Rome, le 16 floréal de l'an V de la République française
En vous rendant compte du départ du premier convoi des statues de Rome, nous vous annoncions qu'il était déjà dirigé sur Bologne, d'où on l'expédierait sur Parme, Plaisance, Tortone et Gênes et qu'il séjournerait dans ce port sous la surveillance du ministre de la République française
[2] jusqu'à ce que les circonstances permettent de l'embarquer avec sécurité pour Marseille ou Toulon.
[3] La paix se faisant avec l'Empire, le territoire de la Toscane nous présente actuellement la même sécurité que celui de Gênes et nous nous sommes déterminés à envoyer le convoi à Livourne. Par là nous éviterons le passage des Apennins qui n'offrait que des routes difficiles ; nous abrégerons de beaucoup le temps nécessaire pour arriver au lieu de l'embarquement ; nous éviterons à la République une dépense considérable et nous diminuerons les hasards qui ne nous laissaient pas sans inquiétudes. En conséquence, nous avons ordonné au citoyen Gerli, notre adjoint et qui inspecte la marche du convoi, de quitter à Sienne la route de Bologne pour prendre celle de Livourne.
[4] Nous avons prévenu notre ministre à Florence
[5] en le priant d'obtenir du gouvernement de Toscane que les vivres soient préparés sur la route aux époques convenables, et nous avons prié le citoyen Belleville, notre consul à Livourne,
[6] de chercher soit dans ce port, soit à Pise, un local dans lequel les chars très chargés puissent être à l'abri des injures de l'air et des efforts de la malveillance.
Le second convoi partira dans quatre ou cinq jours.
[7] Il comprendra l'Apollon et le Laocoon
[8] qui sont déjà sur leurs chars, mais nous ne vous en rendrons un compte positif et détaillé que quand il sera déjà en marche et hors de la portée de notre surveillance journalière.
C'est au mois de frimaire dernier que le convoi des tableaux de la Lombardie, de Modène, de Bologne et de Ferrare est arrivé à Toulon sous la conduite du citoyen Escudier.
[9] Depuis cette époque, nous n'en avons pas entendu parler et aucune lettre de France ne nous annonce qu'il soit en route pour Paris.
Nous ne pouvons nous dispenser, citoyen ministre, de vous représenter que les tableaux roulés pour la plupart en grand nombre sur des cylindres, après avoir essuyé des pluies dans une longue route par terre, après avoir été exposés à l'air de la mer, ne peuvent, sans de grands hasards, rester dans l'état où ils sont. Si on les laisse dans un lieu humide, les toiles peuvent se pourrir; si on les expose sur la route aux ardeurs de l'été dans les pays méditerranéens, la peinture peut s'altérer et les parquets de ceux qui sont sur bois peuvent se tourmenter. Il est très urgent que ces chefs-d'œuvre soient mis le plus promptement possible entre les mains des conservateurs du Muséum. Les pertes que nous éprouverions à cet égard seraient irréparables et la France en serait comptable à l'Univers. Nous vous prions en conséquence de vouloir bien donner des ordres pour que ce convoi continue sa marche et de calmer nos inquiétudes par un mot d'avis.
Salut et respect.
Moitte, Tinet, Monge, Berthélemy
[10]
[1] Charles DELACROIX (1741-1805).
[2] Guillaume-Charles FAIPOULT DE MAISONCELLES (1752-1817)
[3] La première lettre adressée au ministre pour annoncer le départ du premier convoi ne figure pas dans le corpus. Monge indique dans la lettre à sa femme n°81 qu’il n’a pas encore annoncé au ministre le départ du premier convoi de Rome. Cette lettre est donc écrite entre le 20 germinal [9 avril ] et 16 floréal an V [5 mai 1797]. Voir les lettres n°77, 92, 94, 100, 102, 109, 110, 121 et 122.
[4] Charles-Joseph GERLI (17 ? - ? ) peintre adjoint à la commission en février 1797. Voir la lettre n°81.
[5] André-François MIOT (1762-1841).
[6] Charles-Godefroy REDON DE BELLEVILLE (1748-1820).
[7] Le second convoi part le 22 Floréal an V [11 mai 1797]. Voir la lettre n°94.
[8] L’ « Apollon du Belvédère » et le groupe du « Laocoön et ses fils ».
[9] Jean-François ESCUDIER (1759-1819), sur le convoi rassemblé à Tortone, en partie laissé par La Billiardière à Coni et confié ensuite à Escudier voir lettres n° 41, 42, 48, 77, 81, 98 et 109.
Sur les détails des saisies effectuées dans la Haute Italie. Voir lettre n°15 au ministre des Relations extérieures.
[10] Jean-Guillaume MOITTE (1746-1810), Jacques-Pierre TINET (1753-1803) et Jean-Simon BERTHÉLÉMY (1743-1811). Berthollet est à Modène. Voir la lettre n°93. Thoüin est avec l’adjoint Wicar dans la Romagne. Voir la lettre n°81.