Archives Marguerite Audoux

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Lettre d'Alain‑Fournier à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Alain-Fournier

DescriptionEnvoi de l'article de Rachilde sur Marie-Claire - Passages recopiés de lettres de paysans qui admirent Marie-Claire
Texte
Mardi soir,
[13 décembre 1910[1]]



Je voulais vous écrire longuement, mais je viens de terminer mon Miracle de la Fermière[2] et je suis si fatigué que je n'en ferai rien.
Je vous envoie seulement la page de Rachilde[3] qui ne paraîtra qu'après‑demain. Vous la connaîtrez donc avant tout le monde. Vous voyez[4] que j'avais raison de dire qu'elle vous était très favorable. Vous vous en moquez d'ailleurs, je pense, et moi aussi.
Je pense vous toucher davantage en vous recopiant des passages de deux lettres qui m'arrivent des environs de Bourges[5].
« …. On parle de «Madame Audoux» autant que de l'aviation[6], ici. J'en suis restée étonnée et faut‑il vous dire que papa, qui ne sait pas lire, en a entendu parler et était tout fier que j'aie un livre dédicacé. On me dispute pour ne pas l'avoir apporté. Il me faudra le lire à haute voix à la maison. Voudrez‑vous me l'envoyer ; il est resté dans le placard, à gauche… etc. etc.
« …je me suis donc couchée à minuit, ce qui était bien tard et nous avons parlé de Marie‑Claire. Papa et mon oncle Antoine nous ont chanté La Chanson du vin et de l'eau[7] dont il est parlé dans le livre. Nous avons dit votre admiration pour Allons boire à la fontaine… et on nous l'a fait chanter aussi… Alors ce fut entre ma tante de Plaimpied[8], mon oncle et papa un vrai concours de vieilles chansons… »
Tous les gens dont il s'agit là sont des paysans.
Leur amour pour vous me fait plus de plaisir que l'admiration de Mme Rachilde ou de M. Gregh[9].
Croyez‑moi votre
A F.

[1] « La date est ajoutée de la main d'Isabelle Rivière », nous renseigne Alain Rivière. Date confirmée par le cachet de l'enveloppe que nous avons eue entre les mains.

[2] Sur « Le Miracle de la fermière », voir, supra, la première note

[3] Page enthousiaste où la femme de lettres parle d' « une œuvre de génie ». Voir, supra, la seconde note.

[4] L'édition d'Alain Rivière (Alain-Fournier, Lettres à sa famille et à quelques autres, Fayard, 1986, Nouvelle édition établie en 1991, lettre 56, p. 580-58) transcrit par erreur savez. On note par ailleurs de menus changements (majuscule, ponctuation, accentuation).

[5] Lettres de Jeanne Bruneau, la Valentine Blondeau du Grand Meaulnes [voir, supra, la première "Note" de la présente lettre ; se reporter aussi à la lettre 192, qui évoque le rôle actif joué par Alain‑Fournier, avec sa fibre de chroniqueur, dans la promotion de Marie‑Claire auprès des paysans]. Jeanne évoque ainsi son père, l'oncle Antoine et la tante.

[6] Jeanne Bruneau sait à qui elle s'adresse, puisque son correspondant pratique l'aéronautique – motif exploité dans la dernière adaptation cinématographique du Grand Meaulnes ‑ (voir la lettre 201).

[7] Il s'agit en réalité de la chanson de l'Eau et du Vin, que chante le vacher à Marie‑Claire : « Il m'apprenait à connaître de quel côté venait le vent, afin de profiter du plus petit abri contre le froid, et, tout en nous chauffant, il nous chantait la chanson de l'Eau et du Vin. / C'était une chanson qui avait au moins vingt couplets. L'eau et le vin s'accusaient réciproquement de faire le malheur du genre humain, tout en s'adressant à eux‑mêmes les plus grands éloges. Moi, je trouvais que c'était l'eau qui avait raison, mais le vacher disait que le vin n'avait pas tort non plus. » [Marie‑Claire (1910), Grasset, Les Cahiers rouges (Première édition de 1987), p. 108].

[8] Commune située à quelques kilomètres au sud de Bourges.

[9] Fernand Gregh (1873‑1960), en tant que poète (grand admirateur de Hugo), se montre favorable à un art humaniste, fondé sur le retour à la nature et à l'expérience personnelle et sociale. Critique littéraire, il écrit dans Le Figaro, mais surtout dans la Revue de Paris.

Notes
  • « J'arrive bien tard, trop tard pour vous parler de ce qu'un grand journal illustré, capable de rendre illustres les gens dont il parle, a naïvement appelé : « le cas de Marguerite Audoux » ! Mais est‑il jamais trop tard pour être de l'avis de tout le monde ? Je crois, comme tout le monde, que Marie‑Claire est une œuvre de génie. Ceci posé, je me bornerai à m'étonner d'entendre les gens raconter des choses qui n'ont aucun rapport avec l'œuvre de génie en question. Deux académies se sont disputé l'honneur de couronner cette dame et il m'eût semblé juste qu'elle fût couronnée deux fois, non pas parce que 10.000 fr. valent mieux que 5.000, mais parce qu'en général il n'y a guère qu'une œuvre de génie par an… J'allais risquer par siècle. Maintenant il faudrait savoir si le prix Vie heureuse ou le prix Goncourt est une récompense en nature (c'est‑à‑dire en gloire) ou si c'est une récompense en argent. Tant que nous ne serons pas fixés là‑dessus, nous serons perplexes. Vise‑t‑on, en décernant ces prix, la pauvreté du patient ou son mérite littéraire ? Je ne connais pas du tout Mm< Audoux et je suis certaine que son orgueil d'artiste a dû cruellement saigner en parcourant les feuilles publiques où l'on traînait sa pure vie privée sur le… pavois, pour ne pas dire sur la claie. Des femmes jalouses n'auraient pas planté plus de banderilles aux flancs du taureau de la publicité que ces journalistes amis n'ont lancé de perfides insinuations. Encore beaucoup de succès de ce genre et les femmes de génie auront vécu !… Marie‑Claire est une charmante page de la vie de toutes les créatures qui sont capables d'analyser avec leur cœur ou la sensibilité de leur tact artistique. Il n'y a là‑dedans ni faute d'orthographe ni faute de goût. L'auteur connaît son métier, elle s'arrête où commencerait la sensiblerie qui est l'erreur de la belle émotion. Son histoire ? Que l'auteur soit un saint ou un sacripant, j'estime qu'il ne doit jamais raconter son histoire. Je le veux toujours plus haut que lui‑même. Un instinct démocratique, le plus bas des instincts, pousse en ce moment les gens de lettres et les journalistes à insister sur le côté populaire de la question littéraire. Or, ce serait bien mal connaître le peuple que de le supposer capable de rêver démocratiquement. Ce qui lui fait lire les feuilletons de préférence aux œuvres d'art, c'est que les héros sont presque toujours de la haute. La midinette est toujours victime du grand seigneur ou l'épouse… et les mouchoirs se mouillent. La joie frénétique des interviews en proclamant femme du peuple cette princesse de lettres nouvelles venue parmi les autres m'a fait l'effet d'une douche envoyée au peuple. Est‑ce que par hasard ce peuple ne serait souverain qu'en bloc ? Je n'ai jamais douté de la richesse de son sang, qui fournit souvent de très nobles individus, lesquels ne sont plus du peuple, mais des individualités en sortant et prenant place parmi l'élite de la nation. Si Mme Audoux reçoit également le prix Goncourt, ce sera justice[1] : les femmes, dans une idée touchante d'intime charité, l'auront aidée comme une sœur, les hommes ensuite la couronneront comme une reine, ce qui sera doublement honorable, quoique point excessif… et puis ça fera toujours plaisir à ce grand enfant terrible qui s'appelle Octave Mirbeau ! »
    (Rachilde, Mercure de France, revue dela Quinzaine, 16‑XII‑1910, p. 682‑683).

    [1] L'article a donc été écrit avant le 8 décembre (jour où le Goncourt a été décerné).

  • « Le Miracle de la fermière » est l'un des textes (poèmes, proses poétiques et récits) inclus dans Miracles, recueil dont la première édition paraîtra chez Gallimard en 1924. La réédition du Grand Meaulnes et de Miracles, chez Garnier, établie et annotée en 1986 par Alain Rivière et Françoise Touzan, et préfacée par Daniel Leuwers, demeure la référence. Grâce à cette édition, tous les amoureux du Grand Meaulnes eurent l'avantage de découvrir, non seulement des brouillons et des inédits d'Alain‑Fournier, mais encore la très pénétrante introduction du beau‑frère et ami, Jacques Rivière, qui devait malheureusement disparaître l'année suivante. Notons que « Le Miracle de la fermière » paraît d'abord en prépublication dans La Grande Revue de Rouché (où Marie‑Claire voit le jour au printemps 1910), dès le 25 mars 1911. On retiendra ce qu'en écrit le jeune homme à Jeanne Bruneau, le modèle de la Valentine Blondeau du Grand Meaulnes, le 7 décembre 1910 :
    « En ce moment j'écris une histoire bien plus simple, que tout le monde comprendra. C'est une histoire de paysans que j'appellerai le miracle de la fermière. C'est l'histoire d'un petit paysan que l'instituteur fait envoyer en pension, sur la demande du père. La mère ne veut pas, ni le petit gars non plus. Une fois arrivé à la pension, le petit s'ennuie, les autres le battent. La ville est à une journée de chemin de fer. La mère ne sait pas lire, pas écrire, elle n'est jamais sortie de chez elle. Pendant la nuit, une grande nuit d'octobre où il pleut, elle part en carriole, reste perdue pendant deux jours, et le troisième jour revient avec l'enfant.
    Il y aura dans cette histoire de beaux paysages paysans et enfantins que tu aimeras.
    Cette histoire est arrivée, bien entendu. Je connais les gens. Elle est arrivée parce que les paysans sont des gens droits et simples et que personne n'a le droit de déranger leur vie, ni d'entrer dans leur royaume que personne ne connaît.
    Cette histoire est vraie encore parce que toutes les histoires sont vraies – même celle de la Résurrection du Christ. Il faut tout croire. »
    [Lettre d'abord publiée en mars 1938, chez Émile Paul, 9e volume de la 3e série de sa collection Les Introuvables, puis citée dans Rivière, Isabelle, Vie et passion d'Alain‑Fournier, Jaspard, Polus & Cie, Monaco, 1963, p. 143, et enfin en note dans l'édition Garnier du Grand Meaulnes et de Miracles (1986), p. 134].

Lieu(x) évoqué(s)Environs de Bourges, Paris

Lettres échangées


Collection Correspondants

Cette lettre a comme auteur :
ALAIN‑FOURNIER (Henri, Alban FOURNIER, dit -)

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024