Quatrième côté du triangle (Le)
Auteur(s) : Sony Labou Tansi
Présentation de la collection
1 In Sony Labou Tansi, Il quarto lato del triangolo (Le Quatrième côté du triangle), édition de Sergio Zoppi et Antonella Emina, traduction d’Antonella Emina, Turin, La Rosa, coll. Tracce, 1997, 199 p. ; pp. VIII-X.
Ce recueil de poésie de Sony Labou Tansi sera une surprise pour beaucoup de lecteurs, accoutumés à son écriture luxuriante, amplement orchestrée aux sonorités redondantes. Ici le poète lit directement la partition de l’Histoire, il devient le chanteur de son milieu, « l’annonciateur » des dernières nouvelles, « le diseur » des événements les plus récents, choisis afin de mettre à nu un parcours tragique sur lequel l’homme africain trébuche tous les jours.
Ce livre-témoignage est un défi à la rhétorique, au formalisme et au structuralisme, aux contorsions psychanalytiques, mais aussi à l’idéologie, au marxisme et au libéralisme, au message chrétien et à la solidarité laïque. Ni dénonciation, ni résignation. Simple observation, constatation.
Au début, pour Sony, il y avait l’homme africain. « L’homme humide / lézardé / planté / à l’entrée vive / du dépouillement » (f° 5r), systématiquement agressé, maltraité, exploité par l’Histoire, « machine incohérente / prêtée / à l’universelle défaite / de l’homme / sur l’homme – » (f° 10r), jusque dans le déracinement culturel d’une occidentalisation accélérée par la technologie qui sème plus de cadavres qu’elle ne récolte de bénéfices. Sa tentative de « voler à la mort / continent / voué à toutes les impossibilités d’être » (f° 33r) reste une utopie. En écrivant, Sony avait déjà pressenti que le mur entre socialisme réel et capitalisme, « des doctrines / échouées » (f° 9r), était en train de s’effriter. Dans la voix du poète, nous ne percevons pas seulement la faillite de la civilisation, des idées-guides et des messages ; la déception est à chercher au fond du concept même de civilisation : « vue d’Afrique / la marseillaise / est pourrie – elle pue / la magouille et la lâcheté – » (f° 8r). La dénonciation la plus ardente touche à la violation de la dignité de l’homme, de l’homme noir : « les Nègres / ne sont pas des hommes / l’Histoire / nous le dit en chaque / cadavre / d’homme tué / avec la complicité de Marx / ou de sa sainte mère église – » (f° 13r).
Dans sa fonction de prophète et de voyant il a pu lire une catastrophe épocale qui s’accomplit dans l’indifférence générale : bouleversée par les famines, les maladies, les guerres fratricides, l’Afrique noire vit l’une de ses périodes les plus obscures. Et, en compagnie de ses frères, le poète a vécu une dimension existentielle déchirante, où « La désespérance/ devint notre lot » (f° 7v).
Dans ce naufrage collectif, parmi les épaves, voici la présence féminine, vivante : « Ta chair / est entrée au silence / de la terre » (f° 18v), ou bien « Ton île de viande fraîche / a voulu flotter / dans l’océan des mots » (f° 36v). C’est surtout une présence saisie par les sens ; les mots semblent glisser sur des surfaces lisses, tièdes, humides, avec une sensualité sonore qui fait éclore les corps comme des fleurs tropicales.
Dans son « panier de noms » (f° 29v), le poète conserve la réalité et son discours sur la réalité, son intuition du monde et sa lecture du monde ; et il nous les livre ici, afin qu’ils soient pour nous source de plaisir et prétexte à leçon.
Ce livre-témoignage est un défi à la rhétorique, au formalisme et au structuralisme, aux contorsions psychanalytiques, mais aussi à l’idéologie, au marxisme et au libéralisme, au message chrétien et à la solidarité laïque. Ni dénonciation, ni résignation. Simple observation, constatation.
Au début, pour Sony, il y avait l’homme africain. « L’homme humide / lézardé / planté / à l’entrée vive / du dépouillement » (f° 5r), systématiquement agressé, maltraité, exploité par l’Histoire, « machine incohérente / prêtée / à l’universelle défaite / de l’homme / sur l’homme – » (f° 10r), jusque dans le déracinement culturel d’une occidentalisation accélérée par la technologie qui sème plus de cadavres qu’elle ne récolte de bénéfices. Sa tentative de « voler à la mort / continent / voué à toutes les impossibilités d’être » (f° 33r) reste une utopie. En écrivant, Sony avait déjà pressenti que le mur entre socialisme réel et capitalisme, « des doctrines / échouées » (f° 9r), était en train de s’effriter. Dans la voix du poète, nous ne percevons pas seulement la faillite de la civilisation, des idées-guides et des messages ; la déception est à chercher au fond du concept même de civilisation : « vue d’Afrique / la marseillaise / est pourrie – elle pue / la magouille et la lâcheté – » (f° 8r). La dénonciation la plus ardente touche à la violation de la dignité de l’homme, de l’homme noir : « les Nègres / ne sont pas des hommes / l’Histoire / nous le dit en chaque / cadavre / d’homme tué / avec la complicité de Marx / ou de sa sainte mère église – » (f° 13r).
Dans sa fonction de prophète et de voyant il a pu lire une catastrophe épocale qui s’accomplit dans l’indifférence générale : bouleversée par les famines, les maladies, les guerres fratricides, l’Afrique noire vit l’une de ses périodes les plus obscures. Et, en compagnie de ses frères, le poète a vécu une dimension existentielle déchirante, où « La désespérance/ devint notre lot » (f° 7v).
Dans ce naufrage collectif, parmi les épaves, voici la présence féminine, vivante : « Ta chair / est entrée au silence / de la terre » (f° 18v), ou bien « Ton île de viande fraîche / a voulu flotter / dans l’océan des mots » (f° 36v). C’est surtout une présence saisie par les sens ; les mots semblent glisser sur des surfaces lisses, tièdes, humides, avec une sensualité sonore qui fait éclore les corps comme des fleurs tropicales.
Dans son « panier de noms » (f° 29v), le poète conserve la réalité et son discours sur la réalité, son intuition du monde et sa lecture du monde ; et il nous les livre ici, afin qu’ils soient pour nous source de plaisir et prétexte à leçon.
Hypothèse de datation
La datation du cahier Le Quatrième côté du triangle est certaine : le 25 septembre 1988, comme il est écrit sur le frontispice de la main de Sony Labou Tansi. Il s’agit sans doute de la date à laquelle l’auteur a remis son manuscrit à Sergio Zoppi, pour qu’il le publie. Ce dernier, professeur de littérature française à l’université de Turin, soutint l’essor des études francophones en Italie et était parmi les organisateurs de la deuxième édition du festival du théâtre africain qui eut lieu à la fin de septembre 1988. Le 21 septembre 1988 Sony était à Turin et se montra sur scène, au Théâtre Adua, à la fin de la représentation de Moi, veuve de l’empire.
La datation du cahier Le Quatrième côté du triangle est certaine : le 25 septembre 1988, comme il est écrit sur le frontispice de la main de Sony Labou Tansi. Il s’agit sans doute de la date à laquelle l’auteur a remis son manuscrit à Sergio Zoppi, pour qu’il le publie. Ce dernier, professeur de littérature française à l’université de Turin, soutint l’essor des études francophones en Italie et était parmi les organisateurs de la deuxième édition du festival du théâtre africain qui eut lieu à la fin de septembre 1988. Le 21 septembre 1988 Sony était à Turin et se montra sur scène, au Théâtre Adua, à la fin de la représentation de Moi, veuve de l’empire.
La/les date(s) d’écriture sont plus difficiles à déterminer. Pourtant, le 23 décembre 1987, Zoppi reçut une carte postale non datée, signée SLTansi, où l’écrivain promettait l’envoi des poèmes « dès qu’ils sont prêts ». Apparemment il était déjà au travail. Il s’agit d’une carte postale où figurent trois photos de scène sur fond blanc, avec : « Souvenirs du CONGO », sur la gauche, et « Le Rocado Zulu Théâtre de Brazzaville », sur la droite. C’était une carte de vœux : « Bonne année Idées neuves / Je t’envoie les poèmes dès qu’ils sont prêts Merci de travailler à l’avènement d’une autre humanité Je vous donnerai ma main pour cela, à toi et à Egi / Amitié / Sony Labou Tansi / signature ». La date est tirée d’une note écrite à la main par Zoppi dix ans plus tard. Ce délai est rendu explicite par le fait que la notice est pointée sur une carte d’invitation pour une conférence qui aurait lieu le 21 mai 1997. En outre, les deux cartes sont conservées dans une enveloppe provenant de Bernard Magnier, datée du 3 février 1997.
Sergio Zoppi1
Sergio Zoppi1
1 In Sony Labou Tansi, Il quarto lato del triangolo (Le Quatrième côté du triangle), édition de Sergio Zoppi et Antonella Emina, traduction d’Antonella Emina, Turin, La Rosa, coll. Tracce, 1997, 199 p. ; pp. VIII-X.
Auteur de la présentationAntonella Emina
Fiche descriptive de la collection
AuteurSony Labou Tansi
Date(s)1987-1988 ?
GenrePoésie (Recueil)
LangueFrançais
ÉditeurClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)
Contributeur(s)Antonella Emina
Citation de la page
Sony Labou Tansi, Quatrième côté du triangle (Le), 1987-1988 ?.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 23/12/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/collections/show/216