En 1871, Dedekind publie "Sur la théorie des formes binaires quadratiques" en Supplément X des Leçons de théorie des nombres de Lejeune-Dirichlet dont il est l'éditeur. Dans ce Supplément X, les paragraphes 159 à 163 introduisent la notion de nombre algébriques et une généralisation des travaux de Kummer sur la factorisation unique en éléments premiers pour les entiers des corps de ces nombres. Au cours de ce travail, Dedekind introduit la notion de module, défini de la manière suivante : "Un système a de nombres réels ou complexes α, dont les sommes et différences appartiennent aussi à a, sera appelé un module."
Le concept de module est très important pour ses travaux en théorie des nombres, à partir de ce moment et dans de nombreuses publications. Le module, pour Dedekind, est un outil auxiliaire qui permet de faciliter les preuves, notamment pour la théorie des idéaux. Dedekind définit également une notion de divisibilité : un module a est divisible par un module b si, et seulement si, a⊂b.
Suite à cela, il développe une méthodologie arithmétique reposant sur cette définition et des notions qui miment l'arithmétique des entiers rationnels. En particulier, Dedekind introduit les notions de PGCD et PPCM de modules :
— Le PPCM de a et b est le module constitué par l'intersection des modules a et b.
— Le PGCD de a et b est le module composé par tous les nombres α+β avec α et β parcourant respectivement tous les nombres de a et de b.
Plusieurs années plus tard, en 1877, dans "Über die Anzahl der Ideal-Klassen in den verschiedenen Ordnungen eines endlichen Körpers", Dedekind introduit des notations pour le PGCD, le PPCM et la divisibilité : a diviseur de b est noté a<b, le PPCM de a et b est noté a–b, et leur PGCD est noté a+b.
Avec ces notations, Dedekind énonce également des théorèmes tels que : pour a, b, c modules avec a<b :
(a + b) – (a + c) = a + (b – (a + c))
(a – b) + (a – c) = a – (b + (a – c))
Ces théorèmes sont équivalents à
(a + b) – (a + c) = (a – b) + (a – c)
ou encore
a + (b – c) = a – (b + c).
Cette dernière égalité correspond à ce que l'on appelle la loi modulaire en théorie des treillis.
Dedekind remarque alors que ces le PGCD et le PPCM présentent un dualisme particulier (Dedekind, 1894, 66), c'est à dire que toute formule vraie exprimée en termes de + et – peut être transformée en une autre formule vraie en inversant simplement ces deux symboles. Ce dualisme retient l'attention de Dedekind, qui décide alors de creuser le sujet. Ce sont ses recherches autour du dualisme observé entre les opérations de PGCD et PPCM de modules qui, finalement, vont mener au concept de Dualgruppe (équivalent au concept moderne de treillis) et qui constituent l'essentiel des recherches présentes dans le corpus présenté ici.
Dedekind consacre deux articles aux Dualgruppen, le premier en 1897, Über Zerlegungen von Zahlen durch ihre größten gemeinsamen Teiler, et le second en 1900, Über die von drei Moduln erzeugte Dualgruppe. Voici la définition qu'il donne :
"Un système A de choses α, β, γ, ... est appelé un Dualgruppe, s'il existe deux opérations ±, telles que de deux choses α, β, elles créent deux choses α±β, qui sont aussi dans A et qui satisfont [commutativité pour + et –, associativité pour + et –, et α±(α∓β)=α (absorption)]."
Par ailleurs, on a :
— une relation d'ordre (partielle) : a < b (a divise b) (ou b > a) ;
— la relation de divisibilité que l'on peut aussi définir comme a < b si, et seulement si, a+b=a ;
— une loi appelée Modulgesetz (loi modulaire): pour d, m, p modules avec d<m, alors (m+p)–d=m+(p–d) qui fait l'objet de nombreuses recherches dans les brouillons.
Le Dualgruppe est un concept général pour lequel on peut trouver de nombreux exemples, de nombreuses applications : la logique de Schröder, les modules, les idéaux, les groupes abéliens infinis, les groupes de Galois, les corps, certains espaces de nombres... Si Dedekind s'est surtout intéressé aux Dualgruppen formés par des modules, ses brouillons montrent qu'il a également testé les opérations et lois qui serviront à définir le Dualgruppe sur d'autres concepts (on retrouve en particulier souvent les groupes) procédant ainsi à une exploration de la généralité possible du concept avant même d'en proposer une définition formelle — plutôt que de définir un concept général qu'il aurait appliqué a posteriori.