124. Labé, là-bas (1ère partie)

Auteur(s) : Sassine, Williams

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Sassine, Williams, 124. Labé, là-bas (1ère partie), 1994/08/01.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 02/05/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3466

Texte de l'article

Transcription

N° 124, 1er août 1994 : « Labé, là-bas » (1ère partie)

Grâce aux efforts persévérants de « J.Aime J…J’ignore » ou Justin Morel, l’ex star de la Télé Coco, la revue « Portraits d’enfants de Guinée » financée par l’Unicef venait de naître. Il s’agissait de la baptiser à Labé. Il n’est rien de plus difficile que d’écrire pour les enfants. Le pari a été tenu par Korka, Faye, Bokoum…Nous allions donc à Labé, non pour distribuer quelques bonbons à des gamins, comme on l’a vu le mois passé à l’occasion du mois de l’enfance.

Nous avons été convoqués un dimanche matin par Erre Guinée. Il paraît que l’avion était parti en Gambie. Reconvocation pour l’après-midi. Des délégations l’avaient emprunté pour l’enterrement de Kaké à Kankan. Des leaders de « ladite opposition » et des membres du gouvernement. J’avais craint qu’ils ne règlent leur compte sur la tombe du défunt. Mais je me trompais. A leur retour, certains se tapaient amicalement dans le dos. Oui, Kaké était bien enterré. A 18 h, on vint nous annoncer de nous re-présenter à l’aéroport le lundi matin.

Lundi matin, pas de vol. On ne savait pas trop où était Erre Guinée. Est-ce qu’on pouvait revenir l’après-midi pour voir si on avait retrouvé l’oiseau ? On est revenu !

A fakoudou, il faut des nerfs d’acier pour survivre à l’Aéro-hangar de Gbessia ! Après cinq heures d’attente, on nous annonça qu’on allait s’embarquer dans une minute. La minute dura deux heures. La « relativité » d’Einstein est bien appliquée. On a fini par nous entasser dans un « cargo ». Il y avait une espèce de marabout avec un chapelet kilométrique qui passait son temps à nous dire « Allah nous a prévenus depuis hier, il a fait annuler tous les vols parce que tout ça se terminera par un grave accident. Il y a beaucoup de montagnes au Fouta… ». Si j’avais un lance-pierre, j’aurais fermé la gueule de ce prophète de malheur. Son voisin était un prêtre qui lisait la bible, en faisant des signes de croix. Il me fallait deux lance-pierres. Je ne suis pas superstitieux, mais voyager avec des religieux, m’est toujours pénible. Ce sont des gens qui croient que plus on se rapproche des nuages, plus on se rapproche de Dieu. Et ce malentendu crée souvent la catastrophe. Heureusement que pour compenser la légèreté de leurs prières, les pilotes étaient russes avec leur propre pesanteur. Les moteurs commencèrent à tourner. Je ferme les yeux. Après des minutes interminables, je les ouvris. Peut-être que les pilotes voulaient tout simplement prendre la route jusqu’à Labé. Tout est possible, chez Fory Coco ! On finit par décoller. Tout a une fin chez Fory Coco !

Enfin Labé, les villas Syli sont tout près de l’aéroport. Pourquoi ne pas y aller ? On y alla. Je voulais prendre une bonne douche. Ces villas me rappelaient la « table ronde des écrivains » en novembre 1987…Une table qui avait été cassée peu après entre Tolneau (sic) l’ogre de l’université et l’ancien minus-tre de la culture. A l’époque on ne dormait pas facilement à cause des bruits de chute d’eau, sortant des tuyaux cassés. A fakoudou !

J’allais être servi au delà de mes espérances. J’ouvris un robinet, un deuxième, pas une goutte. C’est ce qui est intéressant dans le pays, c’est qu’on passe le temps à naviguer entre deux malheurs. On en a trop, ou on n’en a pas assez. Je me demande ce que fait la Mémé Gnangnan-Ténin des transports et poussières. Il paraît qu’elle est censée s’occuper de l’hôtellerie également. Fory Coco devait l’obliger à passer une nuit à la villa Sily de Labé. Elle se lèverait le matin avec un seau sur la tête, pour aller chercher de l’eau dans un puits. Dans la cour, il n’y a que les arbres qui l’ont l’air propre avec leurs troncs peints en blanc. Rien d’étonnant, le président venait de passer. A fakoudou !

Le tourisme et l’hôtellerie feraient du bien à ce pays, si on confiait ces secteurs à des gens qui aiment leur patrimoine. Comme à la culture qui est plutôt assise en ce moment rien que sur le « cul ». Le reste viendra peut-être.

Justin passait de chambre en chambre pour nous remonter le moral : « Ce n’est pas grave. Ça s’arrangera un jour ».

Ça s’arrangera un jour, tu parles ! Depuis quarante ans on nous tient le même discours.

Heureusement qu’on chen fout ! La « courte maladie et l’enterrement après la prière de 14 heures » sont là pour nous qui sommes inaccessibles au découragement.

Je défaisai ma valise, quand quelqu’un frappa à ma porte. C’était Alain, un vieil ami. Les nouvelles vont vite. Il m’embrassa. J’eus le tort de lui demander comment il allait.

- Je suis dans l’enseignement. Mais cé, cé zéro !

Il balaya l’air d’un bras, si vigoureusement qu’il faillit me casser un œil. Comme dirait Fory Coco de l’opposition, je n’étais pas à sa hauteur. Dieu Merci !

- On m’a envoyé dans un trou, reprit-il

- Et tu ne fais que boire ? Moi même je ne suis devenu un trou.

Hé kéla ! Je regardais Alain. Ses mains tremblaient. Il devait manquer d’alcool.

- C’est un petit village où je suis. Même les animaux ont peur de s’approcher. Ils ont raison ! On mange tous ceux qui ne parlent pas le patois du coin. Moi-même au début, on me regardait en aiguisant le couteau.

Je cherchais à le calmer, en utilisant la formule de Justin : « un jour, ça changera… »

- Justement il ne faut pas que ça change ! Que tout le monde crève ! C’est la meilleure solution. Les enfants les premiers.

Hé kéla, j’étais là pour le compte de l’Unicef, qui pense aux « enfants d’abord ». Le préfet nous attendait d’après le programme. Nous, on attendait La Baïcha, ministre futur des inaugurations. J’avais appris qu’elle portait le deuil de son coq-muezzin de 6h09. Mes condoléances ! Devait venir également la Hadjette de l’Unicef. Un beau monde, resté dans l’enfance. De quoi s’amuser. A fakoudou !

Williams Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

« Les enfants d’abord »

Je suggère à l’Unicef plus tard

« Les bébés d’abord »

« Les prématurés d’abord »

« Les fœtus d’abord »

Tant pis pour les parents !

Ils n’ont qu’à s’arracher les dents

Pour retourner dans l’enfance

L’Unicef les y attend

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 124

Présentation

Date1994/08/01

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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