Réactions d'Alphonse Daudet
Edmond de Goncourt est mort chez les Daudet, à Champrosay, ce qui explique le nombre important de journaux qui dépêchent un journaliste sur place afin de recueillir des informations de première main.
Henri Fouquier consacre la Une du Figaro du 17 juillet 1896 à cet évènement brutal et inattendu. Sur deux colonnes, il résume l'œuvre complète de l'écrivain, plaçant par dessus tout son œuvre romanesque. Ce qui ne l'empêche pas de porter un regard critique, en souhaitant qu'il ne fasse pas "école" :
« La mort de M. de Goncourt est une perte pour les lettres. Il mérite de survivre et il survivra. Mais, je le dis franchement, je ne souhaite pas longue vie à son école, à sa manière, à ce qu'on appelle le "Goncourtisme". Les défauts des maîtres deviennent vices chez leurs disciples, leur faiblesse fait impuissance et, souvent, leur originalité, folie. »
En deuxième page, Le Figaro recueille les impressions de Daudet, tristement assis à la table de son cabinet de travail : « Je suis suffoqué, abattu, je n'ai plus la force de me souvenir... Vingt-quatre ans d'amitié fraternelle comme la nôtre, brisée d'un coup ! »
Dans Le Temps, c'est Jules Claretie qui rappelle longuement la vie et l'œuvre d'Edmond de Goncourt. Il revient, notamment, sur ce fameux Journal qui, selon lui, « avec ses curiosités, ses indiscrétions, ses révélations, emportait tout. » Ceci au risque de faire oublier ses romans ou son théâtre. Il se souvient également des moments terribles de la mort de Jules et conclut ainsi son article : « Edmond de Goncourt meurt, du moins, après avoir accompli sa vie, fait sa tâche, et il meurt entouré d'affections, admiré, salué par les générations nouvelles. Il faut durer, hélas ! pour qu'on ne puisse point finir, comme le pauvre Jules en disant : " Nous ne serons jamais compris !" »
Le Matin du 17 juillet rend compte des réactions conjointes de Daudet et de Zola. Du côté de Champrosay, on recueille les derniers moments de vie de Goncourt. Arrivé le samedi précédent, il paraissait en excellente forme malgré son âge. Le dimanche, il commença à se plaindre du foie, ce qui n'inquiéta personne car il était coutumier du fait. Pourtant, son état ne fit qu'empirer et on finit par appeler le docteur Barrié, de l'hôpital Tenon. Malgré un traitement énergique, l'état de Goncourt continua d'empirer dans la nuit et on fit prévenir les Daudet qui vinrent au chevet de leur ami. À une heure et demie, il finit par expirer « sans s'être vu mourir » selon le journaliste. Alphonse Daudet est ensuite interrogé sur le testament de Goncourt et revient sur la future Académie qui doit être fondée avec cet argent. À Médan, le journaliste tente d'interroger le romancier sur sa possible brouille avec Goncourt mais sa question demeure sans réponse. Malgré tout, le court entretien se termine par ces mots qui instillent le doute, à ce sujet, dans l'esprit du lecteur :
« M. Émile Zola n'a pas été prévenu de la mort par M. Alphonse Daudet. Aussi, le châtelain de Médan n'est pas allé à Champrosay ; il attendait, hier soir, quand nous l'avons quitté, une dépêche ; si cette dernière n'arrivait pas, il se contentera de suivre, comme tout le monde, le cercueil d'Edmond de Goncourt. »
Quelques jours après, Le Matin du 20 juillet revient sur le testament de Goncourt et interroge Daudet à ce sujet. En effet, son fils Léon et lui-même devraient être les exécuteurs testamentaires. Pourtant, des indiscrétions laissent entendre que c'est, finalement, à Léon Hennique que reviendrait cette charge. Malgré ce début de polémique, le journal égrène le défilé des personnalités qui se rendent à la maison mortuaire d'Auteuil, en attendant les obsèques où l'on va écouter les discours de Zola et de Raffaëlli, contre l'avis de Mirbeau. Une autre polémique est ainsi en train de naître par journaux interposés...
Le Petit Parisien du 18 juillet revient également sur la question du testament et du nom de l'exécuteur testamentaire de Goncourt. L'entretien accordé par Alphonse Daudet le montre assez opposé à cette idée d'Académie qui serait vue comme l'adversaire de l'Académie française. Il plaide davantage pour un « dîner des Goncourt, dont les convives choisis comme vous le désirez, discuteront les mérites de l'écrivain qu'on voudra récompenser chaque année. »
Quelques jours plus tard, Maurice Guillemot, dans Gil Blas, retourne à Champrosay et annonce les pages que Daudet va consacrer à Edmond de Goncourt, prochainement, dans La Revue de Paris. Dans cet entretien, le journaliste se veut au-dessus des racontars et polémiques des derniers jours. Il revient, bien évidemment, sur cette Académie à venir mais, surtout, évoque l'environnement de Champrosay dans lequel Goncourt est venu passer ses derniers jours :
« Tandis que Daudet, l'œil vif dans la figure fatiguée, les mains agitées d'émotion, me contait la lamentable nuit, me mimait des détails avec ce prestigieux talent de narrateur qu'il a, je regardais sur son petit bureau au pupitre haussé les longs feuillets séparés par le milieu et où les lignes du maître seulement se suivent, lettres serrées, multiples, d'une écriture penchée,et je pensais qu'il était heureux qu'Edmond de Goncourt soit mort à Champrosay avec d'autres témoins que la seule Pélagie, qu'il soit mort non pas dans le désert de sa maison de vieux célibataire, mais là entre des cœurs amis, et pour que ses derniers moments nous soient conservés, la main dans la main d'un homme de lettres, à la sensation aiguë, du plus artiste notateur de ce temps, de notre premier historien de la vie en ses détails. »