Réactions d'Émile Zola
Le 17 juillet, Le Gaulois publie l'annonce de la mort d'Edmond de Goncourt en première page. L'article s'ouvre par la dépêche signée Alphonse Daudet pour annoncer la mort, chez lui à Champrosay, de son ami écrivain : « Edmond de Goncourt mort subitement cette nuit, Champrosay, congestion pulmonaire. »
Aussitôt, le journal a envoyé sur place un de ses journalistes afin de connaître tous les détails de cette mort subite. Il est immédiatement introduit dans la chambre morturaire, dans laquelle Madame Daudet veille le mort, dont le lit sur lequel il repose, est parsemé de roses.
Après ce reportage sur place, le journal s'intéresse au testament de Goncourt et, notamment, à la fortune qu'il devait léguer pour la fondation de son Académie. Parmi les dix futurs académiciens, circulent les noms de Daudet, Zola, Cladel, Bourget et Loti.
Dans le même temps, un journaliste se rend chez Émile Zola, à Médan, afin de recueillir ses premières réactions à l'annonce de la mort de son ami. Il se rappelle l'avoir vu, trois semaines auparavant, lors d'un banquet donné en l'honneur de l'éditeur Eugène Fasquelle, à l'occasion de sa Légion d'honneur.
Très ému, le romancier se garde bien de trop s'épancher mais, sur l'insistance du journaliste, il évoque quelques souvenirs anciens, lorsqu'il allait déjeuner chez les frères Goncourt, dans leur maison d'Auteuil. Il se souvient du Goncourt collectionneur d'art du XVIIIe siècle, passion qui tira Goncourt de la souffrance dans laquelle l'avait laissé la mort de son jeune frère. Zola prononce ainsi cette phrase recueillie par le journaliste : « La maison avait sauvé l'écrivain. »
Gil Blas annonce également la mort d'Edmond de Goncourt dans sa Une, évoquant le « maréchal des lettres », selon l'expression de Paul Margueritte. Là-aussi, un journaliste est dépéché à Médan afin de recueillir les premières réactions de Zola. C'est sous le titre « Goncourt jugé par Zola » que l'entretien est retranscrit. Le décor est planté : arrivée à la nuit tombée, vitraux de la maison éclairés par les lumières intérieures.
Dans le petit salon où il est introduit (probablement celui attenant à la salle de billard, au rez-de-chaussée de la tour Germinal), le journaliste remarque un portrait de Goncourt réalisé par Bracquemont. L'annonce de la mort de Goncourt lui rappelle celle de Flaubert et les obsqèques auxquelles ils assistèrents tous deux. Rempli de mélancolie, Zola pense également à sa propre mort : « Bientôt ce sera mon tour. »
Le journaliste interroge Zola sur l'opinion qu'il avait de l'ami disparu et le romancier insiste sur le fait qu'il a toujours soutenu les frères Goncourt et proclamé son admiration à leur égard. Il se souvient également du jour où il fit leur connaissance, à l'occasion de la parution de Germinie Lacerteux, vers 1864. Il lui est ainsi difficile de résumer son opinion en quelques mots, ce qu'il fait malgré tout au travers de ces mots rapportés par le journaliste : « Les Goncourt ont eu et auront une grande et légitime influence artistique sur la littérature de ce temps. Peut-on dire que c'étaient des précurseurs ? Je ne crois pas aux précurseurs, et alors pour l'école de vérité il faudrait remonter encore plus haut, il faudrait remonter jusqu'à Balzac. »
Surtout, Zola insiste sur le fait qu'il ne s'est jamais brouillé avec Goncourt, ni avec Daudet d'ailleurs, comme on a de cesse de l'affirmer à cette époque : « Je puis dire que depuis trente-et-un ans notre amitié n'a pas subi d'éclipse. »