Voyage en Laponie de Maupertuis

Le voyage en Laponie (20 avril 1736 - 20 août 1737) du mathématicien Pierre-Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) est un épisode fameux et héroïque de l’histoire des sciences. Outre la dimension d’un récit plein de péripéties, les relations qui en sont tirées visent à résoudre une question cruciale : celle de la forme de la Terre. Si celle-ci est allongée aux pôles, la géophysique de Descartes se trouve confirmée ; si elle est aplatie, c’est l’astrophysique de Newton qu’il l’est. Afin de trancher, l’Académie des sciences de Paris organise deux expéditions aux pôles : la première dirigée par La Condamine, Godin et Bouguer part en mai 1735 en direction du Pérou et met dix ans à rentrer ; aussi, juge-t-on prudent de la compléter par une deuxième expédition que dirige Maupertuis vers le pôle nord, plus proche. Le mathématicien Clairaut, l’astronome Le Monnier, le physicien Celsius et l’abbé Outhier sont du voyage. Le but est de mesurer des arcs de méridien par triangulation afin de les comparer à ceux connus pour les régions plus basses. Les résultats sont présentés à l'Académie à l’automne 1737. Ils sont en accord avec l'hypothèse newtonienne de l’aplatissement du globe terrestre : un degré de méridien est significativement plus long en Laponie qu’en France.

Le « voyage en Laponie » a connu plusieurs récits, principalement dans La figure de la Terre publiée dès 1738 par Maupertuis, qui inclut son discours devant l’Académie du 13 novembre 1737, et dans le Journal d’un voyage au nord en 1736 et 1737 rédigé par l’abbé Outhier et publié à Paris en 1744. Les traités relatifs à cette expédition, incluant les Éléments de géographie qui donnent la méthode de triangulation, le Voyage au cercle polaire qui constitue le cœur du récit et la Relation d’un voyage en Laponie pour trouver un ancien monument qui concerne l’unique épisode de la recherche d’un monument archéologique très ancien sont ensuite réédités dans les œuvres complètes de Maupertuis qui commencent à paraître à Dresde en 1752.

Quelle édition Victorine de Chastenay a-t-elle eue en main ? Ce ne peut être la première (Dresde, G. C. Walther, 1752) car l’ordre des pièces y est différent et il y manque par exemple l’éloge académique de Montesquieu que Victorine commente dans la même note. Il ne peut donc s’agir que du tome 3 de l’édition « corrigée et augmentée » parue à Lyon chez J.-M. Bruyset, soit celle de 1756 soit sa réémission de 1768 (c’est celle que nous avons utilisée pour la transcription).

La note de lecture de Victorine de Chastenay est en date du 29 décembre 1800, objet probable de distraction entre deux réveillons. La comtesse ne se contente d’ailleurs pas, malgré le titre de la note, de résumer le seul voyage en Laponie mais aussi la Lettre sur la comète, l’Éloge de Keyserling, celui de Borcke et celui de Montesquieu ou encore la Dissertation sur les langues du même volume.

La lecture se fait dans l’ordre du volume mais pas forcément de façon tout à fait linéaire. Ainsi, ce qu’elle retient du « Voyage en Laponie » concerne aussi bien les articles des Éléments de géographie, qu’elle ne résume pas tous, que du Voyage au cercle polaire au milieu duquel elle inclut des passages de la Relation pour trouver un ancien monument.

Les Éléments l’ennuient et elle se désintéresse de la procédure de triangulation. L’exotisme lapon, au contraire, la ravit et la fait frissonner. Elle se trompe quelquefois ou résume un peu trop vite : par exemple, quand elle affirme qu’à Torneå « le baromètre descend à 37° », en lieu et place du thermomètre à mercure de Réaumur qui descend, dit Maupertuis, 37° au-dessous de zéro. Le plus surprenant est sans doute qu’elle croit pouvoir en conclure que le résultat de l’expédition fût « que la Terre étoit considérablement allongée aux pôles » (en contradiction complète avec le texte de Maupertuis, p. 168). Notons que Victorine de Chastenay est capable d’inclure d’autres souvenirs de lecture dans sa note sur Maupertuis, comme par exemple quand elle cite le Voyage en Lapponie (1681) de Jean-François Regnard, un texte publié pour la première fois en 1731 puis en 1790.

Comme on l’a dit, Victorine de Chastenay lit aussi la plupart des autres textes du volume. Elle résume longuement la Lettre sur la comète « qui n’a rien de rassurante » et les Éloges dont elle trouve le propos choquant car Maupertuis y « fait de la philosophie un état ». Elle lui reproche encore d’aller contre l’éthique de Montesquieu, un auteur que Victorine apprécie particulièrement. Elle s’intéresse à la Dissertation sur les langues, en particulier le passage où il est question de l’écriture chinoise. Quant au discours de Lalande sur la parallaxe de la Lune, elle avoue humblement ne pouvoir le résumer car elle n’y a « rien compris ». Elle termine sa note en évoquant la visite prochaine de son professeur particulier Gaspard de Prony lui réservant « toute [son] ignorance à instruire ».

Sources :

  • Oeuvres de Maupertuis. Nouvelle Edition corrigée & augmentée. Tome troisième. À Lyon, Chez J-M. Bruyset, Imprimeur-Libraire, rue S. Dominique, M. DCC. LXVIII (1768). 
  • Oeuvres de M. de Maupertuis. Nouvelle édition corrigée et augmentée, Lyon : J.-M. Bruyset, 1756, 4 vol. : fig. et pl., in-8°, t. 3
  • Oeuvres de M. de Maupertuis. 1ère éd., Dresde : G. C. Walther, 1752, in-4°, pièces limin., 404 p.
  • Voyage en Lapponie (1681) de J-F. Regnard, Paris : Vve Ribou, 1731 (avec réédition en 1790 et 1825)