Correspondance Baudelaire

Édition électronique de la correspondance de Baudelaire


Lettre à Proudhon, 21 ou 22 août 1848

Auteur : Baudelaire, Charles

Texte de la lettre

Transcription diplomatique

Voilà ce que j’avais à vous dire, et cela me paraît utile; car, ou vous le savez, et mon devoir est de vous le dire tout de même, ignorant si vous le savez, ou vous ne le savez pas, et il est bon que vous le sachiez.
    On nous promet des troubles. Qui les fera ? nous ne le savons pas. Mais à la prochaine manifestation, même anti-populaire, c’est-à-dire au prochain prétexte, — vous pouvez être assassiné.
    C’est un complot réel.
   D’abord intentionnel, vague et à l’état latent, se formulant relativement à vous de la même façon qu’il y a peu d’années se formulaient les désirs de mort relativement à Henri V : — Sans doute, il ne faut désirer la mort de personne, mais ce serait un événement bien heureux, si un accident l’emportait. L’autre forme est plus claire : à la prochaine occasion, nous savons où il demeure, et nous saurons bien le trouver d’ailleurs. Nous en faisons notre affaire. — Vous êtes le grand bouc. — Soyez sûr qu’il n’y a là-dedans aucune exagération ; je ne puis pas vous donner de preuves. Si j’en avais, sans vous consulter, je les aurais envoyées à la préfecture. Mais ma conscience et mon intelligence font de moi un excellent mouchard relativement à mes convictions. Ce qui veut dire que je suis sûr de ce que j’affirme, à savoir que l’homme qui nous est spécialement cher court des dangers. C’est à tel point que, me rappelant différentes conversations surprises, s’il y avait une tentative, je pourrais vous donner des noms, tant la férocité est imprudente.
    J’ai cru aujourd’hui que vous daigneriez m’honorer d’une réponse. Je n’avais d’ailleurs à vous parler que d’améliorations que je crois importantes dans votre journal, par exemple pour l’édition hebdomadaire, de la réimpression de la collection totale, et en second lieu, de l’opportunité qu’il y aurait à faire une immense affiche, signée de vous, d’autres représentants, et des rédacteurs de votre journal, tirée à un nombre immense d’exemplaires et commandant au peuple de ne pas bouger. Votre nom est actuellement plus connu et plus influent que vous ne le croyez. Une insurrection peut commencer par être légitimiste, elle finit par être socialiste ; mais aussi la réciproque peut avoir lieu.
      Celui qui vous écrit ces lignes a une absolue confiance en vous, ainsi que beaucoup de ses amis, qui marcheraient les yeux fermés derrière vous pour les garanties de savoir que vous leur avez données.
      Ainsi, à la prochaine émotion, la plus insignifiante, ne soyez pas chez vous. Ayez, si vous le pouvez, une garde occulte, ou sommez la police de vous protéger. D’ailleurs le gouvernement accepterait volontiers peut-être un pareil cadeau de la part des bêtes féroces de la propriété ; ainsi il vaut mieux peut-être vous protéger vous-même.
      

 

Charles Baudelaire.

Informations sur la lettre

Date exacte21 ou 22 août 1848
DestinataireProudhon
LangueFrançais

Information sur l'édition

SourceCPl I, 151
Éditeur numériqueAurelia Cervoni ; Andrea Schellino, groupe Baudelaire, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS), EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)
Mentions légalesFiche : groupe Baudelaire, ITEM (CNRS-ENS), EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Notice créée par Groupe Baudelaire Notice créée le 24/03/2020 Dernière modification le 22/06/2021