Thresors de la Renaissance

Secret des trésors de France


Auteur(s) : Barnaud, Nicolas

Généralités

Titre long de la première édition identifiée (ou autre édition)
  • Le secret des thresors de France, descouvert & desparti en deux livres, par N. Froumenteau, & maintenant publié, pour ouvrir les moyens legitimes & necessaires de payer les dettes du Roy, descharger les sujets des subsides imposez depuis 31. ans, & recouvrer tous les deniers prins à sa Majeste. Premier livre, contenant tous les deniers que leurs majestez ont levé & despendu, depuis trente un ans, finis le dernier jour de Decembre 1580. avec le bon d’estat que le Roy a ou doit avoir en ses coffres (s.n., 1581)
  • Le second livre du secret des thresors de France, representant par le menu l’estat de tous les deniers tirez des archeveschez, dioceses, seneschaucées, bailliages, elections, prevostez, & chastellenies du royaume de France. Plus il monstre le nombre des archeveschez, eveschez, parroisses, maisons, fiefs, & arriere-fiefs : le roole des ecclesiastiques, nobles, roturiers, soldats françois & estrangers, massacrez & occis durant les troubles : le nombre des femmes & filles violées, des villages & maisons bruslées & destruites. Semblablement il represente l’Estat des deniers qui y ont esté levez du temps du Roy Loys XII. ensemble le revenu du temporel que les ecclesiastiques y possedent (s.n., 1581)
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Date de la première publication de l'œuvre1581

Informations sur l'œuvre

Transcription et analyse des péritextes

Transcription des péritextes de toutes les éditionsAu Roy de France et de Pologne, Henry troisieme de ce Nom, son Prince & Souverain Seigneur. N. Froumentau, Paix & Salut. [s.n., 1581]
Le Royaume qui tousjours a eu reputation d’estre l’un des plus beau, plus riche & opulent du monde, c’est celuy (Sire) duquel vous portez la Couronne : sa beauté tres-exquise, gist en ce qu’il est orné d’une parfaite abondance, varieté & beauté de toutes choses, ne plus ne moins qu’un grand palais magnifique, bien & richement paré de tout ce qui luy est requis. Car toutes ses Provinces sont si bien & proprement marquées de villes & citez, si bien traversées de fleuves & rivieres, qu’outre la douce & plaisante navigation d’icelles, le seul regard contente l’homme, arrouse d’autre costé les prez & heritages, qui produisent en leur saison fertilité de fruicts, si grande & si heureuse, qu’il y a bien peu de pays (A 2 r°) estrangers, prochains & lointains, qui ne participe de son abondance.
L’excellence d’iceluy reluit en ce qu’il est habité d’hommes, qui à vray dire, representent comme le chef d’œuvre, des plus excellentes perfections qui se puissent trouver sous la chappe du ciel : pour estre comme ils sont douëz de graces singulieres, aussi pour les lettres, pour les armes, & pour toutes autres professions, l’honneur & le prix (à bon droit) est deferé au François : & comme tel, la France est mirée comme le miroir & principal regard de la Chrestienté.
Sa richesse, sa grandeur & opulence, consiste en la tresentiere, tres parfaite & tres franche volonté de ses hommes tant bien nais : car de leur humble obeissance, les Roys vos predecesseurs ont tousjours fait Estat de la valeur & revenu d’iceluy. Tellement que qui desireroit savoir le revenu ordinaire & extraordinaire d’un tel Royaume, tout autant (peut-il croire) que veut son Roy : & que veut son Roy ? Suffit (A 2 v°) qu’il puisse vouloir, & se reposer en la pure & franche volonté de ses sujets, que je viens de dire : car elle seule a tousjours esté & sera, plus que suffisante de remplir vos coffres, & d’acquitté par effect toutes les charges de la Couronne. La preuve d’une telle & si grande richesse, ne sauroit mieux paroistre qu’en la consideration des grandes & notables sommes de deniers, levez depuis l’avenement à la Couronne du Roy Henry vostre pere.
Le malheur est, que le mesnagement & dispensation de ses finances, a marché d’un bien piteux train, & qu’elles ont glissé par des mains trop plus gluantes qu’il ne fust esté à desirer, tellement que si elles se treuvent alterées & les sujets constituez en quelque mescontentement & impuissance, ne faut s’en esmerveiller.
De vray elles sont merveilleusement alterées, & tout par faute de n’avoir esté fermées sous une bonne & asseurée clef. Pour neant aussi n’est-il dit, que les Monarchies seront tousjours necessiteuses, si (A 3 r°) la clef de leurs finances n’est mise & consignée en une bonne & fidelle main, c’est à dire, qu’elle ferme à si bon ressort, que les crocheteurs n’y puissent crocheter s’il est possible : car il y a des crochets de tous les qualibres, crochets tortus, crochets mignards, crochets prodigues, crochets subtils, crochets de femmes, & crochets affinez : qui ont si bien fureté le pertuis des serrures de vos coffres, que rien n’y est demeuré. En lieu que vos devanciers souloyent estre crediteurs de leurs voisins, ils vous tiennent entortillé de dettes : ceux qui meritent, ne peuvent se sentir de vos liberalitez : il n’y a tailles ny subsides, desquelles vostre povre peuple est oppressé, que ces beaux & subtils serruriers n’acrochent, rendant par ce moyen vostre main affamée d’emprunter en toutes sortes, & le naturel de vos sujets eclipse de ceste franche volonté, qu’ils desireroyent bien vous faire cognoistre. (A 3 v°)
A quoy doncques peuvent profiter tant de beautez, excellences & richesses d’un tel Royaume ? Quel plaisir d’y voir florir les lettres ? Reluire les armes ? Que luy sert-il d’estre miroir & principal regard de la Chrestienté ? que ses Provinces soyent tant bien traversées & arrrousées de fleuves, les sitez & villes tant bien & heureusement habitées ? Ny moins par maniere de dire, de son nombre innombrable de ses finances ; veu qu’à present toutes telles & semblables prosperitez & lustres ternissent a veuë d’œil. Car les lettres en France s’en vont comme illiterées : les armes arment contre elles mesmes. De son propre glaive le François rue son François : son sang rougit & ensanglante ses rivieres, sa beauté enlaidit, son excellence s’en va ridée, sa richesse apovrit, ses citez inhabitées, ses finances desfinancées, & son credit descrié.
Voila, Sire, la premiere conception de la decadence de vostre Royaume, (A 4 r°) qui peu apres a enfanté la ruine & destruction totale de vos povres subjets, & d’une mesme ventrée a fait naistre tant de mal-contens, voire jusques aux ministres de Justice, tant à cause de la retention de leurs gages, que de ceux des gens de guerre, ne tient toutesfois qu’on n’ait tousjours assez levé de deniers pour supporter toutes les charges, & pour en acquiter deux fois autant : cependant la Couronne ne fut onques reduite à telle nécessité. D’où peut proceder si grande faute ? Sur qui la doit on rejetter ? Sur ceux (disent aucuns) qui ont eu le maniement de vos finances, les autres sur les dons immenses, autres sur ce que la Couronne n’a esté maintenue en la Majesté telle que la loy Salique l’avoit decorée, autres sur l’artifice de nos Serruriers & crocheteurs, desquels tantost a esté parlé, & tels à la verité, pinssent & bribent à tors & travers. De la rejetter sur vous, ny moins sur les Roys vos ancestres, ny a apparence, entant qu’il est tres-certain que les Majestez (A 4 v°) qui ont commandé sur une telle & si ample monarchie, n’ont peu & ne peuvent voir sinon par les yeux d’autruy : sur l’autruy donques, & non sur eux, ny moins sur vous, je serois bien d’avis qu’une telle & si grande faute fust du tout versée, grande & plus que grande, se peut-elle dire. Car n’est-ce rien de tenir un Roy endetté de trente milions d’escus, au lieu qu’il en devroit avoir deux cens milions en ses coffres ?
Si vous ne les avez, Sire, faut conclurre par necessité, qu’une telle & si notable somme de deniers vous a esté desrobée : car par l’Estat que j’ay dressé de tout le revenu & despense de vostre Royaume, depuis trente un an : temps de la mort de feu le grand Roy François vostre ayeul : trouverez que la recepte monte à plus de quatre cens milions d’escus, & la despense ne revient à deux cens soixante milions, comme vous pourrez voir par certains fermes & indubitables tesmoignages que je produits, & lesquels on ne peut revoquer (A 5 r°) en doute. Par iceux vous verrez aussi, Sire, qu’outre & par dessus les deniers qui sont entrez en vos coffres, vostre povre peuple durant icelui temps, a payé quinze miliars deux cens quarante six milions. trois cens & tant mil escus, qui est la charge de quatre cents vingt trois mil cinq & dix mulets, en quoy vous pouvez cognoistre de combien vos sujets ont esté & sont opprimez, & qu’il ne se faut esbair si en plusieurs endroits de la France, on y voit elider des ligues & bruits nouveaux, de telles oppressions & surcharges, vous n’en pourriez croire la millesime partie, si les preuves que je mets en avant ne faisoyent foy de mon dire, & pour mieux faire paroistre l’oppression, j’ay employé en cest Estat tous les deniers qui ont esté levez durant le regne du Roy Loys XII. particularité tres-propre à vous faire descouvrir le desordre & mauvais mesnagement qu’on a tenu en vos affaires, qui a tousjours rendu tant aimable & redoutable la race des Valois ? C’est d’un costé les faicts heroi- (A 5 v°) ques de leurs Majestez, puis ceste consideration qu’ils ont euë devant leurs yeux, qu’il n’y a chose à laquelle le Monarque puisse occuper sa cogitation plus proprement qu’en la dispensation de ses finances, & n’y a quand tout est dit, speculation, qui puisse servir aux grands de plus spacieuse campagne pour s’esbatre, pour entretenir leurs pensées, pour se tirer hors de soy, & puis pour se r’avoir, que l’université de leurs deniers : non pas mettre leur cœur à l’avarice, car cela est du tout indigné à un Prince magnanime : mais pour disposer son esprit à une juste dispensation de son revenu. Et si cela fust esté fait depuis le temps du present Estat, y auroit mille & milions d’escus, qui n’y sont pas, mille miliers d’hommes seroyent vivans, mille milions de personnes ne seroyent destruits, & vostre Couronne engagée comme elle est.
De ceste oppression & concussion manifeste, faite sur vos sujets, j’en ay aussi dressé Estat, Diocese par Diocese, ou (A 5 v°) Bailliage par Bailliage, lisant, lequel cognoistrez evidemment qu’ils ont esté contrains de payer plus de deniers que tous les contribuables ensemble, tant de la Germanie, Pologne, Dannemarc, Prussye, Russye, Angleterre, Escosse, Italie, que Espagne, voire encore y comprenant les Royaumes de Boheme & Hongrie. Qui eust jamais pensé telle & si grande confusion ? Ce n’est pas vous, car vous estes si vertueux & debonnaire Prince & aimez tant le bien, repos & soulagement de vos sujets, que si vous-vous en fussiez tant soit peu apperceu, l’eussiez prevenue, & chastié les oppresseurs comme il appartenoit.
Si on demande comme vos predecesseurs & vous, ayez ignoré chose si claire, je ne puis dire sinon ce que j’ay desja dit, assavoir que comme les grands Monarques ne peuvent voir sinon par les yeux d’autruy, il est tresfacile aux favorits possedez d’une mauvaise conscience, de faire porter à leurs Princes telles lunettes qu’il leur plaist. Mais comme n’auroyent- (A 6 v°) ils espuisé vos finances, succé jusqu’aux os vostre povre peuple, qu’ils ont bien fait mourir depuis quinze ans, quatorze cens mil hommes, non pas estrangers, mais tous naturels François, & le plus grand meurtre gist en ce que le pere a tué son fils, le fils le pere, le frere son frere, & le parent son parent : un tel & si grand nombre vous seroit incroyable, jusqu’à ce que vous ayez leu l’Estat & les preuves tres fermes que l’on rend sur iceluy, Il vous representera aussi quarante deux mil neuf cens cinquante Gentilshommes que vous avez perdus en ces malheureux troubles, qui est la perte de vos pertes, d’autant que la Noblesse Françoise ne se recouvre pas ainsi que l’on veut. Ce nombre-là, Sire, estoit bastant de vous faire passer par tour, & commander à vostre plaisir, & au lieu que tant de braves Gentilshommes devoyent paroistre, & vous servir à un tel & si genereux exploit, on les a fait tuer l’un l’autre. Je n’y ay point voulu mettre les Roys & les Princes de vostre sang, de (A 6 v°) crainte que leur mort ne vinst à navrer d’avantage vostre cœur, de la tres-juste douleur que vous avez eu de la perte de tant excellens & illustres Princes : aussi la liste de leurs noms, ou le nombre de leur nombre, ne pourroit de beaucoup servir : veu que tous, ou peu s’en faut, par la circonstance ou dependance de ceste maudite guerre, se sont entretuez & deperis, jusques au Roy vostre pere, & aux Roys vos premier & deuxiesme freres. Bref, dans cest Estat vous n’y pouvez remarquer que nombres tristes, chagrins pleins de regrets, desordres horribles, dissipations, mauvais mesnagemens, larcins, crimes de Peculat, concussions, & autres excez les plus estranges qu’il est possible de penser.
Je sçay bien que les flateurs & autres courtisans, pour estre les bien venus & s’enrichir de vostre ruine, se garderont tres bien faire retentir à vos aureilles de si mauvaises nouvelles, mais il est plus que requis que vous les sachiez, Sire, si voulez (A 7 r°) prevenir le danger eminent qui vous menace. Parquoy considetant la cause de la maladie du corps de vostre Royaume : je n’ay peu moins que de faire anatomie des membres, qui specialement regardent le faict de vos finances, à fin qu’icelle bien considerée, on y puisse appliquer le remede, tel que la necessité le requiert.
Le remede est bien tout trouvé qui voudra : car s’il vous plaist de voir d’un bon œil le present Estat, je vous en dresseray un autre, par le moyen duquel aurez la porte ouverte pour trouver le nid de ceux qui tiennent aujourd’huy en proprieté le bon de cest Estat : c’est à dire, qu’on particularisera dans une belle liste, les noms & surnoms de ceux qui ont touché ou retiré les deux cens milions d’escus, que le comptable doit par ce dit Estat, voire on laillera les confins de toutes les terres, seigneuries & possessions, qui en ont esté acquises ou achetées : qui sera encore une preuve superabondante, de la (A 7 v°) certitude & entiere verité d’iceluy Estat. Ou bien pour ne remuer tant de choses, je suis bien d’advis (sous vostre bon plaisir toutesfois) qu’il vous plaise vous contenter de la restitution simple, de cent milions de livres que vous pouvez devoir. En quoy faisant, on specifiera seulement deux cens soixante & quatorze familles, les unes riches de cent mil livres de rante : autres de quatre vingts, autres de soixante, quarante, trente, vingt, & quinze mil : La plus opulente desquelles n’estoit riche auparavant ce fonds fondu, de neuf ou dix mil livres de rante : & telle a esté qui n’en avoit deux ou trois cens, qui est riche aujourd’hui de soixante ou quatre vingts mil livres de revenu, & si se trouvera dans leurs coffres, trente, quarante, cinquante, soixante, & cent mil escus, en deniers contans, bagues ou joyaux. Dans ceste mesme liste, on n’y mettra que trois cens trente huict Thresoriers, qui s’aiderons tres volontiers à y contribuer, car de ce-mesme fonds le moindre est riche de sept, dix, (A 8 r°) vingt, trente, quarante, soixante, & quatre vingts mil escus. Pour une tant juste, & equitable cause, j’ay la liste de trente six grandes dames, qui d’une bien bonne volonté y contribueront, & si d’aventure les heritiers d’aucunes d’icelles font des retifs, on produira papiers & acquits, extraits du registre des parties casuelles & Chambres des contes, pour monstrer & faire apparoir qu’elles ont touché de ce fonds, assez pour payer la vingtiesme partie de toutes vos dettes. Mais Sire, pour ne leur donner l’alarme si chaude, il me semble que s’eux-mesmes ils feroyent tresbien de se cottiser, jusques à la concurrence de cent milions de livres, cela ne diminuera de beaucoup leur revenu. Je m’offre à faire le departement, & de les egaler, s’ils veulent, & vous le me commandiez, si justement que pas un d’eux n’aura occasion de se plaindre. Ils clorront par ce moyen la bouche à Messieurs des Estats : ils acquiteront la Couronne, acquit digne d’une des plus grande louange, de laquelle onques a (B 1 r°) esté parlé, & qui plus est, l’Eglise, la Noblesse, & notamment ceux du Tier estat, recevront un soulagement tres-grand.
Et d’autant que l’on m’a adverty que je me licencie par trop de vous faire une telle & si avantageuse ouverture, à cause que les grands Seigneurs ne trouveront jamais bon d’estre ainsi recerchez : je les tien si sages & bien advisez, qu’ils cognoissent fort bien que je ne parle sinon apres Messieurs les deputez des Trois estats. Les requestes & cayers desquels tendent formellement à une entiere & parfaite restitution des dons immenses, tellement que d’un douzain qu’on leur demande, je veux s’il m’est possible, les faire quitter pour un denier, voire pour une obole ou pite. Et sur la liste de leurs noms et surnoms, avec les sommes de deniers qu’ils ont touché de ce fonds, quelle raison y auroit-il de s’en ressentir, & m’en savoir mauvais gré ? veu qu’il ne faut sinon extraire la liste que de leurs propres cayers, (B 1 v°) je parle bien, en disant de leurs propres cayers : Car entre les Estats, ceux de la Noblesse, desquels ils tiennent aujourd’huy les premiers rancs, en ont baillé le catalogue. Ainsi ce n’est pas moy, mais eux-mesmes, ou leurs deputez, qui l’ont delivré. D’ailleurs, Sire, vous estes mon Roy, & Tres-puissant pour me garentir d’un si bon & excellent œuvre, & qui ne pourra jamais estre trouvé mauvais de ceux qui sont affectionnez à vostre service.
Le bon plaisir de vostre Majesté sera de le voir & bien considerer, je le vous dedie & consacre, d’aussi bon cœur, que je desire voir establir vostre Throne en Justice, & vostre Siege en Equité : & afin de vous representer l’Estat clair & liquide, j’introduis vostre-Couronne, comme si elle se rendoit comptable à elle mesmes, devant la Majesté de laquelle, & la vostre, elle dresse le present Estat : pour la verification duquel, elle desire, voire requiert que vous mesmes soyez le Superintendant, afin de bien voir & ruminer toutes les (B 2 r°) parties qui y sont couchées, tant en recepte que despense : ou bien que vostre plaisir soit commettre & deputer ceux du Clergé, Noblesse & Tier estat, pour en toute diligence l’examiner : afin que si par l’Estat final il est deu au comtable, il sera tres contant (sous vostre bon plaisir) que les deniers soyent convertis au soulagement de vostre povre peuple. Mais aussi où la Couronne se trouveroit reliquataire, comme de faict elle le sera, ou bien pour ceste heure impuissante à payer le bon d’Estat, ce bon Dieu la relevera non seulement des peines du quadruple, comme on à acoustumé de pratiquer en vos Chambres des contes, mais aussi de toutes autres en quoy elle pourroit tomber, pour le maniement, malversation & desordre, qui a esté tenu au faict de vos finances, en consideration que la faute ne procede de son costé, mais de ceux qui abusans de vostre authorité, ont succé le fin fons de vos deniers, ont servy d’esponge à espuiser le thresor de vos thresors, & fait que tant d’honnestes & (B 2 v°) excellentes familles qui souloyent reluire par tous les quartiers de ce Royaume, sont à present escartellées, leur credit descrié, leur trafic sans trafique, & leur train piteusement trainé. Qui me fait derechef vous supplier treshumblement, Sire, faire proceder diligemment à la verification d’un si grand & excellent œuvre. Descouvrirez (ce faisant) de grandes choses, desgagerez vostre Couronne, principalement previendrez à l’avenir l’habilité de nos Serruriers, de maniere qu’ils ne pourront plus fureter. Vos finances reluiront d’un lustre admirable, le Clergé, la Noblesse, & Tier estat, se reputeront tres heureux de vous rendre treshumble & parfaite obeissance, & verrez ce Royaume en peu de temps reprendre sa premiere splendeur.
Je n’ay regret que d’une chose, de ne pouvoir tout d’un train vous representer par un mesme estat, le remede convenable à tant de maux & bresches faites à vos finances, mais il eust faire un volume (B 3 r°) par trop gros, Ne fust-ce qu’à y employer deux cens soixante & quatorze articles, sous les noms de deux cens soixante & quatorze familles, entre les mains desquels repose le principal de ce fons. Puis trois cens trente huict articles, sous les noms de trois cens trente huict Thresoriers au autres, qui ont eu maniement de vos finances, qui ont portion d’icelles, & trente six articles, sous les noms de trente six Dames, possedans le reste dudit fons. Je suis esté requis d’y colloquer la Royne vostre mere, mais à quel propos ? Veu qu’il n’est icy question que de cent milions de livres qu’on recerche à vostre acquit ? Si vous en vouliez d’avantage, elle vous dira tousjours où & là il les vous faudra trouver : elle est trop sage mere, & vertueuse Princesse, pour rien laisser perdre au prejudice de vostre Majesté. Ainsi voila environ six cens articles liquides, pour le subjet du deuxiesme livre ou Estat, qui est beaucoup. Il en faut pour le moins six fois autant, pour le denombrement ou (B 3 v°) designation des Seigneuries acquises de ce fons, selon qu’il a esté dit : en quoy l’on peut bien cognoistre si l’ouvrage sera petit, ne fust-ce qu’à deduire bien sommairement les degrez par le moyen desquels toutes ces parties sont parvenues entre leurs mains : mais on les dechifrera toutesfois d’une telle dexterité & avec telle modestie, qu’ils n’auront occasion de s’en plaindre, ni moins de vous refuser l’honneste & favorable contribution que le devoir leur commande de vous faire : si d’eux-mesmes ils la vous font, comme je m’asseure qu’ils feront, me voila quitte d’escrire 14. ou 15. cens fueillets de minutte, que pourroit contenir ce deuxisme Estat, là où il n’en faudra escrire qu’un ou deux, pour transcrire la liste de leurs noms & surnoms. Reste à present, comment & par qui se pourra faire ce recouvrement, il se fera le mieux du monde : car ils n’auront pas plustost leu ceste Epistre, & consideré l’importance & necessité de vos affaires, qu’ils se sentiront pour bien & suffisamment interpellez : comme aussi je les requiers (B 4 r°) & interpelle de contribuer leur part & portion, chacun d’eux respectivement, de la somme principale de cent millions de livres que vous pouvez devoir. Et sous ceste simple interpellation, j’espere qu’ils se cottiseront eux-mesmes : car la volonté de vos subjets, de laquelle a esté parlé au commencement, est si franche & liberale, que vous aurez tousjours d’eux tout ce que vous voudrez. Voila pour quoy ne trouverez s’il vous plaist, mauvais, si par une digression & en termes generaux, en les nommant, sans les nommer, je pren l’hardiesse de leur dire ainsi, Vous messieurs, les maisons desquels reluisent, & qui ont esté agrandies par les liberalitez de nos Roys, considerez de combien la Couronne est engagée, & que la richesse & grandeur que vous avez receu d’icelle meritent bien que vous l’honnoriez d’une partie de vos facultez. Le devoir que vous devez au Roy vous y oblige, sa Couronne, son Estat, & les Estats de ses Estats : singulièrement le povre peuple, vous requirent l’acquiter de ce pesant fardeau de dettes, qu’il a sur la Couronne. Et s’il advient d’aventure, qu’aucun de vous recule, assurément il sera recerché selon le denombrement des terres & seigneuries que la Couronne leur a acquises a son prejudice, & de quoy par les loix, tant divines qu’humaines, elle se peut relever : mais la fiance que j’ay, n’en viendront là, me gardera leur en toucher d’avantage.
Sire, Je supplie le Createur vous donner en parfaite santé, treslongue & tresheureuse vie. A Paris ce dernier jour de Janvier 1581. (B 5 r°)
Collection créée par Anne Réach-Ngô Collection créée le 26/01/2017 Dernière modification le 18/07/2022