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N° 115, 30 mai 1994 : « Zéros fois l’infini »

Il est vrai que nous n’avons que des solutions. La preuve ? On a eu depuis 84, deux présidents en un seul. L’héritier ailleurs est supérieur au boursier. Ici ce n’est pas la même chose. Le choix de la démocratie est une option morale. Une action politique doit s’accorder aux données de l’évolution naturelle, alors que la démocratie peut opposer artificiellement et dangereusement nature et politique. Les sciences de la nature et de la vie, dans le siècle écoulé, ont d’abord joué un rôle excitateur et libérateur, qui est loin d’être achevé. Beaucoup d’esprit rencontrant certains aphorismes de politique courante et les trouvant en opposition directe avec les principes qui règlent tout le reste de la nature, ont été amenés ainsi à examiner ces aphorismes : la nature a t-elle un principe et la société humaine est-elle bâtie sur un principe opposé ? Ou, sans être les mêmes et sans être les contraires, ces principes ne sont-ils pas tout à la fois analogues et différents ?

Que la politique actuelle veuille nous faire prendre de simples analogies, souvent lointaines, pour des identités, soit ! Mais les services primitifs, les tortures n’en sont pas moins inoubliables.

Une société tend ou aspire à l’égalité, mais en politique l’égalité n’est qu’au cimetière. Nous l’avons vécu il n’y a pas longtemps. Les esprits réfléchis sont ainsi conduits à hésiter entre deux volontés : dans la nature existe t-il un règne humain établi comme un empire dans un empire ? Ou cette autre hypothèse, la « révolution » a t-elle toujours été fausse ?

Le statut du genre humain, il est vrai, doit faire part aux lois d’autorité et de hiérarchie qui sont la providence visible de nos « supérieurs ». L’avantage de notre politique, c’est que nous ne savons pas où aller. Ça permet de rêver. On chen fout ! De toutes façons la terre est ronde. On reviendra à la case de départ. Où est le problème ? Nous, nous n’avons que des solutions.

On nous dit : le pays est riche, c’est un scandale géologique, il y a de l’or, des minerais de fer. Nous on n’a pas encore vu un carat de notre diamant national. Notre sous-sol est riche, j’en conviens. Mais dedans, je ne connais que des cadavres.Et si on doit parler de calcul, deux zéros collés forment l’infini. Qui ici, a l’avenir de deux couilles molles se donnant la main. Notre avenir a peur de son passé, honte de toutes les promesses de bonheur qu’il ne pourra pas tenir. Peut-être qu’il est temps d’appeler le passé au secours, d’ouvrir certaines tombes. Ce n’est pas dans le ciel qu’il faut lire l’à-venir, mais sous les pieds qui nous portent. Un boiteux boitille avec ses pensées, pendant que le penseur reste assis. C’est un peu la différence entre la course aux devoirs, qui a fait la place à la course au pouvoir.

Bon, il ne faut pas exagérer ! Si dans le pays, on ne sait pas trop quand on est né, au moins on a l’avantage de connaître l’heure de son enterrement. En général c’est à quatorze heures, après la prière… On chen fout !

Ce n’est pas tout. Il y a deux semaines, j’étais dans une commune, pour obtenir l’acte de naissance d’un caneton.

Nom : Canard.

Prénom : Cane.

Date de naissance : 29 février 2020.

J’ai payé 2000 francs glissants et j’ai eu mon papier que j’ai oublié d’ailleurs dans un maquis. Où est le problème ? Puisque la connerie peut s’écrire ici avec des O ou des N à l’infini. Parlons sérieusement ! La doctrine de Machiavel est plus vivante aujourd’hui qu’il y a 4 siècles, parce que si les formes extérieures de notre existence ont grandement changé, il ne s’est pas opéré de profondes modifications dans l’esprit des individus et des peuples. Le « Lynx » a fait paraître une photo des pendus. J’ai reconnu parmi les nécrophages, une amie aujourd’hui grand-mère tranquille, veuve deux fois, portant son deuil seulement le jour. Elle attend d’autres « comploteurs » à prendre (sic : à pendre). Elle regrette que les exécutions ne soient plus publiques. Etant un carrefour elle-même. Elle a la nostalgie du malheur des autres. Elle s’est recyclée dans la culture, et elle est devenue la tombe de beaucoup d’artistes. Mais on chen fout ! Zéro fois l’infini, ça fait combien déjà ? Puisque nous sommes pour une fois dans l’infini, nous sommes pour une fois bien servis. Il faut remédier à la décadence des mœurs. Sinon, il ne restera à la société que la solution de la violence, cette violence que la démocratie condamne. Le prochain danger qui nous attend n’est pas le Sida, mais la « démence ». On s’en rend compte en regardant les jeunes désœuvrés, désabusés, prêts à sortir le couteau. Cette violence prévisible, née d’une grève générale mal organisée, ce qui la fait ressembler à une trève, et d’une bourgeoisie hâtivement installée, donnera un jour à tout le monde le pouvoir de l’imagination, celui de créer, donc de transformer. Sinon, un autre « Tunis 94 » frappera à nos portes pour nous demander : « Zéro fois l’infini, c’est combien ? »

Williams Sassine

Billet :

« Un chat m’a conté »

Un homme partit au marché aux moutons

Il acheta le mouton le plus cher

A la maison, il ouvrit son coffre arrière

C’est un chien aigri qu’il vit.

Rapprochez…la 3è république n’est pas loin.

Bonne fête !

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 115

Présentation

Date1994/05/30

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

115. Zéros fois l’infini

Auteur(s) : Sassine, Williams

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