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318. Londres, Mardi 3 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
318 Londres, Mardi 3 mars 1840
6 heures
Je viens de passer ma matinée à écrire une longue dépêche sur la conversation que j’ai eue hier au soir avec Lord Palmerston et où nous n’avons pas encore abordé les affaires d’Orient. Je devais le revoir aujourd’hui à une heure. Mais il m’a prié de remettre à demain. Il était obligé d’employer sa journée à préparer les documents demandés par la Chambre des Communes sur la querelle avec la Chine. Sa vie pendant la session est vraiment très dure. Il travaille beaucoup. Je lui trouve l’esprit net, prompt & pratique. Il doit prendre de l’influence.
Je n’ai encore fait que rencontrer Lord Melbourne. Mais il me plaît. Je lui trouve un certain mélange de bonhomie & de commandement, d’insouciance& d’autorité que je n’ai pas encore vu. Son crédit auprès de la Reine est toujours le même. Les Whigs aiment tendrement la Reine. Ils font remarquer qu’on n’a pas encore cité d’elle un acte, un mot qui manquât de prudence ou de tact.
Elle n’a plus grand goût à la danse. Elle aime mieux son mari.
Je dîne jeudi à Buckingham-Palace. Cela me fait déranger un petit dîner chez moi ave Dedel, Alava et le baron de Blum. Le corps diplomatique me parait très avisé de ces petits dîners & d’une partie de whist après.
M. de Hummelauer a plus d’esprit que vous ne m’aviez dit. Il part au mois de mai, charmé de quitter l’Angleterre, où il s’ennuie, pour aller à Milan épouser une jeune Italienne de 18 ans qu’il ennuiera, je pense. Ellice est venu dîner hier avec moi, très bon et très aimable. Je puis abuser de lui tant que je voudrai. Je lui ferai plaisir.1
J’ai interrompu mes écritures ce matin, pour aller mettre des cartes, chez Lord Lyndhurst, Lord Cowley, et le marquis de Northampton. Voilà qui est bien intéressant , n’est-ce pas ? Je vous dis tout.
Ma chambre donne sur le square. On dit qu’elle est très gaie. Décidément, ici, le ciel et la terre se confondent, gris tous les deux. J’ai regardé hier le soleil bien plus en face que ma lampe. C’est là, jusqu’à présent, le seul fait physique qui me frappe en Angleterre. Je n’ai du reste aucune impression d’un changement de climat, de température et d’habitudes. Si j’avais près de moi ceux que j’aime j’oublierais parfaitement que j’ai changé de lieu. Mon cuisinier a le plus grand succès. Ellice dit qu’il n’a point de pareil. Mon maître d’hôtel est excellent. Je ne suis pas aussi content de mon valet de chambre. Je ne vous dis que des balivernes et j’ai à vous parler de choses si importantes. Je n’ai pas voulu les entamer ce matin. Je me repose avec vous de ma dépêche.
Mercredi, 5 heures
Je voulais vous écrire avec détail sur le parti que je prends, vous dire toutes mes raisons qui me semblent décisives et ne me laissent aucun doute. Je sors de chez Lord Palmerston qui m’a gardé trois heures et demie. J’ai à peine le temps d’envoyer à la poste. A après-demain donc les détails. Mais je veux que vous sachiez au moins l’ensemble. Voici des copies de la lettre que j’ai reçue ce matin du Duc de Broglie, et de celle que j’écris aussi ce matin, à M. Duchâtel. Vous serez au courant. J’y ai bien pensé. Je suis parfaitement convaincu. J’attendrai et je regarderai. Quel douloureux ennui que l’éloignement! Je voudrais vous tout dire et je ne vous dis rien, rien.
Je suis charmé que vous ayez vu ma mère. J’étais sûr qu’elle vous plairait. Adieu, adieu. Quand je cesse de vous écrire, c’est encore une séparation. Adieu au moins.
381. Paris, Vendredi 22 mai 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vendredi 10 heures
J’ai vu longtemps Lord Granville hier ; il est toujours couché. Nous avons un peu causé de tout. Le détail de l’entretien de Thiers avec Appony est assez piquant. Thiers a beaucoup parlé de la politique isolée que pourrait embrasser la France, et à la question d’Appony ce qu’elle ferait dans cette situation là ? Thiers l’a regardé avec étonnement et lui a dit : " Vous êtes trop curieux à propos d’Ancône, Thiers, lui a riposté par Cracovie. Enfin d’un bout à l’autre il y a eu de l’aigreur entremêlée d’un peu de flatterie. Granville est le plus pénétré du monde que la France ne fléchira jamais sur la question d’Egypte. Mais il m’a cité des paroles de l’Empereur dites à Lord Clauricarde selon les quelles l’Empereur croirait quevous êtes disposé à céder un peu. Ce serait venu à Pétersbourg par des correspondances de Londres. Cela m’etonne.
L’activité de Thiers est prodigieuse, son habileté aussi. Il gouverne la Chambre, les comissions. Il se mêle de tout, il répond de tout. Il est d’une audace et d’une satisfaction inouïes. Eh bien, à la bonne heure. Connaissez vous le " à la bonne heure " de M. de Talleyrand ?
J’ai été passer une demi-heure au déjeuner de la comtesse Appony. Ah mon Dieu, quelle foule, quelle horreur ! Un froid de loup dans le jardin, une chaleur à périr dans la maison. Dieu sait quelles gens ! Des gens décidés à faire là leur dîner. Nous avons regardé cela le duc de Noailles et moi, en nous demandant ce que nous étions venus faire là. Je m’en suis tirée avant 6 heures/ J’ai fait mon solitary meal et passé un solitary evening. Je pense que tout le monde sera resté là. Je me suis couchée ennuyée, mais plus triste.
Le gros Monsieur ma’ annoncé hier matin qu’il partait la semaine prochaine pour Londres, n’avez-vous pas quelque autre gros ou maigre monsieur qui aimerait à y être mené dans la première quinzaine de juin ?
1 heure
Je ne me suis rappelé le vendredi que lorsque j’avais écrit jusqu’ici. Je viens de vous écrire ma lettre officielle, parceque je ne veux pas que vous restiez un jour sans lettre. J’aime bien votre 374 vous prêchez sur le même texte que moi. " Pleine franchise entre nous ", et au fond c’est toujours parce que vous y manquez un peu de votre côté qu’arrivent les nuages. En y pensant un peu vous verez que les péchés viennent de vous. Point de réticence, pas la plus petite. Après le plaisir de n’avoir rien à reprocher, il n’y a pas de plaisir plus grand que le droit de gronder. C’’est si intime ! Est-ce que je dis une bétise ? Il me semble que nous voilà bien remis sur nos jambes. Pour moi au moins je me sens si leste, si confiante, si heureuse. Vous devez être comme moi, car dans ce qui nous regarde nous devons ressentir de même.
J’ai écrit ce matin à Ellice à M. de Barante ; vous allez-voir bientôt lady Clauricarde. Ah cela, je vous en félicite ; c’est tout-à-fait la prima dona en fait d’esprit. Elle en a beaucoup. Vous ai-je dit combien je trouvais votre définition de lady Jersey excellente ? Vos portraits sont toujours admirables. Je vous avais dit cela en mille mots. Vous le dites en deux " l’insignifiance la plsu envahissante."
Samedi le 23, 9 heures
Assez pauvre journée hier. D’abord toujours très froid et puis pas d’événements, pas de nouvelle. Montrond est venu le matin. il venait de chez le Roi ; il y retournait un langage nuageux, toujours drôle. Je crois qu’il vient chez moi parce qu’il me fait rire, cela lui plait, cela le flatte. Il est très frondeur sur le chapitre de St Hélène, il trouve cela absurde. Et puis il y voit mille inconvénients avant même d’abordar les dangers. Entre autres, ces quatre mois d’intimité entre le Prince de Joinville et messieurs les Bonapartistes, Bertrand & &, l’occasion de bien des propos provoquants peut- être. Au fait l’idée d’envoyer le fils du Roi est étrange. Il est cousin germain du duc d’Enghien !
Midi. Je vous remerce beaucoup du 375. Il me donne quelques lumières c’est-à-dire que je vois qu’en Orient on ne fait rien. C’est une étrange obstination de laisser sans solution, ce qui peut embarrasser le monde ! J’ai dîné seule. Le soir mon ambassadeur, Brignoles, le duc de Noailles, Carreira, d’autres insignifiants. M. de Pahlen. parle très bien sur l’affaire d’Orient vous en seriez content, mais il n’est pas poli pour l’Angleterre. Tout cela vous montre qu’il sert son maître sans l’approuver tout-à-fait Je vous enverrai les biographies que vous me demandez. Adieu. Adieu, je me réjouis de vous dire adieu par le gros Monsieur. A propos, il m’est venu une drôle d’idée ; c’est qu’en pensée vous me dites adieu au bout de la dépêche que vous envoyez par télégraphe pour que cela m’arrive vite. Vous voyez que je radotte. Adieu.
Vous vous trompez, vous ne dînez pas avec Lady Palmerston lundi. Les femmes n’en sont pas, à moins qu’on n’ait changé cela.
381. Londres, Jeudi 28 mai 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
3 heures
Je ne comprends pas pourquoi vous avez de l’orage et un ciel triste. Il fait beau ici depuis plusieurs jours, beau et calme. Aujourd’hui, il fait même chaud. Vous vous porteriez bien par ce temps là. Nous chercherons de l’air pour vous. Cela ne me paraît pas impossible à arranger. Nous trouverons bien quelque chose d’agréable à Norwood. Putney & Vous avez besoin de rouler en voiture ouverte. Vous viendrez à Londres, le matin voir qui vous voudrez, dîner où vous voudrez. Et moi j’en serai quitte pour fatiguer une paire de chevaux de plus pendant que vous serez là. Sachez bien que de mémoire d’anglais, me dit-on, on n’a vu à Londres un aussi beau printemps. Et au fait, je trouve l’air moins lourd qu’on ne me l’avait annoncé. Avez-vous un peu d’appétit ? Quand on a la bile en mouvement, je crois qu’il faut bien peu manger. Si je vous mettais à mon régime, je vous dirais, de la diéte et du sommeil. Ce sont mes seuls remèdes. J’ai vu hier on me promenant, deux ou trois jolies maisons à louer, garnies, à l’extrémité de Regent’s Park du côté de Primerose. Je vous assure que là l’air est agréable. Et vraiment la portion fermée de Regent’s park, le jardin, est charmante. Depuis que Lord Duncannon m’a donné, des clefs, j’y vais quelques fois, m’asseoir seul. C’est bien frais bien tenu, assez grand pour y marcher, pas d’isolement et pas beaucoup de monde. Il me semble que vous seriez bien près de là. Savez-vous décidément dans quel hôtel vous descendrez ?
Le duc de Cambridge, qui ne pouvait venir dîner chez moi le samedi 13, m’a offert le Vendredi, 12 ou le lundi 15. J’ai pris le 12. Je garderai le 15 bien libre. Je viens de déjeuner chez M. Milnes, conservateur modéré de la Chambre des Communes avec quelques radicaux modèrés Charles Buller & et Sir Stratfort. Canning. Conversation assez animée et variée. Il y avait là un homme d’esprit un Rev. M. Thirlwall le premier scholar, dit-on, de l’Angleterre. et prédicateur très éloquent. On voudrait le faire evêque. Mais, lord Melbourne s’y oppose, ne le trouvant pas assez orthodoxe.
Je me suis laissé imposer hier par lord Burghersh une seconde séance de l’ancient concert. C’était la dernière et cela lui faisait tant de plaisir! Au fait, j’aimais autant finir ma soirée là qu’ailleurs. La musique était bonne, très bonne même une ou deux fois. J’ai causé avec lady Burghersh. J’ai trouvé son esprit dont vous m’avez parlé. Bien artiste, fin et sensé. Quand je dis sensé, je ne sais pas, mais clairvoyant.
J’ai arrangé mon petit dîner pour mes Françaises. Elles partent le 3 Juin et je les ai le 2 avec lord Elliot, lord Leveson, lord et lady Lovelace et Sir Robert Cherter que j’ai mis là parce qu’il faut qu’une fois je le mette quelque part. Les invitations me pleuvent. Voilà lord Haddington, le duc de Bucclaugh, le duc d’Argyll. Il faudra rendre tout cela. Il me faudra plus de grands dîners que je ne comptais. Vous me règlerez Point de nouvelles. Chekib. Effendi vient d’arriver.
L’affaire d’Orient remuera de nouveau probablement sans avancer. Entre nous, je crois pouvoir dire que tout le monde ici, corps diplomatique ou Anglais, Whigs ou Torys, est de mon avis dans cette question, comme on est de l’avis d’un autre. On trouve que j’ai raison. On serait bien aise que quelque circonstance rendit ma raison nécessaire. Mais il faut lutter, refuser, dire non. C’est bien difficile. Aussi je ne réponds de rien. Je ne me décourage pas non plus. J’établis chaque jour, un peu plus fortement et dans quelques esprits de plus, que j’ai raison. Je pense des hommes dans les affaires comme des enfants dans l’éducation, il faut faire leur atmosphère et les laisser respirer. Adieu. J’attends la lettre de demain avec une double, une triple impatience. Mais je vous veux point agitée, point abattue. Les vrais adieux veulent la santé. Adieu. Adieu.
384. Londres, Dimanche 31 mai 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure et demie
Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.
Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.
2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.
Mots-clés : Affaire d’Orient, Ambassade à Londres, Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie, Discours du for intérieur, Enfants (Guizot), Gouvernement Adolphe Thiers, Politique, Politique (Angleterre), Politique (Internationale), Progrès, Relation François-Dorothée, Religion, Séjour à Londres (Dorothée)
392. Londres, Mercredi 10 juin 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Ceci doit être ma dernière lettre. Savez vous mon sentiment ? c’est que je ne vous ai rien dit depuis le 25 Février. Je ne vous ai pas plus parlé que je ne vous ai vue. J’ai sur le cœur tout ce que j’ai pensé et senti pendant ce temps là. Quel débordement, comme vous dites ? Le beau temps dure, et par trop étouffant. J’ai été me promener hier au soir dans Regent’s Park jusqu’à 9 heures et demie. L’air était doux, frais, le ciel pur, les eaux pures aussi. Je vous attendais là. Je crois que je suis sorti le dernier. Il me paraît qu’on se bat toujeurs autour du corps de M. de Rumigny. Je suis essez curieux de l’issue. Le Roi en voudra beaucoup à Thiers.
Avez-vous vu Zéa ? Je serais curieux aussi de savoir ce qu’il pense des affaires du moment dans son pays. Il me paraît que les modérés sont dans une grande colère et méfiance, du voyage de la Reine. Ils croyent qu’elle veut les livrer aux exaltés. Je ne comprends pas On dit que Rumigny ne sera pas le seul. Dalmatie et Latour Maubourg sont ménacés. Il faut payer ses dettes. Ste Aulaire et Barrante n’ont rien à craindre. M. de Metternich, et l’Empereur Nicolas, les défendent. Du reste si la diplomatie est traitée comme l’administration, il y aura plus de bruit que d’effet. Que de préfets remués pour en changer un seul ! Je n’aime pas le humbug, même quand il sert à empêcher le mal. Mais il faut bien s’y résigner.
Une heure
Je ne vous dirai pas encore de gros mots. Je ferai plus. Je mettrai votre conscience à l’aise. Je viens de recevoir une invitation de la Reine pour Windsor, dîner le 17, passer la journée du 18, déjeuner le 19. Il n’y a pas moyen de n’y pas aller. Si vous arrivez ici le 15, nous aurons à nous la journée du 16 mais si vous n’arrivez que le 16 au soir ou le 17 matin, nous aurons à peine, le temps de nous entrevoir avant mon départ pour Windsor. Ne vous pressez donc pas de manière à vous troubler ou vous fatiguer. C’est une ennuyeuse parole que je vous dis là. Je suis très pressé. chaque jour plus pressé. Mais puisque ma course de Windsor coïncide avec votre tracas de ménage, faites ce qui vous convient. Je vous donne, pour arriver à Londres latitude jusqu’au 19. Si vous arrivez le 15 ou le 16, je serai parfaitement heureux. En tout cas, je vous écrirai encore à moins que votre lettre de demain ne me dise le contraire. Je vois que l’affaire des ambassadeurs tournera comme celle des prefets. Lord Palmerston ne revient qu’aujourd’hui de Broadlands. Il doit y avoir un conseil de Cabinet ce matin, probablement sur les affaires de l’Orient. Si on voulait m’admettre dans ce conseil, je crois en vérité que je serais tranquille. Cette parole est bien arrogante ; mais j’ai vu tant d’affaires mal conduites uniquement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on n’avait pas pensé. Ici surtout on ne pense pas à assez de choses! Et chacun pense à son affaire, et ne sait rien de celles des autres. Evidemment si, dès le premier jour, toutes les faces de cette question d’Orient avaient été présentées à Lord Polmerston, lui-même ne se serait pas engagé comme il l’a fait. Cela perce à chaque instant dans sa conversation.
3 heures et demie
Je viens de faire quelques visites Je ne voulais voir que lady William Russell. Je ne l’ai pas trouvée. Elle m’inspire une estime mêlée de quelque curiosité. On dit que son mari, après avoir débuté par la Juive, fait à présent des sottises avec tout le monde. Est-ce qu’il en est en Angleterre des hommes comme des femmes ? J’entends dire qu’ici c’est à 40 ans quand leurs enfants sont élevés, que les femmes s’émancipent. Et on me cite des exemples. Nous avons ici de très mauvaises nouvelles du Rois de Prusse. Je suppose que vous les avez aussi. Adieu. J’ai été dérangé deux ou trois fois depuis que je suis rentré. Je dine chez Sir Robert Inglis. J’irai de là chez lord Grey. Lady Grey m’a écrit hier pour m’y engager. Je suis très bien avec eux. Adieu Adieu
391. Londres, Mardi 9 juin 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
A mon tour, j’ai une lettre bien courte ce matin. Mais je ne m’en plains pas. Je ne me plaindrai de rien cette semaine, ni la semaine prochaine, à moins que je ne me plaigne de vous ce qui ne sera pas. Je voudrais bien vous trouver quelqu’un pour vous accompagner. Pour calmer votre imagination sur du danger, il n’y en a point ; et la fatigue, un compagnon ne vous l’épargnerait pas. J’espère qu’elle ne sera pas grande. Le temps est beau. Quel dommage que je ne puisse pas aller vous prendre à Boulogne ? Ce serait si facile, si ce n’était pas impossible ? J’ai peine à voir d’où viennent vos pronostics de guerre. Je ne m’attends pas à ce qu’on fasse grand chose ici sur l’Orient. Et quand même on ferait quelque chose, je ne crois pas que la guerre en sortît. Je vous attends pour causer de cela, comme de tout. Quand nous pourrons causer que nous mépriserons ce qui s’écrit. Pendant qu’on hésite en Occident, Méhêmet Ali s’affermit et s’anime en Orient. Il agit partout où il y a des Musulmans ; il les rallie, il les échauffe. Il gagne chaque jour plus de crédit à Constantinople. Si on le pousse à bout nous aurons quelque étrange spectacle. C’est là du moins ce que promettent les apparences. Mais j’ai appris à me méfier des apparences et des promesses. Que la part de la charlatanerie est immense en ce monde ! Il y en a moins ici qu’ailleurs, et pourtant le humbug est grand ici !
Le Prince Esterhazy n’arrive pas. On dit qu’il ne se soucie pas de venir tant que l’affaire d’Orient durera. Et M. de Metternich non plus n’est pas pressé qu’il vienne. Il trouve que Neumann convient mieux à l’insignifiance, et à la tergiversation. Je n’ai point de nouvelles. On est encore aujourd’hui en vacances. Lord Palmerston ne revient que demain de Broadlands.
Le bruit court de nouveau que lady Palmerston est grosse ; bruit très général. On en parlait hier chez les Berry comme d’une chose que tout le monde savait. Il y avait hier chez les Berry, cette grande Miss Trotter qui a failli épouser M. de la Rochéfoucauld et qui ne l’a pas épousé parce qu’il n’a pas voulu lui permettre une femme de chambre protestante. Vrai type anglais grande, blonde, riche, belle avec de grands et gros traits, teint éclatant et sans finesse ; avide d’esprit, prompte à l’enthousiasme ; quelque chose de très sincère, et de très factice, l’air noble sans rien de distingué. En revenant de chez les Berry, j’ai passé un quart d’heure chez lady Jersey qui avait un petit rout. J’y ai vu vingt Miss Troller.
Dites-moi donc ce qui en est de Stafford house, et si on le met réellement à votre disposition. Je le voudrais bien pour que vous n’eussiez, point d’embarras. J’aime bien vos idées d’arrangement. Out pour tout le monde à des heures déterminées. Ne trouvez vous pas que, dans la jeunesse on aime l’imprévu et, quand on n’est plus jeune, le réglé ? Il y aura bien aussi de l’imprévu, et qui sera charmant. Mais le réglé fera le fond. de la vie. Je reçois ce matin une invitation du marquis de Hertford pour dîner à sa villa de Regent’s Park, qui paraît très jolie. Connaissez-vous beaucoup le marquis de Hertford ? Vous devriez dîner là. Adieu.
Je vous quitte pour écrire des dépêches. J’envoie un courrier ce soir. Il me semble que cette manie de voyage de la Reine d’Espagne fait assez de bruit. Le mouvement des journaux est vif pour envoyer M. de la Redorte à Madrid ! Ils montent à l’assaut. On me dit qu’il est bien trist’ le pauvre M. de la Redorte. Il ne se trouve pas tout le crèdit qu’il se croyait. Adieu. Adieu.
422. Paris, Dimanche 13 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je me suis sentie indisposée ce matin, j’ai fait venir Chermside, il croit que j’ai pris froid. Le temps a subitement passé au froid. J’ai vu Bulwer longtemps les Appony, mon ambassadeur j’ai renvoyé Flahaut, sa femme et d’autres.
Les ambassadeurs se sont disputés chez moi. L’Autrichien soutenant que sa cour lui mande qu’en cas de marche d’Ibrahim, les Russes n’occuperaient pas Constantinople. et le Russe soutenant que nous l’occuperions. Ce discrepancy m’a un peu étonné. Le 29 actuel a vu hier au soir Z et et a obtenu l’assurance positive qu’il ne méditait point de coup de théâtre au loin. Cette idée avait été fort accréditée hier. On dit que l’Angleterre devrait bien souffler au Turc à Londres une proposition d’accommodement avec la France, c’est-à-dire que le Turc offre bénévolement de meilleures conditions au Pacha plutôt que de voir de la désunion entre des puissances qu’elle (la Turquie) regarde comme également bienveillante pour elle, et dont la rupture pourrait avoir des résultats fâcheux pour son existence. Croyez-vous qu’on inspire cela ? Ou qu’on l’ordonne, car on peut ordonner. Ce serait a loop hole.
Les nouvelles d’Espagne sont bien critiquées. Il faudra que la Reine s’humilie ou s’enfuie. Que ferez-vous dans cette affaire ? Un gouvernent qui ne serait pas soutenu par la gauche irait peut-être au secours de la Reine. Mais il est difficile que vous le fassiez. Il y a des gens qui croient que vous le ferez quand même, pour faire aujourd’hui quelque chose. Cela me semble impossible.
Lundi 14. 9 heures
Mon ambassadeur est revenu hier au soir avant de se rendre à deux routs (Appony et Flahaut) il m’a répété qu’il n’a pas eu un mot de Petersbourg, pas un mot depuis le mois de juin. Il en est fort content. Les lettres particulières de là disent qu’on n’y croit pas à la guerre, que personne n’y songe. Lui, Pahlen, la croit très possible , et même très difficile à éviter. Il me demande ce que je ferai ? Je le demande aussi que devenir ? Ah mon Dieu ! J’ai assez bien dormi. Mad. de Talleyrand est à Rochecotte. Elle m’a attendu quelques jours à Paris, à ce qu’elle prétend elle m’engage à aller chez elle ce que je ne ferai pas.
Mad. Appony est moins éprise de sa belle-fille que ne l’est son mari. Elle la trouve bien frivole, et rien que frivole ; toute la journée se passe en toilettes. Elle tremble pour l’avenir lorsque le beau trousseau sera fané ! Lui Appony n’est pas si inquiet ; il est charmé d’une jolie femme dans se maison et me parait tout aussi amoureux que son fils. Midi. J’ai revu le gros Monsieur et quelque chose de mieux que lui. Merci, merci. Demain mardi sera un mauvais jour, je voudrais qu’il fût passé ! Ah je voudrais qu’ils fussent tous passés, tous les jours de séparation ! J’ai écrit à Thiers le lendemain de mon arrivé ; il n’est pas venu, et ne m’a pas répondu. je continue à me coucher à 9 1/2, j’ai bien besoin de repos.
Adieu, adieu. Je ne prévois pas que j’apprenne rien de nouveau d’ici au moment de la poste. Adieu.
421. Paris, Dimanche 13 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Voici trois dimanches bien différents entre eux. Dimanche 30 août, dimanche 6 où je vous voyais pour la dernière fois, et celui-ci que je passe si loin, si loin de vous mais il me semble que je suis chez nous. Et cette pensée est si douce, venez la compléter.
J’ai vu hier matin Bulwer, Montrond, mon ambassadeur. Le premier bien agité, bien inquiet. Il y avait quelque chose ; il venait me le dire, l’arrivée de Montrond nous a dérangés. Montrond inquiet aussi croyant à la guerre, me faisant des questions sur vous, surtout les détails de votre attitude, vos allures, votre maison. J’ai pleinement satisfait à toutes ces questions. Je l’ai trouvé ni bien, ni mal, disant seulement que Flahaut disait beaucoup de choses qui ne sont pas bien. Le roi belliqueux, mais croyait à le paix. Au total pas grand chose. Mon ambassadeur inquiet aussi, la journée semblait mauvaise. Il y avait quelque chose de menaçant dans l’air. Je lui ai conté hier M. de Brünnow, il est parfaitement indiqué et parfaitement sûr que l’Empereur n’y est pour rien, mais il ne devine pas et ne comprend surtout par la bêtise. Je lui ai conté M. de Nesselrode aussi, cela le confond, mais il n’a pas pour lui une grande estime. Il me dit que j’ai très bien fait mais que je les mettrai dans un grand embarras. C’est leur affaire de s’en tirer. M. de Pahlen dit un peu autrement qu’Appony. Il est convaincu qui si Ibrahim passe le Taurus nous irons à Constantinople. Au reste, il n’a pas eu un seul courrier depuis mon départ pour l’Angleterre pas un. Il n’a pas eu un mot même par la poste depuis ce traité, c’est-à-dire qu’on ne lui dit pas un mot du traité. C’est drôle ! L’Empereur sera de retour à Pétersbourg cette semaine.
J’ai fait ma promenade avec Mad. de Flahaut. Je suis avec elle comme avec lady Palmerston bien, et pas comme avant. Elle a recommencé des explications sur la lettre. Je lui ai dit que je n’y pensais plus, elle voulait dire, et elle a dit pendant une demi-heure, trente mille même mensonges je les ai écoutés probablement comme on écoute des mensonges car elle m’a dit : " Je vois que vous ne croyez pas un mot de ce que je vous dis." J’ai souri, et je l’ai assurée que sa réponse écrite m’avait parfaitement suffi. Et voilà qui est fini. Elle a bavardé, bavardé sur les affaires, bien dans le sens raisonnable. Après. cela elle a dit qu’il y avait une question curieuse à éclaircir, que le ministère disait que vous n’aviez pas su un mot du traité et ne lui en avez rien mandé jusqu’après sa conclusion ; que vos amis, c’est-à-dire une petite partie de vos anciens amis disaient que vous avez toujours éte d’opinion qu’il se conclurait que vous en aviez averti et souvent. et elle m’a interrogée. J’ai répondu froidement, que Londres on disait et croyait que vous le saviez et que vous l’aviez dit. Flahaut que je n’ai pas vu part demain pour Londres ou autre part afin de n’être pas ici pendant le procès.
J’ai dîné seule, ou plutôt pas dîné. Après, j’ai été en calèche encore, à droite, à gauche, passer mon temps. J’ai manqué Fagel ce que je regrette. Je me suis couchée à 9 1/2.
Voici votre lettre. Comment êtes-vous resté un jour sans rien de moi ! Vous aurez vu au moins qu’il n’y avait pas de ma faute. Il y a deux pages charmantes dans votre lettre, il y a dans chaque lettre des pensées si douces, si tendres. Ah que j’y réponde doucement, tendrement !
Midi. J’ai fait un tour de promenade au jardin à pied je suis lasse, le plus petit exertion me fatigue. Je ne me plains plus que de cela ; très fatiguée, très faible, très maigre. Il faut que je me relève de ces calamités. Adieu. Adieu extrêmement.
423. Paris, Mardi 15 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
8 heures
J’ai vu hier matin, M. de Werther et Bulwer. Point de nouvelles tout le monde très pacifique. J’ai fait ma promenade au bois avec Emilie. Je n’ai pas vu sa mère, Dieu merci.
Après mon dîner qui n’est pas un dîner, les deux Pahlen sont venus chez moi, du parlage, du rabâchage, car il n’y a rien. M. d’e Pahlen qui connait cependant fort bien l’Orient et parfaitement les Turcs, affirme qu’il est impossible que le traité stipule l’entrée des Russes dans l’Asie mineure, ou que si ce traité le dit c’est une complète absurdité. Car jamais nos troupes en surmonteraient les obstacles matériels et moraux de cette entreprise. Aucune troupe européenne ne le pourrait et nous moins que tout autre, parce que le Russe est détesté par tout musulman ainsi dans son opinion, point de Syrie possible par terre, par mer c’est l’affaire de lord Palmerston voyons s’il en viendra à bout.
Le temps est à la pluie, n’importe Paris est joli. Les fontaines font leur devoir ; les arbres sont un peu gris, C’est vrai ; mais c’est égal. Je n’ai pas vu une âme française depuis mon arrivée ; excepté Montrond. Charles Pozzo vient de se casser une côte. Le vieux est tout-à-fait imbécile, il n’y a plus d’éclaircie. La fille de Jérôme Bonaparte épouse M. Demidoff. J’en suis indignée. Le prince Paul de Wurtemberg est de retour, je pense que je vais bientôt le voir. Il doit être drôle maintenant.
Mon ambassadeur est fort impatient de ce que je n’ouvre. pas encore ma porte. Je l’ai renvoyé avant dix heures. Midi, j’ai vu le petit ami, et il m’a vue dans mon bonnet de nuit. Il est venu trop tôt, ou bien moi, je suis restée trop tard en tenue de nuit.
Il n’y a rien rien. A blank day again. Mais il est impossible qu’il ne survienne pas des événements, les matières remuantes ne manquent pas. Il faut que vous vous contentiez aujourd’hui de ce pauvre chiffon de lettre. Il ne vous en porte pas moins, tout court, qu’il est un bien long, adieu.
424. Paris, Mercredi 16 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
J’ai vraiment des moments de grand mépris pour moi, et pour vous. Je trouve si intolérablement absurde que nous soyons séparés. Vous seul à Londres ; moi seul à Paris, chacun au milieu de millions d’habitants, seuls, bien seuls ! Eh bien voyez-vous cet abominable égoïsme qui fait que je vous aime mieux à Londres qu’au Val-Richer. Je vous veux, comme moi, sans compensation, sans distraction, sans plaisir ; pensant à juin, juillet, août rêvant à octobre. Un doux passé, un charmant avenir, n’est-ce pas ? Mais il faut qu’il vienne cet avenir. Il faut que nous allions à lui bien décider à le conquérir.
J’ai vu hier Bulwer et Adair. J’ai été shopping pour un cadeau à ma nièce. Et j’ai passé chez les Appony que j’avais manqués chez moi décidément on était à la paix hier. Appony avait vu Thiers longtemps ; il avait l’air un peu mystérieux (Appony), mais fort rassuré. Après mon dîner j’ai été chez les Flahaut, il y avait M. de Sercey et M. d’Haubersaert. On a beaucoup, beaucoup parlé politique, je n’ai pas ouvert la bouche. C’est exact ce que je vous dis là, pas ouvert la bouche. On disait beaucoup que le Pacha se modérait. On faisait des paris qu’il n’y aurait aucune tentation sur la côte de Syrie qui puisse réussir. Enfin comme de raison, on était très français. J’étais dans mon lit à 10 heures, avec un gros rhume.
Le temps est abominable. J’aurai une lettre aujourd’hui. Ce pauvre M. de Stackelberg a encore perdu une fille. Mad. de la Rovère. Trois enfants dans dix mois. Je devrais dire cette pauvre Mad. de Stockelberg ! Car c’est elle, elle qui le sent !
1 heure
Comment pas de lettres ! Mais c’est impossible, n’est-ce pas c’est impossible que vous ne m ’ayez pas écrit ?
2 heures
Je vais sortir, comment il faudra fermer ma lettre sans un adieu de vous ? Faut-il que je m’inquiète ? Adieu tristement. Adieu tendrement. Adieu bien longuement.
426. Paris, Vendredi 18 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
10 heures
Je suis un peu malade aujourd’hui, je me fâche contre le médecin, contre moi. Je ne pense qu’à me soigner, me bien porter et rien ne va, rien ne réussit. Vous savez comme le découragement me gagne vite. Hier j’ai fait une longue promenade au bois de Boulogne, le temps était charmant ; en revenant j’ai ramassé Fagel et nous avons recommencé. Fagel est de la bonne espèce droit, franc, sensé. Il a de veilles habitudes de confiance avec moi. En rentrant on m’apprend que ma nièce est malade Je suis allée chez elle ce n’est pas grand chose.
Appony m’a dit les nouvelles d’Egypte. Le Pacha proposant de se contenter de l’Egypte héréditaire et de la Syrie viagère, et ... Le soir j’ai laissé entrer chez moi les Durazzo, et les deux Pahlen. Tout le monde est à la paix ici depuis quatre ou cinq jours. J’espère que tout le monde a raison. Avant mon dîner Mad. de Flahaut est revenue. J’avais bonne envie de la refuser, et puis la curiosité l’a emporté, paix ou guerre, je ne savais pas. Je me croyais en guerre. elle est entrée, douce, caressante, la nuit avait porte conseil et elle s’est résignée à rester comme par le passé, avec soustraction de la politique. Je pense que vous allez voir le père et la fille à Holland. house. La fille est gentille, c’est-ce qu’il y a de mieux dans la famille. Le père est ce qu’il y a de pire.
Mon ambassadeur est vraiment un cher homme il me parait qu’il redouble encore pour moi depuis qu’il sait M. de Brünnow. Il fronde un peu mon cabinet et trouve étrange qu’on le laisse depuis quatre mois sans une ligne d’écriture. Rien Ces gens là ne savent plus écrire, car moi aussi je n’ai rien. Midi. Voici le joli médecin m’apportant un charmant remède. Merci, merci. Denay est arrivé et en fonctions depuis quelques jours. La nouvelle femme de chambre est plus bonne que belle. Eugénie part, et je ne sais comment m’en séparer, mais je le lui avais dit ; je ne puis pas me retarder. Personne ne m’a écrit d’Angleterre depuis mon départ. Il faut que j’écrive aujourd’hui à lady Palmerston pour lui envoyer une lettre de la reine d’Hanôvre qui demande explication. Mon Ambassadeur est excessivement occupé de Mad. Lafarge ; et comme je ne lis pas ce procès, il a le plaisir de me raconter tous les jours ce drame là, cela l’enchante.
Adieu, je comprends la sottise, et même je la partage c’est effroyable ce que je vous dis là. Adieu.
425. Paris, Jeudi 17 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Avant toute chose, la question de la correspondance. Ce n’est qu’à huit heures hier au soir que j’ai eu votre lettre de lundi, encore j’ai été la chercher. C’est-à-dire que mourant d’ inquiétude de n’avoir pas eu de lettres j’ai pris le parti d’aller chez Génie pour savoir s’il avait quelque nouvelle, si vous étiez malade. Enfin j’étais moi dans une véritable agonie, et je vous préviens que j’y serai chaque fois qu’il n’arrivera pareille aventure. Mettez y bon ordre, car ces choses me rendent malade et vous savez que je n’ai pas besoin d’agitation ! La preuve que ceci m’avait fait du mal et que j’ai été obligée de faire chercher mon médecin le soir, toute inquiétude se porte sur les entrailles. Et j’avais repris des douleurs. Ensuite on peut me voir toujours de 9 à 10. Et puis, j’écrirai Mercredi et Lundi au N°1. Mardi et Samedi au N°2. Jeudi et Dimanche au 3.
J’ai été à Kenwood bien souvent quand je vous proposai une promenade à Hamstead, c’était là que je voulais vous mener. Pourquoi n’y avons-nous pas été ensemble ? J’ai vu hier matin chez moi Appony, Mad. Durazzo, et Mad. de Flahaut hélas ! Appony venait de prendre lecture rapide du traité dans le journal anglais. Il pensait qu’il n’y avait rien là qui dût irriter la France ou l’inquiéter. Il trouve que la lettre de Königsberg insérée dans le Constitutionnel a un grand fond de vérité ! Mad. Durazzo bonne, douce et pas bête. Brignoles revient dans un mois je crois.
Mad. de Flahaut est venu me faire une scène, une scène. M. de Flahaut et elle sont très offensés de ce que je ne veux pas parler politique en leur présence. Il est évident que je me méfie d’eux, que je ne crois pas un mot de leurs explications sur la lettre. Cela n’est pas tolérable. Et sur ce point là, je ne puis plus être qu’une connaissance et non plus une amie. Voilà littéralement la déclaration. Vraiment c’est trop drôle. J’ai répété que je ne voulais plus entendre parler de la lettre, et qu’assurément je ne parlerais pas politique qu’ils s’arrangent. La colère est grande, il y a eu des insinuations et des paroles, fort étranges, je ne les ai pas relancés. Je veux simplifier les querelles. Vraiment j’ai bien à faire avec mes amies !
C’était bien autre chose encore que lady Palmerston on dirait qu’on s’est donné le mot. Revenez au milieu de la scène, Mad. de Flahaut pleure, moi je n’ai pas eu l’air tendre. Le temps hier était épouvantable. Un vrai hurricane. Le chaos. J’ai eu peur. Plus tard, j’ai été pour une demi-heure au bois de Boulogne.
Après mon dîner, comme je l’ai dit plus haut, chez Génie avec des battements de cœur si forts si forts, il est venu à la portière me remettre la lettre reçue disait-il après 5 heures Mon ambassadeur est venu de 8 1/2 à 9 1/2 et puis mon médecin. Il reviendra ce matin. Et bien le traité ! Vous ne m’en parliez pas Lundi. Il était dans les journaux anglais cependant. Est-ce que par hasard il ne vous aurait pas été communiqué ? Je l’ai lu, je ne trouve pas que nous y jouions un grand rôle. Après cela je ne le trouve en vérité pas incommode pour la France. Et puis l’acte de Napier reste toujours incroyable car l’article qui prescrit les mesures avant la ratification dit nommément que c’est parce que l’insurrection était en train. Or elle se trouvait étouffée.
Le 14, et le 14 était toujours deux jours avant le 1. Effacez vendredi au N°1 car ce jour là j’écris tout droit. Je l’avais oublié et donnez au n°1 Lundi en place de Vendredi. Et ôtez alors le lundi au n°2. Je viens de faire cela à la seconde page. C’est compris maintenant ? 1 heure Pas de lettres, mais la tempête d’hier explique cela, je ne veux donc pas m’inquiéter. Les journaux ministériels ne font pas d’observation sur le traité. J’attends les vôtres. Je me trompais peut-être sur Napier, alors cet article du Protocole réservé est bien étrange. Dites-moi donc ce que vous en pensez.
Voici le 412. Grey a bien du bon sens. J’aime les Holland parce qu’ils vous aiment et parce qu’ils sont aimables. Je ne pourrai rien dire pour la vaisselle de Lady Durham ; vous voyez bien que je ne vois pas Thiers pourquoi ? Je ne le comprends pas et bien vous ne me dites pas un mot du traité. Why ? Chermside sort d’ici, il trouve qu’on m’a fait prendre du quinine trop tôt. J’ai des vertiges, et l’estomac bien affaibli.
2 heures
Il me semble que je vous écris de pauvres lettres, si j’allais dans le monde elles vaudraient mieux mais je n’ai pas la force et vous voulez n’est-ce pas que je me repose. Je pense que Molé ne vient pas parce que je ne lui ai pas envoyé dire que je suis ici. Il est parmi les susceptibles. Mais je vous avoue que je trouve très bon qu’on n’aie pas à citer mes paroles, et le plus sûr alors est de ne pas voir les gens, ou quand on les voit (Flahaut par exemple) de mériter des scènes pour mon silence. C’est une prudence d’enfant, mais je vis au milieu de menteurs.
Adieu. Adieu, beaucoup de fois ou une seule bonne according to your texte. Adieu. Vous avez raison, il faut obtenir la vaisselle pour lady Durham. Lord Grey plus que qui que ce soit arrange ses opinions politiques sur ces petites choses. Et ce qu’il vous mande a de l’importance et beaucoup, il faut l’entretenir dans cette disposition. Je ne puis pas finir sur cela il faut encore adieu. Dites aux Holland mille bons souvenirs de moi, adieu.
429. Paris, Dimanche 20 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 heures
Ma lettre est partie, et la vôtre est venue. Quelle charmante page, il y a dans cette lettre. Il n’y a pas un sujet sur lequel on a plus dit depuis que le monde existe que le sujet que traite votre lettre. On n’a jamais dit comme cela, senti comme cela. C’est si beau, si parfait, si charmant que je me demande si je mérite tout cela ? comment il se fait que j’aie mérité tout cela. Je suis fière, je suis humble. Je suis ravie, je suis heureuse, et je suis triste! Je ne devrais pas être loin !
J’ai lu dans la bible, j’ai essayé d’entendre votre voix. J’ai été aux Tuileries, la pluie m’a ramenée plus vite que je ne voulais.
Voici Bulwer. Bulmer bien mélancolique et desponding hier presque joyeux aujourd’hui. Un mot dans le Globe de vendredi que lui semble de bon augure. Mais assez piqué que ce ne soit que jeudi que Thiers lui a parlé de la proposition du Pacha tandis que cette proposition se trouvait livrée à des journalistes anglais depuis la veille. Cela m’est bien égal. Je me sens en train de croire que tout va aller bien, est-ce que je ne crois pas trop vite ? Mais votre lettre m’y encourage un peu.
Lundi 8 heure
J’ai vu un moment mon ambassadeur hier matin ; avant de me rendre au bois de Boulogne j’ai passé chez vous ; je suis entrée sous prétexte de chercher des livres. Je ne les cherchais pas, je n’en ai point pris, j’ai regardé votre portrait, d’autres portraits. Votre fauteuil, votre bureau. Vous ne ne vous doutiez pas que j’étais chez vous. J’y étais avec des sentiments bien mêlés. Le bois de Boulogne un peu, une visite à Mad. Durazzo. Mon dîner qui ne ressemble pas à un dîner, une perdrix. et un gâteau de semouille, je ne sais pas manger encore et puis lady Granville jusqu’à 10 h 1/2.
Le protocole de jeudi est-il ce qui vous faisait me dire vendredi que vous croyiez à la paix ! Il me faudrait plus que cela. Il faut que lord Palmerston dise " Examinons la proposition de M. Ali. " Dès ce moment là je croirai à la paix, avant non. J’ai eu une lettre de lady Palmerston de vendredi, ce même jour je lui écrivais au sujet de la reine de Hanôvre. Une lettre insignifiante pas un mot de politique. elle me provoque à en parler, je verrai si je le ferai. Je vous envoie copie des passages importants de sa lettre.
Midi
Voici votre lettre, courte, et demain je n’aurai rien ! Dites-moi s’il y a espoir que les propositions du Pacha devienne quelque chose. Je suis très flottante. Hier j’espérais, aujourd’hui j’espère peu. Vous m’auriez dit quelque chose, si quelquechose pouvait ressortir du nouvel incident. Cependant vous êtes en pourparler avec lord Palmerston cela laisse du jour. Quand je pense à quel point ma vie, mon bonheur dépendent des paroles qui se disent aujourd’hui à Londres ; je n’ai pas assez de vœux et de soupirs pour tout ce qui agite et remue mon âme. Voici du Soleil ; ce beau soleil de Paris, si brillant, si gai, cet air si pur. Allons nous promener ensemble aux Tuileries. Ensemble ! Ah que ce serait charmant !
Adieu. Adieu bien des fois, et encore. mille fois adieu. Lord Granville verra Thiers ce matin.
A propos Thiers a dit à M. de Pahlen qu’il ignorait qu’on eut permis à Lelevel de revenir. Qu’il allait s’en enquérir auprès de M. de Rémusat. nous verrons. Pahlen redoute tout, s’il revenait prenez garde, Appony ce que je vous dis. Adieu. Lady Palmerston me dit : " Les affaires de ce moment sont trop importantes pour pouvoir espérer de les mener à la distante même de quelques heures. Ainsi, j’ai pris mon parti, et je reste. "
430_1. Londres, Le 21 septembre 1840, Dorothée de Lieven à Lady Palmerston
Je ne voulais plus causer politique, mais vous m’en parlez je réponds, et je réponds pour faire votre écho. " Comme je voudrais voir arranger bien et vite cette affaire d’Orient ! " Vous ne le désirez sûrement pas plus que moi, Voilà notre ressemblance. Mais vous y pouvez quelque chose et moi je n’y peux rien ; voilà notre dissemblance. Eh bien ma chère, faites. Inspirez le désir ; saisissez les moyens. Les moyens y sont dit-on. Le traité a eu pour résultat excellent de faire énoncer des concessions auxquelles ni la France, ni le Pacha ne voulaient se prêter avant. C’est un triomphe très patent. Le jour où lord Palmerston dira : Examinons les propositions du Pacha. " Ce jour là, la paix est sûre. S’il dit : " Le traité doit être accompli." La guerre en ressortira. je dis ici que je n’ai vu ni Thiers, ni Molé pas un français excepté un moment le duc de Noailles, et je rapporte tout ce que je vous ai dit de l’opinion du duc. " Tenez pour certain que la France veut la paix, désire la paix. Mais tenez pour certain aussi qu’elle n’acceptera plus d’humiliation, et qu’elle fera la guerre très résolument, très unanimement, et que nous en serons tous. "
( Je fais un peu le portrait du duc de Noailles après cela je continue.)
Ma chère, vous êtes bien grands à vous tous seuls. Vous êtes immensément grands à quatre ! Les plus forts ne dérogent jamais dans quoi qu’ils fassent. Vous avez fait fléchir une inflexible volonté. Votre traité a beaucoup obtenu déjà. Et bien qu’il pacifie aujourd’hui, tout de suite ; ce sera une belle et bonne veuve. La joie sera partout dans la proposition qu’ont été et qui sont encore les alarmes.
435. Paris, Dimanche 27 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai vu hier Appony, Bulwer, les Granville le soir. Le temps était beau, j’ai fait assez de chemin dans le bois de Boulogne. Mon allée favorite est détruite. Elle deviendra une fortification !
Les nouvelles d’avant-hier étaient de l’invention des Rothschild. Le conseil anglais a quitté Alexandrie. La guerre est engagée. Ferez-vous la paix demain à Londres ? Le Roi était vendredi soir de très mauvaise humeur à St Cloud. Très aigre et mécontent vis-avis des puissances. Infiniment plus monté et plus belliqueux que Thiers, et j’ai entendu dire à ma diplomatie qu’il ne valait plus la peine d’aller faire sa cour si on était exposé à entendre tout ce langage. C’est le plus favorisé des diplomates qui disait cela. Eh bien qu’arrivera-t-il donc ? Peut-il arriver autre chose que la guerre, tout insensée qu’elle paraisse ?
Mad. de Boigne est à la Campagne, elle n’a pas été en ville depuis quinze jours. Elle n’y est attendu que dans 15 jours. Je suis restée chez lady Granville hier jusqu’à 10 heures, l’heure de mon coucher. Nous avons bien bavardé et un peu ri à entendre toutes les nouvelles contradictions, à voir toutes ces fluctuations dans cette affaire si grave, on est toujours dans l’embarras de savoir de qui on aura à se moquer le lendemain ! Si le Pacha cède on se moquera de vous. S’il résiste avec succès c’est de nous qu’on rira. Je ris encore, parce que je suis à Paris. Le jour où je n’y serai plus, il en sera autrement.
Midi
On ne m’apporte pas de lettres ; je vais faire un tour aux Tuileries. Vous aimeriez n’est-ce pas à y venir avec moi ? à rentrer avec moi ? à aller regarder votre gravure. Vous ne la regarderiez pas, ni moi non plus. Adieu, c’est le moment de vous le dire. Adieu. Adieu.
436.Paris, Lundi 28 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
8 heures
Je suis sur pied de bonne heure, je crois qu’en me levant si tôt je rattraperai la lettre perdue. Car vous saurez que hier je n’ai reçu eu, rien du tout. Expliquez cela. S’il y a de votre faute je ne me sens pas le courage de vous pardonner, car vous me faites trop de mal. Mais ce ne peut être vous. Et cependant où est cette lettre ? J’ai bien assez, J’ai bien trop d’un mardi pas semaine, et me voici à deux.
J’ai vu hier matin, Bulwer, Werther, Adair, Montrond, Granville. Bulwer commence à se monter la tête beaucoup. Il veut du décisif, du vigoureux. Il trouve Stopford lâche, il faut le destituer. Il faut finir l’affaire. Schleinitz mande à Werther qu’il a fort peu d’espoir d’accommodement, que l’opinion en Angleterre devient assez générale contre la France, et qu’on ne veut pas lui laisser le triomphe d’avoir fait reculer. Vous êtes tous trop vantards, cela finit par irriter, et vos menaces n’intimident personne. Je crois cela assez vrai et dans le fond il n’y a que la diplomatie à Paris qui soit encore à vous défendre. Le duc de Broglie est arrivé. Il n’avait encore vu ni le roi, ni Thiers. Lord Granville l’a vu très triste, très découragé. Il trouve que la conduite de Thiers a été bonne, mais l’affaire est bien mal engagée. Il est triste et soucieux pour le roi. Il y a bien des gens qui regardent sa situation comme bien mauvaise. Il a épousé le pays ou pour dire plus vrai les journaux. Il sera débordé par eux.
62 dit que la chambre des députés sera toute pour la paix et que par lâcheté elle votera pour la guerre. Or, la guerre, elle sera mauvaise pour toutes les puissances peut-être (sauf l’Angleterre qui n’a qu’à y gagner) mais elle sera surtout mauvaise pour la France, car elle n’y est pas préparée. Cela paraît incontestable. Je suis sûr le ton belliqueux c’est que cela devient le ton de tout le monde. On dit, on répète : " c’est insensé. " Et l’on ajoute toujours, " Mais comment se tirer de là ? "
15 croit que c’est la guerre continentale dont vous avez envie. Il est vrai qu’à l’autre Il n’y aurait que des coups à attraper, et malgré vos promesses malgré vos désires même, ce sera la Prusse qui sera la première victime, car c’est la seule abordable, et le Rhin est ce que l’on comprend le mieux en France. Vraiment nous voilà à la veille d’un beau dénouement, je n’espère pas la moindre chose du conseil de cabinet d’aujourd’hui. Il n’y a aucune vraisemblance à ce que lord Palmerston soit out voted. Thiers a dit à M. de Werther avant hier : " Si les propositions de Méhemet ali ne sont point acceptées, c’est la guerre." J’ai fait mon régime ordinaire hier. Le bois de Boulogne, dîner seule, la perdrix, et le gâteau de semouille, pas autre chose, c’est l’ordonnance. Le soir un moment chez Mad. de Flahaut et un moment chez Lady Granville, dans mon lit à 10 heures. Voici une lettre du duc de Noailles. Elle me frappe un peu. Il est clair que les événements du jour inspirent de l’espérance.
9 heures
Voici la lettre que je devais recevoir hier. Le petit copiste est venu me l’apporter il ne l’a eu hier qu’à 10 heures du soir ; il était reste jusque là à son bureau. Il dit que s’il pouvait être prévenu des jours où on lui adresse des lettres il rentrerait pour les recevoir. Je vous supplie faites quelque chose qui n’épargne la cruelle peine de rester tout un jour sans lire des paroles qui me donnent tant tant de joie ! Car quelle lettre encore que ce 421 ! Ces deux feuilles volantes comme elles vont rester dans ma mémoire dans mon Cœur. C’est un langage du Ciel, vous dites vrai, jamais, jamais oreille de femme ne l’a entendu !J’étais donc destinée à une félicité immense ; et cependant, tout ce qu’il y manque ! Midi Je suis pleine de bonheur et d’orgueil de votre lettre. Mais j’ai le cœur plus triste tous les jours sur les. affaires. Elles vont de mal en pire. Elles vont à la guerre, quelle démence ! J’attend encore votre lettre d’aujourd’hui. La voilà
1 heure
Vous ne m’avez pas entendu sur l’adieu spécial car vous me dites qu’il ne ressemble à nul autre, cela me déplaît beaucoup, les autres ont toujours été si charmants. pour être tout autre il faut qu’il soit bien laid. Je n’en veux pas. Si fait j’en veux, car au moins c’est tout près et s’il commençait mal. Je le forcerais bien à devenir bien mais voyez quelle longue histoire pour si peu de chose. Je suis tout-à-fait enragée contre moi-même. Je vous jure que je ne retomberai plus. Car vous êtes un peu fâché et vous avez raison. Ne m’en parlez plus mais s’il vous plait un adieu qui ressemble à tous les autres. Vraiment, je pense à vous je m’inquiète de vous sur cette maudite affaire d’Orient, sans cesse, sans cesse. Ne vous en tracassez pas trop cependant je vous en prie. L’aventure de votre anneau est arrivée à mon anneau, je suis obligée d’en porter un autre pour le retenir à sa place.
Venez et tout rentrera dans l’ordre. Mon Dieu, si nous étions ensemble ! Vous voulez oui sur tout-à-fait, qu’est-ce qu’était donc tout-à-fait ? J’ai envie de dire oui à tout événement car vous le diriez, et aujourd’hui je me crois obligée à vous obéir, à vous donner toute satisfaction pour vous faire oublier mon iniquité. Oubliez, oubliez, est-il possible que rien puisse m’inquiéter ? Mais c’est si beau, c’est si rare, mon bonheur ; Je ne veux pas que le moindre souffle l’atteigne. Pardonnez pardonnez. Le temps est doux, Paris est charmant. Je suis désolée de penser à toute cette tristesse. Cette solitude de Londres. Je voudrais y retourner. Voilà Mad. Durazzo. Il faut que je vous quitte. Je ne voudrais jamais jamais vous quitter. Si vous pouviez voir tout ce qu’il y a dans mon Cœur. Si profond, si fort, si éternel, si tendre si triste. Adieu. Adieu. Adieu. Toute ma vie toujours ! Adieu.
440. Paris, Vendredi 2 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
à 10 heures
Le voilà expliqué le bis, au moment où je commençais une toilette de nuit hier, on m’annonce Byng, je le renvoie ; il me fait dire qu’il arrive de Londres à l’instant ; je le fais entrer rêvant à la paix ou à la guerre ; c’était bien autre chose. Cette charmante lettre en tendres paroles ! Elle a passé la nuit avec moi. Ah que je voudrais vous dire à mon tour tout ce que j’éprouve. J’en étouffe, et cela reste ici. J’ai eu un rêve que vous auriez aimé. Mais ce n’était qu’un rêve !
Hier matin j’ai vu les Appony, Montrond, Bulwer. J’ai fait par ordre du médecin une promenade en voiture fermée. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi pour le voir manger. Ensuite j’ai reçu Tshann, et mon ambassadeur. Mais toujours dans ma chambre à coucher. Le matin j’avais eu une bonne visite de votre plus fidèle. Si la question du dehors s’arrange, savez-vous que celle du dedans sera difficile à arranger. Cela me paraît bien embrouillé, bien compliqué. Le moment des chambres sera des plus curieux. Ma nièce a eu une lettre de son père, il s’annonce positivement pour le mois d’avril, et sa femme dans quinze jours, tout cela est bien pacifique. Il parait qu’on ne rêve pas à la guerre.
Que savez-vous de la disgrâce de Bülow ? Les petits diplomates allemands l’affirment. Vous ne m’étonnez pas par ce que vous me dites de Neumann c’est un gros sot, et fort impertinent ; donnez en de bonnes nouvelles à Paris pour le cas où il y viendrait. A propos les Clauricarde viennent-ils toujours ? Elle ne m’a pas écrit depuis mon départ. Il est vrai que je ne lui ai pas écrit non plus.
J’ai eu un retour de crampes cette nuit et un sot accident après. Je m’étais fait frotter rudement l’épaule et la voilà tout ensanglantée ce matin, et me faisant un mal horrible, comme si j’avais été blessée à la guerre, aussi. ai-je fait chercher le chirurgien du 10ème hussards ! (Chermside)
Midi.
Je viens de recevoir votre lettre d’avant-hier, il y a de l’espoir, il y a de l’inquiétude, un peu de tout. Un peu de gronderie à mon adresse, beaucoup d’autre chose qui n’est pas de la gronderie. J’accepte tout à tort et à travers, mais surtout la dernière partie, toujours désirée, toujours bien venue. Toujours nouvelle quoique si vieille. Voici donc Beyrouth pris. On va crier ici comme si c’était chose inattendue et inouïe. J’en suis effrayée; je suis effrayée de tout, parce qu’il faut si peu pour aller bien mal et bien loin. Vous ne sauriez concevoir le plaisir que j’ai eu à voir Byng. Il avait déjeuné avec vous Samedi. Il été fort pressé de me remettre la lettre. Il était encore en toilette de voyage. J’aime Byng. Adieu, que dois-je penser du conseil de cabinet d’hier ? Je tremble et j’espère. L’article du Times était bon, mais rien ne fait quelque chose à lord Palmerston. Je suis bien aise que vous soyez bien avec Flahaut, je ne sais encore rien de cela pour la femme, je ne l’ai point vue depuis mardi.
Adieu. Adieu, tendrement. Montrond vient souvent sans avoir rien à dire. Il est archi pacifique. Tout le monde l’est je crois, mais n’y a-t-il pas des existences politiques que la paix tuerait. Voilà ce qui m’inquiète. Adieu. Adieu.
2 heures
Dans ce moment, je m’aperçois du vendredi. Je suis enragée contre moi-même, il n’a a pas de remède, ceci ne partira que demain, je vous écris un pauvre mot mais il vous faut la vue de mon écriture, sans cela vous me croiriez morte.
Samedi 3 octobre, 11 heures.
Ma journée s’est passée à Beyrouth c-à-d. que tout le monde est venu chez moi parler de cela et rien que de cela. Le matin, les Granville, Werther, Appony, Pahlen. Le soir M. Molé. Je ne compte pas Adair et autres de cette espèce. Et bien on est bien agité, c’est à dire agité de l’agitation que cela va causé ici, comme si ce n’était pas un événement tout naturel, et très attendu. Thiers a dit hier matin à un diplomate à Auteuil : "Monsieur, c’est la guerre. " On ne le prend pas au mot, parce que vraiment il n’est pas possible qu’elle ressorte de ce fait. le conseil s’était réuni d’abord à Auteuil et puis aux Affaires étrangères. M. Molé me dit que la chambre des pairs était dans un trouble inexprimable. On ne parlait que de cela. On proposait de dresser une pétition à la couronne pour demander la convocation du chambre. M. Molé prétend s’y être opposé. Mais il parle très mal de la situation. Il dit que jamais on n’a si mal gouverné une affaire. Et puis une conduite si lâche à côté de tant de bruit, de si pitoyables réponses au général anglais.
Le dernier factum de lord Palmerston excellent, clair, une vraie pièce de cabinet. Et pas de réponse ? mais c’est incroyable. Enfin vous entendez tout ce qu’il dit. Il voudrait bien savoir bien des choses ; moi, je n’ai rien à lui apprendre. J’ai renvoyé M. Molé avant dix heures pour aller un moment chez Lady Granville. Là j’ai appris l’abdication du roi de Hollande. C’est grave aussi, parce que l’héritier est peu de chose. Tête très légère. Le monde va mal. Mais vous que faites-vous ? L’éclat de Beyrouth devrait faciliter les affaires ; on a meilleure grâce à céder quand ou a un succès. Cependant, je ne sais rien bâtir d’agréable sur ce qui peut venir de Londres. Je suis frappée ce matin du ton de Siècle et du Courrier français. Le Constitutionnel est plus prudent, il est évident qu’il attend vos nouvelles sur le conseil de jeudi. M. Molé prétendait savoir qu’on allait mobiliser la garde nationale, mesure révolutionnaire selon lui. Il croyait aussi que le ministère ne pouvait pas l’empêcher, de convoquer les chambres. Le cri public serait trop fort. Moi, je suis pour la convocation cela va sans dire ! Lord Granville était allé hier soit à St Cloud. L’ambassade anglaise est très agitée. Bulwer excessivement.
1 heure.
J’ai eu votre lettre et un long entretien, avec celui qui me l’a portée. Il vous écrit lui-même. Il voudrait que vous l’instruisiez mieux de votre volonté, de vos idées, pour qu’il puisse faire face aux entretiens qu’il a avec vos amis. Vraiment la situation devient très grave pour les choses comme pour les personnes politiques de toutes les couleurs. C’est bien difficile de deviner le dénouement de tout ceci. On dit qu’ici tout le monde est pacifique au fond, tout le monde, et je le crois mais comment arriver à cette parole décisive " la paix " au milieu de ce qui se passe et peut se passer tous les jours ?
J’approuve tout ce que vous me dites, et comme je comprends ces éclairs d’élan vers une vie tranquille, domestique ! Et moi, que de fois je l’ai souhaitée, et tout juste dans les moments les plus agitées. C’est alors que je rêvais les cottages, que j’enviais le sort des plus humbles de leurs habitants. Ah que je saurais aujourd’hui embellir cette vie là pour vous. Mais vous n’osez pas en vouloir, vous ne le pouvez pas. Je sens tout ; je suis en même temps une créature très passionnée et très sensée.
Je crois l’esprit de 20 très combattu dans ce moment, au fond il n’a pas de l’esprit tout-à-fait Il faut finir, je n’ai encore vu personne aujourd’hui. On dit, c’est votre petit ami qui me l’a dit que les ministres sont un conseil depuis huit heures ce matin. Je crois moi qu’il ne ressortira la convocation des chambres. Encore une fois, il m’est impossible de ne pas la désirer ardemment. J’ai vu chez moi Mad. de Flahaut hier, elle m’a parlé des lettres de son mari, mais elle ne vous a pas nommé. Au reste elle est très douce maintenant, et inquiète comme tout le monde.
Adieu. Adieu. Je ferme de crainte d’interruption et de retard, adieu.
444. Paris, Mardi 6 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Les trois 4 font une drôle de mine et ne font pas honneur à notre intelligence, pour des gens qui ont pas mal de goût à se trouver ensemble. C’est bien bête. J’ai vu hier matin chez moi à la fois l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre. Une petite conférence en ressemblant pas du tout à celle de Londres quant aux opinions et aux vœux. Il parait que l’insurrection se ranime en Syrie. Il paraît aussi que les Anglais allaient à St Jean d’Acre. Voilà qui fera une bien autre émotion encore qui Beyrouth !
On dit donc qu’on travaille ici à une sorte de protestation dans laquelle on établirait le casus belli. Mais tout cela n’est-il pas un peu tard ? On est très révolté ici de voir que l’internonce a assisté à la dépossession du Pacha à Constantinople.
Quant à nous je n’ai rien vu de plus modeste, même de plus effacé. C’est très drôle. Tous les acteurs en scène, le premier amoureux seul, dans les coulisses. Je ne crois pas qu’il perd rien à attendre. Mais la comédie est complète. Le soir je voulais aller chez Lady Granville lorsque est venu encore M. Molé et puis mon ambassadeur et Bulwer. Nous sommes restés à quatre jasant toujours de la même chose, et riant même un peu. C’est toujours encore dans ma chambre à coucher que je reste ; et ma porte fermée à tout ce qui ne m’amuse pas tout-à-fait. M. Molé et très curieux de tout, mais au fond il me parait être au courant de tout.
Il disait et Bulwer disait aussi que M. Barrot entrerait au ministère, si les affaires tournent à la guerre. Mad. de Boigne est toujours à Chatenay. M. Molé me l’a répété. Il ne l’a point vu du tout. Molé repart aujourd’hui ou demain pour la campagne. Personne ne parle du procès de Louis Bonaparte. Jamais il n’y eut quelque chose de plus plat. Le petit Bulwer est d’une activité extraordinaire et une relation avec toute sorte de monde, très lié avec Barrot. Il faut que je vous dise que 10 jours après mon arrivée ici j’ai écrit à Paul une lettre assez indifférente lui parlant de ma santé, un peu des nouvelles du jour, rien du tout. J’ai fait cela pour renouer la correspondance sur le même pied qu’a été notre rencontre. Il ne m’a pas répondu. C’est bien fort je ne crois pas que j’aie à me repentir de cette avancée, c’était un procédé naturel mais son silence me semble prouver qu’il ne veut avec moi que les relations de plus strict décorum rien que ce qu’il faut pour pouvoir décemment habiter la même ville que sa mère. Qu’en pensez-vous ? Est-ce comme cela ? Il écrit à Pogenpohl qu’il viendra passer l’hiver ici, cela ne me promet pas le moindre. agrément. Je le recevrai un peu plus froidement qu’à Londres. Son frère est auprès de lui dans ce moment, je l’attends sous peu de jours. 1 heure. Le petit ami est venu me voir, il est presque convenu que ce sera quotidien. Nous devrions beaucoup sur un même sujet une seule personne. Quelle situation difficile et grave, en tout, en tout.
Le chêne n’écrit-il pas trop à 21 ? Il faut qu’il sache bien que ce 21 est plus l’ami des autres que le sien, et qu’au besoin il livrerait telle phrase imprudente on intime de ses lettres. On parle de la présidence de M. Barrot, s’il n’entre pas dans le ministère. Que pensez-vous de cela ? Dans mon opinion qui sera celle de tout le monde, au premier instant les personnalités doivent s’effacer devant une grande circonstance. En y pensant davantage je ne sais que dire. Je suis très perplexe ; et c’est cela qui me fait dire, que tout, tout sera difficile. Cependant les événements viendront au secours des embarras peut-être. Je finis par crainte d’interruptions.
Adieu. Adieu mille fois adieu, que je voudrais vous parler. Ah mon Dieu que je le voudrais ! Ce ne serait ni de l’Orient, ni de la Chambre, ni du ministère. Adieu, adieu.
431. Londres, Mardi 6 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
sept heures et demie
Moi aussi je suis très agité. Tout absolument, tout est engagé, pour moi dans cette question. Mes plus chers intérêts personnels. Les plus grands intérêts politiques de mon pays, et de moi dans mon pays. Et tout cela se décide sans moi, loin de moi, en Syrie par le canon de Napier, à Paris par les conseils d’un Cabinet qui n’est pas le mien.
Ma raison persiste dans sa confiance. Je ne crois pas à la guerre. Mais mon âme est pleine de trouble. Je n’ai jamais été si agité. On se promet ici un succès prompt. On se promet que ce qui s’est passé à Beyrouth se passera, non à Alexandrie, on ne le tentera pas là, mais sur toute la côte de Syrie, à Sidon, à Tripoli, à St Jean d’Acre. On se promet. que, cela fait, le Pacha cédera et qu’on s’arrangera. On est bien léger bien présomptueux bien aveugle. Mais tout le monde l’est. On agit au hasard. On parle au hasard. Vraiment les affaires des hommes sont étrangement faites. S’ils étaient capables de le voir, ils ne le souffriraient certainement pas. Quand on n’est pas content de la politique on fait de la morale.
Hier soir à Holland house. J’étais mécontent, de mauvaise humeur. Je l’ai montré. Ce pauvre lord Holland était troublé, interdit. Il n’est pas fait pour être affligé, seulement contrarié. Il voudrait tout le monde toujours doux, aimable, content. Lady Holland a l’âme plus forte. Elle était extrêmement blessée d’un article de l’Examiner, qui a mis Holland house, en scène. Elle connait l’auteur. Elle l’a bien traité. Je lui conseille, à l’auteur, de ne pas se trouver sur son chemin. Je suis fort en scène aussi dans cet article, très convenablement pour moi, Français. Je gouverne d’un côté les vieux Whigs par Holland house de l’autre les radicaux. J’agite l’intérieur du cabinet. Du reste, l’article n’est pas si mauvais qu’il en veut avoir l’air. Au fond, il conseille une transaction.
Lord et lady Shelburne, Charles Greville, Sir Hussey Vivian, un ou deux inconnus. Lady Clanricard n’est pas à Londres. Lady Shelburne attendait avec quelque impatience que je me fisse présenter à elle. Elle a dit à lady Holland : " J’ai vu bien souvent M. Guizot à Paris, mais je n’étais rien alors. Il ne me connait pas. "
Je me suis fait présenter à présent qu’elle est quelque chose. Lord Shelburne aurait mieux fait d’insister pour Emilie. Elle était là, à côté. Décidément, dit lady Holland, ils partent après-demain pour Brighton. Leurs logements y sont arrêtés. Pour huit jours. Huit jours d’air nouveau et d’eau de Marienbad.
2 heures
Ne me grondez pas, je vous en prie, ne me grondez pas de ma réserve. Elle me déplaît bien autant qu’à vous. Mais soyez sûre que j’ai raison. Dans une situation très difficile, très délicate, il ne faut pas mettre contre soi, ne fût-elle que d’un sur mille, la chance d’une lettre perdue, d’une lettre ouverte, d’un mot échappé. Vous entrevoyez, mais vous ne savez pas à quelles difficultés, à quelles personnes je suis peut-être sur le point d’avoir affaire. Je n’en frémis pas. Je mentirais si je disais que j’en frémis. Mais si cela arrive, ce sera bien grave. Il ne faudra pas faire une faute et on en ferai; pas perdre une force, et on en perdra. Vous en savez sans doute, à l’heure qu’il est bien plus que moi. Mais l’article du Constitutionnel de dimanche me paraît bien clair. C’est la guerre ou la retraite.
J’attends demain. Demain m’apportera certainement quelque chose. Je viens de me promener. Toujours Regent’s Park. Je ne m’en lasse pas. Personne du tout. Un air doux et calme. La nature parfaitement étrangère selon son usage aux agitations des hommes. J’étais plus occupé qu’agité en marchant sans bruit dans ces allées tranquilles. La paix ou la guerre quelle question toujours ! Quelle question aujourd’hui ! Que de questions, et lesquelles, dans celle-là ! J’ai un avis. Je n’ai que cela. Est-ce assez ? Je veux voir Lucia de Lammermoor avec vous. Je ne crois pas que le mois d’octobre se passe sans que nous nous voyions. Adieu. Adieu en attendant.
437. Londres, Lundi 12 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
Vous ne serez pas contente de ma lettre d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne soit courte, et vide aussi. J’ai travaillé toute la matinée. Je viens de chez lord Melbourne. J’irai tout à l’heure chez lord Palmerston. Bien des choses et bien des gens se remuent. Nous verrons le résultat. Je suis las d’attendre et de prédire. D’attendre surtout, car pour prédire, je n’en ai pas abusé. Je parie encore pour beaucoup de longueurs. Comme toujours, on est plein ici de présomption et d’illusion Parce qu’on a bombardé Beyrouth et débarqué 6000 Turcs, on se croit maître de la Syrie. Des renseignements, qui méritent au moins autant de confiance que ceux dont on se prévaut, me donnent lieu de croire qu’eût-on fait partout, sur le littorab, ce qu’on a fait à Beyrouth, on ne serait pas si avancé, tant s’en faut. Ibrahim et Soliman-Pacha se promettent de tenir très ferme dans l’intérieur, et de faire durer la guerre. Napier lui-même dans ses rapports officiels donnés à Ibrahim 120 000 hommes.
En vérité jamais plus de passions, n’ont été excitées, et de hasards courus pour un si mince motif. Hier soir à Holland house. Nous sommes de mieux en mieux. Lady Holland et moi. Il y a quelque temps, elle m’a demandé, la gravure de mon portrait. Je la lui ai envoyée hier. Elle a été charmée. J’ai envie qu’on me mette dans l’escalier au dessus de vous. J’y dîne aujourd’hui. Ils ne retournent pas à Brighton. Il y a conseil de Cabinet Jeudi.
J’ai fait connaissance hier avec lord Ebrington, qui a l’air d’un bien bon et honnête homme. Il arrive d’Irlande et me paraît fort peu préoccupé du bruit pour le repeal. Il y a bien du bruit partout. J’ai de très bonnes nouvelles du Val-Richer. Mes enfants, deux surtout ont été assez longtemps languissants, après la jaunisse. Ils sont très bien à présent. J’espère toujours aller les prendre et les ramener avec moi à Paris. J’aime bien 448.
J’aime bien vos inquiétudes, vos ombrages, vos susceptibilités. Je m’explique bien des choses, quelques unes tristes, toutes bien petites. C’est dommage. Mad. 62 avait plus de grandeur que 20. Il a le cœur élevé rien de grand. Quant à 1, il s’ignore beaucoup lui-même comme il ignore les autres. Je répète à son sujet, ce que je disais l’autre jour, à propos de 99, mais dans un bien moindre degré. Que Dieu me garde quelque chose de complet et d’immuable ! Je supporterai sans la moindre humeur les imperfections et ces vicissitudes, des relations humaines. C’est bien solennel ce langage là ; pas plus solennel que les sentiments qui me fait parler. J’ai vu que votre belle sœur avait fait route de Pétersbourg au Havre avec Mauguin. Il lui aura dit d’étranges choses. Il a assez d’esprit pour faire croire à ceux qui n’en ont pas, qu’il en a beaucoup. J’ai été dérangé deux fois en vous écrivant. Il faut que je sorte. Adieu Votre adieu.
450. Paris, Lundi 12 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
C’est à présent que j’ai de la joie à voir s’écouler les jours ! Regardez dans votre cœur et voyez tout ce qui se passe dans le mien. C’est cela ; tout cela, et peut être plus que cela. La journée hier a été très à là paix. Toutes les nouvelles, tous les symptômes étaient à cela. M. de Werther, Granville surtout et même les petites gens, Flahaut & &. J’ai fait ma promenade vers Boulogne. J’ai été rendre visite à Mad. Rothschild qui est dans une angoisse inexprimable sur les affaires. Son mari était à Ferrières. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai été un moment chez les Granville, un autre moment chez Mad. de Flahaut et à 10h 1/2 dans mon lit.
Je suis de plus en plus mécontente de S.. Il voudrait tout arranger pour la plus grande commodité de M. Il ne s’embarrasse guère dans cet intérêt d’aplatir le bouleau. Tous les propos de F. sont dans ce sens, et si forts qu’on m’a dit que la violette hier était sur le point de se fâcher. D’un autre côté 62 fait tout au monde pour retarder l’arrivée du peuplier.
11 heures
Voici votre lettre. Je suis bien contente de vous voir bien augurer du résultat de la note. Que Dieu vous accorde le bonheur de voir tout ceci s’arranger pacifiquement. Je suis charmée de tout ce que vous me dites sur votre propre compte.
Moi, je n’ai qu’un avis, un avis grave à donner c’est celui-ci. Si vous n’êtes pas à Paris dès le 28, vous ne pouvez être ce jour-là qu’à Londres. J’avais écrit deux longues pages de développement sur cela, j’aime mieux abréger, ceci vous suffit. J’ai vu le petit ce matin, et puis je viens de me rafraîchir sur la place.
Que de choses à dire, à demander, à commenter. Que les heures de bavardage seront charmantes. Elles se présentent tellement comme cela à mon imagination que je me ravis déjà aujourd’hui que vous dire sur ce pauvre papier. Mais dites-moi bien que vous croyez à la paix, qu’elle est sûre.
Depuis hier je commence à y croire, sans oser presque me l’avouer Mardi demain, c’est affreux ; j’ai si besoin de savoir tous les jours un mot consolant.
Je n’ai pas de nouvelles, je ne sais rien, on attend des dépêches télégraphiques sur l’Orient. Elles tardent bien. Le ton des journaux ministériels est bien doux presque timide. Le journal des Débats fait des articles très habiles, c’est qu’il est libre. An fond c’est la condition de pouvoir, de ne pas l’être.
Selon moi il n’y a de Val Richer possible qu’avant le jour de la convocation, pendant ce jour-là impossible. Voilà une et deux interruptions. Pardonnez, pardonnez. Adieu. Adieu. Ecrivez moi. aimez moi (quelle bêtise !) et arrivez. Adieu.
441. Londres, Vendredi 16 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je ne suis pas sorti hier soir. J’ai joué au tric-trac, et je me suis couché de bonne heure. Il y a des choses plus agréables à mettre dans une soirée où l’on ne sort pas. Après mon tric-trac, je suis rentré dans ma chambre, je me suis promené près d’une heure, pensant, pensant et faisant dans mes pensées, ce que vous appelez une confusion visible de deux choses qui vont très bien ensemble, nous en sommes sûrs. Je me suis couché, je me suis endormi, et je n’ai plus retrouvé dans mes rides qu’une seule des deux choses. Evidemment l’autre ne va qu’au jour. Elle ne s’y montre pas aussi hardiment qu’elle s’en vante. Je suis très frappé de la reculade de ces gens de la garde nationale qui voulaient faire dimanche dernier une grande démonstration. Cela me prouve, comme je l’ai toujours cru qu’il y a là plus de bruit que de force et même que de vraie passion. Les factions, les coteries ont aujourd’hui en France très peu de force réelle. Il suffit presque, pour les vaincre, de n’en avoir pas peur. Mais bien des gens en ont peur. Et bien des gens aussi aujourd’hui, très honnêtes, très sensés en général, sont réellement blessés, vivement blessés du procédé anglais. Il y a grande excitation du sentiment national. Elle m’arrive de toutes parts. Comment le contenir sans l’irriter encore ? C’est bien difficile.
Quelles pauvretés je vous dis là ! Ce sont pourtant là, mes pensées habituelles. Et il le faut bien. 2 heures Je suis plus que contrarié. Comment.
Mercredi, à 2 heures et demie, vous n’aviez pas même la lettre que je vous ai écrite dimanche, qui a du être mise lundi à la porte, à Calais et vous arriver mardi ! C’est souverainement déplaisant. Moi qui prends tant de plaisir à faire luire, quand je le peux un doux rayon sur le mardi ! Ne manquez pas de me dire, si cette lettre vous est parvenue, quel jour et à quelle heure. Elle a dû vous être remise par celui que vous appelez mon confident pressé. Je vais attendre votre lettre de demain avec un redoublement d’impatience. Il y a toujours quelque raison pour que mon impatience redouble. J’aurais tant à vous dire, tant à déliberer avec vous !
La grande question pour moi dans ce moment, c’est le jour de mon arrivée à Paris. Traitez la à fond avec le fidèle. Ecoutez bien tout ce qu’il vous dira. Il y a deux jours, j’étais à peu près décidé à n’arriver que le 1er novembre. Il me revient des choses qui méritent qu’on y pense. Pensez donc.
Les amis de la paix sont contents du résultat du Conseil d’hier. On annoncera l’intention de ne pas poursuivre la déchéance du Pacha en Egypte. On conseillera à le Porte d’y renoncer, et de se montrer accessible à un rapprochement avec lui. C’est un commencement qui peut amener une fin. Les rapports, les conversations, les ouvertures, entre la France et les quatre se trouveront rengrénés. En attendant, toujours point de nouvelles de Syrie. Tous les boulets du monde ne portent pas à mille pieds de la côte. Ce n’est pas assez pour chasser les égyptiens du pays. Et les jours s’écoulent. Et les vents se levent. Encore trois semaines pareilles, et tout est fini jusqu’au mois de mai.
4 heures et demie
Des visites. Flahaut. Mac Gregor & &. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Il faut que j’écrive à Thiers. Votre courte lettre de ce matin ne m’a pas convenue. Je veux que vous me disiez, beaucoup beaucoup en tous genres, beaucoup des deux choses. Adieu pourtant le même, adieu.
440. Londres, Jeudi 15 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Le travail commence pour m’engager à retarder mon départ. Flahaut s’est mis à l’œuvre hier en dînant chez moi. Et aussi ce jeune Lavalette que Thiers vient de me renvoyer. Les arguments et les caresses abondent. Je réponds simplement que j’ai demandé mon congé, que le jour de mon départ de Londres et celui de mon arrivée à Paris ne sont pas fixés. Mais que je serai certainement à Paris, du 28 octobre au 2 novembre. On n’insiste pas. On recommence. Je répète Je ferai ce que je dis. J’ai écrit à Génie de dire, de ma part à M. de Broglie, que j’étais décidé, que je voulais pouvoir être à Paris, le 28 octobre si cela me paraissait nécessaire ; que je ne m’attendais à aucune difficulté à cet égard mais que, si on pensait à m’en faire, je priais qu’on me les épargnât, car j’avais un un parti pris et je serais certainement à Paris du 28 octobre au 2 novembre. Je suis persuadé que malgré la bonne envie, on ne fera aucune difficulté. Mes amis se sont souvent trompés, je devrais dire que j’ai souvent trompé mes amis à mon égard. J’ai avec eux du laisser aller trop de laisser-aller je n’aime pas les refus, les contradictions, les petites querelles. J’aime la facilité, la complaisance. J’aime à faire plaisir à mes amis. Trop j’en conviens ; ou plutôt je crains trop de les contrarier. Le moment arrivé pourtant où j’ai mon parti pris, je refuse, je refuse péremptoirement. Ils ne s’y attendent pas. Ils s’étonnent un peu de rencontrer la limite de ma facilité. C’est ma faute. Il faut être quelquefois contrariant et raide sans nécessité, pour pouvoir l’être sans exciter de surprise, ni tromper l’attente au moment de la nécessite. Les nouvelles d’Orient sont bien insignifiantes. On commence à craindre ici ce que je vous disais, la longueur du temps, l’hiver, la fièvre. C’est du humbog de dire que la Syrie est soumise. Jamais Gascon n’a dit mieux. Et si elle ne l’est pas dans le cours de ce mois, elle ne le sera pas d’ici au printemps prochain. Et d’ici là, on ne pourra, on ne fera à peu près rien pour la soumettre. La légèreté humaine, la présomption humaine l’imprévoyance humaine, l’insuffisance de l’esprit humain. Je deviendrai un vrai prédicateur. Les sermons ont raison. Lady Holland a été malade, vraiment malade l’autre jour ; une quasi cholérine. Elle s’est trouvée mal ; il a fallu quitter la table, passer la soirée dans sa chambre. Elle était hier au soir fatiguée et changée.
Lord Melbourne et lord Lansdowne. Celui-ci était venu me voir le matin. Très sensé et très impuissant. C’est un exemple frappant de ce que peut et ne peut pas donner une grande situation aristocratique. Il est très instruit, très éclairé, très considéré très riche, très bien établi dans le public et dans le gouvernement. Il n’est rien. M. de Flahaut part samedi. On dit que décidément Emilie épousera lord Ephinstone qui reviendra de l’Inde l’été prochain. On dit que lord Ossulston l’épouserait s’il voulait. On dit qu’il épouserait lady Fanny Cowper, s’il voulait. On dit beaucoup de choses de Lord Ossulston. Lady Tankerville a perdu chez Hammersley l’argent qu’elle destinait à son voyage, en France. Elle n’ira pas. Lady Palmerston a perdu 1200 louis. Lady Fanny 400. Je vous dis ce qu’on me dit. On vous l’a peut-être déjà dit. Je vous l’ai peut-être déjà dit moi-même. Nos bavardages ne porteront guère sur cela. Ils porteront surtout.
3 heures
Je viens de faire le grand tour de Hyde Park seul. Décidément j’aime mieux être seul. Décidément aussi, c’est une supériorité que j’ai sur vous. Je n’ai pas besoin des indifférents. Vous pouvez me la pardonner. Vous n’en souffrez pas. J’ai quatre chanteurs anglais qui viennent souvent, pendant ou après, le dîner, chanter dans ma cour des paroles anglaises sur de l’excellente musique allemande. Trois hommes et une femme, Ils sont venus hier. J’ai soulevé ma fenêtre. Je les ai écoutés une grande demi-heure : c’était triste, c’était gai, c’était grave, c’était tendre. J’ai passé par toutes ces impressions et toutes me portaient à vous. Elles m’y portaient doucement, légèrement, comme on doit être porté sur un nuage. Je ne voyais rien ; je ne pensais à rien ; je flottais dans l’air, bercé de sons charmants qui me parlaient de vous. C’était délicieux, mais si court, comme les beaux rêves. Même au soin des plus beaux, on sent qu’on rêve, on n’a pas de confiance. C’est là que le bonheur est vraiment une ombre. La réalité, la présence, le bonheur éveillé, celui-la seul remplit l’âme et y laisse une trace éternelle. Je suis très contrarié que mardi, à une heure, vous n’eussiez pas encore ma lettre de Dimanche. Je comptais qu’elle vous arriverait de bonne heure. On vous l’aura remise dans la journée ! Ce n’est que la moitié du plaisir que je voulais vous donner et le mien me manque.
Mon jeudi est médiocre. Il y a au moins trois ou quatre choses, que je vous ai demandées depuis huit jour, et auxquelles vous n’avez pas répondu. Rien de grave ; mais enfin des questions sans réponse. On met ma voiture de voyage en ordre. Je recherche les jours de départ des bateaux de Londres au Havre, de Southampton au Havre de Brighton à Dieppe. Adieu. Adieu. Un adieu d’espérance. Ce n’est pas encore le meilleur.