Paris, le 14 pluviôse de l'an VI de la République française
Le chef de l'École polytechnique au ministre de l'Intérieur
Citoyen ministre,[1]
D'après les ordres que j'ai reçus hier du Directoire, je suis forcé de quitter pour un temps la place de chef de l'École polytechnique, pour me rendre à Rome, comme directeur de la Commission qu'il y envoie.[2]
Dans des circonstances, citoyen ministre, où l'École va peut-être recevoir une organisation nouvelle, dans un temps où elle sera peut-être exposée à un changement de local, il est impossible que la place de chef ne soit pas promptement remplie par intérim. Permettez-moi de vous présenter pour cet objet le citoyen Guyton. Étant membre du conseil et instituteur de cette école depuis sa création, il en connaît parfaitement le régime ; il jouit de la plus grande considération, et par ses talents et par son attachement à la République, et je suis persuadé que le Directoire ne pourra qu'applaudir à ce choix.[3]
Il est aussi nécessaire, citoyen ministre, pour que le service de l'instruction de l'École n'éprouve aucune suspension, que vous y attachiez en qualité d'instituteurs de géométrie descriptive, le citoyen Sganzin, ingénieur des ponts et chaussées attaché au dépôt,[4] et le citoyen Gay-Vernon, officier retiré du corps du génie[5] et frère du représentant du peuple de ce nom.[6] Les talents de ces deux citoyens sont indispensables à l'école pour que le but de son institution soit rempli, et leur nomination est urgente.[7] Leur zèle pour le maintien de notre gouvernement les rend dignes de la confiance du Directoire.
En partant, citoyen ministre, je recommande à votre sollicitude un établissement qui a le plus grand besoin de votre attention particulière et qui contribuera à la gloire de la République, en lui procurant pour ses différents services des sujets distingués par leurs talents et utiles par leurs lumières.
Salut et respect.
Monge
P.S. Comme les fonctions que je vais quitter ne sont pas de nature à recevoir aucune interruption, je vous préviens, citoyen ministre, que je viens d'inviter le citoyen Guyton à s'en charger jusqu'à ce qu'il ait reçu de vous de nouveaux ordres.
[1] François Sébastien LETOURNEUX (1752-1814) il remplace Nicolas FRANÇOIS DE NEUFCHÂTEAU (1750-1828) de septembre 1797 à mai 1798.
[2] L’assassinat du général Duphot lors des émeutes à Rome de décembre 1797, conduit le Directoire à ordonner au général Berthier de se diriger sur Rome avec ses troupes dès la fin janvier 1798 et de modifier totalement sa politique envers le gouvernement papal. Par un arrêté du Directoire du 12 pluviôse an VI, [31 janvier 1798], Florens, Daunou et Monge sont nommés commissaires de la République à Rome. Archives Nationales, A.F. III 498, Dossier 3135. 12 pluviôse. Ils sont chargés notamment d’enquêter sur la mort du général Duphot et d’établir les institutions de la République romaine. Sur les instructions données aux commissaires du Directoire voir les lettres n°150, 152, 157 163.
[3] Louis-Bernard GUYTON DE MORVEAU (1737-1816). Professeur de Chimie. Lors de la première absence de Monge il a aidé Prieur à défendre l’École et à en assurer la direction avec Deshautchamps. Il est
[4] Joseph-Mathieu SGANZIN (1750-1837).
[5] Simon-François GAY de VERNON (1760-1822).
[6] Léonard Honoré GAY de VERNON (1748)1822), membre du Conseil des Cinq-Cents.
[7] Catherine écrit à Monge de Paris, le 25 pluviôse an VI [13 février 1798] : « Il n’y a rien de nouveau à l’École, les Anciens n’ont pas encore fait le rapport. On croit qu’il sera favorable. Plusieurs membres se proposent de parler favorablement pour qu’on ne la déplace pas, [Lermina] a écrit au Directoire pour faire part que Gui[ton] était directeur par intérim, on [n’] a point eu de réponse. » C’est au cours de la séance du 7 ventôse an VI [25 février 1798] que Guyton de Morveau, Sganzin et Gay Vernon sont officiellement nommés. Catherine en fait part à Monge le 4 ventôse an VI [4 mars 1798]. « […] le Directoire a nommé Sganzin et Gay Vernon pour être professeurs à l’École et a permis que Guyton soit directeur par intérim ».
[1] Monge est au quartier général avec Napoléon BONAPARTE (1769-1821).
[2] Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818), mari d’Émilie MONGE (1778-1867), le couple et leur premier fils Guillaume-Stanislas MAREY-MONGE (1796-1863) sont à Paris du 23 brumaire an V [13 novembre 1796] au 15 ventôse V [5 mars 1797].
[3] Louis-Alexandre BERTHIER (1753-1815).
[4] Catherine HUART (1747-1846). Lettre n°59, de Lorette, le 25 pluviôse an V [13 février 1797].
[5] Lettre de Marey à Monge, Paris le 2 pluviôse an V [21 janvier 1797] et celle de Catherine, Émilie et Louise Monge, le 28 pluviôse an V [26 janvier 1797]. Il n’y a que la lettre des femmes Monge du 7 pluviôse qui a pu être retrouvée. Fonds Monge, É.pol.
[6] L’opinion publique est le sujet de préoccupation que les deux hommes partagent. Voir les lettres n°85 et 90.
[7] La bataille de Rivoli, le 25 Nivôse an V [14 janvier 1797 ], les combats d’Angiari le 26 [15] et la bataille de la Favorite le 27 Nivôse [16 janvier 1797]. Voir les lettres n°50 et 51.
[8] Reddition de Mantoue le 15 pluviôse an V [3 février 1797]. Voir les lettres n°12, 51, 53 et 55.
[9] Marey reçoit cette lettre avant qu’ils ne repartent à Nuits. Ainsi l’ensemble de la famille a accès à ces informations et cela est manifeste dans la lettre de Catherine du 12 ventôse an V [2 mars 1797]. Voir infra. La restriction de diffusion de l’information vise le cercle social et politique de la famille. Sur la dimension collective de la correspondance aux membres de la famille, voir les lettres n°40, 53, 84 et 187.
[10] Michelangelo Alessandro COLLI-MARSHI (1738-1808), général au service du Pape, chargé de la défense des États pontificaux.
[11] Pietro MOSCATI (1739-1824). C’est aussi ce que rappelle Bonaparte au Directoire le 7 germinal an VI [27 mars 1798] alors que sont arrêtés des membres des conseils de la République cisalpine: « Le citoyen Moscati était connu comme un des plus célèbres médecins de l’Europe, ayant de grandes connaissances dans les sciences morales et politiques. Il s’abandonna tout entier au service de l’armée, et c’est à lui et à ses conseils que nous devons 20 000 hommes peut-être, qui eussent péri dans nos hôpitaux en Italie. » (2347, CGNB). Voir la lettre n°60.
[12] Voir lettre n° 60.
[13] SENSI ( ?- ?) voir lettre n°58 et sur les saisies effectuées à Notre-Dame de Lorette voir aussi les lettres n°55, 59, 60, 61, 66.
[14] Contre la superstition.
[15] De Paris, le 12 ventôse an V [2 mars 1797], Catherine évoque avec légèreté les cours de Géométrie descriptive improvisés par Monge, alors qu’il est de retour à Rome : « J’aimais bien mieux te savoir au quartier général pérorant sur les sciences, que de te sentir à Rome. »
[16] Monge est à Rome le 23 février 1797. Voir la lettre n°65.
[17] L’autrichien François II (1768-1835).
[18] Monge fait référence aux négociations en cours entre la France et le Vatican. Mais le pape n’est pas seulement un ennemi militaire et politique, mais aussi culturel et cela bien avant la campagne d’Italie. (Voir la lettre n°3) Comment lutter contre la superstition et l’ignorance, si ce n’est avec l’évidence, un des principes de la méthode cartésienne et de tout géomètre. (voir infra) Monge trouve un biais pour expliquer pourquoi Bonaparte préfère emprunter la voie diplomatique plutôt que la voie militaire. L’opinion de Monge sur la conduite à tenir avec le pape évolue à chaque rencontre avec le général. Voir les lettres n°40, 44, 51, 53, 63 et 65. Enfin, il n’est sans doute pas inutile d’informer la société parisienne de la sensibilité scientifique de Bonaparte. En effet, en réponse au récit de Monge, le 12 ventôse an V [2 mars 1797], Catherine commente : « Je serai bien heureuse de voir ce héros dont nos chouans disent tant de mal. Il ne manque à sa gloire que de bien étriller les archiducs qui, dit-on, vont lui livrer combat. Je fais des vœux bien sincères pour cela, et quoique nos incroyables disent que c’est un ignorant, qu’il ne sait pas les mathématiques, il prouve par de simples calculs qu’il se bat bien et dirige aussi bien son armée. »
[19] La nature du public de la Géométrie descriptive est aussi l’objet de discussions à Paris. Le 20 messidor an V [8 juillet 1797], sans doute un peu pour inciter son mari à quitter l’Italie, Catherine donne un indice des difficultés que rencontre l’École (voir les lettres n°17, 43, 77, 95 et 127) en informant Monge que sa Géométrie descriptive est la cible de critiques : « Il est des occasions où les absents ont tort, on travaille à la géométrie descriptive, on prétend que cette science ne doit pas être populaire, qu’elle doit être réservée aux seuls ingénieurs. » Or Monge est très clair sur ce point. Le caractère technique de la géométrie descriptive ne la prive ni de sa valeur élémentaire ni de sa puissance théorique (voir les lettres n°1 et 3), bien au contraire et Monge l’exprime dès 1795, lors de sa première leçon en présentant les objets de la Géométrie descriptive : « Le second objet de la géométrie descriptive est de déduire de la description exacte des corps tout ce qui suit nécessairement de leurs formes et de leurs positions respectives. Dans ce sens, c’est un moyen de rechercher la vérité ; elle offre des exemples du passage du connu à l’inconnu ; et parce qu’elle est toujours appliquée à des objets susceptibles de la plus grande évidence, il est nécessaire de la faire entrer dans le plan d’une éducation nationale. Elle est non seulement propre à exercer les facultés intellectuelles d’un grand peuple, et à contribuer par là au perfectionnement de l’espèce humaine, mais encore elle est indispensable à tous les ouvriers dont le but est de donner aux corps certaines formes déterminées ; et c’est principalement parce que les méthodes de cet art ont été jusqu’ici trop peu répandues, ou même presque négligées que les progrès de notre industrie ont été si lents. » MONGE G. [1795] (1992), p. 306. Avant d’aborder la partie plus théorique de la Géométrie descriptive consacrée à la présentation de quelques propriétés générales de l’étendue au cours d’une étude des courbes à double courbure, Monge rappelle que sa géométrie est adéquate à la formation de tous les esprits et dépasse un simple usage technique : « Si donc on avait établi dans toutes les villes un peu considérables des écoles secondaires, dans lesquelles les jeunes gens de l’âge de douze ans, et qui se destinent à la pratique de quelques-uns des arts, auraient été exercés pendant deux années aux constructions graphiques, et familiarisés avec les principaux phénomènes de la nature, (voir les lettres n°107 et 108) dont la connaissance leur est indispensable ; ce qui, en développant leur intelligence, et en leur donnant l’habitude et le sentiment de précision, aurait contribué, de la manière la plus certaine, aux progrès de l’industrie nationale, et ce qui, en les accoutumant à l’évidence, les aurait garantis pour toujours de la séduction des imposteurs de tous les genres […].» MONGE G. [1795] (1827), p. 111.
En outre, il faut noter dès cet évènement l’écart qui existe entre Bonaparte et Monge sur l’usage de la Géométrie descriptive en particulier et des sciences en général. (Voir aussi la lettre n°128.) Il faudrait aussi rapprocher cet événement de leur différend en 1804, lors de la militarisation de l’École polytechnique et de l’accès à l’École déterminé par des conditions de ressources. C’était pour Monge un grand pas en arrière et son École polytechnique était défigurée par le même trait qui l’avait empêché de devenir élève de l’École du Génie de Mézières en 1765. Dupin consacre un long développement à ce sujet qu’il conclut ainsi : « Voilà les raisons irréfragables que Monge défendait avec courage, avec opiniâtreté, contre les vues impériales d’un homme qui souffrait en Monge la contradiction et même la réfutation, parce qu’il savait quels étaient pour lui le dévouement, l’enthousiasme, disons plus, l’aveuglement de l’illustre professeur. […] Cinq fois Monge vint auprès de l’empereur redoubler ses instances pour détourner le coup de cette mesure désastreuse ; cinq fois ses efforts furent infructueux. […] Vainement il s’efforçait, pour l’École polytechnique en particulier, de montrer au potentat, l’absurdité de former au pas d’école et au maniement du mousquet, des géographes, des ingénieurs des mines, et des ponts et chaussées, des commissaires des poudres et des salpêtres. L’homme ne répondait aux plans d’enseignement qu’on lui proposait, que par ces mots, « Il faut m’enrégimenter l’instruction publique », ne pouvait être touché des généreux motifs présentés par les Monge, les Fourcroy, les Guyton, les Berthollet ; et des casernes devaient emprisonner la jeunesse pour la façonner au servage. […] Si Monge ne put pas empêcher qu’on portât l’un des coups les plus funestes à l’école polytechnique, par son casernement et sa police militaire, il fit du moins tout ce qu’il était en lui de faire pour diminuer le mal de cette mesure désastreuse. Il donna constamment son traitement de professeur et ensuite sa pension de retraite, pour aider à payer la dépense des élèves les moins fortunés. » Voir DUPIN Ch. (1819), pp. 69-77.
[20] Monge donne ici une explication plus stratégique. Lettre de Bonaparte au Directoire exécutif, Tolentino, le 30 pluviôse an V [18 février 1797] « Je rencontre ici le cardinal Mattei [Alessandro MATTEI (1740-1820], le neveu du Pape [Luigi BRASCHI HONESTI (1745-1816)], le marquis Massimi [Francesco Camillo VII MASSIMO (1730-1801)] et monseigneur Caleppi [Lorenzo CALEPPI (1741-1817)] , qui viennent avec de pleins pouvoirs du Pape pour traiter. On m’écrit que le prince Charles [Charles DE HABSBOURG (1771-1847) commandant de l’armée autrichienne d’Allemagne] est arrivé à Trieste, et que de tous côtés les troupes autrichiennes sont en marche pour renforcer l’armée ennemie. Je vous ai instruits, par ma dernière dépêche, que les douze demi-brigades que vous m’envoyez ne feraient pas 19 000 hommes. Le ministre de la Guerre [PETIET Claude-Louis (1749-1806)] vient d’écrire au général Kellermann [commandant de l’armée des Alpes] de garder 2000 hommes et de faire retourner un régiment de cavalerie à l’armée du Rhin ; voilà donc les 30 000 hommes que vous m’annoncez réduits à 17 000 hommes ; c’est un très beau renfort pour l’armée d’Italie, mais cela me rend trop faible pour pouvoir me diviser en deux corps d’armée et exécuter le plan de campagne que je m’étais proposé. » (1387, CGNB). Monge prend soin de transmettre par l’intermédiaire de Marey cette explication à la société de Nuits en Province. Il ne manque pas de le faire en direction de Paris dans sa lettre à sa belle-sœur Anne-Françoise Huart. Voir la lettre n°63. Bonaparte commence à préparer sa campagne vers Vienne. Voir les lettres n°65, 76 et 81.
[21] Émilie MONGE (1778-1867).
Dans l’édition des leçons de mathématiques de l’École normale, la similitude entre les cours préliminaires de Monge à l’École centrale et ceux de l’École normale est soulignée en indiquant qu’il n’effectue pas « un résumé de l’enseignement qui serait donné aux élèves au cours des trois ans de formation mais la présentation très générale de la théorie et de ses applications afin d’éclairer l’esprit de sa méthode. » (dir. DHOMBRES J. (1992), L’École normale de l’an III. Vol. 1, Leçons de Mathématiques. Laplace-Lagrange-Monge, Paris, Éditions Rue d’Ulm, p. 279.)
Le haut degré théorique de l’enseignement mathématique de Monge tient à sa nature élémentaire. Aussi La géométrie descriptive n’est pas réservée aux seuls ingénieurs mais elle est adéquate à la formation de tous les esprits. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle doit être un élément de la formation des futurs enseignants de la République. (voir la lettre n°62).
Les rapports entre Géométrie descriptive et Analyse appliquée à la Géométrie
[1] GODELLE ( 17 - ? ) et LEBRUN ( 17 - ? ). Ce sont donc deux des mille quatre cents élèves de la première et seule promotion de l’École normale de l’an III.
[2] Il faut noter dès à présent que Monge envisage ensemble les deux disciplines et institut ainsi des rapports entre elles. Sur les rapports entre Mathématiques et physiques dans la pratique scientifique de Monge voir la lettre n°107. Les leçons de mathématiques de Monge à l’École normale ont lieu du 1er pluviôse an III [20 janvier 1795] au 21 floréal an III [10 mai 1795]. L’École ferme le 30 floréal an III [19 mai 1795]. Les cours de l’École avaient lieu dans l’amphithéâtre du Muséum d’histoire naturelle. En revanche, les séances de travaux pratiques, dirigées par Monge avec l’aide de Jean-Nicolas HACHETTE (1769-1834) et Sylvestre-François LACROIX (1765-1843), se tenaient dans l’église de la Sorbonne aménagée à cet effet. (TATON R. (1951), p. 41.)
[3] Un an après sa création l’École centrale des travaux publics change de nom et devient l’École polytechnique par le décret de la Convention du 15 fructidor an III
[1er septembre1795]. Voir la « Chronologie des premières années de l'Ecole polytechnique (1794 - 1799) », Bulletin de la Sabix [En ligne], 8 | 1991, mis en ligne le 09 mai 2011, consulté le 03 juin 2012. URL : http://sabix.revues.org/594. Monge fait allusion aux Feuilles d’Analyse appliquée à la Géométrie à l’usage de l’École polytechnique, ensemble de 28 feuillets comportant de 2 à 8 pages de texte, imprimées séparément et portant des titres divers. En 1795, sont aussi publiées les Séances des écoles normales recueillies par des sténographes et revues par des professeurs, T. 1, pp. 49-64, 278-285, 401-413, T. 2, pp. 149-171, 338-368, T. 3, pp. 61-106, 332-356, T. 4, pp. 87-99, 291-313, T. 7, pp. 28-34, 63-74, 144-151. Des feuillets de séances séparés ont existé pour les premières séances. Même si la Géométrie descriptive est encore dispersée dans sept volumes et partagée en douze leçons, la retranscription des cours de Monge à l’École normale constitue la première rédaction et publication de l’ensemble de ses principes et méthodes dont l’élaboration a débuté en 1765. Monge enseigne sa Géométrie aussi bien à l’École normale qu’à l’École centrale des travaux publics. Cela montre qu’elle n’est pas réservée aux seuls ingénieurs mais qu’elle est adéquate à la formation de tous les esprits. Le haut degré théorique de l’enseignement mathématique de Monge tient à sa nature élémentaire (voir la lettre n°62). Dans l’édition des leçons de mathématiques de l’École normale, la similitude entre les cours préliminaires de Monge à l’École centrale et ceux de l’École normale est soulignée en indiquant qu’il n’effectue pas « un résumé de l’enseignement qui serait donné aux élèves au cours des trois ans de formation mais la présentation très générale de la théorie et de ses applications afin d’éclairer l’esprit de sa méthode. » (dir. DHOMBRES J. (1992), L’École normale de l’an III. Vol. 1, Leçons de Mathématiques. Laplace-Lagrange-Monge, Paris, Éditions Rue d’Ulm, p. 279.) Les cours révolutionnaires à l’École centrale ouvrent le 1er nivôse an III (21 décembre 1794), Monge est alors malade et extrêmement fatigué. Il ne peut commencer son cours préliminaire de Stéréotomie qu’à partir du 21 nivôse an III (10 janvier 1795), dix jours avant le début des cours à l’École normale. Catherine, sa femme, rappelle cette période à Monge en 1798 « […] la maladie que tu fis à la suite de tant de travaux, ta convalescence d’un an pendant laquelle l’École polytechnique fut créée par toi à force de peine et de travail. » (brouillon d’une lettre de Catherine du [17 germinal an 6] [6 avril 1798] envoyé à Monge le 30 germinal an VI [19 avril 1798].) Les aspirants instructeurs qui ont bénéficié au cours des mois de novembre et décembre 1794 d’un enseignement spécial dû à leur fonction spécifique dans l’École, continuent leur formation. En pluviôse et ventôse an III, alors que Monge a terminé ses cours préliminaires à l’École centrale le 19 pluviôse (7 février), les aspirants instructeurs assistent aux leçons de Monge à l’École normale (dir. DHOMBRES J. (1992), p. 279).
La différence des enseignements de la géométrie descriptive dans les deux écoles réside dans le mode de traitement de ses rapports avec l’analyse. À l’École centrale, Monge enseigne à la fois la stéréotomie et l’analyse appliquée à la géométrie. (dir. DHOMBRES J. (1992), pp. 294-295). Ainsi, cette lettre fait apparaître le souci de Monge d’organiser son enseignement en deux domaines correspondants, la Géométrie descriptive et l’Application de l’Analyse à la Géométrie afin de montrer les liens étroits entre technique et mathématiques, géométrie et analyse et la correspondance entre opération analytique et construction géométrique. Monge regrettait déjà en 1780 de ne pas pouvoir les enseigner en même temps à des élèves extérieurs à l’École de Mézières, l’enseignement de la géométrie descriptive étant strictement réservée aux élèves du Génie : « Monge, entraîné par son zèle, enseignait la géométrie analytique à quelques élèves ambitieux de pénétrer dans la connaissance des hautes mathématiques ; à Lacroix, depuis membre de l’Institut ; à Gay-Vernon, etc. Il leur montrait quelles relations admirables unissent les opérations de l’analyse et de la géométrie. Il aurait voulu leur enseigner également ce qu’il avait découvert en géométrie descriptive. « Tout ce que je fais ici par le calcul, leur disait-il, je pourrais l’exécuter avec la règle et le compas ; mais il ne m’est pas permis de vous révéler ces secrets. » » (DUPIN Ch. (1819), pp. 20-21.) Dans la réédition de 1811 de la Géométrie descriptive, élaborée avec Hachette les rapports entre les deux domaines mathématiques sont énoncés dès le descriptif détaillé du programme des leçons en justifiant ainsi leur modalité d’enseignement : « On fait souvent usage, dans la Géométrie descriptive, pure ou appliquée, de propositions qu’on suppose démontrées par l’analyse. Comme ces deux sciences se prêtent des secours mutuels, elles doivent être cultivées en même temps. C’est par cette raison que, d’après l’organisation de l’enseignement de l’École polytechnique, les mêmes professeurs sont chargés du cours de Géométrie et d’Analyse appliquée à la géométrie. » (MONGE G. et HACHETTE J. N. (1811), Géométrie descriptive, Paris, Klostermann, p. viii.) L’aide réciproque que l’analyse et la géométrie s’apportent détermine une pratique mathématique qui développe simultanément une appréhension géométrique et analytique des objets envisagés. : « Pour apprendre les mathématiques de la manière la plus avantageuse, il faut donc que l’élève s’accoutume de bonne heure à sentir la correspondance qu’ont entre elles les opérations de l’analyse et de la géométrie ; il faut qu’il se mette en état, d’une part de pouvoir écrire en analyse tous les mouvements qu’il peut concevoir dans l’espace, et de l’autre, de se représenter perpétuellement dans l’espace le spectacle mouvant dont chacune des opérations analytiques est l’écriture. » MONGE G. et HACHETTE J.N. (1811), pp. 75-76. Cette préoccupation de mise en correspondance des deux domaines mathématiques ne quitte jamais Monge et la manière dont il a exposé sa géométrie descriptive et son analyse appliquée à la géométrie ne lui paraît pas encore suffisamment montrer et faire sentir leur correspondance. Dans son introduction à ses Cours de géométrie descriptive, Th. Olivier prend soin de rapporter une remarque de Monge : « Si je refaisais mon ouvrage qui a pour titre de l’Analyse appliquée à la géométrie […], je l’écrirais en deux colonnes : dans la première je donnerais les démonstrations par l’analyse ; dans la seconde, je donnerais les démonstrations par la géométrie descriptive, en d’autres termes, par la méthode des projections. Et l’on serait peut-être, […], bien étonné en lisant cet ouvrage, de voir que l’avantage serait presque toujours du côté de la seconde colonne, pour la clarté du raisonnement, la simplicité de la démonstration et la facilité de l’application des théorèmes trouvés aux différents travaux des ingénieurs. » (OLIVIER Th. [1843] (1852), Cours de géométrie descriptive, première partie, 2ème éd., Paris, Carilian-Goeury et V. Dalmont, Libraires des corps des points et chaussées et des mines, p. IV. cité in TATON R. (1951), p. 228.) Mais son enseignement des mathématiques destiné à montrer, faire sentir, développer, fonder et rénover les rapports entre les domaines de la géométrie, de l’algèbre et de l’analyse n’est pas encore achevé. Voir les lettres n°132 et 170.
[4] Le 29 mai 1795, Monge quitte Paris et se réfugie dans la maison de campagne de Berthollet à Aulnay-sous-Bois. Après les journées de Prairial, Monge est ainsi obligé d’interrompre ses cours d’analyse. (É.B) (dir. DHOMBRES J. (1992), p. 295). Voir la lettre n°90.
[5] Dans une lettre aux Comités, Lamblardie, alors directeur de l’École exprime le caractère irremplaçable de Monge en soulignant l’importance, la spécificité et la nouveauté de son enseignement mathématique qui associe étroitement technique graphique, géométrie et analyse. « Le directeur de l’École centrale des travaux publics croit de son devoir d’observer aux Comités de la Convention que les progrès de l’instruction de la stéréotomie commencent à se ralentir depuis l’absence du citoyen Monge, instituteur. Avant qu’il eût été forcé de quitter l’École, il avait préparé d’avance et pour quelque temps un travail qui a servi à continuer l’enseignement aux élèves de cette partie essentielle de leur instruction. Mais ce qu’il a laissé se trouve maintenant épuisé et comme nul autre savant ne s’est livré à cette partie des mathématiques qui est relative à l’instruction des projections, les élèves vont être privés de continuer ce genre d’études qui leur est cependant indispensable et de laquelle dépend le reste du travail qui se fait à l’école. Ils ont déjà témoigné dans une pétition adressée au Comité de salut public, dès les premiers moments de l’absence du citoyen Monge, les regrets de ne plus recevoir les leçons de cet instituteur et le désir qu’il leur fut bientôt rendu. Il serait donc non seulement intéressant pour cette école, mais encore très urgent que le Comité de sûreté générale statuât sans délai sur le sort du citoyen Monge. » Lettre du Directeur de l’École polytechnique, [Lamblardie] conservée dans la correspondance administrative. (Arch. Ec. Pol.). transcription Doc. 3 RT 15.3.1. CAPHES, R.T. [Dans son ouvrage Langins parle de cette lettre (p. 82 et note 238: p. 110), mais la date à tort du 5 thermidor, alors que l’arrêté du Comité de sûreté générale décidant « que le citoyen Monge sera mis provisoirement en liberté et les scellés levés » est daté du 4 thermidor. Par ailleurs, il fixe son retour à l’École au 11 thermidor (29 juillet), alors que Monge avait participé à la réunion du Conseil dès le 8 thermidor (26 juillet).] [R.T.] Ferry remplace Monge pendant son absence à l’École centrale, comme il l’avait fait à Mézières en 1784.
Le 29 mai 1795, Monge quitte Paris et se réfugie dans la maison de campagne de Berthollet à Aulnay-sous-Bois. Après les journées de Prairial, Monge est ainsi obligé d’interrompre ses cours d’analyse. (É.B) (dir. DHOMBRES J. (1992), p. 295). Voir la lettre n°90.
C'est à ce moment que Monge répond à deux des mille quatre cents élèves de la première et seule promotion de l’École normale de l’an III, GODELLE ( 17 - ? ) et LEBRUN ( 17 - ? ).
Bibliothèque centrale de l'École polytechnique / Centre de Ressources Historiques. (Palaiseau, France).