Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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397. Londres, Mercredi 17 juin 1840

Je vous ai écrit hier à Douvres au Ship Inn, pour vous dire mon déplaisir de samedi. Je présume d’après le 405 qui m’arrive à l’instant que vous ne partez de Paris qu’aujourd’hui mercredi, car vous ne mettrez pas plus de deux jours pour aller à Boulogne. Vous trouverez donc à Douvres que je suis obligé d’aller samedi déjeuner à Southampton, par le rail-road, pour célébrer la conclusion du rail-road de Paris à Rouen ; affaire que j’ai traitée et qui m’a mis très bien ici avec ce monde là. Ils font un grand banque t; le Duc de Sussex, Lord Palmerston & y vont. Je ne pouvais refuser. C’est l’union de Londres et de Paris. Je reviendrai de Southampton entre 6 et 7 heures. J’irai dîner chez le Sir John Hobhouse. Je compte bien trouver un moment pour vous voir, soit entre mon retour, et le dîner, soit après le dîner. Mais le samedi, ainsi employé n’en est pas, moins un immense ennui. Si donc vous arrivez à Londres le Vendredi, je vous verrai en arrivant de Windsor, et tout le soir. Si vous n’arrivez que le Samedi, je ne vous verrai que tard ce jour là et bien peu. Faites pour le mieux, sans vous harasser de fatigue.
En tout cas, faites-moi dire tout de suite à Hertford House que vous êtes arrivée et où vous êtes. Car je n’en sais rien. Je regarde sans cesse au temps. Il y a eu du vent cette nuit ; il est tombé ce matin. Le saleil est beau.
Adieu. Adieu. Moi aussi, je serai bien content. J’ai souri en lisant: " Que Windsor va vous plaire ! " Croyez-vous que la Reine Victoria sera aussi bonne pour moi que l’était pour vous George IV ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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406. Boulogne le 18 juin 1840, jeudi 5 heures

Je viens d’arriver. Le vent est si fort qui s’il continue à souffler demain avec cette violence. Je n’aurai pas le courage de passer. Cette lettre passerait donc au lieu de moi. Je veux que vous me sachiez partie et près d’arriver, et heureuse de me sentir si près ! Je suis fatiguée, mon dernier jour à Paris a été abominable. Prise par tout le monde, et par mille choses.
Thiers est venu et a causé beaucoup. Rien de nouveau, Je vous conterai. On entre, et on me remet dans ce moment votre lettre de hier. Je vois que Samedi sera mauvais et comme je ne pourrais dans aucun cas arriver à Londres demain il faudra bien attendre dimanche. Le bateau ne part demain qu’à midi, je ne serai à Douvres qu’à 5 heures. J’irai donc coucher en route. Voilà bien du retard.
Dès mon arrivée à Londres j’enverrai chez vous. Je vous verrai peut-être entre le rail road et le dîner voilà tout ce que je puis esperer. Je suis très faliguée mon petit compagnon de voyage est très utile, lui et mon courrier m’enlève tout souci mais ils n’empêchent pas que je trouve l’hôtel Talleyrand plus commode que la voiture et les auberges.

Vendredi 7 heures du matin.
Je n’ai pas décidé encore si je pars ou si j’attends demain. Le vent souffle, on dit le duc de Wellington (paquebot) mauvais. Tout cela avec votre promenade à Southampton fait que je ne vais pas risquer. Je verrai. Je ne suis pas décidée, encore. J’ai dormi presque sans réveil, ce qui est rare. En m’éveillant j’ai pensé avec joie que j’étais bien près. Adieu, adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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407. Boulogne vendredi 8 h du soir, 19 juin 1840

Ma lettre ce matin n’est point partie par l’occasion régulière. J’ai donc quelque crainte qu’elle ne vous parvienne pas, ce qui fait que je recommence à vous conter mes doléances. La mer est affreuse je n’ai pas eu le courage de m’embarquer. J’attends du calme demain. S’il ne venait pas il faudrait le prendre, mais j’aime presque cela mieux que le mal de mer. Vos n’avez pas d’idée de l’ennui de ceci. Il fait très froid, très gris. Il pleut à verse ; si je n’avais mon compagnon de voyage deux heures dans la journée ce serait horrible, je lis les journaux de Paris et de Londres, je vous cherche. Ne devrais-je pas vous chercher à Boulogne aussi ? Vous aviez une fois le projet d’y être ? J’attendrais plus patiemment que la tempête se calme.
Je vous écrirai aussi longtemps que durera ma quarantaine. Je regarde les girouettes et les nuages, ils me sont bien hostiles. Adieu monsieur adieu. J’avais bien espéré, ne plus vous dire. Adieu aujourd’hui je comptais vous voir ce soir ! Quel guignon ! Un temps superbe jusqu’au jour où j’ai quitté Paris, et depuis toujours tempête. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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408. Boulogne, Samedi 11 heures 20 juin 1840

La mer est toujours abominable quoique le veut commence à diminuer un peu, la traversée serait encore horrible, il faut attendre à demain. Le ciel n’est plus si chargé, le bateau de demain passe pour avoir le mouvement plus doux, c’est donc demain que je passerai j’espère.
Je veux vous dire ce petit mot par dessus mes deux lettres d’hier. Quel ennui ! Il faut que ma terreur du mal de mer soit bien forte pour me faire me résigner à Boulogne pendant 4 jours. Je marche, je lis, je fais des patiences. Mon compaqnon de voyage va me chercher des nouvelles. Nous mangeons lentement, enfin nous traînons une pitoyable journée. J’ai dejà pris Boulogne en horreur, Boulogne que nous trouvions si charmant en imagination. Il me semble que vous recevrez cette lettre et celle d’hier au soir en même temps demain matin. J’aurais tant aimé passer le dimanche à Londres. C’est un jour tranquille, je l’aurais bien employé. Adieu. Mon impatience est bien grande. Je n’ai jamais été contrariée par les éléments. Ils se mêlent de cela aussi. Mais cela revient à ce que Louis quatorze disait au Maréchal de Villeroi. Adieu. Adieu, Monsieur, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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409. Douvres, dimanche 21 juin 1840
6 heures du soir

Je débarque dans ce moment après une traversée assez bonne. Je suis restée quatre heures comme une morte ; mais me voici, me voici et demain à Londres ! J’espère que j’y serai entre quatre et cinq heures. Je demeure à Dover street 36. C’est ici que je l’apprends. La seule rue de Londres que je fuis à cause de mes souvenirs, c’est là où l’on m’arrête un logement ! Vous ne savez pas ce que cela me fait éprouver. Je changerai mais il faut commcer par y descendre parce qu’il me faut bien un gîte. Ah ! L’Angleterre est triste pour moi, par ce côté-la ! Mais je veux penser à ce qui réjuit mon cœur et non à ce qui l’attriste. Envoyez à 4 heures, un de vos gens savoir si je suis arrivée ; car je n’aurai personne à vous envoyer. Je ne sais cce qu’est cette maison, et moi Je n’ai qu’un courrier. Adieu. Adieu. Il faut que je mange et que je me repose. Adieu pour la dernière fois de cette pauvre façon. Adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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409. Stafford house, Vendredi 7 août 1840,
midi
Je choisis tout juste cette heure-ci pour vous écrire, aujourd’hui d’ailleurs je n’aurais pas pu le faire plus tôt. J’ai passé une mauvaise nuit, je ne me suis endormi vraiment que vers huit heures ce matin, ainsi je me lève. J’ai trouvé votre petit billet hier en rentrant. Je suis fort aise que vous ayez même M. Herbet. Ces nouvelles de Boulogne me troublent, je n’avais pas besoin de cela de plus. Hier j’ai fait une tournée en calèche seule avant le dîner. A 8 1/2, j’ai été prendre lady Clauricarde je l’ai menée au clair de lune (un tout autre clair de lune) dans les environs de Londres. Je suis descendue un moment chez Lady Willoughby qui était venue le matin me prier de passer chez elle. J’y ai trouvé de l’élégance, et Neumann et Gersdorff, rien de plus important que cela. Neumann tenait sur M. Thiers de fort mauvais propos. J’ai eu toujours l’habitude de regarder un peu les ministres comme les rois et je trouve assez mauvais qu’on parle avec inconvenance des uns comme des autres. Mais je n’ai pas à faire l’éducation de Neumann et de personne. Je ne suis resté là qu’un quart d’heure. J’étais dans mon lit avant onze heures. Lady Clauricarde était comme ce matin très montée, enchantée de l’affaire de Boulogne ! Je lui ai observé qu’elle était trop officielle pour pouvoir montrer sa joie. Voici qui donne démenti à ce que je viens de dire mais nous étions tête-à-tête au clair de lune. Et on est toujours franche en face du ciel. Le ciel, je l’ai bien regardé hier, bien invoqué toutes les puissances de ce Ciel !
J’ai reçu plusieurs lettres ce matin, d’abord une du duc de Poix que je vous envoie. Une de la petite Princesse au moment de quitter le Havre pour retourner en Allemagne. une de mon banquier de Pétersbourg m’envoyant un compte de pensions, de dettes, & & pour lesquelles je suis taxée au quart, tandis que mes droits de succession l’ont été à la 7ème partie : si c’est la loi je n’ai rien à dire, mais je m’informerai ; si c’est contre la loi, je ne vois pas pourquoi je dois subir cette disposition arbitraire de mon fils aîné. L’affaire de la vaisselle n’est pas terminée et ne le sera que dans 6 mois. Je fais venir Benckausen pour lui parler.
Vous êtes en France. Qu’aurez-vous trouvé là ? Les récits du matin dans les journaux ne sont pas assez clairs. Je ne vois pas assez que cette sotte affaire soit terminée. Où est Louis Bonaparte ? Serait-il possible que lord Palmerston lui eût fait visite ces jours-ci comme le disaient les journaux ? Si vous prenez ce fou, j’espère bien que vous saurez mieux faire que la première fois. N’avez-vous donc pas de conseil de guerre pour un cas pareil ? Et justice immédiate. Cela va bien ajouter encore au clabaudage entre les deux pays ! Je dînerai aujourd’hui chez Lady Clauricarde. Adieu. Adieu, mille fois. J’attendrai vos lettres avec une extrême impatience. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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411. Wrest Park, Jeudi 13 août 1840

J’ai quitté Londres hier sans lettre je n’ai eu de vous qu’un mot de Calais, et un mot d’Eu de Samedi matin. Depuis rien du tout. Cela m’inquiète et m’afflige. Je suis venue ici malade. On me drogue ici ; je suis vraiment, souffrante. Des vertiges abominables. Je m’ennuie parfaitement : c’est bien long d’y rester encore aujourd’hui et demain !
Si j’avais une lettre je partirais peut être demain. Dans tous les cas je serai à Stafford house.
Samedi 3 heures. Je vous préviens que j’ai accepté dîner à Holland house dimanche. Lady Palmerston est ici ; elle va à Windsor demain, son mari y est et y reste jusqu’à Mercredi. J’ai eu à me plaindre de la cour et de mes amis ministériels ces derniers jours. J’ai eu une lettre de Mad. de Flahaut. Une lettre de mon frère. La première ne n’envoie pas de copie. L’autre ne me répond pas encore. Il n’avait par reçu Adieu, adieu. Je suis très mécontente de n’avoir pas eu de lettres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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414. Douvres 1 heure après midi
Lundi 7 Septembre 1840

J’arrive, tous les bateaux de Calais et de Boulogne sont partis. Je passerai donc la journée ici. Je n’ai pas été bien cette nuit, mais au total cependant j’ai du repos et je sens que mes nerfs y gagnent. à midi vos jambes se seront senties incommodées de ne pas prendre le chemin de Stafford house. à midi je vous fuyais à bride abattue. Que c’est absurde, que c’est horrible ! Et nous ne sommes qu’au début de cette abominable carrière.

4 heures
J’ai mangé, je me suis reposée. J’ai donné des ordres pour demain, c’est à 6 h. du matin que je m’embarque pour Calais si le temps. n’est tout-à-fait beau, pour Boulogne s’il y a sûreté d’un bon passage. Je manquerai donc votre lettre, car la distribution ne se fait qu’à 8 heures. Et la marée n’attend pas. Je suis triste de cela, je ne verrai cette lettre qu’à Paris ! Ma fleur était morte hier soir. La vôtre n’aura pas duré plus longtemps. J’avais mal choisi. Je vous envoie ce qui convient mieux, ce qui me ressemble. Envoyez-moi par la première occasion la feuille correspondante une feuille de chêne, allez la prendre vous même. Le lierre, et le chêne c’est bien. C’est venu sur terre anglaise dans cette Angleterre que nous aimerons toujours, n’est-a pas ? Traitez bien ce lierre il vous porte un adieu bien tendre.

6 heures
J’ai écrit au duc de Wellington. Il était sorti pour la chasse. A son retour il m’a écrit, il était très fatigué, il ne peut pas venir et il se fâche que je ne lui aie pas fait savoir mon arrivée plus tôt. Voici qu’il m’envoie lord Burghersh qui me dérange. 8 heures bonsoir, bonne nuit, adieu. Adieu toujours, toute ma vie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Londres jeudi le 14 août 1845, à midi

Décidément je me suis encore trompée de N° & celui-ci est le 18ème. Votre dîner hors de chez vous, dimanche dernier me dérange. Je crains une indigestion ; & puis un assassinat, ou bien, une voiture versée. Vous savez comme je suis, parfaitement déraisonnable. Je suis tranquille quand je vous ai à Beauséjour, chez moi, ou bien dans votre cabinet que je regarde.
Hier longue promenade & causerie avec Dédel qui a tout plus de good sense & d'esprit & de connaissance de ce qui se passe ici. Beaucoup de monde chez moi le matin car tout ce qui est resté vient. Bulwer je crains me fera faux bon. Il voudrait que je retarde, & moi, je suis décidée à partir après demain. Flahaut part Lundi mais tout le monde va par le rail way. Il n'y a plus que moi dans le monde qui me serve de très mauvais chevaux de poste. Je ne sais vraiment qui partira avec moi, & je ne veut pas partir seule. Lady Cowley m’attend avec impatience et curiosité à Boulogne. J’y serai sans doute dimanche à moins de mauvais temps.
Je vous ramène des yeux assez ressemblants à ceux que j'avais en vous quittant, mais il est bien avéré que ce n’est que de l’ennui, des soins, des précautions, des privations, mais point de véritable danger. Il n’y a que Verity qui sache me traiter. Il sera à Paris au commencement de septembre. Londres est parfaitement dull, plus un seul homme public, et pas une nouvelle. Adieu, adieu, j'ai des yeux très capricieux et j'y ai mal dans ce moment, il faut que je vous quitte. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 Londres, vendredi le 15 août 1845 dix heures.

Mauvaise journée hier. Mes yeux allaient mal. J’ai eu bien peur le matin je suis mieux. Je serai curieuse de me faire lire votre discours du dîner. J’aurai cela à Douvres sans doute. Je pars demain matin à 9 heures avec Bulwer. J’irai à Folkston peut être, mais toujours par terre et non par fer. Si le temps n’est pas mauvais je passerai dimanche. Dietrichstein est revenu hier. Décidément il me fait sa cour pour arriver à Paris ! Pas d’autres news. Londres est [?] on avait bien envie de m’entraîner à la campagne. Le genre de vie et la lumière ne me vont pas.
Que de choses à vous raconter ! Tâchez que ce soit bientôt. Adieu. Adieu. J'ai mes paquets à faire & les bills à payer. Adieu beaucoup de fois adieu. Je viens de lire votre discours. Excellent. Parfait. Adieu. excellent.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Val Richer. Vendredi 15 août 1845

Ceci vous trouvera à Boulogne. Je pense avec plaisir que la mer n’est plus entre nous. Quand je nagerais aussi bien que Léandre, le Pas de Calais est plus large que le Bosphore. Et ce pauvre Léandre n'est pas arrivé.
Guillet a écrit à Page de passer à la rue St Florentin et d’y donner son adresse. Je vous engage encore à passer quelques jours à Boulogne avec les Cowley. Vous n'aurez personne à Beauséjour, surtout le soir. Le Roi de Prusse a beaucoup d'humeur de ce que la Reine comme elle le lui a fait savoir ne reste à Stolzenfels que jusqu’au 14 et veut en partir le 15 pour être à Cobourg le 17. Il avait fait de plus longs préparatifs. Il s’est écrié, sur cette nouvelle : " Ah, c’est trop fort. Il y a de la part des Princes allemands et des hommes considérables, fort peu d'empressement pour se présenter chez le Roi de Prusse & lui rendre des devoirs pour lui-même, avant l’arrivée de la Reine d'Angleterre. On va au contraire beaucoup au Johannisberg. On peut évidemment se montrer froid pour le Roi de Prusse et confiant dans M. de Metternich. Le Roi en est choqué. Et comme il est surtout homme d'impressions et d'amour propre, cette petite manœuvre n’aura probablement pas l'effet qu’on s’en promet.
La Reine d’Espagne et même la Reine Christine ont été très bien reçues à St Sébastien et dans les Provinces basques, en général ; mieux qu’on ne s’y attendait. Voilà encore des conspirations qui échouent. Ce ne sont pas les conspirations que le général Narvaez a à craindre ; c'est l'opposition dans son propre parti. Les prochaines cortes seront orageuses. Le grand Duc de Modène a décidément et pour la seconde fois refusé sa fille à M. le Duc de Bordeaux. On a donné un bal à Schönbrunn dans cette vue. Il a déclaré que si le Duc de Bordeaux y allait, ses filles n'iraient pas. Le Duc de Bordeaux a été indisposé. Le parti est très chagrin, très déconfit de cet échec. Ils disent qu’ils n’ont plus d’espoir que dans la seconde fille du Prince Jean de Saxe, 15 ans, bien laide & pauvre ; et que si cela aussi échoue, il faudra que le Duc de Bordeaux épouse une française de bonne maison, car il faut absolument qu’il se marie. La Dauphine a fort essayé de causer politique et France avec l’Electrice douairière de Bavière qui s’y est refusée. Elle (la Dauphine) s'est montrée parfaitement découragée et résignée. On lui a demandé si elle passerait l’hiver à Vienne ou à Frohsdorf : " Je n'en sais rien et cela ne me fait rien, avec le peu de jours qui me restent à vivre, et ce que j’ai à en faire, qu'importe ? " Voilà mon bulletin. Le calme est profond.
Le Roi et tout le château d’Eu ont été charmés de mon discours à St Pierre. Il m'écrit avec effusion. Henriette est décidément très bien. Mais le temps redevient mauvais, froid. Quel été ! J’ai écrit à Charles Greville. Adieu. Adieu.
Vous avez déjà passé où vous passerez après-demain. Il n'y a pas de vent aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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20 Val Richer Samedi 16 août 1845
8 heures et demie

J’écris depuis six heures du matin, et je viens de recevoir, un courrier énorme qui me donnera à écrire toute la journée. La Syrie, la Grèce, l’Espagne, Rome la Prusse. A tout prendre tout va assez bien partout ! C’est à dire que partout, nous marchons à notre but, et nous grandissons en marchant. Les chemins sont difficiles. Nous bronchons quelques fois. Nous nous arrêtons de temps en temps, tantôt par nécessité, tantôt volontairement. C'est le cours ordinaire des choses. Il n’y a que les enfants qui s'en plaignent. Mais, je vous le répète tout va assez bien partout. Ce qui n'empêchera pas que l'avenir ne soit chargé d’embarras, d'ennemis, de combats, de périls. Je ne m'en plaindrai pas davantage, si, en dernière analyse, j’obtiens les mêmes résultats. Vous vous rappelez le mauvais début de la dernière session. Et bien aucune n’a aussi bien fini, ni laissé dans le pays une si profonde impression de succès et de progrès.
Je suis très content de Piscatory. Lyons travaille avec passion à faire ce qu’il lui reproche d'avoir fait, à allier M. Mavrocordato et M. Metaxa pour renverser. M. Colettis. L'alliance Anglo-Russe à la place de l'alliance Franco-Russe maintenant debout. Lyons a échoué. Et dans l'alliance Franco-Russe, Colettis a gagné beaucoup de terrain. Piscatory a vraiment beaucoup de savoir faire. Et je ne vois pas qu’il se soit écarté de l'épaisseur d'un cheveu, de la ligne que je lui ai tracée à Constantinople, on s'occupe sérieusement des affaires de Syrie. Le Ministre des Affaires étrangères, Chékib Etfendi, y est envoyé en mission pacificatrice, avec de grands pouvoirs. Nous verrons s'il en sortira quelque chose. Le public est exigeant. Il ne se contente pas d'être bien gouverné lui-même. Il veut que tous les gouvernements soient bons, même le Turc.
En Espagne, le duc de Séville a réellement, gagné un peu de terrain. Même ce me semble dans l’esprit de la Reine Christine. Vous savez que nous n'avons ni extérieurement ni au fond du cœur, pas la moindre objection à cette combinaison. J’ai averti à Naples qu’elle était en progrès. Le langage de M. le Duc de Nemours à Pampelune sera très bon. Il a été un peu indisposé à Bordeaux. Pure fatigue du voyage, qui est fatigant en effet, mais utile.
Thiers aussi va voyager en Espagne. Pour voir les champs de bataille. Et aussi en Portugal. Il y emploiera, le mois de septembre. Il va en compagnie. peut-être MM. de Rémusat, Mérimée (votre bon député), &... Bülow de plus en plus mal. D'après le langage, de ses amis mêmes, on croit sa situation désespérée. Les émeutes religieuses se multiplient en Prusse. Halberstadt a eu la sienne pour Ronge comme Posen pour Cgerski. Je ne crois pas au succès des nouvelles religions. Mais elles feront du mal aux anciennes, et j’en suis fâché. Adieu.
C'est mardi seulement que je vous saurai arrivée à Boulogne, car je compte que vous n'aurez quitté Londres qu'aujourd'hui. Ce que vous me dîtes de vos yeux me charme. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Val Richer, Dimanche 17 août 1845
8 heures et demie

Je voudrais vous savoir positivement entre Douvres et Boulogne dans ce moment-ci. Il fait un temps superbe, point de vent, un beau soleil. Nous n'avons pas eu une telle journée depuis que nous nous sommes séparés. Cela me plaît que vous rentriez en France par un beau temps. Je veux aussi qu’il fasse beau le 30 août. Et puis dans le mois de septembre, j’espère que nous aurons encore de beaux jours, à Beauséjour. Mais il faudra rentrer en ville, au commencement d’octobre. L’humidité ne vaut rien ni à vous ni à moi, ni à mes enfants. Et la campagne est toujours plus humide que la ville.
Henriette est très bien, mais maigrie et pâle. Elle a été très fatiguée. Elle a besoin de se remplumer.
Je vais bien loin de Beauséjour. J'ai des nouvelles de Perse qui m’intéressent assez. Sartiger s'y conduit très bien. Il y a fait rentrer les Lazaristes que M. de Médem en avait fait chasser. M. de Médem a été très mauvais pour nous. Il vient d’être rappelé et remplacé par un Prince Dolgorouki qui était à votre Ambassade à Constantinople. On dit qu’il sera plus modéré que Médem. On m'en parle bien. Un petit incident à Constantinople dont je suis bien aise. Le duc de Montpensier doit y être arrivé ces jours-ci. Bourqueney a communiqué d'avance à Chekib Effendi la liste des officiers qui l'accompagnaient, & devaient être présentés au Sultan. Dans le nombre, se trouvait un Abd el-At, Algérien, Arabe, Musulman, sous lieuteuant de Spahir à notre service. Vive émotion parmi les Turcs ; Comment présenter un tel homme au Sultan ? Insinuations, supplications à Bourqueney d’épargner ce calice. Il a très bien senti la gravité du cas et répondu très convenablement mais très vertement. On s'est confondu en protestations ; Abd el-Al sera reçu comme les autres officiers du Prince. Tout le régiment des Spahir serait reçu s’il accompagnait le Prince. Et de bonnes paroles sur notre possession d’Alger qu’on sait bien irrévocable, ceci fera faire un pas à la reconnaissance par la Porte. Adieu. Adieu.

J’ai des hôtes ce matin. Puis, dans la semaine où nous entrons & les premiers jours de la suivante, trois grands déjeuners de 25 personnes chacun. Mes politesses électorales à la campagne, le déjeuner est plus commode que le dîner.
Je regrette Bulwer pour votre route. Comme agrément, car comme utilité, si vous aviez besoin de quelque chose, je doute qu’il fût bon à grand chose. Quand vous reviendrez de Boulogne vous savez que Génie a, si vous voulez, quelqu'un à votre disposition. Adieu. Adieu.
Je me porte très bien. J’ai le sentiment que marcher beaucoup me fait beaucoup de bien. Seulement il n’y a pas moyen de réunir les deux choses, le mouvement physique et l'activité intellectuelle. Il faut choisir. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22 Boulogne Mardi 19 août 1845, 10 heures.

J’ai passée une mauvaise nuit, mon attaque de bile provenant d’un mauvais dîner. A Londres mon dîner & ma santé étaient parfaits. J’ai vu les Cowley à peu près toute la journée hier. C’est une grande ressource. Il est vrai de dire que s'ils n y étaient pas, je ne serais pas à Boulogne.
Londres m’a fait au fond un grand plaisir. Ce sont d'aimables et bonnes gens. C’est de la grande société. Je me trouve dans mon élément, et je n'en ai jamais autant joui. Mes yeux ont été un grand chagrin pour moi seulement parce que je n'ai pas pu vous écrire, car du reste ils ont servi beaucoup à l'agrément de mon séjour. Je vous expliquerai cela c’est trop long pour l’écrire.
L’impression générale que je remporte est, une excellente situation pour Peel, de la résignation du côté de la partie sensée de l'apposition (John Russel) bonne envie de tous de rester bien avec la France. Peu d'espoir que cela dure par plusieurs raisons que je réserve aussi pour la causerie. Très bonne entente avec la Russie et grande confiance de la solidité de cette amitié là. Pas beaucoup de vénération pour le Metternich d’aujourd’hui et complète pitié pour le Roi de Prusse, un extravagant, un fou.
Je suis bien aise que la reine des Belges se soit trouvé à Brüchl. Jeudi pas de lettre aujourd'hui. Qu’est ce que cela ?... la voilà qui arrive. Merci, merci. Surtout de me nommer le 30 août. Quel plaisir nous nous reverrons ce jour-là ; ce sera un Samedi. Samedi en huit. C'est charmant jusque là je me traînerais un peu ici, un peu à Mouchy peut-être. Je ne sais pas bien encore. En attendant adieu, & bien des adieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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29 Val Richer Mardi 26 août 1845

Je me brouille dans mes Numéros. Mais ce n'est plus la peine de compter sur mes doigts. Je n’ai plus que trois fois à vous écrire. Charmant plaisir samedi. Jarnac m'écrit : " Ma petite course à Southampton m’a fait perdre les deux derniers jours de Madame de Lieven à Londres ce que j’ai fort regretté. Je crois qu’elle s’est plu ici, et qu’elle est contente de ses consultations. Ce qui m'en revient indirectement est fort satisfaisant. " J'ai toujours préféré que vous passassiez le temps de mon absence, en Angleterre. Quand vous n'êtes pas avec moi, je vous aime mieux là qu'ailleurs. Je ne vous trouve bien que là.
J’ai eu hier mes 20 amis à déjeuner, bien contents de moi, je crois, et de Guillet. Après déjeuner, c’est-à-dire vers 4 heures comme j’allais me promener, le général de la Rue m'est arrivée du château d’Eu où il venait d'arriver d'Afrique après avoir échangé les tarifications du dernier traité avec le Maroc. C’est un homme d'assez d’esprit avec le plus beau coup de sabre imaginable sur la joue gauche. Il m’a intéressé sur l’Afrique, le maréchal Bugeaud, l’Empereur de Maroc, Sir Robert Wilson, Sidi Bousalam &. Sir Robert malgré la verte réprimande de Lord Stanley, continue toujours à se mêler beaucoup du Maroc et à y faire ce qu’il peut contre notre influence. Il agit par le consul Marocain à Gibraltar et par le Pacha de Sétuan, jeune grand seigneur marocain avec qui il est lié et qu’il va voir souvent. Notre campagne de l’année dernière contre le Maroc a fait là un effet immense et qui subsiste, à ce qu’il parait.
Le pauvre Consul Général d'Angleterre, M. Drummond Hay excellent et très loyal homme, est mort de chagrin de n'avoir pas réussi à prévenir l’évènement et d’avoir vu la prépondérance, à peu près exclusive de son pays périr là, entre ses mains. Le nom du Prince de Joinville reste là fort grand. Il a laissé chez les Marocains une vive impression de courage, de savoir-faire, de sagesse, et de politesse. Le Général de la Rue m'a quitté à 9 heures. Le Maréchal Bugeaud vient passer trois mois en France, chez lui, et va faire, en arrivant une visite de quelques jours au Maréchal Soult à Soultberg-(Le Maréchal ne dit et n'écrit jamais autrement. Par tendresse pour la Maréchale Allemande.) La conversation entre les deux Maréchaux sera fort tendue, fort diplomatique, & par moments fort orageuse. Je vais faire ma toilette. J’attends tout-à-l ’heure Salvandy et Broglie.

9 heures
Voici un courrier qui m’apporte de grosses nouvelles, la destitution de Riga Pacha à Constantinople la retraite de Métaxa à Athènes. Je m’attendais à celle-ci et elle me déplaît quoique tout ce qui me revient de Grèce me porte à croire que Colettis n’en sera pas ébranlé. Mais rien absolument n’annonçait la première, et elle a été imprévue pour tout le corps diplomatique européen. Bourqueney ne se l’explique pas bien encore. Cependant, au premier aspect, il la considère comme une victoire du parti réformateur en Turquie.
Je vais lire tout cela, attentivement. Raisonnablement, le moment vient de retourner à Paris. C’est bien heureux que la raison me fasse tant de plaisir. Je reçois une lettre du Duc de Noailles. Il a eu son fils malade, mais le rétablissement est complet. Il me demande beaucoup de vos nouvelles. et finit en me disant : " Madame de Lieven aurait bien mérité, par son aimable intérêt, d'être invitée à la cérémonie qui aura lieu ici. Dimanche prochain, la pose de la première pierre du viaduc à Maintenon du chemin de fer de Chartres. " Adieu. Adieu. G.
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