitoire des langues européennes, ici,

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nous le voyons fixé par l'usage, et erigé en langue définitive d'un peuple. Cette persistance parait d'autant plus surprenante, que la langue rhétique n'a pas de littérture, et sauf quelques traductions des écri- tures saintes, pas de livres. Or, on a déjà dit, en maxime générale, qu'une langue qui se parle sans s'écrire, s'altère continuellement, et que l'écriture seule peut fixer le langage. Mais comme l'isolement du pays a préservé la langue rhétique de l'invasion des locu- tions et des mots étrangers, là, par exception, l'ab- sence de littérature a contribué à maintenir la langue dans son état primitif. Nous avons dit qu'en général, les langues néo-latines, à l'époque de la renaissance des lettres, avaient cherché à s'enrichir, en reprenant à la langue-mère, avec un sens nou- veau, et sous une forme plus régulière, des mots qui étaient entrés déjà dans l'usage vulgaire, mais avec une grande altération de la forme. Ce travail de réflexion et d'érudition n'a pas peu contribué à rapprocher les langues modernes de la langue latine, et à les éloigner de l'ancien roman. Dans la langue rhétique, ce travail ne s'est point fait. Aussi la langue a-t-elle conservé son caractère populaire; et puisque, d'autre part, elle a eu le bonheur de se préserver de la mobilité propre au règne absolu

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de l'usage, il s'en est suivi que nous avons, dans cette langue l'unique modèle du roman primitif et non altéré. C'est principalement à ce titre que cette langue si peu connue mériterait une étude particulière. Mais le plan de ce cours, qui ne permet d'indiquer ici que quelques notions générales, nous force de passer à la dernière des langues néa-latines, la langue valaque.

Langue Valaque.

Nous avons parlé jusqu'ici des langues modernes qui se sont formées du mélange du latin avec les idiomes germaniques. La langue valaque a ceci de commun avec les précédentes, quelle a eu pour principal élément la langue latine ; mais ce sont les idiomes slaves qui ont joué dans sa formation le rôle qui appartient dans celle des autres langues néo-latines aux idiômes germa- niques. A beaucoup d'égards, la langue valaque est restée assez voisine de la langue latine ; mais elle est fortement mêlée de slavon. Cette langue se parle dans les pays qui ont fait autrefois partie de la Dacie Trajane, sur la rive gauche du Danube, c'est à dire, dans la Valachie, et

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une partie de la Hongrie.

L. Crouslé

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14 e Leçon 12 Mai 1853 De la langue Valaque (suite)

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Tableau ethnographique des mangues indo-Europé- ennes. Langues néo-latines. Idiômes Valaques.

Il ne reste, pour achever la nomenclature des langues néo-latines, à parler de la cinquième, la langue valaque, de ses origines et de son caractère particulier.

Le Valaque n'a pas une autre origine que le français, l'italien, l'espagnol et le rhétique: comme eux, il descend du latin. Toutefois, il se distingue de ces langues par un caractère qui lui est propre. Car, tandis qu'elles ne sont qu'une décomposition du latin, déterminée et limitée par l'influence des idiômes germaniques, le Valaque, en se formant du latin, s'est fortement mélangé de slavon; ce qui s'explique par la position géographique des peuples qui le parlent.

La population valaque est fort nombreuse; si on la compare à celle qui parle le thétique: on l'évalue à six millions d'hommes. Elle descend des colons romains ou, si l'on veut, des Daces romanisés, qui, dès l'époque de Tibère, où les frontières de l'empire furent poussées

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jusqu'au Bas-Danube ou Ister, occupaient tout le pays compris entre ce fleuve au nord, et la chaîne de l'Hæmus et du Rhodope au sud, chaîne qui forme la ligne de séparation entre les fleuves qui appartiennent à la région du Danube et ceux qui, comme l'Axius et le Hrymon, arrosant la Macédoine et la Thrace, prennent leur cours vers la Mer Egée. Tout ce pays devint alors romain, aussi romain, les inscriptions en font foi, que la Gaule ou que l'Espagne. Cette population romaine s'accrut considérablement, lorsqu'au commencement du second siècle de notre ère, Trajan, plus heureux que Domitien, eut conquis la Dacie et l'eut colonisée. Ce n'est point ici le lieu de raconter avec détail les exploits de Trajan, de le montrer soumettant les Parthes, prenant Ctésiphon, Sélencie, Babylone, et prêt à se déclarer l'héritier des projets et de la gloire d'Alexandre, descendant le Tigre et l'Euphrate jusqu'au golfe Persique, et, ce que les Romains ne firent qu'une seule fois, parcourant ce golfe avec une flotte, s'emparant de l'île d'Ormuz, et regrettant de n'être plus assez jeune pour aller plus loin encore qu' Alexandre lui-même n'était allé, pour pénétrer dans l'Inde, ce foyer mystérieux d'antiques et floris- santes civilisations. Disons seulement que Rome

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pour la dernière fois, sous Trajan, comme par une r écrudescence inespérée de force expansive, recula les bornes de son empire. Mais ce fut là son suprême effort: après Trajan, plus de conquêtes; on se borne à défendre. Quoiqu'il en soit, Trajan passe le Danube, pénétra dans la Transylvanie actuelle et dans la partie orientale de la Hongrie, refoula les Daces à l'Ouest et au Nord, anéantit leur puissance en s'emparant de leur capitale, réduisit la Dacie en province romaine, et prit soin de la coloniser. Des citoyens romains furent transportés en Dacie, au milieu des populations récemment conquises, avec la mission de les instruire dans la pratique des lois, de la langue, des usages et des institutions de la métropole. On sait comment ces précepteurs du monde s'acquittaient de leur tâche; et cette phrase, que prononça Claude à Lugdunum, sa patrie, est démeuré célèbre: "Les petits-fils de ceux que mon aïeul ( César le dictateur) assiégea jadis dans Alix, aujourd'hui commandent nos légions sur les bords de l'Euphrate.." La Dacie, comme la Gaule, comme l'Espagne et toutes les autres provinces, devint donc en très peu de temps romaine par les moeurs, les idées et principalement par le langage, la première chose que le peuple vainqueur s'efforce d'imposer au peuple vaincu. Toutefois

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sa réunion à l'empire fut de courte durée. Aurélien abandonna cette conquête trop difficile à défendre et retira de la Dacie tout ce qui s'y trouvait de colons romains. Mais Rome avait eu le temps de marquer une empreinte profonde, ineffaçable sur cette province; et c'est cette population romaine du temps de Trajan qui a formé le fond de la population valaque de nos jours. Nous ne savons pas bien au juste jusqu'où se sont avancées les légions du conquérant de la Dacie; car des quatre historiens de cette époque, aucun n'est parvenu jusqu'à nous; rien non plus n'a survécu des Mémoires de Trajan, ouvrage si regret- ttable et que nous aimerions tant à rappocher du Commentaires de César; et enfin la colonne Trajane, ce magnifique monument de la guerre contre Décébale, reste muette à nos regards étonnés. Mais ce qui est certain, c'est que cette population valaque a porté sa langue plus loin que Trajan n'avait fait ses conquêtes. Elle occupe une partie de la Hongrie (cap Ofen on Bude), la Transylvanie (cap. Kolosvar), la Valachie (cap. Bukharest), la Moldavie (cap. Tassy), où Trajan n'a certainement point pénétré, et tout le pays à l'Est jusqu'à la mer noire.

Quant à la langue valaque, elle est un mélange de roman et

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de Slavon, où sont entrés aussi des mots turcs et beaucoup de mots grecs, j'entends de grec moderne ; double élément qu'elle doit à ce que pendant long- temps, depuis le XVII e siècle, la Moldavie et la Valachie, sujettes de la Porte, ont été gouvernées par des princes grecs envoyés de Constantinople. Mais le fond de cette langue reste latin, et l'étude en est intéressante sous plus d'un rapport.

C'est un fait de grammaire comparée que les idiômes peuvent se ressembler de trous manières diffé- rentes :

1° Par les mots pris isolément, et abstraction faite de leurs combinaisons diverses, c'est-à-dire de la syntaxe. C'est ainsi que les pierres peuvent se ressembler d'un édifice à l'autre, et leur arrangement architectural varier pourtant à l'infini ; 2° Par ce qu'on appelle ordinairement le génie c'est-à-dire par la construction, par la syntaxe, abs- traction faite des mots qui peuvent n'avoir entre eux, d'une langue à l'autre, aucune ressemblance; 3° Par ce qu'on appelle l'allitération, c'est-à-dire par une certaine permutation de lettres, régulière et toujours la même, qui a lieu dans le passage d'une langue à une autre, sans qu'elle se produise dans d'autres conditions. Des exemples éclairciront cette

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définition.

Or, dans l'idiôme valaque ou moldo-valaque, on trouve de ces trois ressemblances avec le latin, plus peut-être que dans les autres langues néo- latines. Ce qui n'empêche pas que cet idiôme se soit plus éloigné du latin que les autres langues romanes, et surtout plus que le portugais, l'espagnol et l'italien.

1° Ressemblance par les mots. Ainsi, pour les substantifs, la langue valaque a conservé un grand nombre de mots latins qui se sont perdus dans les autres langues néo-latines. Exemples: Vase se dit olla, comme en latin ; Urceolus, aiguière, est devenu Urceol; Vitricus, beau père, – Vitrec ; Murus, belle fille, – Muora ; Culmen, sommité, — Cilme. etc a Ces mots latins et bien d'autres encore ne se sont conservés que dans le Valaque, et n'ont point passé dans les autres langues romanes. 2° Ressemblance par l'allitération. Des exemples, emprunté à nos trois langues classi- ques, vont d'abord nous expliquer d'une manière précise en quoi consiste cette ressemblance.

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Du latin au français, nous l'avons déjà vu, il y a en permutation entre p. et ch. : Clippiacum, Clichy; Apium, ache ; rupe, roche (1); arrapio pour arripio, j'arrache, etc a.

Voilà une des ressemblances du français avec le latin, ressemblance qui est dite par allitération.

De même aussi, à l'origine de la langue latine, il y a eu permutation entre le π des grecs et le qu des latins.

Ainsi ʿίπποϛ est de venu equus ; et Varron nous apprend que l'ancienne forme latine était epus. De là le nom de l'ancienne divinité italique, dea epona, protectrice des coursiers et des chars, nom qui se trouve dans certaines inscrip- tions d'une époque assez ancienne.

Le verbe grec ʿέπομαι, du primitif actif ʿέπω,

(1) car ce mot français vient de l'ablatif du mot latin corres- pondant, rupe, et non pas de son nominatif, rupes, comme on le démontre par des preuves qu'il ne convient pas de développer ici. Il en est de même des substantifs français, douleur, labeur et fleur, etc. qui se sont formés, non pas de dolor, labor, flor, mais de dolore, labore, flore.

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est devenu le sequor (1) des latins;

πέυτε est devenu quinque. Mais comment le τ s'est-il changé en qu comme π ? Un paysage, tiré du chapitre XXXVII de la vie d' Homère, attri- buée à Hérodote, nous apprend que les Eoliens disaient πέμπε au lieu de πέυτε : " καὶ γὰϱ οʿι Aίολεὶς τὰ πέυτε πέμπε ʿουομάξουσι" Et, en effet, πέμπε pour πέυτε se trouve dans quelques inscriptions. Le même mot présente donc ici une double permutation du π avec le qu des latins; quinque s'est formé de πέμπε, comme equus de ιπποϛ, et sequor de ʿέπομαι.

(1) Et ici il est à propos de remarquer que les latins ont mis le plus souvent un S à la place de l'esprit rude des Grecs. Exemples: ʿέπομαι, sequor; ʿέϱπεω, serpere; - ʿέξ, sex; ʿέπτα, septem; ήμι, semi (seulement dans les composés); - ύπὸ, sub; ύπέρ, super; ʿάλϛ, ʿαλόϛ, ʿαλεϛ, sal, salis, sales; - ʿύϛ, sus; - ʿύλη, sylva; - ʿύδωρ, sudor, et peut être ʿύπνος, somnus. Quelquefois cependant ils le remplacent par un V : ʿεστία, vesta; - ʿέσπερος, vesper- οινος, vinum; - οιxος, vicus; etc. Enfin, dans les mots empruntés après coup par les latins à la langue grecque, l'esprit rude est remplacé par un h. Ex: ʿαρμονία, harmonia, mot employé déjà par Cicéron et par Lucrèce.

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Or, cette loi qui veut que les latins à la place du π des Grecs, mettent le plus souvent qu, est ce que nous appelons une ressemblance entre les deux langues par allitération.

Chose curieuse! la même permutation de lettres s'est opérée du latin au valaque, mais à l'inverse, c'est à dire que le qu des latins est redevenu p. dans la langue valaque.

Exemples: Aqua, eau, apa; Equa, cavale, epa ( epus, anc. forme latine); Quatuor, quatre, patron etc.

Phénomène remarquable, et qui peut-être nous révèle une des lois mystérieuses qui président à la formation des idiômes! Le π se change en qu, en passant, disons- nous, du grec au latin; il serait plus sûr de dire, en passant d'une langue antérieure au latin et au grec; dans le latin. Car le latin et le grec sont deux langues sœurs, et se rattachent à une commune origine. Or, voilà qu'une langue moderne, fille du latin, retourne ins- tinctivement et du premier coup aux habitudes de la vieille langue, son aïeule, et qu'elle en retrouve les formes effacées depuis longtemps et disparues. Si ce fait pouvait être un jour érigé en loi, quelle lumière cette découverte ne jetterait-elle pas sur la généalogie

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où les chiffres sont exprimés en lettres, decem et octo, decem et novem, quelque fois aussi duodeviginti, pour dix huit, c'est-à-dire vingt moins deux, undeviginti pour dix neuf, c'est à dire vingt moins un. Quant à octodecim et novemdecim, ils ne se trouvent chez aucun auteur latin, excepté dans deux passages de Tite-Live, qui, selon toute apparence, portent la trace d'habitudes de langage plus modernes. En effet, les soldats de la 49 e légion, par exemple, ne se sont jamais appelés que les undevicesimani. Ainsi, au ch. 57 du recit de la guerre d'Alexandrie, attribué à Hirtius, lieutenant et conti- nuateur de César, on lit: " Cum |quinque cohortibus undevicesimanorum egreditur," il sort avec cinq cohortes de la 19 e Légion. Dix-huitième se disait de même duodevicesimus ou duodevigesimus avec le léger chan- gement du C en G. Témoin cette phrase de Pline le naturaliste, livre 37: " duoenim devicesimâ (avec tmèse) olympiade Candaules interiit," Candaule perit, en effet, la dixhuitième olympiade. - Quant à undecim, duodecim, tredecim, etc, jusqu'à sexdecim, Priscien admet ces façons de parler, tout en approu- vant également decem et unum, decem et duo, etc.

Or, cet usage de séparer les noms de nombre l'est conservé dans la langue valaque. Seulement la conjonction et des latins a été remplacé par Spra,

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des langues et des nations!

3° Ressemblance par la syntaxe.

Enfin, les idiômes peuvent se ressembler aussi d'une troisième manière, à savoir, par la syntaxe, ou par l'arrangement, par la combinaison des mots. Le valaque, sous ce rapport, a conservé avec le latin quelques res- semblances qui ne se trouvent point dans les autres langues néo-latines.

Les Romains, à la belle époque de leur langue et de leur littérature, aimaient mieux, pour exprimer les noms de nombres, séparer les mots que les composer. Comme nous disons en français: onze, douze, treize, quatorze, etc., nous nous sommes imaginés qu'il en était de même chez les Romains. Notre erreur vient de ce qu'ayant lu, sur les marbres et dans les manuscrits, les nombres exprimés en chiffres, nous avons supposé par analogie qu'on disait en latin: Septem decim, octo decim, novem decim, comme en français nous disons dix sept, dix huit, dix neuf. Mais ce n'est là qu'une supposition. Et les Romains, ( Priscien l'affirme, au chapitre 4 de son traité De figuris numerorum), s'ils disaient undecim, duodecim, etc., jusqu'à sexdecim inclusi- vement, préferaient à septem decim septem et decem, à octodecim octo et decem, à novem decim novem et decem. On lit également dans certaines inscriptions,

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abréviation de supra, et les valaques disent: doï spra dieci, douze, duo et decem; oct spra dieci, dix huit, Octo et decem; noa spra dieci, Dix-neuf. novem et decem, etc.

Ainsi, il est démontré que le valaque se rapproche souvent du latin par une triple ressemblance, celle des mots, celle de la syntaxe, celle que nous avons appelée ressemblance par l'allitération. Mais sur ce fond essentiellement latin sont venus, comme nous l'avons déja dit, se superposer divers éléments, empruntés aux langues des peuples voisins, à la langue des Grecs modernes à celles des Turcs, et surtout à celle des Slaves.

Nous avons épuisé ainsi la nomemclature des idiômes romans. Ayant distingué cinq grandes familles de langues indo-europénnes, nous en avons fini avec trois d'entre elles, la famille des langues indiennes, celles des langues celtiques et celle des langues pélasgiques. Il nous reste à examiner les deux dernières, c'est-à-dire les langues germaniques et les langues Slaves.

h. Beauvallet

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15 e Leçon 19 mai 1853. Sur les langues germaniques en général

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Sur les langues germaniques en général

Au début de ce cours nous avons étébli cinq grandes familles de langues Indo-Européennes.

1° Les langues Indiennes 2° Les langues Celtiques 3° Les langues Pélasgiques 4° Les langues Germaniques 5° Les langues Salves.

Nous avons déjà indiqué les caractères principaux des trois premières familles de langues. Il nous reste à examiner les langues germaniques et les langues slaves. Notre étude d'aujourd'hui portera sur les langues germaniques considérées en général.

Aussi loin qu'on peut remonter dans l'histoire, on aperçoit un mouvement continu des peuples de l'Orient à l'Occident. L'asie est certainement le berceau de l'espèce humaine. Des hauts plateaux de ce vaste continent, des peuples innombrables sont descendus à diverses époques, et guidés par la marche du soleil, se sont toujours avancés vers l'Occident. Est-ce quel- que évolution terrible du globe qui les a chassés de leurs foyers primitifs, ou bien ne font-ils qu'obéir à une fatalité inexplicable qui pèse sur eux et les pousse en avant, comme Attila le fléau de Dieu?

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On ne sait. Mais on les voit pénétrer en Europe le long de la mer Baltique par la vallée du Danube, remonter le cours du fleuve jusqu'à sa source, et de là se répandre sur notre continent tout entier.

C'est ainsi, par des émigrations succesives, mais dont on ne peut assigner la date, que les Celtes ont quitté les régions supérieures de l'asie, et se sont avancés les premiers jusqu'à l'océan atlantique, tandis que sur leurs pas se pressaient tour à tour les Pélasges, les peuples de la race germanique, et enfin les slaves.

La race germanique venue après les Celtes et les Pélasges, occupa le centre et le nors de l'Europe. Au sud Elle |rencontrait les Pélasges, à l'Ouest elle rencontrait les Celtes a l'Est elle devait toucher plus tard à la race des Slaves. Le nord de l'Europe et le centre étaient libres; c'est là qu'elle se répandit et se fixa pour toujours.

Pendant longtemps les Grecs n'eurent que des notions confuses sur la géographie des peuples du Nord et du centre de l'Europe. Ils les enve- loppaient tous dans le surnom commun de barbares ou de Scythes. Longtemps ils confondirent les Slaves et les Germains. Ce n'est que très tard [texte barré et illisible] qu'ils apliquèrent le nom de Germains et de Francs à la race germanique

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et quils réservèrent aux slaves le nom de Sarmates et de Scythes.

Hérodote appelle Gètes, οʿι Τέται, un peuple barbare, qu'on a prétendu être de race germanique. Cette opinion est controversée, et il est difficile de l'admettre.

Au défaut d' Hérodote, le plus ancien et le plus complet témoignage que nous trouvions sur les peuples germains, est celui du navigateur Pythéas, contemporain de Platon, dans le IV e siècle avant J.C.

Pythéas était de Marseille. Sa science em- brassait la plupart des connaissances de son époque. Le premier il fit des observations astro- nomiques pour déterminer la position des lieux, et fixa à 43' degrés la latitude de Marseille. La science moderne a peu modifié son calcul.

Pythéas entreprit deux voyages dans le Nord de l'Europe. Parti de Marseille, il franchit les Colonnes d'Hercule, longea les cotes de la Lusitanie, de l'Espagne septentrionale, de l'aquitaine, et pénétra dans le détroit de la Manche. Jusqu'ici on peut suivre pas à pas sa navigation le long des côtes. Mais on ne sait quel pays Pythéas veut désigner par le nom de Thulé, θούλη. Quoique

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les Romains et Tacite aient toujours désigné l'Islande par le nom de Thulé, le récit de Pythéas et l'itinéraire qu'il suit, permettent de croire que c'est à la Norvège qu'il applique ce nom mystérieux.

Dans son second voyage Pythéas pénétra jusqu'à la mer Baltique. Il trouva sur le littoral un peuple barbare qu'il appelle Guttones (Goths?) Les détails qu'il nous donne sur les mœurs de cette nation, et sur la position qu'elle occupe, nous prouvent que dès cette époque les peuples germa- niques étaient à peu près établis dans les mêmes contrées, où Tacite nous les montre cinq siècles plus tard.

Les voyages, les découvertes de Pythéas exitaient chez les anciens la plus vive émotion. On peut se la figurer par l'enthousiasme qu'eprouvèrent les modernes pour les découvertes de Vasco de Gama et de Christophe Colomb. On voulut savoir tout ce qui se rapportait à ces mystéreuses contrées du Nord et Pythéas pour satisfaire l'avide cu- riosité de ses concitoyens, publia le récit de ses voyages dans deux livres dont l'un est intitulé : "description de l'Océan τὰ περὶ ωʾχεανοῦ, et dont l'autre porte le nom de "Tour de la Terre, Ιῆϛ

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περίοδοϛ.

Ces deux livres appartenaient peut être à un grand ouvrage qui aurait roulé sur l'ensemble des connaissances physiques de son temps. On est réduit à des conjectures sur cette question. Il ne nous reste en effet de Pythéas que quelques fragments conservés surtout par Strabon, par Pline et par différents scholastes grecs. Strabon cite surtout Pythéas pour le combattre et l'accuser de mensonge et d'imposture.

En effet, il est arrivé à Pythéas ce qui arrive à tous les voyageurs qui décrivent les premiers, les moeurs, les habitudes de peuples inconnus; on traite de fables leurs récits, jusqu'à ce que des recher- ches plus approfondies forcent de rendre justice à leur véracité. Ainsi beaucoup d'écrivains du 18 e siècle se sont élévés contre la sincérité d' Hérodote, et ont contesté ce qu'il raconte des Babyloniens. Aujourd'hui plus la science fait de nouvelles découvertes en fouillant les ruines de Minive, et plus on constate la vérité des récits d' Hérodote.

De même, Strabon traite de mensonges ce que Pythéas raconte des glaces du Nord. Habitué à la douce température de l'Italie, de la Grèce, au-

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de l'Egypte, ne connaissant l'hiver que de nom, il refuse de croire aux effets d'une température glaciale qu'il n'a jamais éprouvée. Pythéas était arrivé dans les parages de la mer du Nord, vers le solstice d'Eté, à l'époque du dégel, lorsque la glace flotte par énormes morceaux, et fondue à moitié, offre une surface presque spongieuse. Des brouillards épais et lourds, si fréquents dans ces contrées, enveloppaient toutes choses dans des teintes ternes et confuses, et redoublaient l'effet étrange de ces montagnes de glace. Frappé de ce spectacle si nouveau pour lui, Pythéas racon- tait que dans ces climats maudits des dieux, il n'y avait plus ni mer, ni terre, ni air, mais comme un mélange ectraordinaire de tous les éléments qui ne pouvait mieux se comparer qu'à un zoophyte marin, spongieux, appelé poumon marin. Il avait dit σύγχριμά τι ἐχ τούτων, πνεύμονι ϧαλαττίω ἐοιχόϛ. Strabon reprochait à Pythéas cette observation. Aujourd'hui elle n'a rien d'étrange pour nous autres peuples du Nord, et nous pouvons constater qu'ici au moins Pythéas disait vrai.

Les fragments de Pythéas ont été receuillis et publiés plusieurs fois. L'édition la plus complète que nous ayons, est due à un savant

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suédois, M r Arwedson, à Upsal, 1824.

Les ouvrages de César et de Tacite sont trop connus pour que nous ayons besoin de relever ce que les historiens racontent des Germains.

L'ouvrage qui pourrait nous donner le plus de lumières sur les peuples de race germanique serait l'histoire des guerres des Romains contre les Germains, en 20 livres par Pline l'ancien. ( Pline le jeune liv. 111. lettre 111) Malheureusement il ne nous reste rien de cet ouvrage. Il nous eût, sans contre- dit, fourni plus de renseignements précis et d'indications précieuses que le livre même de Tacite sur les mœurs des Germains.

La race germanique se divise en trois familles principales de peuples.

1° La branche gothique ou scandinave 2° La branche saxonne 3° La branche Teutonique.

La branche gothique s'étend depuis le bas-Danube jusqu'à la mer Baltique. La branche saxonne et la branche Teutonique se trouvaient entre la branche gothique et les Celtes.

Dès les premiers commencements de la

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littérature, on remarque entre leurs langues des différences remarquables qui vont toujours en s'accroissant. Cependant ces langues appartenant à des peuples de même race se tiennent par des ressemblances frappantes dont voici les quatre principales.

1° Les idiômes se rattachent tous trois au sanscrit, et par conséquent au Zend et au Persan par une descendance directe, et par une transformation régulière des divers sons du même organe. Les premiers monuments de ces langues offrent surtout une analogie frappante avec le sanscrit. Ainsi, la bible gothique d' Ulphilas, au IV e siècle, présente de très grandes ressemblances dans les radicaux avec le sanscrit. 2° Les trois idiômes ont un vocabulaire très riche et offrent de très grande facilités pour composer des mots. Cette faculté synthétique contribue beaucoup à la richesse d'une langue, mais│nuit à sa clarté. En effet pour se recon- naitre dans tous les radicaux que la composition accumule et dont elle dispose à son gré, il faut un certain travail d'esprit, un effort qui nuit à la clarté de la langue, parceque parce que seuls, les hommes instruits sont capables de le faire.

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3° Ces idiômes présentent le même système de conjugaison. Ils n'ont que deux temps simples, le présent et un passé qui sert d'imparfait et de parfait. L'absence d'un temps spécialement destiné au parfait est un grand inconvénient, car il est une foule de nuances que ces langues ne peuvent exprimer que par des temps composés ou par des périphrases. 4° Le quatrième Caractère commun à ces langues est leur système de prosodie tout à fait opposé à la prosodie grecque et latine. Nous reviendrons dans la prochaine Leçon sur le carac- tère de la prosodie chez les peuples germaniques. Victor Cucheval.

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16 e Leçon 26 Mai 1853. Suite des langues germaniques Le Gothique.

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Suite des langues germaniques. Le Gothiques.

Résumé de la leçon précédente Dans le ttableau ethnographique des langues Indo-Européennes, nous avons établi cinq grandes familles:

1° La famille des langues Indiennes 2° La famille des langues Celtiques 3° La famille des langues Pélasgiques 4° La famille des lanques Germaniques 4° La famille des langues Slaves.

Nous avons étudié dans les leçons précédentes, les trois premières familles, Indiennes, Celtique Pélasgique. Nous sommes arrivés à la quatrième, Langues Germaniques Gothique et scandinave. Saxon. Teutonique. la famille des langues germaniques.

Nous avons vu qu'elle se partage en trois grands rameaux. 1° Le Gothique ou Scandinave 2° Le Saxon 3° Le Teutonique.

Que ces trois langues germaniques ont entre elles quatre caractères communs.

1° Leur parenté avec le sanskrit et par conséquent avec le. Zend et le Persan actuel; la richesse de leur vocabulaire

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qui abonde en radicaux et en verbes primitifs.

2° Leur facilité à former des mots composés, comme dans la langue grecque. 3° Leur système de conjugaisons qui est très borné, car elles n'ont que deux temps simples, (un temps simple est un temps formé par un seul mot, sans l'aide d'un auxiliaire). Ces deux temps simples sont le présent et le passé qui sert à la fois de parfait et d'imparfait. 4° Leur parodie enfin, qui repose sur des règles déterminées, mais différentes des règles de la prosodie grecque et de la prosodie latine. de la prosodie des langues germaniques

Voici quel est le système prosodique des langues germaniques dont nous nous occupons.

Les mots se composent de syllabes brèves et longues comme en latin et en grec. Sous ce rapport les langues germaniques ressemblent aux langues classiques de Rome et de la Grèce. La valeur des syllabes longues et brèves est tellement bien déterminée qu'on peut imiter dans ces idiômes

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les mètres des anciens, surtout le mètre élégiaque, c'est à dire l'hexamètre suivi du pentamètre, et le mètre saphique et qu'il est employé par Horace. Au 16 e siècle, des savants distingués ont essayé de transporter dans les langues Néo- latines ce système prosodique de brèves et de longues, mais malgré l'art, l'habilité, et la patience de ces érudits, les essais de ce genre n'ont pas réussi ; il n'en est résulté que des exercices ingé- nieux mais inutiles.

Cette ressemblance de la prosodie des langues germaniques avec la prosodie des langues latine et grecque n'est, pour ainsi dire, qu'une ressemblance de forme ; elle est tout extérieure ; il y a entre ces deux familles de langues des différences prosodi- ques qui tiennent au fond même et à la nature du génie des races germaniques, et à la logique grammaticale de leur langue.

Ainsi, en latin et en grec, il y a des syllabes qui par nature sont longues et brèves, il y a aussi qui par position ont l'une ou l'autre quantité. Ces variations de prosodie tiennent à l'addiction ou à la suppression d'une syllabe, par conséquent à un pur accident, à une pure rencontre de lettres ou de mots ; dans les idiômes germaniques la

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quantité n'est pas soumise à ces vicissitudes prosodiques dont il est, la plupart du temps, impossible de déterminer la cause, elle a, si nous pouvons le dire, un caractère plus régulier, plus fixe, plus logique.

La syllabe radicale est toujours longue. quant aux syllabes ajoutées à ce radical pour en faire un substantif, si ce radical est adjectif, pour en faire un adjectif, s'il est substantif, elles sont, dis-je, toujours brèves. Ainsi dans les mots composés fort nombreux, comme nous l'avons vu, s'il entre deux deux différents, il y aura inévittablement deux syllabes longues; c'est-à-dire les radicaux des deux mots faisant partie du terme composé. Prenons un exemple: Dans le mot latin: " bonitas" les trois premières lettres bon forment le radical, tas est une syllabe ajoutée pour faire de ce radical adjectif un subtantif (car dans bonus, a, um, bon est l'adjectif; us, a, um sont des annexes - Quant à l' i qui apparait dans Bonitas, c'est une simple voyelle de liaison.) Eh bien! dans la prodosie latine, ce sont les premières voyelles qui sont bŏnĭ-, quoique bon soit la syllabe radicale, et tas la syllabe

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quantité n'est pas soumise à ces vicissitudes prosodiques dont il est, la plupart du temps, impossible de déterminer la cause, elle a, si nous pouvons le dire, un caractère plus régulier, plus fixe, plus logique.

La syllabe radicale est toujours longue. quant aux syllabes ajoutées à ce radical pour en faire un substantif, si ce radical est adjectif, pour en faire un adjectif, s'il est substantif, elles sont, dis-je, toujours brèves. Ainsi dans les mots composés fort nombreux, comme nous l'avons vu, s'il entre deux deux différents, il y aura inévittablement deux syllabes longues; c'est-à-dire les radicaux des deux mots faisant partie du terme composé. Prenons un exemple: Dans le mot latin: " bonitas" les trois premières lettres bon forment le radical, tas est une syllabe ajoutée pour faire de ce radical adjectif un subtantif (car dans bonus, a, um, bon est l'adjectif; us, a, um sont des annexes - Quant à l' i qui apparait dans Bonitas, c'est une simple voyelle de liaison.) Eh bien! dans la prodosie latine, ce sont les premières voyelles qui sont bŏnĭ-, quoique bon soit la syllabe radicale, et tas la syllabe

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effet à chaque instant, en latin et en grec, que les mots sur les quels porte vérittablement le sens, les mots pour ainsi dire, proéminents dans la pensée, sont marqués d'une quantité brève, et passent presque inaperçus dans la rapidité de la prononciation.

Au début de l'Eneide, le personnage sur lequel Virgile veut attirer l'attention, c'est évidem- ment Enée, le héros qui va faire le sujet du poème entier; Enée est toute la préoccupation du poète et du lecteur ; sans doute le premier vers de l'Enéïde va mettre ce nom en relief de manière que non seulement l'esprit, mais les yeux même soient frappés de ce mot, Enée le héros troyen, le père des Romains. Voilà ce qu'on attend. Arma vĭrum que ........

Une syllabe brève le désigne; on est obligé de passer légèrement sur ce mot; et l'esprit reste comme déconcerté en voyant disparaitre l'effet qu'il attendait. Ainsi l'homme, le héros, en latin, est représenté par une simple syllabe brève, il en est bien autrement en allemand où le mot [ Held] demande, pour être bien prononcé, un effort de la voix.

Dans Virgile, (3 e Eglogue) Ménalcas ed Damœtas

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luttent ensemble, devant Salœmon, pour le prix du chant; ils disent chacun deux vers, " amant alterna carnœnæ"

Danaœtas commence ainsi: Ab Jove principum, musæ, Jovis omnia plena (vers 60)

Jove, Jovis, voilà la pensée principale. Ce sont deux brèves. On sera encore plus frappé du désacord qu'il y a entre le sens et la quantité de ce mot si l'on songe que la différence des syllabes brèves et longues était beaucoup plus semsible pour les latins que pour nous, et que c'était précisément cette profonde distinction des syllabes brèves et longues qui permettait aux anciens de se passer de la rime. On devait donc glisser très rapidement sur Jovis et Jove pour faire sentir l'admirable harmonie du vers et l'heureux mélange de dactyles et de spondées.

La prosodie grecque présente les mêmes bizarreries, je dirai presque les mêmes contresens, de quantité.

Ainsi ce vers latin: Ab Jove principium, musae ; Jovis omnia plena ; est la traduction du premier vers des Phénomènes d' Aratus : Ἐϰ Διὸϛ ᾽αρχώμεσθα ..........

On ne voit rien de pareil dans les langues germaniques. Ainsi, pour résumer les caractères généraux des langues

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Parmi les peuples barbares qui de l'Asie se précipitèrent sur l'Europe au 4 e et au 5 e siècle de notre ère, les Goths vinrent les derniers. Ils semblent former l'arrière garde de cette grande invasion des peuples germaniques ; à l'époque où commence leur histoire, on les trouve établis sur les bords de la Baltique; ils s'étendent des rivages de cette mer jus- qu'au Pont Euxin. Qaund on les découvrit, les Francs et d'autres populations germaniques s'étaient déjà avancées vers l'Ouest, et occupaient les bords du Rhin.

S'il était prouvé que les Gètes ( Γέται) sont un peuple germain, comme beaucoup de savants le croient, on pourrait remonter à une époque assez reculée pour en trouver la première mention. Ils sont cités pour la première fois par Hérodote : cet historien raconte l'expédition de Darins contre les scythes, vers l'an 506 avant Jésus-Christ; il nous apprend qu'avant de traverser l'Ister, il rencontre les Gètes.

πρἱν δἑ ἀπικέο θαι έπἱ τὁν᾽ Ἰστρον : πρόυτους αἱρἐει Τέταςτοὺς ἀϧανα-τἰζοντας. Οἱ μἑν γὰϱ δὴ τὸν Σαλ-μυδησσὸν Ἔχοντες. Θρήικες ϰαὶ ὸπἑρ Ἀπολλωνίης τε ϰαὶ Μεσαμ-ϐρίης πόλιος ὀιϰήμενοι , ϰαλευμέυοι δε εϰυρμιάδαι ϰαὶ Νίψαῖοι , άμαχητὶ σγέας αὐῖοὺς παρέδοσαν, "Avant d'arriver à l'Ister, Darins subjugua les Gètes qui se disent immortels. Les Thrace des Salonydesse; et ceux qui demeurent au dessus d'Apollonie et de la ville de Mésembrie, qu'on appelle Scyrmiades et Mipséens, s'étaient rendus à lui sans combattre.

3 École normale supérieure Estampille de la bibliothéque

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Δαρείω οῐ δἑ Τέται πρὸϛ ᾰγνωμο- σόνην Τραπόμενοι, αῠτίxα ἐδουλώ- ςησυν, Θρηίxων, Εόντες ᾰνδρει- οτατοι ϰαὶ διxαιότατσι. ( Hérodote IV-93) Les Gètes par un fol entêtement se mirent en défense, mais ils furent sur le champ réduits en esclavage. Ces peuples sont les plus braves et les plus justes d'entre les Thraces-"

Ainsi Hérodote prend ces Gètes pour un peuple Thrace. Il rapporte des circonstances mystérieuses Ἀϧανατίζουσι δὲ τόν δε τὸν τρόπον ὀὐτε ἀποϧνήσξειν Ἑωυτοὺς νομίζονσω ῐἐναι τε τὸν ἀπολλύμενον παρὰ Ζἀλμοξω δαίμονα. οῐ δὲ αῠτῷν τὸν αῠτὸν τοῦτον νομίζουσι Τεϐε- λέϊζω. Ώςδὲἐγὼ πυν ϧάνομαι Τῶν τον Ἑλλήσποντον οῐϰεόν ων Ἑλλήνων ϰαὶ πόντον, τὸν Ζάλμοζιν τοῦτον, Ἐόντα ἄνϧρώϰον, ἀναδιδάς ϰεω τοὺς, Θρήϊϰας ᾡς ὀύτε αῠτὸς ὀύτε οῐ ἐϰ τούτών ᾰεὶ γινόμενσι ᾰποϧανέονται.ἐϰ μὲν τῶν Θρηϊϰων ἠφανίσϧη, ϰαταϐὰς δὲ ϰάτω ἐς τὸ ϰατάγαιον ὀίϰγμυι, διαιτᾶτο ἐπ' ἔτεα τϱία οὶ δἐ μν ἐπόθεόν τε ϰαὶ ἐπένθεον ὡς τεθγεῶτα. τϱτάρτω δέ ἔτεϊ ἐφάνη τοῖσι Θφήϊξι, ϰαὶ οὔτώ πιθανά ουι έγένετο τα ἔλεγε ὁζάλμοξις. ( Hérodote IV 94. 95 passim) sur sa vie et ses croyances: " Les Gètes, ajoute-t-il, se croient immortels et pensent que celui qui meurt va trouver leur Dieu Zalmoxis que quelques uns d'entre eux avaient le même que Gébéleizis. J'ai néanmoins entendu dire aux Grecs qui habitent l'Hellespont et le Pont que Zalimoxis était un homme, qu'il apprenait aux Thraces que ni eux ni leurs descendants ne mourraient, qu'il se déroba à leurs yeux et descendit dans un souterrain creusé d'avance, où il demeura environ trois ans; qu'après avoir pleuré et regretté comme mort, il reparut la quatrième année, et rendit croyables par cet artifice, tous les discours quil avait tenu." Ζάλμοξις ὁ ἡμέτερος ϐασιλεύς, ϧεὸς ὤν. ( Platon Charmive V.) Platon dans son Charmide (Ch. V) parle aussi de ce Zalmoxis, comme d'un personnage ancien moitié souverain, moitié législateur, qui après sa mort, devint un espèce de Dieu.

Plusieurs savants ont cru voir dans ces Getes que Darins trouva établis en 506 sur les bords

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de l'Ister, un peuple gothique,malgré l'opinion d' Hérodote. Ils ont même cru reconnaitre dans Zalmoxis deux mots gothiques: Sael, Sal (c'est à dire heureux en gothique) et mahti, (génie) de sorte que Zalmoxis signifierait génie heureux, ou génie qui donne le bonheur, Εύτυχὴς δαίμων. Ce rapprochement peut-être ingénieux ; mais d'abord c'est une hypothèse et il faut se défier des hypothèses même de celles qui paraissent spécieuses et peuvent avoir une vraisemblance ; ensuite une raison historique nous empêche d'identifier les Gètes et les Goths, c'est qu'il semble qu'au 6 e siècle avant notre ère, les Goths n'étaient pas encore descendus aussi bas vers le Sud; ils n'occupaient pas encore les bords de l'Ister. Il est donc fort probable que les Gètes et les Goths sont deux peuples dinstincts.

Ce qu'il y a de certain, c'est que Pline dans son histoire naturelle parle d'un peuple appelé Guttones, et qu'il s'agit ici des Goths. Pline cite un passage Pytheas Guttonibus, Germaniae genti, accoli Œtuarium Oceani, mentonomon nomine, spatioa stadio- rum sex millium. Ab hoc dici navigam tione insulam abesse. Abalum: illuc, per ver fluctibus advehi et esse concreti maris purgamentum succinum ; incolas pro|ligno ad ignein uti eo proximo que Teutonis de Pythéas: - " Pythéas rapporte (w 28.2.) que les Guttons, nation germanique, habitant, dans un espace de Gooostades, les bords du mentonomon; on appelle ainsi l'embouchure d'un fleuve qui se jette dans l'Océan ; qu'à une journée de navigation est l'île d'Abalus où les vagues jettent le succin au

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vendere. Huic et Timans credidit, sedinsulam Basili am vocanit ( Pline. Hist. nat. L.37. Ch. 11) printemps; que cette substance est une sorte d'excrément de la mer congelée; que les habitants s'en servent en guise de bois, et en vendent aux Teutons, leurs voisins; Timée a admis cette opinion, mais il a nommé l'île Basilie - Œstuarium- ce mot a deux significations différentes:

1° D'après Festus c'est ce qu'on appelle la laisse de basse mer, c'est à dire cette terre que la haute marée laisse sur le rivage en se retirant. 2°Cette partie large de l'ambouchure d'un fleuve où la marée pénètre, et où les eaux de la mer se confondant avec celles du fleuve, prennent deux couleurs et font douter si l'on est déjà en mer, ou non. Les anciens avaient remarqué que les fleuves qui se jettent dans la Méditéranné Méditerranée n'ont pas d' astuarium, mais des Deltas, ainsi le Nil, le Pô, le Rhône; tandis que ceux qui se jettent dans l'Océan ont des œstuarium: ainsi la Gironde, la Loire, la Seine, l'Escaut, le Weser, l'Elbe. Déjà dans la Baltique, la Vistule forme un Delta. L'œstuarium oceani dont parle Pythéas, veut sans doute dire l'embouchure de la Vistule, malgré la forme différente que prend ce fleuve en se jetant dans la mer.

- Succinum- Le Succin dont parle Pythéas est

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est l'ambre jaune, electrum, dont les Romains fai- saient le plus grand cas. Dans Homère on trouve l' ἤλεϰτρος, au masculin. Mais ce mot n'a pas la même signification; il désigne alors un mélange de quatre parties d'or et d'une partie d'argent. Ce n'est que dans les écrivains postérieurs qu'il a signifié ambre.

Ainsi Pythéas est le premier qui fasse mention des Guttones ou Goths. Les Goths eux-mêmes s'appelaient Gutthinda. Nous reconnaissons déjà cette langue l'habitude des mots composés. Gutthinda est formé de deux mots dont l'un Gut signifie bon, et l'autre thinda, peuple. Il ne faut pas s'étonner du nom flatteur que les Goths s'étaient donné à eux mêmes. C'est l'habitude des peuples primitifs, de mettre un éloge dans le nom qu'ils se décernent. Ainsi Franci veut dire libres: " Franci Vocantur qui a sunt à Romano tributo Franci."

Thinda qui veut dire peuple, nation en gothique, est resté dans beaucoup de noms propres où les Grecs ont mis θεο, comme dans Θεοδὠριχος, Théodoric, en gothique Thindareiks, roi du peuple. Cette dernière syllabe, reiks, se retrouve dans d'autres noms propres, tels que Alarik, roi de tout;

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Hermanrik chef des guerriers. Reiks en gothique veut dire chef. C'est le Rex latin et le Raj sanskrit, devenu Rajah en Hindoustani.

Mais jusqu'ici nous n'avons rencontré pour désigner les Goths que le mot de Guttones; nous ne les avons pas encore vus nommés dans les écrivains anciens par le nom que nous leur donnons aujourd'hui. Il se trouve pour la première fois dans Spartien, un des écrivains de l'histoire d' Auguste, qui vivait au IV e siècle, sous Dioclétien et Constantin.

quum Germanici et Parthici et arabici et Alemanni nimen abscri- beret, Halvieus Pertinax filius Pertinacis dicitur joco dixisse: "adde, si placet etiam Geticum maximum," quad Getam occiderat fratrem et Gotti Getae dicerentur; quosille dum ad Orientem transiit tumultua- riis praeliis devicerat. cs ( Spartien, Vie de Caracalla. x. histoire Auguste) Spartien s'exprime ainsi dans la vie de Caracalla "Ce prince se faisant appeler le Germain, le Parthe, l'Arabe, l'Allemand, on rapporte q'u Helvius Pertinax, fils de Pertinax lui dit en se moquant de lui: "Ajoute si tu le veux à ces surnoms, celui de Getiens Maximus"- parceque Caracalla avait tué son frère Géta, et que, dans son expédition en Orient, il avait vaincu avec des troupes levées à la hâte, les Goths que l'on appelle aujourd'hui Gètes"-

A partir de ce moment on trouve les Goths établis sur les bords du Danube, dans la Moldavie, la Valachie actuelle. Là ils eurent une influence très grande, et souvent très funeste, sur les destinées

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de l'empire romain.

J. Horion.

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17 e Leçon 2 Juin 1853. De la bible d'Ulfilas

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Dela De la Bible d' Ulfilas

La famille des langues germaniques qui nous occupe en ce moment se partage nous l'avons dit en trois rameaux 1° la branche gothique ou scandinaves, 2° la branche saxonne, 3° la branche dite Teutonique. Nous devons parler aujourd'hui du plus ancien document écrit dans ces idiomes germani -ques, c'est une traduction dela de la bible, qui se trouve appartenir au dialecte gothique, et qui a été faite dans la deuxième moitié du quatrième siècle, par un évêque de cette nation, établie alors du moins en partie sur la rive septentrionale du Bas-Danube, dans les contrées que nous désignons maintenant sous les noms de Valachie et de Bessarabie, depuis la frontière de la Hongrie actuelle jusqu'au Pont Euxin. L'auteur de cette traduction, ecclésiastique initié à la civilisation et à la littérature grecque, autant qu'on pouvait l'être à cette époque, est Ulphilas; son nom peut s'écrire par ph, si on se conforme à l'orthographe des écrivains grecs presque contemporains, qui appelés à en parler comme d'un homme politique mêlé aux grands évènements de son temps, l'écrivent Ούλφίλας, ou même, comme on le trouve dans certaines éditions, mais par erreur

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de copiste, Ούλφίλας ; cependant peut-être faudrait il plutot plutôt dire Ulfila, les lettres gothiques qu'il a inventées lui-même étant [texte à transcrire], c'est à dire, Ulfila. On peut reconnaitre ici plusieurs caractères invités du grec; et en effet l'alphabet gothique est un mélange des eux alphabets grecs et latins tels qu'on les écrivait à cette époque. Ce nom a la même signification que Λυκίσκος, dimi- nutif de loup; c'est que chez les peuples primitifs presque illetrés encore, vivant dans des climats où le lion est inconnu, toujours le loup prend la place du lion et devient l'emblême du courage, de l'audace et des vertus guerrières; il conserve cette place dans les imaginations et dans les poésies populaires jusqu'à ce que le lion soit connu au moins par les livres. Ainsi dans les traditions des pâtres du Latium la louve par laquelle Romulus et Rémus furent allaités, doit nous représenter une lionne. Chez les peuples de race germanique les quatre premières lettres du nom d' Ulfila sont entrés dans un certain nombre de prénoms qui transmis par les Francs ou par d'autres peuplades se retrouvent dans notre Europe occidentale : Athelwolf (noble loup) d'où on a fait adolphe ; Rothwolfus (Loups rouge) d'où Rodolphe, dont Raoul n'est que la contraction.

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Hérodote raconte livre VII ch. 126 que lorsque l'armée de Xercès arriva en Macédoine; elle trouva entre les fleuves Nestus et Achéloüs des lions à l'état sauvage; on ne les trouvait qu'entre ces deux rivières. "Les Nestus qui traverse Abdère, sert de borne aux lions d'un côté, et de l'autre l'Achéloüs, qui arrose l'Acarnanie. Caron n'a jamais vu de lions ou aucun endroit de l'Europe, à l'Est, au delà du Nestus, et à l'Ouest dans tout le reste du continent, au delà de l'Archéloüs; mais il y en a dans le pays entre ces deux fleuves". Cette assertion du vieil historien a été combattue; on a prétendu que le climat du Nord étant incompatible avec l'existence des lions; d'autres savants cependant ont cru qu'il n'y avait rien là d'impossible. En dehors de toutes les raisons tirées de l'histoire naturelle, nous avons une preuve de la véracité d' Hérodote, c'est que le lion figure sans cesse dans les comparaisons de l'Iliade; or, si les Grecs dès les temps héroïques, quand les communications entre les peuples étaient si difficiles et si rares, parlent déjà du lion dans leurs chants, c'est que dans leurs pays même ils voyaient sous leurs yeux; sans cela le loup aurait certainement pris dans les traditions et dans la poésie la place du lion, comme cela est arrivé dans le Latium.

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Mais revenons à Ulfila; nous connaissons quelques circonstances de sa vie, car il est question x Sozomène vient du participe même du verbe σωΙόμενος en changeant l'accent et en le mettant sur la dernière. La règle générale est que: quand un adjectif ou un participe devient nom propre, l'accent change. λαμπρός, brillant; Lam'prus nom propre; δωγενής fils de Jupiter Διογένης, Diogène, nom du philoso- phe cynique. de lui dans plusieurs historiens grecs, dans Sozomene x, dans Socrate, auteur d'une histoire ecclésiastique, et dans Philostorge. Nous savons, par exemple, qu'il assista comme représentant des Goths établis encore alors au délà du Danube, à un concile tenu à Constantinople, l'année même ou Julien dit L'aposta x C'est là un des souvenirs du vieux Paris qui commence à moins être connu dès le temps de la Lutèce romaine, si bien qu'on pourrait dire des Parisiens ce que Cicéron dit si bien des atheniens. Semper vestigium in histo- ria ponunt; pas une rue, pas une place qui n'ait ses grands souvenirs historiques Le palais impérial bâti par Constance Chlore, le père de Constantin, c'est maintenant les Thermes; les Stativa castra ou Casernes dont parle Ammien Marcellin liv XX ch. 4, où Julien fut proclamé empereur, étaient à la place du palais du Luxembourg et d'une partie des jardins; les arènes ou le cirque, un peu au delà de la rue des Fossés St Victor, le long de cette pente qui est la continuation de la montagne Ste Geneviève; le forum entre le bas de la rue St Jacques et la place Maubert; Julien en parle lui même dans sa lettre écrite au Sénat d'Athènes. fut proclamé empereur par ses légions en 360. x

Il traduisit du grec de la version des septante, pour l'ancien testament, et du texte grec lui-même, pour le nouveau, toute l'écriture Sainte, excepté les livres des rois, parce que, dit Philostorge, les Goths étant déjà une nation belliqueuse, il craignit que les récits des guerres qui s'y trouvaient ne vinssent les animer et les exciter encore davantage. Philostorge ( Φιλοστόργιος) est auteur d'une his- toire ecclésiastique en 12 livres. Photins patriarche de Constantinople prétend [rature] dans sa bibliothè- que que comme il y a douze lettres dans ce nom, chaque livre commençait par une de ces lettres; cette histoire est perdue mais des extraits considérables nous en ont été conservés par ce prélat auquel on doit tant d'autres écrits précieux de l'antiquité. Il copie d'ordinaire textuellement, comme on peut s'en

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convaincre quand les auteurs dont il a donné des extraits existent encore. Il parlait ainsi d' Ulfilas : x on aurait pu mettre γενόμενος ayant été mais καταστάς est aussi employé dans ce sens, déjà même par Polybe. ϰαὶ ἀυτο֘ϛ οῐϰείων γρϰμμἀτων εὑρετὴς καταστὰς x μετέφρασεν εἰς τὴν αὐτῶν φωνὴν τὰς γραφὰς ἁπασας, πλήν γε δὴ τῶν ϐασιλείων

"Et de plus étant devenu pour eux inventeur d'une écriture nationale, il traduisit dans leur langue toutes les écritures, excepté les livres des rois."

Une partie de cette traduction fut faite après l'année 360; nous savons qu' Ulfila traita en 375 au nom des Goths avec Valens qui périt peu après à la bataille d'Andrinople; c'est donc entre 360 et 377 qu'elle a été achevée, et elle est plus ancienne d'un demi siècle que les poèmes encore assez élégants de Claudien.

Il ne nous en est resté qu'une partie relativement peu considérable: nous avons les quatre évangiles, mais avec de grandes lacunes; ils se trouvent dans le manuscrit que l'on nomme Codex argenteus. Ce manuscrit fort ancien, du sixième siècle, ou au moins du septième, fut trouvé dans le monastère de la ville de Werden, et transporté à Prague: il est main- tenant en Suède à la bibliothèque de l'université d'Upsal. Il forme un volume in 4°, et, comme cela est arrivé quelquefois, assez souvent même, pour les livres Saints, les initiales sont en or, le reste est en

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argent, et le parchemin est très mince, comme toujours, à cette époque très ancienne; de plus, beaucoup d'anciens manuscrits étaient couleur de pourpre; cette couleur qui n'est pas encore bien connue, [mot à transcrire] qu'on sait seulement quel coquillage en faisait le fond, sans connaitre les autres ingrédients que les anciens y fesaient entrer, s'est changée en un bleu très foncé, ce qui rend la lecture souvent difficile.

D'autres fragments nous ont été conservés encore ailleurs. Monseigneur Angelo Maï a qui la philologie doit tant de découvertes, retrouva dans une bibliothèque de Milan cinq manuscrits x On appelle ainsi un manuscrit sur lequel il y avait autrefois une ancienne écriture, lavée depuis pour être rem- placée par une autre. Souvent, ici par exemple, l'opération a été heu- reusement assez mal faite pour qu'on puisse lire les anciens caractères sous les nouveaux. palimpsestes, x ces cinq manuscrits avaient fait partie d'abord d'un seul et même manuscrit, et ils contiennent: 1° une partie de l'évangile de St Mathieu, ce qui sert à compléter plusieurs lacunes de celui qu'on avait déjà; 2°, les Epitres de St Paul presque complètes; 3°, quelques fragments des livres d'Esdras et de Néhémie, seule partie de l'ancien testament que nous ayons; tout le reste appartient au nouveau.

Depuis le XVII e siècle, il y a eu plusieurs éditions, d'abord de la partie qui se trouve dans le Codex argenteus, puis des fragments trouvés succes- sevement; mais la plus complète de toutes est une édition en 2 volumes in 4°, donnée à Leipsik en

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1836, par Gabelentz:

En tout, nous possédons tout au plus le quart de l'œuvre d'Ulfilas; mais cela suffit complètement pour nous donner une idée de cette langue telle qu'elle pouvait être avant la grande migration des peuples, dans la seconde moitié du quatrième siècle. L'affinité entre le gothique et le sanscrit s'y montre clairement, non seulement par le grand nombre des radicaux tout à fait identiques, et dont beaucoup se sont perdus dans les langues germaniques modernes, mais aussi dans les déclinaisons et les conjugaisons.

Cette traduction écrite dans l'idiôme le plus ancien que nous connaissions des langues germaniques forme en quelque sorte la transition entre la langue sacrée des Brahmes et les langues de notre Occident.

Le fond de l'écriture d' Ulfilas est l'alphabet grec, tel qu'il était alors, c'est à dire les lettres grecques non capitales; mais onciales. On appelle lettres capitales celles qui ressemblent à nos grandes lettres des livres imprimés, et qui ne sont que la reproduction des caractères latins, tels qu'on les voit sur les marbres et dans les inscriptions de la belle époque, mais jamais dans les manuscrits. Dans les manuscrits on employait les lettres onciales; capitales plus abrégées; au lieu de l'A [sigle], au lieu de Σ C, qu'on appelle

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sigma luniforme.

De plus il fallait rendre des sons particuliers à la langue gothique, et alors Ulfilas a ajouté comme les Cophtes l'ont fait de leur côté des caractères nouveaux, le j, par exemple, et le ch. Les anciens, on le sait, écrivaient iei unus, et si nous disons, je junus, ce n'est pas qu'en prêtant par un effet rétroactif aux lettre latines la valeur que ces lettres ont dans notre propre langue.

Parmi les radicaux, beaucoup se trouvent à la fois en sanscrit, en gothique et dans les langues germaniques modernes.

J. Guibout.

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18 e Leçon 9 Juin 1853. Ressemblances et différences du Sanscrit et du Gothique.

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Ressemblances et différences du Sanscrit et du Gothique

En nous occupant de la langue Gothique, le plus ancien des idiômes germaniques, nous avons parlé de la traduction de l'écriture Sainte par l'évêque Ulphilas, qui nous est parvenue par une sorte de miracle. Cette langue est la transition du sanscrit aux langues germaniques. Elle n'a pas sans doute toute la richesse des formes grammaticales du sanscrit, qui a huit cas au singulier et au pluriel, et six modes. Outre ceux du grec en effet, il a un mode intens itif, qui marque l'insistance; il a d'autres désinences, encore, qui énoncent dans un seul verbe, avec l'idée principale, une foule de notions accesoires. Dans le Gothique, il y a des traces de cette richesse de formes, beaucoup plus que dans toute autre langue Germanique. On voit bien pourtant que ce riche édifice commence déjà à se décomposer. Déjà, dans plusieurs décli- naisons, il y a altération. Le Gothique en cela a suivi la loi générale des langues. Plus une langue dure, plus les inflexions s'altèrent; les déclinaisons se rem- placent par des particules, les temps des verbes par des verbes auxiliaires. C'est l'analyse qui vient remplacer la synthèse plus ou moins vite, suivant

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que l'altération a lieu par suite de l'invasion brusque des formes barbares introduites tout à coup dans une langue, ou par suite de la transformation lente et insensible qu'opère inévittablement l'action des siècles. Il n'y a en effet pour les langues que ces deux manières de se décomposer. Comme exemple du premier cas, le latin se présente naturellement. Les inflexions complexes étaient trop délicates pour l'esprit grossier des barbares; aussi, parlé par eux, s'altèra-t-il rapidement. Dans le second cas, la transformation se fait plus lentement. Sans doute une langue abandonnée à son propre cours, et sans action étrangère, tend toujours à subdiviser les signes représentatifs des idées des rapports, comme ces idées et ces rapports eux mêmes se subdivisent par l'action du temps; mais l'altération est moins rapide. Aussi longtemps qu'il y a une littérature, une société élevée qui parle cette langue, le mouvement de décomposi- tion est insensible, quoiqu'il aille bien plus vite dans la couche inférieure. Ainsi jusqu'à la prise de Constantinople, les hautes classes essayaient de parler le grec antique; pourtant depuis long- temps déjà la décomposition se faisait sourdement. Quand le dernier Constantin eut succombé, qu'avec lui se fut évanouie la classe lettrée qui maintenait

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les formes grec antique, le Romaïque parut; et en ce moment même, la Grèce régénerée cherche à le ramener vers le grec ancien. Un changement produit par d'autres causes a du avoir lieu pour le gothique. Le Gothique tel que nous le présente la traduction d' Ulphilas a encore de grandes ressemblances avec le langue des Brahmes, non seulement par les radicaux, mais même par les déclinaisons. Les terminaisons des différents cas sont presque les mêmes. Néanmoins le gothique a déjà éprouvé des pertes. Ainsi en sanscrit, il y a comme en grec trois nombres: Singulier, Pluriel, Duel. En gothique le Duel a disparu dans les déclinaisons, quoique subsistant encore dans les verbes. En sanscrit, il y a huit cas, d'abord les six du latin, du nominatif à l'ablatif, plus un causatif et un locatif. Le causatif est une inflexion particulière au sanscrit que des philologues appellent aussi instrumentale. Ainsi là ou nous disons en latin percussus est gladio, il a été frappé du glaive, le sanscrit a une termi- naison particulière pour indiquer la manière dont on a été frappé. Le Sanscrit a encore une autre terminaison qu'on appelle le locatif, pour désigner que telle chose se passe dans tel ou tel endroit. Où les latins diraient: Acta est res Romae, les Brahmes

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mettaient leur cas locatif. Remarquons toutefois qu'en latin le génitif même n'était pas seul employé pour indiquer le lieu ou une chose se fait, et qu'à côté de la forme synthétique coexis -tait déjà l'analyse et un commencement de subdi- vision: Acta est res in urbe.

Le gothique a perdu ces deux formes du Causatif et du Locatif, et presque aussi déjà le vocatif. Dans ce qui nous reste en effet, nous trouvons que le vocatif est toujours semblable au nominatif. Les huit cas du sanscrit se trouvent donc déjà réduite à cinq. Mais pour les cinq cas, les terminaisons sont à pour de choses près les mêmes qu'en sanscrit. Ainsi SUNO en Sanscrit est filius fils; le génitif est SUNOS. En gothique c'est [texte en gothique], [texte en gothique] (Sunus Sunos) au nominatif, et au génitif également, l' U se prononçant OU.

L'alphabet, tel qu'Ulphilas le donna aux Goths (ce que quelques uns contestent) est composé d'une manière fort remarquable. Il faut nous y arrêter un moment.

On voit qu' Ulphilas, s'il a été réellement l'inventeur des lettres gothiques, εὑρετὴς γραμμάτων, dit Philostorge, connaissait les deux littératures

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classiques, le grec nécessairement, puisque sa traduc- tion est faite sur le grec, mais le latin aussi, puisque son alphabet est un composé de l'alphabet grec et de l'alphabet latin. Le fond est grec, mais tel qu'on l'écrivait au IV e siècle de notre ère, c'est à dire que ce sont des lettres onciales et non des lettres capitales. On distingue en effet ces deux sortes de majuscules dans la paléographie grecque et latine. Les capitales sont celles dont on s'est servi depuis Périclès jusqu'après Alexandre pour graver sur le marbre; ce sont celles à peu près de nos typographies. Mais jamais on ne les trouve dans les manuscrits, même dans ceux qu'on a découverts à Herculanum; il ne semble donc pas qu'on s'en soit servi ailleurs que pour les inscrip- tions.

L'alphabet grec forme donc le fonds de l'alphabet d' Ulphilas, mais en Onciales. Deplus De plus, dans la langue gothique, il y avait des sons que ne lui fournissaient ni le grec, ni le latin. Il y avait par exemple un W qui avait probablement la prononciation du W anglais - Il y avait un soir, ou comme un j très fugitif, ou comme j, dans jour. [rature], [rature] - Il y avait de plus une sorte de q, également particulier à la langue gothique - [rature] il a rendu cette lettre par Π, la forme

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onciale de l'U latin, dont la forme capitale était V.

Cet alphabet est composé de vingt-cinq lettres; Ulphilas en a retranché les voyelles qui en grec sont doubles. Ainsi our l'o et l' ω, il ne connait qu'un o, dont la forme est [symbole]; quand il veut indiquer qu'il est long, il emploie la diphtongue au. Ainsi le génitif de [symboles], sunus, est [symboles] sunans qu'il faut lire su͠nos. Nous voyons déjà chez les Romains au se prononcer ô. Plaustrum a en effet pour diminutif Plostellum, et Suétone nous apprend que Vespasien prononçait Plaustrum comme Plostrum, o et non aou.

Autre remarque importante à faire pour la con- naissance de la prononciation grecque. Les sons que les peuples aux différentes époques de leur existence ont attachés aux diverses lettres, ont changé, et souvent beaucoup, quand la langue à a duré très long-temps longtemps. Ainsi les signes gravés sur le marbre on inscrits inscrit sur le parchemin, restent : mais leur valeur est fugitive, et ce serait une erreur de croire que leur prononciation n'ait pas varié. Le système d' Ulphilas est toujours, quand il rend les voyelles longues, d'employer les diphtongues, excepté pour l' α. Il

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rend l' ε bref par l'epsilon oncial ϵ, l' ε long par AI ; il rend même par AI l' ε bref, quand il a l'accent grec, ce qui prouve que dès lors l'accent avait plus de force que la prosodie. Quand en effet, l'accent se pose sur des syllabes prosodiquement brèves, les Grecs d'aujourd'hui ne font sentir que l'accent. Ainsi dans ἐυαγγέλιον, prosodiquement ε̅υ est long, α̅γ̌γελῐ est dactyle, ον serait bref. Aujourd'hui un Grec appuie sur l' ε, c'est à dire que la syllabe accentuée prédomine. Or, cette prononciation se retrouve déjà dans la manière dont ce mot est constamment écrit par Ulphilas; il rend en effet ε par αι dans ἐυαγγέλιον - [symboles], ce qui indique qu'il faut appuyer sur cette syllabe; preuve que déjà alors l'accent commençait à dominer la prodosie. Ulphilas rend I bref par l'I latin ou grec ; pour l'J long, ou accentué, il met EI. Il met ει aussi pour rendre l'H. [symboles]. Cela prouve qu'au IV e siècle la prononciation grecque devait être à peu de chose près la prononciation des Grecs d'aujourd'hui. Nous ne voulons pas dire toutefois par là que ce fût aussi celle du temps de Périclès; il est probable même que, quand on a inventé l'H, on ne lui a pas donné le son qu'avaient déjà iota et upsilon, et que ὑμεῖς, par exemple,

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et ἡμεῖς ne se sont pas tourjours proncés de la même manière, himis et himis -. Nous avons donc vu que les huit cas du sanscrit étaient en gothique réduits à cinq. Pour les conjugaisons, le gothique a conservé le duel qu'il a perdu dans les déclinaisons, et ce qui est fort remarquable, il possède encore comme le sanscrit, le grec, le latin, une forme parti- culière pour le passif ; mais pour les temps il est aussi pauvre que l'allemand moderne. Les flexions des verbes ressemblent beaucoup à celles du sanscrit. Ainsi la première personne des verbes sanscrits est toujours en mi Bahrami, je porte barasi, barati. Notons ici en passant que les verbes en μι dans les plus anciens monuments de la langue grecque et dans les dialectes qui ont précédé l'Jonien, sont très fréquents. Nous lisons encore dans Théocrite νίϰηι pour νιϰάω

.... Οὐ γάφ πω, ϰατ ἔμὸν νόον, ὀύτε τὸν ἐσθλὸν Σιϰελίδαν νίϰημι τὸν ἐϰ Σάμω, ὀύτε Φιλητᾶν .... (Joylle VII, v.40)

Nous retrouverons ces verbes en mi dans la langue d' Ulphilas.

A Monin

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19 e Leçon 16 juin 1853. De la langue gothique (Suite)

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De la langue gothique (Suite)

Nous avons, dans la dernière léçon, montré les principales analogies qui existent entre la conjugaison gothique, telle que nous la connaissions d'après la tra- duction des livres Saints d' Ulphilas, et la conjugaison sanskrite.

Ces analogies ne consistent pas seulement, comme nous l'avons dit, dans le système général de la conjugaison, dans l'usage du duel commun aux deux langues, dans l'emploi d'une forme particulière pour le passif, mais encore dans les diverses inflexions par lesquelles le gothique et le sanskrit distinguent les temps, et, dans les temps, les parsonnes des verbes.

Prenons un exemple qui rende cette ressemblance sensible à tous

En sankrit, le verbe qui signifie porter se|dit भर् ( Bhar), qui fait au présent de l'indicatif,

à la 1 ere personne, bharami - je porte à la 2 e ........ bharasi - tu portes à la 3 e ......... bharati - il porte

Le même verbe se retrouve en gothique, et il fait aux trois premières personnes du présent

[symboles] ( boera) [symboles] ( bœris)

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[symboles] (a) ( bœridh)

Il suffit de faire ce rapprochement pour être frappé de la ressemblance entre le sanskrit et le gothique- remarquons cependant que déjà les formes gothiques sont plus abrégées que celles de la langue sacrée des brahmes. En même temps, elles servent, pour ainsi dire, de transition entre le sanskrit et le grec.

φέρω φέρεις φέρει

qui lui même nous conduit tout naturellement au latin fero

fers qui n'est qu'une contraction d'une forme primitive feris dont il n'est pas resté d'exemple

(a) Ce caractère qui a presque la forme du ψ des grecs est un d aspiré. ce son, de même que celui du b aspiré, qu'on trouve en sanskrit, et que nous avons représenté dans le verbe bharami par bh est une de ces aspirations dont notre langue ne nous fournit aucun exemple et dont nous avons bien de la peine à nous faire une idée exacte. - On peut se demander à la vue de ces caractères, pourquoi Ulphilas, ou l'inventeur quel qu'il soit, de l'alphabet gothique, n'a pas emprunté le B des Grecs et des Latins. C'est que déjà le B des Latins et probablement aussi celui des Grecs, avait le son du v.

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dans les auteurs, comme fert n'est qu'une contraction d'une forme perdue ferit

Toutes ces formes, bharami en sanskrit, bara en gothique, φέρω, en grec, et enfin fero, en latin ont certainement de l'affinité avec le verbe latin pario, qui signifie produire et porter, dans le sens où nous disons: cet arbre porte d'excellents fruits. Nous trouvons en effet, en sanskrit, un mot qui se prononce bharas, et qui signifie fécond; et de même, en grec, φέρω, dans certains composés, comme ϰαρποφόρος (qui porte des fruits) offre l'idée de production et de fécondité. Enfin, en latin même, fero se prend avec ce sens et sert à former une foule de mots composés, comme frugifer, où fer a tout-à fait la même signification que le φόρος des Grecs, dans ϰαρποφόρος, et que la désinence latine parus, dans les mots comme Oviparus, viviparus (ovipare, vivipare), mots qui se trouvent dans apulée pour traduire ὠοτόϰος et ζωντόϰος.

Observons aussi l'analogie de ces consonnes bh, b, p, φ, f et avec quelle facilité de permutation elles sont prises l'une pour l'autre, et se remplacent mutuellement dans les diverses langues de la famille Indo-Européenne. A la vérité le changement du φ en f que nous remarquons, en composant le mot grec φέρω avec le mot latin fero, ne nous étonne pas

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beaucoup, car nous sommes habitués à regarder le φ des Grecs et le f des latin latins comme représentant un seul et même son. Mais, en réalité, si nous consultons les auteurs anciens, nous verrons qu'il n'en était pas ainsi. Sans doute les Grecs, quand ils avaient à transcrire un mot latin ou se trouvait un f, étaient bien obligés, à défaut d'autre caractère, de le rendre par un φ, et c'est ainsi qu'ils traduisaient Fulvius par Φούλϐιος; mais quand les Latins empruntaient à la langue grecque un mot où se trouvait un φ, ils rendaient - Quin Fordeum fœdus que, pro aspi- ratione vav simili litera utentes: nam contra Graeci aspirare solent, ut pro Fundanio Cicero testem, qui primamejus litéram dicere non posset, ittidet. (Quint. Inst. Orat. 1,4. §. 14.) ce son par ph et non par f, et Quintilien nous dit d'une manière très - précise, qu'il y avait une différence entre le son de ph et celui de f; il nous apprend même que Cicéron, défendant Fundanius, s'était beaucoup moqué d'un témoin, sans doute contraire à son client, qui prononçait la première lettre de Fundanius comme ph.

Afin d'avoir une idée de ce que c'est que le gothique d' Ulphilas, prenons une courte phrase de sa traduction des livres Saints et étudions en succes- sivement tous les mots, comme nous avons déjà fait pour le serment des fils de Louis-le-Débonnaire et pour tous les plus anciens monuments des diverses langues dont nous nous sommes occupés jusqu'ici

Dans le dernier chapitre de l'Evangile de

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St Mathieu, il est dit que Joseph d'Arimathée vint demander à Pilate le corps de Jésus :en grec: " ᾐτήσαῶο τό σῶμα τοῦΊησοῦ." Ulphilas traduit cette phrase de la façon que voici:

[ symboles] badh dhis Likis iesonis

Prenons à part chacun des mots de cette phrase pour l'étudier en détail et faire toutes les observations qu'elle comporte.

badh. Ce mot est l'imparfait du verbe bidian, qui veut dire, en gothique, prier et qui offre une grande ressemblance avec le mot sanskrit [ caractère sanskrit] ( path) qui a le même sens et d'où vient pathis (prière). C'est probablement au même radical qu'appartient le verbe grec ποϧέω, souhaiter, désirer, et le verbe latin potere demander. Aujourd'hui encore, en Allemand, prier se dit [ rature] * ( bitten) qui fait à * biffnu l'imparfait [ rature] * baf (bat) dhis. - est le génitif irrégulier du pronom démonstratif sa ; or, en sanskrit, le pronom démons- tratif est egalement également sa. On peut voir là le même mot que dans l' des Grecs. On sait en effet que, dans les poésies homériques, ὁ est plutot plutôt un pronom démonstratif qu'un article, et, si l'on songe que l'esprit rude des Grecs a été souvent employé pour

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tenir la place de s, on ne peut manquer d'être frappé de la ressemblance de l' grec et du sa sanskrit et gothique. On trouve beaucoup \ de mots en grec où transformé vaut un pronom démonstratif et rappelle le pronom sanskrit. Ainsi σημερον, qui signifie ce jour-ci, et qui est évidemment composé de sa et de ἡμέρα (jour); ainsi la vieille forme σῆτες, qui, au temps de Périclès, est devenu τῆτες et qui signi- fie cette année, τοῦτο τὸ ἔτος.

Leikis. Ce mot qui traduit le grec σῶμα est ici au génitif, parceque parce que, dans la langue gothique, après un verbe qui exprime une demande, comme bidian, on met au génitif le nom de la chose demandée. Le nominatif de Leikis, est Leik, mot qui a certainement quelque affinité avec ce verbe λέγω, qui se trouve si souvent dans Homère avec le sens de : "Je suis couché" (Jaceo) λέγω fait en effet au moyen λέγομαι, qui signifie je dors, je repose, et qui, comme xοιμῶμαι, dont il est synonyme, nous conduit facilement à l'idée de sommeil éternel ou de mort. Les Grecs avaient fait du verbe πίπτα, qui signifie tomber, le mot πτῶμα, qui veut dire un corps mort, un cadavre; le mot Leik en gothique, a été problablement formé de

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la même façon; à l'origine il aura désigné quelque chose de couché, d'étendu par terre, et ensuite il aura été pris pour signifier un cadavre.

ïesuis - est le génitif de iesus qui se prononce Jesous

Cette phrase qui a cinq mots en grec; n'en a que quatre en gothique, parce que dans cette langue on ne met pas d'article devant les noms propres.

- Nous n'insisterons pas plus long-temps longtemps sur les caractères de la langue gothique. Il nous reste maintenant à parler d'une manière générale des différentes langues dont le gothique est la souche, à savoir des langues scandinaves; ce sera l'objet de la prochaine leçon.

Diogène Bertrand.

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20 e Leçon 23 Juin 1853. De l'écriture runique - Des Eddas.

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De l'Ecriture runique - des Eddas.

Nous avons dit que la famille des langues germaniques se partageait en trois branches:

1° La branche gothique ou scandinave 2° La branche saxonne 3° La branche Teutonique.

Nous avons déjà parlé de la langue gothique. On peut rattacher à cette langue la langue scandinave: Nous allons en dire quelques mots.

Occupons-nous d'abord de son origine.

La langue scandinave descend de l'ancienne langue normanique, langue que parlaient les Normands, ces hardis pirates qui au VIII et IX siècles ravagèrent la France tantôt dépouilant les iles, tantôt pénétrant par les fleuves jusqu'au coeur du pays, et qui finirent par obtenir du Roi Charles-le Simple la cession d'une partie de l'Armorique où il s'établirent, contrée qui reçut d'eux le nom de Normandie.

On connait la langue Normanique par un monument très remarquable, l'Edda. Elle est appelée dans les plus anciens documents Morrœna tunga.

Ce mot Tunga nous fournit l'occasion d'une remarque importante. On peut le rapprocher du mot latin lingua dont l'ancienne forme était

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dingua, comme le rapporte Marius Victorinus Il est à croire qu'il y a une affinité secrète entre le d ou le t et l' l, comme il y en a une évidente entre le d et le t, et qui lors de la formation des langues ces lettres s'échangent volontiers. Plus nous remontons vers les origines de la langue latine plus nous voyons ces changements de d en l devenir fréquents. Citons des exemples.

Le mot δἀϰρυμα est devenu en latin lacryma. Ce mot termine souvent les vers d' Euripide. Voyez l'Andromaque de ce poête poète vers 90.

Andromaque dit: nous sommes toujours plongés dans le deuil, les gémissements et les larmes. ἐγϰείμεσθ'ἀεὶ θρήνοισι καὶ γόοισι ϰαὶ δαϰρύμασι. le mot Ὀδυσσὲυς est devenu [ mot à transcrire], etc.

On le voit: les mots dingua lingua tunga sont des analogues, et dérivent d'une même langue primitive.

Revenons à notre objet. La langue normanique s'éteignit peu à peu et fut remplacée par le Norvégien qui en dérive. C'est l'idiôme dans lequel les poètes de la Scandinavie composaient et chantaient leurs sagas, chants héroïques, qui répondent à peu près aux mythes de l'antiquité grecque, comme les scaldes répondent aux rhapsodes, ces chantres qui se

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transmettaient des poèmes plus ou moins étendus, retraçant les exploits des Grecs ou les hants faits des héros.

Le Norvégiens lui-même est tombé en désuétude vers le 15 e siècle, et a fait place à trois langues parti- culières ayant de très grandes affinités, mais possédant des littératures différentes.

Ces langues sont:

1° L'Islandais. Cet idiôme est celui qui se rapproche le plus du Norvégien. L'Islande étant entourée de glace pendant une grande partie de l'année, et ses habitants ayant pour cette raison peu de relations avec les peuples du continent, on conçoit que leur langue se soit moins altérée, et qu'elle soit restée près de son origine. Cependant il y a déjà des différences entre cette langue et l'ancien Norvégien. Les langues se modifient continuellement dans toutes leurs parties; seulement les changements sont plus ou moins prompts: c'est une question de temps. 2° Le Suédois 3° Le Danois. Cet idiôme, par son voisinage de l'Europe centrale, s'est le plus éloigné de l'ancien Norvégien.

Ces trois langues, cependant, malgré les dissemblan- ces qui les séparent, ont conservé des caractères communs

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qui les distinguent des autres idiômes.

Avant de nous arrêter sur chacune de ces langues, parlons un peu de celle d'où elles dérivent, du Normanique.

Les Normands avaient une écriture particulière. C'est ce qu'on appelle l'écriture runique ou les runes.

Cette écriture a été en allemagne l'objet de longues dissertations. On a breaucoup discuté sur son origine. Les uns n'y voient qu'une altération ou qu'une imitation du latin, comme l'alphabet d' Ulphilas, qui est composé de lettres empruntées soit à l'alphabet latin, soit à l'alphabet grec. D'autres, et ce sont surtout les érudits Suédois et Danois, entre autres M r Bask, prétendent que ces runes remon- tent à une haute antiquité. Suivant eux cette écriture aurait été apportée aux peuples du Nord par ces hardis navigateurs Phéniciens qui, à une époque antérieure à l'histoire, visitaient les côtes de la Baltique. Les caractères Phéniciens auraient été conservés par la caste sacerdotale qui les aurait appliqués à la magie.

Ce qui rend cette opinion plausible, c'est que beaucoup de ces caractères ne ressemblent ni aux caractères grecs, ni aux caractères latins. Ensuite le

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mot runa en gothique, mot qui se trouve dans Ulphilas, veut dire mystère.

Ulphilas en effet traduit par [caractères runiques] le mot μυστήριον dans les épitres de St Paul.

Jornandès, contemporain et ami de Cassiodore, qui appartient à cette partie de la race qui vint s'éta- blir en Italie sous Théodoric et fut détruite par Bélisaire, a composé un ouvrage intitulé, de gothorum origine et rebus gestis. Cet ouvrage est écrit en latin. On y voit tous les préjugés d'un peuple barbare qui ne connaissait que la supériorité des armes. Jordanès rapporte beaucoup de traditions singulières et presque absurdes. Il y est question de prêtresses comme Velléda; l'écrivain les appelle magœ: mulieres magas quas patrio sermone halirunas vocamus. Hali dérive evidem- ment du même radical que holy, qui veut dire Saint en Anglais.

Le mot runa se trouvait également chez les Francs et il existe encore des poésies extrèmement curieuses d'un poète latin du V e siècle, né en Italie, et qui vivait à la cour des rois Francs, Honorinus Venantius Fortunatus Ses écrits nous donnent des détails intéressants sur la cour des rois Francs. Il est au dessous de Claudien; mais il avait un vif sentiment de la nature. Il abonde en descriptions de localités. Il écrit quelque part à

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un ami et se plaint de son silence: Ecrivez moi, lui dit-il, en grec, en hébreu, ou bien en écriture runique. Voici les paroles:

barbara fraxincis pingatur runa tabellis quod que papyrus agit, virgula plana valet liv. 7. p. 18.

C'est à dire, que la rune barbare soit peinte sur des tttablettes de frêne; une barre vulgaire vaut le papier. Virgula est le diminutif de virga et veut dire barre. Il est aisé de l'établir.

L' Οϐελος des grecs était un petit signe comme celui-ci ou bien . Ce mot était passé en latin. Ausone écrit à un ami qui lui conseille de lire les latins:

pone obelos igitur spuriorum stigmata vatum.

Or Οϐελος se traduit en latin par Virgula censoria. Voyez Quintilien liv. 1 Ch. IV.

Quant au sens du mot Plana, il n'est pas douteux. Les pièces qui représentaient à Rome les mœurs de la dernière classe du peuple étaient appelés Comœdiæ planipediæ

Il n'y a qu'à considérer l'écriture runique pour voir combien est juste le mot dont se sert Fortunat pour la désigner. Les caractères de cette écriture ressemblent en effet à des barres.

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Fathur qui veut dire père s'écrit ᚠᛆᚦᚢᛦ Brothur qui signifie frère s'écrit ᛒᛦᛆᚦᚢᛦ

Cette écriture existait avant l'alphabet d' Ulphilas. Lorsque le christianisme pénétra chez ces peuples la connaissance du latin se répandit, et on cessa de se servir de caractères runiques. Ils ne furent plus employés que dans les inscriptions, de même que les lettres capitales en grec se conservèrent sur les marbres, quoi qu'on se servît à l'ordinaire d'un caractère cursif et abréviatif.

On peut consulter avec fruit plusieurs travaux sur cette question de l'écriture runique.

Voyez les travaux de Sjöberg et de Rask sur les anciennes langues scandinaves, leur rapport avec le sanskrit, leur histoire, les poèmes qui ont été écrits dans ces langues.

Voyez aussi les travaux de Nyerup sur le même sujet. Ce dernier a recueilli toutes les inscriptions runiques. Il en compte 1300 en Suède. Il a tracé une paléographie des langues du Nord. Dans les inscriptions anciennes on ne trouve que les caractères runiques. Mais plus tard ces caractères commencent à être mêlés à des caracères empruntés au latin. Il n'y a que les lettres représentant des sons étrangers à la langue latine qui résistent. L'invasion du

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latin augmente avec le temps. La dernière inscrip- tion est de 1449. Depuis cette époque on se sert en Suède de caractères gothiques (caractères gothiques) ou avec leur forme régulière ( de).

L'ouvrage le plus remarquable écrit en Norma- nique; ou Norræna tunga, est l'Edda, ou plutôt les Eddas: car il y en a deux, l'un en prose, l'autre en vers.

Le mot Edda a quelque analogie avec le mot sanscrit Veda qui veut dire loi, précepte, et qui est aussi le titre de plusieurs ouvrages sacrés des brahm. On saisit aussi quelque ressemblance entre veda précepte, et défense de faire une action injuste, et veto en latin.

Les Eddas sont des recueils de traditions mytholo- giques et historiques.

L'Edda en vers fut composée en Islande à peu près 50 ans après l'introduction du Christianisme. Ce fut l'an 1000 de notre ère qu'une assemblée générale abolit en Islande le paganisme. Il y avait alors un scalde appelé sœmund qu'on surnomma le sage. Ce scalde se convertit au christianisme. Il sentit que la religion nouvelle allait effacer non seulement l'ancienne religion, mais encore

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les traditions intimement unies à l'ancien culte. Alors animé d'un zèle patriotique, il voulut conserver quelques débri de ces traditions. Sœmund connaissait la langue runique. Son ouvrage est un recueil de pièces détachées, comme les hymnes attribués à Homère: il est écrit en caractères latins.

L'Edda en prose a été composé 100 ans après le premier Edda par Snorro Sturleson. Snorro Sturleson commente l'ancien Edda en suppléant aux lacunes; et en essayant de faire un récit suivi, en liant ensemble, par des transitions; ce qui auparavant n'était qu'un recueil de morceaux détachés.

Edouard Bertrand.

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21 e Leçon. 30 juin 1853. Des langues scandinaves et des langues saxonnes.

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Des langues Scandinaves et des langues Saxonnes

Nous avons parlé dans notre dernière leçon de l' Edda poétique. À cent ans de distance ou environ de ce premier recueil, à une époque où le christianisme était déjà établi en Scandinavie, fut rédigé l' Edda en prose. Un historien nommé Snorro Sturleson (Snorro fils de Sturle) commenta en prose les chants de l'ancien Edda, et les rattacha les uns aux autres en comblants les lacunes du recueil primitif, de manière à en faire un récit continu. Tel est l'Edda en prose. A l'époque où nous sommes parvenus, l'ancienne langue normanique commençait déjà à tomber en désuétude.

L'Edda en prose se compose de trois parties. Dans la première se trouvent recueillis et transcrits en prose les chants de l'ancien Edda; c'est la collec- tion des anciens mythes ou sagas (x) de la Scandinavie. Vient ensuite un vocabulaire poétique, dans lequel les mots difficiles de l'ancien Edda sont expliqués par des mots usités du temps des rédacteurs. Le lexique d'Hésychins peut donner aux hellénistes

x de Sagen, dire.

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une idée approximative de ce vocabulaire. La troisième partie se nomme la Scalda (x). C'est une sorte d'art poétique, de traité de versification et de prosodie, dont les règles sont savantes et compliquées, ce qu'on n'attendrait guère d'un peuple encore barbare.

Les Eddas ont eu plusieurs éditions: la dernière est l'ouvrage d'un savant danois nommé Finn Magnusen. L'étude de ces recueils est très instruc- tive pour la philologie. On y trouve en effet plusieurs mots, disparus dans la suite des langues danoise et suédoise, qui forment la transition entre ces langues d'une part, de l'autre le gothique et le sanscrit.

On est donc fondé à croire qu'il existe entre ces différentes langues d'étroits rapports de parenté. Mais l'histoire ne nous donne sur cette question d'origine, aucun renseignement précis; puisque c'est antérieurement aux temps historiques que les scandinaves nommés plus tard, au IX siècle ap. J.C Jésus-Christ, les Normands, quittèrent l'Asie pour l'Europe, et vinrent occuper le pays qu'ils habitent encore aujourd'hui.

Mais malgré cette insuffisance de données histo-

x C'est proprement le féminin de Scalde: la femme poète.

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riques, il est facile de se convaincre de l'affinité primitive des langues scandinaves avec le sanscrit. Il suffit pour cela d'examiner les noms des principales divinités scandinaves. Le dieu suprême, le Jupiter des scandinaves est Odin, nommé aussi Wodan. Les Ases sont des chefs divinisés, des héros qui composent l'escorte d' Odin. - Or il est facile de reconnaitre dans Wodan, le Bouddha des Indiens (de Budh, savoir) Quant au nom des Ases, il vient du mot Asus (souffle, génie) qui dérive lui-même du verbe sanscrit as (respirer, exister) dont les trois personnes sont au singulier, asmi, asi, asti, formes correspondantes aux formes grecques εἰμὶ, [caractère grecs] (anciennement ἐσσί), [caractères grecs].. Au reste le verbe qui, en grec, répond le plus exactement au sanscrit as, c'est ἄω, souffler. Ce verbe qui fut remplacé dans la prose par πνέω, se retrouve jusque dans la poésie Alexandrine. Ainsi on lit dans Apollonius de Rhodes

ἄεν οὖρος

C'est de ce verbe ἄω que vient ἄνεμος, d'ou dérivent les substantifs latins animus et anima: ce dernier gardait même dans l'ancienne langue latine la signi- fication de vent, comme trace de son origine. Par exemple on trouve dans Lucrèce

Aurarum que leves animas

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Nous avons signalé et confirmé par quelques exemples les rapports qui existent entre les langues scandinaves et le sanscrit. Il nous reste à dire quelques mots des caractères principaux de ces idiômes.

1° Dans les langues scandinaves, l'article n'est pas un mot distinct, mais seulement une flexion, une désinence qui s'ajoute aux noms. Par exemple homme se dit man, génitif mans. L' homme se dira manen, génitif mansens. 2° Le passif se forme par voie de flexion, et non par l'adjonction d'un auxiliaire: Exemple: En Islandais, je brûle se dit eg brenne, je brulais, eg brende.. Pour avoir les formes passives corres- pondantes, il suffit d'ajouter les lettres St: Je suis brûlé: eg brennest. J'étais brûlé: eg brendest...

Ainsi se forme le passif de tous les temps, dans la langue islandais. Dans le danois et dans le suédois, idiômes plus récents, un S simple a remplacé la désinence primitive St.

Langues Saxonnes

Les langues saxonnes étaient parlées dès le 1 er siècle de notre ère ou environ, par les peuples qui habitaient les pays compris entre le Weser et l'Oder.

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Tacite place les Cimbres aux environs de l'Océan, dans ce qu'il appelle un golfe; sans doute il faut entendre par là la Chersonèse Cimbrique. ( Eumdem Germaniae sinum proximi Occano cimbri tenent. De mor Germ. 37) Le même historien connaissait aussi les Angles qu'il place plus à l'Est. Quant aux Saxons, ils ne sont pas encore nom- més. Le premier auteur qui en fasse mention, est Ptolémée, qui vivait, comme on sait, au milieu du II e siècle. Dans le livre précieux où il nous a laissé des renseignements si précis, sinon toujours exacts sur le monde ancien, ce géographe place les Saxons à l'entrée de la Chersonèse Cimbrique.

Έπὶτὸν αύχένα τῆς Κιμϐριϰῆς Χερσονήσου οἱ Σάξονες.

Tournier.

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22 e et dernière Leçon. 7 Juillet 1853. Langue Saxonne.

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Suite des langues Germaniques Langue Saxonne

Sous le nom général de Langue Saxonne, nous désignons les langues parlées dans le nord de la Germanie depuis le Weser jusqu'à l'Oder. Tacite ne parle pas encore des Saxons; il mentionne les Cimbres entre le Weser et l'Elbe (Germanie c. 37); et les Angles au delà de ce dernier fleuve (ibid 40) Le nom de Saxons parait pour la première fois dans Ptolémée; au milieu du second siècle de notre ère; cet auteur les place à l'entrée de la Chersonèse Cimbrique. ἐπὶ Τὸν αὐχένα Τῆς Κιμϐριϰῆς Χερσονή- σου οἱ Σάξονες. Cent ans après, vers le milieu du III e siècle, toutes les tribus germaniques s'agglomerè- rent et formèrent trois grandes confédérations ou lignes militaires. Les Saxons donnèrent leur nom à celle du Nord et absorbèrent toutes les tribus qui habitaient des deux côtés de l'Elbe. au V e siècle, quand les Franks établis sur la rive orientale du Rhin inférieur, abandonnèrent ce pays pour envahir la Gaule, les Saxons se portèrent vers l'Ouest et occupè- rent le pays que les Franks avaient quitté. Dans le même siècle ils envahissaient la Grande-Bretagne,

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dont les Romains avaient retiré leurs troupes, et ils portèrent leur langue dans ce pays demi-celtique, demi romain. Cette langue appelée l' anglo-saxon, parce que les Angles avaient fondé aussi [rature] des royaumes qui se réunirent aux royaumes Saxons du sud pour former l' Heptarchie, cette langue domina dans la partie autrefois Romaine de l'Ile; depuis Douvres jusqu'au mur de Septime Sévère, au pied des montagnes de la Haute Ecosse où vivaient indépendants Les Piétes et les Scots. Elle eut même une littérature assez riche. Alfred-le-Grand (871- 900), guerrier, législateur, ami des lettres, traduisit du latin en Anglo-saxon l'histoire de Bede le vénérable, auteur d'une chronique de la Grande Bretagne. Cette langue fut altérée au XI e siècle par l'invasion normande. 1006. Les compagnons de Guillaume parlaient le français du Nord, la langue d'Oïl. Du mélange du saxon et du français se forma la langue anglaise, qui aban- donnée aux classes inférieures pendant les premiers siècles qui suivirent la conquête; ne devint langue officielle que sous Edouard III, en 1375. Elle offre la fusion singulière d'une langue germanique et d'une langue Romane. Toutes les particules et presque tous les verbes appartiennent à l'anglo-

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saxon, ainsi que la Structure et la grammaire; mais les substantifs sont en grande partie français ou latins. De là de nombreux synonymes. Cette langue est remarquable par son extrême simplicité; la conjugaison est peu compliquée; et les adjectifs sont invariables.

L'ancienne langue Saxonne a aussi formé sur le continent le Hollandais, le Flamand, et le Bas-Allemand que parlent dans le nord de l'Allemagne les peuples qui occupent aujourd'hui la patrie des anciens saxons. Mais cet idiôme n'est pas une langue littéraire.

Langue Teutonique ou Tudesque.

On peut diviser cette langue en deux rameaux; le rameau Frank, et le rameau allémanique.

Rameau Frank. Les Franks formèrent la seconde des trois lignes germaniques. A III e siècle, ils absorbèrent toutes les tribus qui habitaient entre le Rhin inférieur, depuis Mayence jusqu'à la mer, l'Océan, le Weser et le Mayn; Frisons, Sicambres, Bructères etc. Au Ve siècle ils occupèrent la Gaule et y fondèrent l'Etat qui est devenu la monarchie française. La langue des Franks qui se rapprochait beaucoup de celle des

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Saxons, se maintint en Gaule sous les rois de la race Mérovingienne. Elle commençait déjà à s'affaiblir sous les premiers princes Carovingiens. Car Charlemagne voyant qu'elle allait se perdre, ordonna, au témoignage de son biographe Eginhard que l'on recueillit tous les chants nationaux. Ce recueil si précieux est perdu. Après les Carlovingiens, la langue des Franks s'éteignit en Gaule, et fit place à la nouvelle langue française, sur la formation de la quelle elle eut beaucoup d'influence (consulter sur cette question les ouvrages suivants: 1° Ampère= histoire de la littérature française au moyen âge; précédée de l'histoire de la formation de la langue française - 2° Du Méril: Essais philosophiques sur la formation de la langue française = 3° Le Chevallet = Origines et formation de la langue française, avec un vocabulaire des mots français d'origine germanique.

Rameau allémanique. Les Allemanni formaient la troisième confé- dération des peuples germains. Ils habitaient sur la rive orientale du Haut-Rhin et au Nord du Danube. Ils absorbèrent les nombreuses tribus de la Germanie méridionale dont parle Tacite; Suèves, Cattes, Hermundures, Marcomans

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Il est question pour la première fois des allemanni sous Caracalla (211-217) Leur nom est la preuve de la nature de leur état politique ; all, tout, mann, homme; hommes de tutes tribus. Les anciens même savaient l'étymologie de cette appellation. Car Agathias (l. 6) parlant de ces peuples s'exprime ainsi: οἱ δὲ Άλαμανοὶ, εἴ γε Χρὴ Ἀσυνίῳ Κουαδράτω Ἕπεσθαι, ξύγϰλυδές εἰσυν ἄνθρωποι, ϰαὶ τοῦτο δύναται αὐτοῖς ἡ ἐπωνυμία. Ces peuples sont restés à la même place malgré les migrations et les guerres qui ont bouleversé l'Europe au commence- ment du moyen Age Moyen Âge. Leur langue cultivée avec succès, et appelée haut allemand, est devenue langue littéraire de l'Allemagne, grâce surtout aux empereurs Souabes de la maison de Hohenstaufen, originaires de ce pays, et protecteurs des Lettres.

Langue Slaves

Cette famille est comme toutes les précédentes d'origine asiatique. Les slaves vinrent en Europe après les Germains et les suivirent dans leur marche vers l'Occident. Aujourd'hui ils forment une grande partie de la population Européenne. Leur langue est divisée en nombreux idiômes; mais tous, dans

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leurs racines et leurs formes grammaticales, offrent une analogie frappante avec le sanscrit. On y trouve une déclinaison sans article, une conjugaison sans pronoms, jointes à une merveilleuse richesse d'intonations. Chez les slaves, la flexibili- té de l'organe vocal est très grande; ainsi ces peuples parlent-ils toutes les langues étrangères sans accent, parce qu'ils en trouvent tous les sons dans leur propre langue. Le premier monument de leur langue remonte au XI e siècle; c'est la chroni- que du moine Russe Nestor, écrite dans l'ancien Slavon qui est l'origine de la langue Russe. La littérature de ces peuples est beaucoup moins riche que celle des nations germaniques et Néo-latines, parce que la plupart des Slaves, à l'exeption des Russes qui forment un état indépendant, sont soumis à des peuples de race étrangère. Ainsi les Monténégrins, les Bosniaques, Les Serbes, les Bulgares vivent sous la domination de la Turquie; Les Dalmates, les Illyriens, les habitants de la Moravie et de la Bohème, sous le sceptre de l'Autriche. Aujourd'hui, grâce à la puissance colossale de la Russie, cette race domine de la Vistule au Kamtchatka; elle s'étend de la mer glaciale à l'Adriatique.

Perigot.

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Table des Matières.

Leçons Titres des leçons Pages 1e Leçon. Ouverture du cours 1 2e id Définitions-classification des langues indo-européennes " Revue des langues indiennes 11. 3.e id Langues celtiques. 31 4e id. Langues pélasgiques 43 5e ind. Langue étrusque- Langue osque. 59 6e id De l'origine, du développement et de la dissolution de la langue latine. 71 7e id Formation et caractères généraux des langues néo-latines 83 8e id De la langue française: formation du verbe aller. 93 9e id Du verbe substantif en grec et en latin. 105 10e id Formation du verbe français être. Les serments de Strasbourg en 842. 115 11.e id De la langue italienne. 125 12e id. Des origines, de la formation de la langue espagnole. 137 13e id Langues espagnole et portugaise (fin)- Langue rhétique- " Langue valaque. 147 14e id De la langue valaque (suite) 165 15e id. Des langues germaniques en général. 179 16e id De la langue gothique. 191 17e id. De la bible d'Ulfilas. 209 18e id Ressemblances et différences du sanscrit et du Gothique 219 19e id De la langue Gothique (suite) 229 20e id. De l'écriture runique-des Eddas 239 21e id Des langues scandinaves- de la langue Saxonne. 251 22e id. De la langue saxonne. 259 Ecole normale supérieure estampille de la bibliothèque