Transcription Transcription des fichiers de la notice - Extrait : 1540c [Denis Janot] La châtelaine de Vergi BnF Extrait 02 1540c. chargé d'édition/chercheur Réach-Ngô, Anne Équipe Tragiques Inventions, Magda Campanini (Univ. Ca' Foscari-Venezia), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1540c. Fiche : Équipe Tragiques Inventions, Madga Campanini (Université Ca' Foscari), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
 
[A4r] Mais touteffoys sans contredit
Il fault que mon cas elle sache,
Ou autrement je seroye lasche
Se à elle ne me declairoye.

Helas vray Dieu, je n’oseroye

Parler à elle par mon ame:

S’esconduyt suis, je suis infame

Et en dangier de desespoir.

Non pourtant certes j’ay espoir

Que d’elle receu je seray,

Tout droict à elle m’en iray

Quant certes mourir j’en debvroye,

À elle m’en voys droicte voye.

J’ay mainteffoys ouy compter

Que nul homme ne doibt doubter

À prier d’amours ou de jeux

Dames d’honneur ou de haulx lieux,

Car tant est de plus noble affaire

Et plustost luy doibt il plaire

De descouvrir sa volunté

À son amy. En verité,

À elle m’en voys vistement.

Comment le Chevalier entra dedans le vergier, et comment il salua la Dame la requerant d’estre sa loyalle amye sans deshonneur.
[bois]

[A4v] Le Chevalier

Celluy qui fist le firmament

Vous doint honneur et vie saine,

Ma chere dame souveraine,

Joyeulx je suis quant je vous voy.

La Dame du Vergier

Trop hardy estes en bonne foy

D'avoir entré en ce vergier,

Pourtant ce estes chevalier;

Se mon oncle vous y trouvoit

Vistement pendre vous feroit:

Mis vous estes en grand dangier,

[A5r] Car dame suis de ce vergier.
Je vous prie, pour Dieu mercy,

Que vistement saillez d’icy

Et que tantost vous en allez.

Le Chevalier

Ma dame, puisque le voulez

Tres voluntiers je m’en iray.

Mais s’il vous plaist, je vous diray,

Avant que parte, ma pensee,

Ma chere dame honnoree,

Mais qu’il ne vous veuille desplaire.

La Dame

Voluntiers vous vouldroye plaire,

Mais à vous je n’ose parler:

Perdue seroye sans tarder

S’a vous parlant trouvee estoye;

De mon oncle grand noyse auroye,

Car nuict et jour me faict garder

Que nul ne puisse à moy parler.

Mais je vous prie doulcement

Que me vueillez dire comment

Icy dedans vous estes entré.

Le Chevalier

[A5v] Helas, ma dame, en verité
Voluntiers je le vous diroye,

Mais par ma foy je n’oseroye.

Vous estes si tres belle dame

Que vous passez beaulté de femme;

Dame vous estes du vergier

Dont vous estes moult à priser:

Sur toutes estes advenant,

Saige, courtoise et bien sçavant

De doulceur et debonnaireté,

De grand valeur et de bonté;

Et moy je suis ung triste homs,

Qui ay des maulx à millions.

Bien sçay que tost perdray la vie,

Car fortune me contrarie:

Je vis en tres grand desconfort,

Bien souvent regretant la mort;

Pieça feusse mort sans doubtance

Se ce ne fust bonne esperance

Qui mon paovre cueur tient en vie

Et diffiner ne laisse mye:

Si redoubte fort l’esconduyre,

Par quoy je ne vous ose dire

La volunté de mon couraige;

Helas, dame de hault paraige,

[A6r] En rien ne vous vueille desplaire.

La Dame
Pour certain, Chevalier, desplaire

Ne m’en pourroit aucunement,

Mais que je sceusse vrayement

Que mon oncle vostre venue

Ne sceust et que ne feusse veue.

Vous dictes que ne me osez dire

Vostre pensee, car l’esconduyre

Vous craignez et ne sçay pourquoy:

Congé vous donne en bonne foy

De me dire vostre couraige:

De moy vous n’en aurez dommaige.

Dictes tout à vostre loysir.

Le Chevalier

Ma dame, et puis que à plaisir

Vous vient, de vostre noblesse

Tout vous diray ce qui me blesse

Dont au cueur me touche forment.

Je vous supplie humblement,

Chere dame, par courtoysie

Que me pardonnez ma follie,

Et que n’en ayez aucune yre.

[A 6 v] Force d’Amours le me faict dire:
Il y a sept ans acomplis

Que de vostre amour suis remplis,

Et me destruict si rudement

Que bien vous dy certainement

Se je n’ay aucun bon confort

Faillir je ne peultz à la mort.

Helas, souffrez que je vous ayme,

Et que pour ma dame vous clame:

De ce ne me pouez desdire

Ne deffendre, ne contredire.

Certes, ma dame, bien sçavez

Que despriser ne m’en debvez,

Car par tous les corps sainctz du monde,

Dame qui estes nette et munde,

Vous jure et prometz loyallement

D’acomplir tout vostre comment.

Comme vray amant vous supply

Que me recepvez pour amy,

Ou vostre homme à tout le moins;

Prest suis de vous jurer sur sainctz

Que la vostre amour sans faulcer

Loyaulment vouldroye garder.

Pourquoi, las! ne la garderoye?

Car je n’ay nul soulas ne joye

[A7r] Fors de vostre amour, doulce amye:
En vostre main tenez ma vie,

Et d’autre part tenez ma mort.

Toute ma joye et mon confort

J’auray lequel qu’il vous plaira,

Mais se Dieu plaist point n’adviendra

Que si tres belle dame face

Chose dont le monde le sache,

Se la mort vous m’aviez donnee

À droict vous en seriez blasmee,

Car on diroit en verité

Que trop avez grand cruaulté

De laisser mourir vostre amy

Sans le vouloir prendre à mercy.

Mon cueur, mon corps, ma volunté

Je submetz à vostre bonté.

Vous estes mon cueur, mon confort,

Mon desduyt et tout mon desport;

Ma joye, aussi ma lyesse,

M’amour, mon plaisir, ma maistresse.

Quant je pense à vostre doulx viz,

Voz doulx regardz et voz doulx ris,

En mon cueur j’ay si tres grand joye

Qu’à nul dire ne l’oseroye;

Et pour ce la peine perdroit

[A7v] L’amant qui dechassé seroit
De l’amour qui fort le tourmente.

Par quoy vous dy, ma dame gente,

Que se de vous je n’ay confort

Briefvement j’en recepvray mort

Dont aprés serez dolente.

La Dame

Chevalier, oyez mon entente:

De me parler ce langaige

Point je ne vous trouve saige,

Car on ne doibt mye muser

En lieu où l’on veult abuser.

Pour ce vous pry par courtoysie:

Ne me requerez villennie,

Allez ailleurs vous enquerir

Où vous pourrez amye querir.

Point en moi ne l’avez trouvee,

Car je seroys deshonnoree:

Trop je redoubte le parler

D’aucuns qui se veullent vanter,

Car incontinent que faict ont

Tout leur plaisir, tantost le vont

Reveller à lung et à l’autre.

Par quoy vous dy sans nulle faulte

Qu’on ne ce scet en qui fier.

[A8r]Le Chevalier

Ma dame, voulez vous cuider

Que envers vous face ne die

Chose qui vienne à villennie,

À blasmer, ny à reprocher?

Plustost me laisseroye noyer.

De telz certes je ne suis mye

Qui se vantent de leurs follies

Quant ilz ont faict leur volunté

De leurs dames, plains de bonté.

Pensez qu’il est plain de rudesse

Qui trahist ainsi sa maistresse.

Par ung desloyal sont mescruz

Cent loyaulx, et par lui perdus

Leur temps, leur sens et leur avoir.

À vous le puis je bien sçavoir,

Dame, jamais ne le feroye;

Faulx vanteur certes je seroye

Quant je vouldroye cela faire.

Plustost mes dentz laisseroys traire

Que de vous certes me ventasse

Ne envers vous d’Amours jenglasse.

Sachez pour certain sans faulcer

Que de ce ne vous fault doubter.

J’aymeroie plus cher mourir

[A8v] Que aucunement descouvrir
Le secret d’entre vous et moy.

Par quoy vous pry en bonne foy

Qu’il vous plaise moy esprouver:

Vostre amour vouldroye recouvrer

Et estre vostre doulx amy.

La Dame

Beau chevalier, je vous empry:

Ne me requerez villennie,

Mais faictes d’autre part amye,

Car tantost l’aurez belle et gente

Se mettre y voulez vostre entente.

Vous estes beau, doulx et poly,

Saige, courtoys et bien joly.

Digne vous estes d’estre aymé

Et aussi d’estre ami clamé:

Par quoy je vous vouldroye prier

Que ne me veuillez engigner

S’ainsi est que m’amour vous donne.

Le Chevalier

Helas, ma dame chere et bonne,

De certain croyez fermement:

Mourir vouldroys cruellement

Avant que je vous feisse tort.

Vous estes mon cueur, mon confort,

[B1r] Mon soulas et toute joye.


La Dame

Chevalier, mon cueur si larmoye

Quant vous entendz ainsi parler.

Ne pensez point à vous galler

Envers moy, puis vous en mocquer;

Se vostre amour veulx colloquer

En mon cueur pour vostre plaisir,

Je vous prie que desplaisir

Ne m’en advienne aucunement,

Car je vous jure bon serment

Et le sacrement de baptesme,

Autant vous aime que moy mesme:

Long temps a que vous ay donné

Tout mon cueur et habandonné,

Mais je ne m’osoye descouvrir

À vous, de paour d’encourir

À la vostre indignation.

J’ay de vous grand compassion

Car en amour a doulce vie,

Plaisir, deduyt et courtoysie,

Et toute doulceur sans mentir,

Fors quant se vient au departir.

Toutes les foys qu’i m’en souvient

Grand desplaisance au cueur me vient,

[B1v] Car sans aymer je ne pourroye
Avoir au cueur soulas et joye.

Si n’euz oncques amy par amour,

Dont j’ay au cueur fort grand doulour

Et en suis malade forment

Et nuict et jour certainement,

Fors vous, je vous jure mon ame,

Dont bien souvent le cueur me pasme,

Et s’i ne fust le doulx espoir

Qui me garde de son pouoir

Et tous les vrays amantz conforte

Certes je feusse pieça morte,

Plus de moi il ne fust nouvelle.

Le Chevalier

Ma gratieuse damoyselle,

Joyeux suis de vostre parler:

Si vous requiers que appeller

Me vueillez pour le vostre amy.

La Dame

Le cueur seroit bien endormy

Qui à ce vous reffuseroit.

Mais dictes moi s’il vous plaisoit

Que je feusse la vostre amye,

Et je vous promectz que en ma vie

Je n’aymeray autre que vous.

Le Chevalier

Le Chevalier
[B2r] Certes, ma dame, à tousjours

Seray vostre loyal servant,

Mais tenez moy vray convenant

Et je vous promectz sur ma vie

Que jamais n’auray autre amye,

Je vous le promectz et le jure.

La Dame

Pour Dieu point ne soyez parjure,

Monstrez vous estre noble en cueur:

De m’amour estes possesseur

Sans nulle contrarieté;

Faites à vostre volunté,

Certes à vous je suis donnee.

Le Chevalier

Ma chere dame honnoree,

Je vous mercye humblement.

Mon cueur, mon corps tout en present,

Je vous donne sans nul diffame,

Et si vous jure sur mon ame

Que loyaulment vous serviray

À tousjours, tant que je vivray,

Je vous promectz par mon serment.

La Dame

Je vous prie amoureusement

Que nostre amour ne revelez

[B2v] À nulluy, mais bien le celez,
Car je vous faitz serment loyal

Que ce vous estes desloyal

Vers moy, par Dieu le filz Marie,

Vous aurez perdu vostre amye;

Et si sachez par desconfort

Que recepvoir m’en fauldra mort:

Je vous pry ne le dictes mye.

Le Chevalier

Ma tres chere dame et amye,

Voici ma foy, je la vous baille:

Je vous promectz comment qu’il aille

Que mieulx aymeroye mourir

Que point nostre amour descouvrir.

Par quoy ne soyez en doubtance

Que jamais en face semblance.

Il nous fauldra trouver la voye

Comment demenrons nostre joye

Et à quelle heure je viendray.

La Dame

J’ai ung chiennet que j’apprendray:

Quant le verrez en ce vergier

Venez tost vers moy sans dangier,

Adoncques vous pourrez sçavoir

Qu’avecq moy ne peult nul avoir;

[B3r] Ainsi deduyrons noz amours.
Mon bel amy, le voulez vous?

Est ce bien vostre volunté?

Le Chevalier

Ouy, ma dame, en verité

Vostre vouloir si est le mien:

Vous ne dictes sinon que bien.

Il seroit temps de s’en aller,

Ma dame, car j’ay à parler

À la duchesse en cestuy jour.

Je vous supply par doulce amour

Que me donnez ung doulx baiser,

Le soleil se prend à baisser,

Et que j’aye congé de vous.

La Dame

À Dieu mon amy soyez vous,

Souvienne vous souvent de moy.

Le Chevalier

Ma chere dame, je l’octroy.

Jamais en mon cueur n’auray joye

Jusques à tant que vous revoye.

À Dieu ma dame vous comment.

Comment la Duchesse envoye son messagier querir le Chevalier.