Réflexions ou notes politiques de Victorine de Chastenay
Première et Seconde Restaurations se déroulent dans un contexte bien différent. En avril 1814, les Bourbons rappelés sur le trône après l’abdication de Napoléon et son exil sur l’île d’Elbe tentent de rassurer ceux qui s’inquiètent d’un retour de l’ancienne dynastie. Victorine de Chastenay, qui n’est pas de ceux-là, salue ce « grand et heureux événement » (Mémoires, éd. R. Trousson, p. 610). La Charte, promulguée le 4 juin, doit garantir aux Français un régime de droit. Après les Cent Jours et Waterloo (18 juin 1815), le ton change. Louis XVIII, restauré pour la deuxième fois, doit donner des gages à son aile droite — la fameuse « Chambre introuvable » — qui voit des comploteurs bonapartistes à chaque carrefour. Dès lors, certains articles de la Charte constitutionnelle deviennent encombrants tels que l’article 8 sur la liberté de la presse (qui abolit la censure préalable) et l’article 12 (qui abolit la conscription).
En ce qui concerne la censure, le gouvernement est obligé, à cause de la Charte, de la renouveler à titre d’exception de mois en mois en faisant valoir la menace intérieure. La note de Victorine, en date du 10 février 1818, est écrite à un moment où un projet de loi sur la presse est en discussion aux deux chambres pour rendre pérenne le contrôle des écrits. Ce projet de loi est rejeté par les libéraux comme par les ultras qui craignent de conserve que leur critique du gouvernement n’en pâtisse. L’autre loi, celle sur le rétablissement de la conscription (via le tirage au sort), portée par le maréchal-ministre Gouvion Saint-Cyr, est adoptée le 10 mars 1818. Elle reste en vigueur jusqu’à la fin du Second Empire.
Comment Victorine de Chastenay sait-elle ce qui se dit dans les chambres ? Il existait à l’époque une sorte de journal officiel nommé le Moniteur universel mais dont le contenu était souvent incomplet (repris et complété par l’éd. Madival & Laurent des Archives parlementaires de 1787 à 1860, 2e série, t 20, Paris, 1870, « AP » dans la transcription). Il est probable que les informations de cette note viennent plutôt de la lecture du Journal des débats (« JDD » dans la transcription) auquel on sait que Victorine était abonnée.
Dans cette « note politique », Victorine de Chastenay prend fait et cause pour le gouvernement. Son opinion est-elle dictée par la presse officielle ? Certains éléments nous font plutôt penser qu’elle s’est fait son propre avis à la lecture des comptes rendus. D’abord, elle se moque de certains orateurs, en particulier des ultras et de leurs discours plus royalistes que le roi. Elle les présente comme des factieux qui rêvent d’insurrection, ironise sur M. de Causans qui « radote », sur le comte de Vogüe qui fait preuve d’un « élan passionné » au sujet de la Vendée, sur Bonald dont l’éloquence est aussi brillante qu’une « torche de foins ». Les libéraux « exagérés » ne valent pas mieux lorsqu’ils refusent la conscription (« impôt d’hommes ») ou espèrent en une Charte « consentie » tournée en Constitution. Victorine de Chastenay, issue d’une veille famille d’épée et dont le père et le frère ont embrassé la carrière, a un avis bien tranché sur la question des réformes militaires : « Je ne sais si la loi de recrutement est bonne mais on l’a attaquée par des moyens bien dangereux ». Elle loue à l’inverse les talents oratoires du député « constitutionnel » Camille Jordan et des ministres Etienne-Denis Pasquier, Joseph Laîné ou Élie Decazes, allant jusqu’à affirmer que ce dernier a « écrasé sur place » Chateaubriand à la Chambre des Pairs.
Une formule résume sa clairvoyance de la situation en ce début de règne de Louis XVIII : « Les bals ont fait plus de bien depuis deux mois que tout ce qu’on aurait pu inventer ». La remarque est fort pertinente. La plupart des français savent gré aux Bourbons d’avoir mis fin à la saignée impériale, rétabli quelques droits grâce à la Charte et d’avoir instauré un vrai régime parlementaire via la « Loi Laîné » sur les élections du 5 février 1817 (suffrage censitaire mais direct). Les élites bourgeoises et aristocratiques, bonapartistes, libéraux ou légitimistes, peuvent poursuivre leur réconciliation sur cette base, dans une certaine insouciance qui ne durera pas.
Sources
- Mémoires (1771-1815) éd. par R. Trousson en 2009 (d’après éd. A. Roserot, Paris, Plon, 1896 = Mémoires particuliers complétés par les Mémoires historiques)
- FRADCO_ESUP378_8_003-004 : notes politiques (10 février 1818)
- Cahiers du Châtillonnais, 47, octobre 1989 : art. de Michel Lagrange
- autres sources : Souvenirs, BNFNAF 22. 992 (245p, concerne la période d. 1817 à juillet 1847) ; Souvenirs, BNF NAF 11. 771 (771p, concerne la période 1815-1844 avec énormes lacunes temporelles) ; Souvenirs, BNF NAF 11. 772 (402p, concerne la période 1845-1854) ; Mémoires historiques, BNF NAF 22891 ; Mémoires particuliers, BNF NAF 22892 ; Bibliothèque Arsenal BNF Correspondance reçue ou acquise par Etienne de Jouy, Jules Lacroix, Paul Lacroix, Cote : MS-9623 (797) ; Bibliothèque Arsenal BNF Lettres et poésies autographes de poètes et chansonniers Victorine, comtesse de Chastenay, 1813, 1838 (14,15) Cote : Ms-13466 ; Collection lettres et autographes BNF NAF 2764 VIII Lettre.